Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "VIII. Discours", in: Le Misantrope, Vol.1\010 (1711-1712), S. 64-72, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1659 [aufgerufen am: ].
Ebene 1►
VIII. Discours.
Ebene 2► Rien n’est plus conforme à la raison & à l’humanité qu’une entiere liberté de conscience. Le simple sens-commun découvre une extravagance monstreuse, dans la conduite d’un Persécuteur aussi ridicule que barbare, qui prétend que la raison, que le raisonnement n’est pas l’unique moyen de détourner quelqu’un de ses opinions erronées, & que la conviction peut être un effet légitime de la violence des tourmens.
D’un autre côté, rien n’est plus conforme à la raison & à la prudence, que la sévérité d’un Magistrat, qui regarde, comme punissable par les Loix, un Libertin assez insolent pour débiter des opinions contraires à l’ordre, au repos & au bonheur de tout le Genre Humain. Rarement on pousse cette sévérité jusqu’à condamner ces sortes de Scélérats au dernier supplice ; mais seroient-ils en droit de se plaindre, si la Justice étendoit sa rigueur jusques sur leur vie ? Je n’en croi rien, & j’ose soûtenir, que de tous ceux que les Loix condamnent aux plus affreux châtimens, il n’y en a point qui puissent accuser leurs Juges avec si peu de raison, qu’un libertin qui dogmatise sur l’Athéïsme, ou qui tâche de l’insinuer par des [65] railleries profanes. Je prouve cette proposition de cette maniere-ci. Ou cet Athée dogmatisant croit que la Vertu est quelque chose de réel ; quoiqu’il n’y ait aucun Etre supérieur dont la nature & la volonté soient la source & la régle de cette Vertu : Ou bien il traite la Vertu de chimére, & il conclut que les hommes n’ayant point de Législateur, ne sçauroient être obligez à suivre aucunes Loix.
Dans le premier cas suposé, cet Athée doit être sûr qu’on ne sçauroit porter de plus rudes coups à cette Vertu dont il reconnoît la réalité, qu’en délivrant les hommes d’une salutaire crainte, qui les empêche de prendre un amour-propre, grossier & brutal, pour l’unique régle de leurs actions. Par conséquent son crime tendant, non à offensez un seul homme, une seule République, mais à mettre un desordre pernicieux parmi tout le Genre-Humain ; ce crime ne sçauroit être puni par des suplices trop rigoureux.
L’Athée que je combats ne sçauroit m’objecter, qu’il suffit de démontrer aux hommes, que la Vertu, étant d’une nécessité absoluë à la Société, oblige par cela-même tous les hommes à la pratiquer. Il sçait trop bien, que tous les hommes ne sont pas capables de se mettre dans l’esprit un Systême suivi du Droit naturel ; quand ils auroient cette capacité, il est clair qu’on suit moins [66] la Vertu à cause de sa réalité & de son utilité si reconnuës, que par respect pour un Etre tout-puissant, qui s’intéresse dans cette vertu, & dont la vengeance est redoutable à ceux qui s’opposent à sa volonté. Les Athées mêmes sont si convaincus de cette vérité, que la persuasion de l’Existence d’un Dieu ne passe dans leur esprit que pour l’effet de l’adresse des Magistrats, qui n’ont sçu trouver de moyen plus efficace pour donne de la vigueur aux Loix, & de l’authorité à la Magistrature.
Dans le second cas. Un Libertin dogmatisant croit toute action également indifférente. Chez lui l’Equité & la Justice ne sont que de vains phantômes, & la raison du plus fort est la seule bonne. Par conséquent il ne sçauroit se plaindre d’un Magistrat, qui ayant le pouvoir en main, s’oppose à des Dogmes incompatibles avec ce pouvoir, & qui détruit les Prôneurs d’une Doctrine, selon laquelle il faut le considérer plûtôt comme un Usurpateur, que comme l’Image Sacrée du Souverain de l’Univers, qui l’ait fait l’administrateur de sa Justice, & le dépositaire de ses Droits.
Je suis le plus trompé du monde si cet argument n’est démonstratif ; & je prie ceux qui pourroient se sentir combattus par sa force, de réfléchir avec attention sur la dangereuse extravagance de leur conduite. Ils sont assez aveugles, & assez vains pour croi-[67]re tout l’Univers dans une erreur dont leur raison les a délivrez. Qu’ils comprennent dumoins <sic>, que la vérité prétenduë de leur opinion, est infiniment plus pernicieuse aux créatures raisonnables, qu’une salutaire illusion qui rassure l’homme sur l’avenir, & qui le rend propre à concourir au bonheur & à la tranquilité de tous les Etres semblables à lui.
