Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.6\065 (1726), S. 407-414, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1636 [aufgerufen am: ].


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LXV. Discours

Zitat/Motto► è Cœlo descendit, γυώθι σεαυτόν.

Juv. Sat. XI. 27.

Connois-toi toi-même ; c’est un Oracle qui vient du Ciel. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Sur la Charité, l’Humanité, la Misere & le Bonheur de l’Homme. ◀Metatextualität

Ebene 2► Je ne sâche rien, qui soit plus digne de notre attention, que l’Exemple d’une [408] Personne charitable qui compatit aux maux d’autrui ; & qui est toûjours prête à y remedier. La vûe d’un bon Chrétien, dont toutes les démarches aboutissent à donner des preuves convaincantes de l’amour desintéressé qu’il a pour son Prochain, est un regal pour moi, qui me remplit d’une sainte joie, & qui m’éleve au-dessus de tous les revers de la Fortune.

Fremdportrait► Philandre ne fait que suivre son penchant, & sur tout la Vertu qui l’anime, lorsqu’il jouë un si beau rôle dans le Monde. Son grand Bien le met en état de fournir à cette noble dépense, & sa bonne œconomie ne l’aide pas peu à la continuer. Le Pauvre nécessiteux n’implore jamais son secours en vain, & le modeste n’en est jamais rebuté. Il habille les uns, il console les autres, il protége la Veuve & l’Orphelin, il délivre le Prisonnier, & il défend la Cause de ceux qui sont opprimez. De même que le Soleil du Printems anime tous les Vegétaux, ainsi l’on peut dire que sa présence réjouït le cœur de tous les affligez qui se trouvent dans l’étendue de son activité. Il n’en approche pas plutôt, que la joie éclate sur leur visage, & qu’ils le regardent comme leur Liberateur. La bonté de son naturel est accompagnée de tout ce qui peut le rendre aimable, & relever le [409] prix de sa générosité. En un mot, il pratique ce qu’il y a de plus difficile dans la Morale, & que la plûpart du monde ne posséde qu’en idée. ◀Fremdportrait

L’Humilité me paroît être la base de cette divine Colomne, & il n’y a qu’un fondement aussi solide, qui en puisse bien soutenir le poids. Notre Sauveur lui-même nous en a donné le Modèle ; & l’histoire de sa vie est un tissu continuel de l’usage qu’il en faisoit. Mais le monde est si peu disposé à suivre cet Exemple, qu’on traite l’Humilité de bassesse d’ame, & les Humbles, d’Esprits foibles & rampans. On n’en vient à cette fausse idée que manque de reflexion, & pour ne pas connoitre la juste valeur des choses. Les plaisirs criminels où l’on se plonge aveuglent l’Esprit à un tel point ; qu’il n’a plus de goût pour les seuls dignes de son estime. Cependant, y a-t-il quelqu’un qui se soit abandonné aux premiers, & qui puisse dire qu’il n’en a jamais senti aucun remors ? S’il se délivre de ceux ci, ce n’est qu’à la longue, par le tumulte des passions, l’embarras des affaires, & la variété des Objets mondains qui l’occupent. Encore n’en vient-il pas à bout ; l’Age lui dessille les yeux, & c’est alors que le Verse reveille, qu’il lui ronge le cœur, & qu’il ne lui donne pas un mo-[410]ment de relâche. C’est alors qu’il voit, quoi que trop tard, la honte & le desordre de sa vie passée.

De si tristes reflexions sont une suite naturelle de l’Orgueïl, au lieu que l’Humilité n’en produit que de consolantes. Tout ce qui l’environne lui plait ; elle n’est pas entêtée de son mérite, & les injures ne l’émeuvent point. Capable de reflechir, elle voit les choses dans leur véritable jour, & sent que la Vertu ne nous est recommandée que pour notre propre avantage, même dès cette Vie. Il n’y a que l’inatention, l’Oisiveté & l’Ignorance qui nous en puisse donner une autre idée. En effet, rien ne contribue plus à notre bonheur, que de regler nos passions, de rendre toute sorte de bons offices à notre Prochain, de soufrir nos maux avec patience, d’être juste & intègre dans le commerce de la Vie civile ; en un mot de pratiquer tous les devoirs du Christianisme. C’est une merveilleuse recette pour obtenir la santé, le contentement de l’Esprit & même une longue vie. Tout au contraire, qui ne voit que l’abandon aux Vices qui nous sont défendus nous attire une foule d’embarras & de malheurs, qui se succédent les uns aux autres, jusqu’à ce que le poids nous en devient insuporta-[411]ble ? Qui ne voit que la Gourmandise & l’Ivrognerie causent des Maladies, des Quérelles, des Haines, des Vengeances & souvent même la Pauvreté, jusqu’à ce que le Corps devenu infirme & l’Esprit encore plus foible nous rendent le plus triste de tous les objets, & nous empêchent d’en soutenir la vûe ?

