Assidue veniebat : ibi hæc incondita
solus
Montibus, & sylvis studio jactabat inani.
Virg. Ecl. II. 3.
Il se promenoit souvent à l’ombre des Hêtres
épais où il faisoit ses plaintes améres, quoiqu’inutiles, aux Bois
& aux Montagnes,
Spectateur,
« La semaine derniere, un de mes Amis mourut d’une Fiévre, qu’il avoit
atrapée à se promener un peu trop tard au serein parmi ses Moissoneurs.
Je dois vous avertir qu’il aimoit beaucoup l’Agriculture & le
Jardinage, & qu’il en faisoit ses plus cheres délices. Il avoit
quelques Marotes qui ne sembloient pas quadrer avec le bon-Sens qu’il
avoit d’ailleurs. Quoi qu’il fût très-civil & bien élevé, il ne
pouvoit s’empêcher de marquer son inquietude dans la compagnie des
Femmes ; & le soin qu’il prenoit d’eviter une certaine Allée de son
Jardin, qu’il avoit autrefois le plus fréquentée, donna lieu à quantité
de vaines conjectures dans le Village ou ils demeuroient. Lorsqu’aprés
sa mort, nous fouillames ses Papiers, nous en découvrimes la raison,
qu’il n’avoit jamais insinuée à ses meilleurs Amis. Il avoit été
passionément Amoureux dans sa jeunesse, comme on peut le voir par
quantité de Lettres qu’il a laissées. Je vous envoïe une Copie de la
derniere qu’il ait jamais écrite là-dessus, & vous verrez qu’il y
cache le veritable nom de sa Maîtresse sous celui de
La longue absence d’un Mois me seroit insuportable,
si l’affaire qui m’occupe n’étoit pour le service de ma chere
Zelinde, &
d’une telle nature qu’elle m’en rappelle à tout moment le
souvenir. J’ai meublé mon Logis selon votre goût, ou, si vous
voulez, selon le mien ; puisque j’ai appris depuis long temps à
ne rien approuver que ce qui vous agrée. L’Apartement destiné à
votre usage est une Copie si exacte de celui où vous demeurez,
que je crois souvent être chez vous lorsqu’il m’arrive d’y
entrer tout d’un coup mais je soupire lorsque je n’y trouve pas
celle qui doit l’habiter. Par la Fenêtre de votre Cabinet, vous
aurez la plus agréable vûe que l’ puisse jamais fournir : J’en aurois du moins
cette idée, si l’étendue & la varieté du Païsage ne me
rapelloient d’abord la distance qui est entre nous.
Les Jardins sont d’une grande beauté ; toutes les
Haies sont garnies de Chevreféuille ; il y a des treilles &
des Berceaux dans tous les coins, & j’en ai fait un petit
Paradis terrestre autour de moi ; mais, ainsi que le premier
Homme dans sa belle Solitude, je ne suis heureux qu’à demi sans
une Compagne avec qui je puisse partager mon Bonheur. J’ai
ordonné une Allée pour deux Personnes, où je me flate de goûter
mille & mille plaisirs dans votre Conversation. Je m’y
promene déja tous les Soirs, & j’ai formé un sentier tout
auprès de la Haïe de cette petite Allée, dans l’agréable pensée où j’étois que vous
marchiez à mon côté. Je me suis entretenu bien des fois avec
vous dans cette Retraite où las de la promenade, nous nous
sommes assis au milieu d’une Allée de Jasmins. Les transports de
joïe où je tombe dans ces Conversations imaginaires m’ont rendu,
depuis quelque tems, le sujet du babil de toute la Paroisse ;
mais un jeune Païsan, qui en conte à la Fille de mon Fermier,
m’a découvert, & il en a répandu le bruit dans tout le
voisinage.
A l’égard des Arbres fruitiers, je n’ai pas oublié
les Pèches que vous aimez tant. J’ai fait planter une Allée
d’Ormes le long de la Riviere, & j’ai ordonné qu’on y femât
(sic) par tout des Primeverts, dans l’esperance qu’elles vous
feront autant de plaisir que celles qu’on voit à la Maison de
Campagne de Mr votre Pere, & dont je vous ai entendu parler
quelquefois.
Oh ! Zelinde, quel Plan d’une vie heureuse n’ai-je pas tracé
dans mon Imagination ! A quels Rêves ne m’abondonnai-je pas
durant la veille ! Quand est-ce que les six sémaines, qui sont
entre moi & le bonheur dont je me flate, seront
écoulées ?
Comment pûtes-vous interrompre si brusquement votre
derniere Lettre, & me dire que vous deviez vous ajuster pour
aller à la Comédie ? Si vous aimiez autant que j’aime, vous ne
trouveriez pas plus de compagnie dans une foule, que j’en trouve dans ma solitude. Je
suis, &c.
. Après
avoir attendu une semaine entiere la Réponse à cette Lettre, je
courus à la Ville, où je trouvai que ma perfide Maîtresse avoit
épousé mon Rival. Je supporterai cette disgrace en Homme
raisonnable, & je tâcherai de me rendre heureux dans cette
Solitude que j’avois ornée avec tant de soin pour une Perfide
& une Ingrate.