Si la Vertu n’est jamais outrée, si elle évite toûjours les extrêmitez comme vicieuses, c’est qu’elle ne fait que suivre la route que la raison lui trace. Cette raison rend la véritable Vertu aussi éloignée de l’Irreligion, que de la ferveur aveugle d’une piété mal-entenduë. Ce zele indiscret, meilleur sams contredit dans sa source de l’Athéïsme, est pourtant beaucoup plus pernicieux dans ses effets, que le libertinage le plus odieux. Souvent un Athée, raisonnant juste sur un mauvais principe, ne cherche qu’à se conduire tout doucement jusqu’à l’abîme du néant, où il croit devoir un jour rentrer. Il laisse penser aux autres ce qu’ils trouvent à propos, & ne raisonne mal qu’à ces propres dépens.
Mais un faux-Dévot croyant toûjours combattre sous les Etendarts de Dieu, se feroit un crime de demeurer dans l’inaction, il croiroit trahir la Cause de son Maître, si ses cruelles persécutions ne détruisoient, par un principe de vénération & d’a-[68]mour pour Dieu, l’Image respectable de cet Etre, dont la charité est aussi infinie que la puissance. Je sçai bien que tous les faux-Dévots ne sont pas assez sanguinaires pour en vouloir à la vie de ceux qui n’approuvent pas leurs sentimens ; il y en a de plus rafinez, qui sans racourcir les jours des prétendus ennemis de la Divinité, se contentent d’en noircir la réputation par de saintes calomnies, & les rendre odieux à leur prochain, dont l’amitié pourroit faire un des plus essentiels agrémens de leur vie.
La Charité, la Candeur, la Droiture, deviennent des crimes énormes dès qu’elles choquent la fausse Dévotion. Devant son tribunal, raisonner juste, c’est être Hérétique, faire briller dans toute sa conduite la Modération dont le Divin Maître des Fidéles a fait le caractere de ses véritables Imitateurs, c’est être du nombre des tiédes que Dieu vomit de sa bouche. Préférer une Vertu intérieure & raisonnée, aux grimaces équivoques d’un dehors composé, c’est faire ouvertement parade d’un effronté libertinage.
Fremdportrait► Ariste le plus cher de mes Amis, vénérable par son âge, mais plus vénérable encore par sa droiture, sa franchise, son indulgence évangélique, & son amour pour la vérité ; Ariste, ce respectable Vieillard, vient de faire une rude épreuve de ce dont est capable la race des Bigots.
[69] Entraîné par sa mauvaise étoile dans une Compagnie dévote, il ose prendre le parti d’un Ami déclaré Hérétique par cabale, & il a le malheur de raisonner si juste qu’on ne trouve rien à lui repliquer. A peine est-il parti qu’on retrouve la parole qu’on avoit perduë par ses raisonnemens. D’où vient, dit l’un, qu’Ariste défend toûjours avec tant de chaleur ceux qu’on soupçonne d’Hérésie ? Dès qu’on reprend quelqu’un de la nouveauté dangereuse de ses opinions, on a d’abord affaire à Ariste, qui ne manque jamais de se déclarer contre l’Orthodoxie. Bon ! répond un autre, ne sçait-on pas bien la source de cette Charité apparente & de cet esprit indulgent d’Ariste ? C’est un Libertin politique, qui ne nous prêche toûjours l’indulgence, que parceque ses sentimens en ont grand besoin, & qu’on en verroit toute l’horreur pour peu qu’on les examinât sévérement. Voilà le vertueux Ariste déclaré Libertin. Toute la Troupe dévote signe sa Sentence. Belise, la sage Belise, sa meilleure Amie, imbuë du venin de cette calomnie, est sur le point de rompre tout commerce avec l’homme du monde que jusques-là elle a estimé le plus. Chagrin de l’injuste crédulité de cette Amie, Ariste lui a adressé ces Vers.
Zitat/Motto► Belise est-il donc vrai qu’un injuste suffrage
Confirme de ta part un Arrêt qui m’outrage ?
Tu me trouvas toujours
un cœur droit & pieux ;
[70] Pour croire tes Devots, ne
crois-tu plus tes yeux ?
Mais que reprend en moi cette Troupe
indocile ?
Quoi ! jamais, à grand flots répandu, de mon stile
Un
Poison dangereux infecta-t-il les mœurs ?
Et défenseur subtil de
grossieres erreurs,
M’a-t’on vu pallier, par un brillant
sophisme,
Les doutes inquiets d’un affreux Athéïsme ?
Mes
profanes Ecrits ont-ils dans quelque lieu
Repû 1 l’Hôte des mers de l’Image de
Dieu ?
Ont-ils jamais fait voir aux ames allarmées ?
Au même
rang Neptune & le Dieu des Armées ?