Le célèbre M. Pascal, dans ses Pensées sur la Misere de l’Homme, qui n’est qu’un Fragment imparfait, nous dit que le tumulte des Affaires & la variété des Plaisirs, où nous nous engageons, ne tendent qu’à nous cacher à nous-mêmes notre Mortalité & notre Misere. Il ajoute qu’il n’y a qu’un seul moyen de rendre l’homme supportable à lui-même. Voici de quelle maniere il s’exprime dans un endroit : Ebene 3► Zitat/Motto► « Je ne parle, dit-il, que de ceux qui se regardent sans aucune vûe de Religion. Car il est vrai que c’est une des merveilles de la Religion Chretienne, de reconcilier l’Homme avec soi-même, en le reconciliant avec Dieu ; de lui rendre la vûe de soi-même suportable ; & de faire que la solitude & le repos soient plus agréables à plusieurs, que l’agitation & le commerce des Hommes. Aussi n’est-ce pas en arrêtant l’Homme dans lui-même qu’elle produit tous ces effets merveil-[412]leux. Ce n’est qu’en le portant jusqu’à Dieu, & en le soutenant dans le sentiment de ses miseres, par l’esperance d’une autre vie, qui l’en doit entierement délivrer.

De-là vient, ajoute-t-il ensuite, que tant de personnes se plaisent au Jeu, à la Chasse & aux autres Divertissemens qui occupent toute leur ame. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur dans ce que l’on peut aquerir par le moyen de ces Jeux, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit dans l’argent qu’on peut gagner au Jeu, ou dans le Lièvre que l’on court. On n’en voudroit pas s’il étoit offert. Ce n’est pas cet usage mol & paisible ; & qui nous laisse penser à notre malheureuse condition, qu’on recherche ; mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser.

Ainsi les divertissemens qui sont le bonheur des Hommes ne sont pas seulement bas, ils sont encore faux & trompeurs ; c’est-à-dire qu’ils ont pour objet des fantômes & des illusions, qui seroient incapables d’occuper l’esprit de l’Homme, s’il n’avoit perdu le sentiment & le goût du vrai bien, & s’il n’étoit rempli de bassesse, de vanité, de legereté, d’orgueil & d’une infinité d’autres Vices : ils [413] ne nous soulagent dans nos miseres, qu’en nous causant une misere plus réelle & plus effective. Car, c’est ce qui nous empêche principalement de songer à nous & qui nous fait perdre insensiblement le tems. Sans cela, nous serions dans l’ennui, & cet ennui nous porteroit à chercher quelque moyen plus solide d’en sortir. Mais le Divertissement nous trompe, nous amuse, & nous fait arriver insensiblement à la mort.

Les Hommes n’ayant pû guérir la mort, la misere, l’ignorance, se sont avisez, pour se rendre heureux, de n’y point penser : c’est tout ce qu’ils ont pû inventer pour se consoler de tant de maux. Mais c’est une consolation bien miserable, puisqu’elle va, non pas à guérir le mal, mais à le cacher simplement pour un peu de tems, & qu’en le cachant elle fait qu’on ne pense pas à le guérir véritablement. Ainsi, par un étrange renversement de la nature de l’Homme, il se trouve que l’ennui, qui est son mal le plus sensible, est en quelque sorte son plus grand bien, parce qu’il peut contribuer plus que toutes choses à lui faire chercher sa véritable guérison ; & que le divertissement, qu’il regarde comme son plus grand bien, est [414] en effet son plus grand mal, parce qu’il l’éloigne plus que toutes choses de chercher le remede à ses maux. L’un & l’autre est une preuve admirable de la misere & de la corruption de l’Homme, & en même temps de sa grandeur ; puisque l’Homme ne s’ennuye de tout & ne cherche cette multitude d’occupations, que parce qu’il a l’idée du bonheur qu’il a perdu, lequel ne trouvant pas en soi, il le cherche inutilement dans les choses exterieures, sans se pouvoir jamais contenter, parce qu’il n’est ni dans nous ni dans les créatures, mais en Dieu seul. » ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1