Non, non, à ces
horreurs jamais mon cœur n’eut part :
J’abhore trop l’état d’un
malheureux Vieillard,
Qui tout prêt à toucher à son heure
derniere,
D’utiles véritez évite la lumiere.
Mais il ferme sans
fruit les yeux à leur clarté ;
Le vrai bien-tôt vainqueur, perce
l’obscurité
Dont il envelopa sa raison qu’il redoute ;
Il
poursuit l’insensé, le saisit dans le doute,
Et le traîne, éblouï de
son éclat vengeur,
Vers l’Etre de ses jours trop véritable
Auteur.
Il se trouble, il pâlit, son bourreau c’est son
crime.
[71] D’infructueux remords impure
victime,
Sous les douces vapeurs d’une utile boisson,
Va, pour
calmer son ame, endormir sa raison.
Mais sa raison bien-tôt sortant
de ce nuage,
Au jour des véritez rouvre un affreux
passage ;
Dans le sein des plaisirs qu’il apelle au
secours,
Elle se suit, l’atteint, & le serre toûjours.
Mon
sort est plus heureux, dès ma plus tendre enfance,
De mon père
éclairé la sage vigilance,
Préserva mon esprit de ce fatal
poison,
Et contre ces erreurs sçut armer ma raison.
Dès-lors je
te connus, ô raison salutaire !
Et je reçu ton joug de la main de
mon pere.
Heureux ! Si cette main me l’ayant imposé,
Eût pû me
soutenir sous le fardeau baissé.
Hélas ! je suis privé de ce pere
estimable,
Dans l’âge dangereux où le cœur intraitable
Sans
cesse bouillonnant d’impétueux desirs,
Fait ramper la vertu sous le
faix des plaisirs ;
Suivant pour guide alors le feu de ma
jeunesse,
Je marchois au bazard & m’égarois sans cesse ;
De
passion toûjours courant en passion,
Les yeux de mon Iris devenoient
ma raison.
Je ne consultois qu’eux ; de l’aimer, de lui
plaire,
Mon cœur à mon esprit fit un devoir austere.
Mais par
ces faux plaisirs peu de tems amusé,
Par mon propre imposteux je fus
desabusé.
Ouï, l’Amour en son sein nourrit tant
d’injustices,
Mêle tant d’amertume à ses tendres délices,
Que
contre lui-même il arme la raison,
[72] Et qu’il est de
lui-même un sûr contrepoison.
Par cinq lustres à peine eus-je compté
mon âge,
Que la Vertu sur moi reprit son avantage.
Depuis
cherchant partout le Monarque des Cieux,
La moindre fleur des champs
le peignit à mes yeux.
De respecter le Ciel je m’aquis
l’habitude ;
Moi-même je devins l’objet de mon étude ;
Dans ma
raison j’appris à puiser mon bonheur ;
L’innocence entretint un doux
calme en mon cœur.
La folle ambition, la richesse inutile,
Si
liguerent en vain contre ce cœur tranquile,
Heureux par ma Vertu,
sans honneurs, sans trésors,
Je goûtai des plaisirs respectez des
remords.
Mon bonheur dure encor, & mon ame ravie,
Sans
redouter la mort, prend plaisir à la vie.
Si le fardeau des ans fait
chanceler mes pas,
Ma Raison se soûtient & ne chancele
pas.
Si semblable aux ruisseaux, dans sa rapide course,
Notre
âge ne sçauroit remonter vers sa source
Etre jeune une fois n’est-ce
pas bien assez ?
Quoi pesant mes plaisirs & mes dangers
passez,
Prêt à gagner le Port, échapé du naufrage,
Voudrois-je
de nouveau m’exposer à l’orage !
Non, je songe au passé, sans
regret, sans horreur ;
Au présent sans dégoût, au futur sans
terreur.
Sous de modiques maux ma santé languissante
Toûjours à
mon esprit tient la Parque présente ;
Et d’abord que je croi la
sentir sur mes pas,
Je vais à sa rencontre & je lui tends les
bras. ◀Zitat/Motto
◀Fremdportrait
◀Ebene 2
◀Ebene 1
1Gueudeville, qui a été quelque tems la Quintessence de la Haye, pendant quelques années l’Esprit des Cours, n’étoit pas capable de cacher ses sentimens libertins ; dans une de ses Feuilles volantes, il dit pour exprimer les tristes effets d’un naufrage, que les poissons avoient fait grand chére de l’image de Dieu. Dans un autre endroit, en faisant le récit de quelque avantage que les François avoient remporté par mer, il dit que Neptune leur étoit favorable ; mais que le Dieu des Armées les attendoit sur terre. Cet Autheur étoit un grand yvrogne, & dans les dernieres années de sa vie les liqueurs les plus fortes lui tenoient lieu d’Hypocrêne.