LII. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Katharina Jechsmayr Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 03.11.2014 o:mws.2919 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome VI. Paris: François-Guillaume l’Hermitte 1726, 324-328, Le Spectateur ou le Socrate moderne 6 052 1726 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Religion Religione Religion Religión Religion Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Religion Religione Religion Religión Religion France 2.0,46.0

LII. Discours

Audire, atque togam jubeo componere, quisquisAmbitione malâ, aut argenti pallet amore,Quisquis luxuriâ; tristive superstitione,Aut alio mentis morbo callet : huc propiùs me,Dum doceo infanire omnes, vos ordine adite.

Hor. L. II. Sat. III. 77

Je prie les avares & les ambitieux de m’entendre tranquillement. Vous, débauchez ; & vous supersticieux ; vous tous enfin qui avez l’Esprit blessé, approchez & écoutez-moi les uns après les autres atentivement ; & je m’en vas vous faire voir qu’il n’y en a pas un de vous qui ne soit fou.

Reflexions sur les Hommes laborieux & les fainnéans ; sur les Avares, les Ambitieux & les Sensuels.

Le Genre Humain se peut diviser en deux Parties, celle des Occupez & celle des fainéans. Les premiers se distinguent en Vertueux & en Vicieux. Ceux-ci se subdivisent en Avares, Ambitieux & Sensuels. Les Fainéans sont dans un état inferieur à chacun de ces Ordres-là. Tous les autres, engagez à la recherche du Bonheur, quoique souvent mal-placé, semblent par-là même mieux disposez à recevoir les moïens qu’on leur ofrira pour y parvenir. Le Dr. Tillotson traite les Fainéans qui n’ont aucune prudence ni pour cette Vie ni pour l’autre, de véritables Fous. Ils ne se proposent aucun but, & ils se laissent entraîner à tous les Vents qui souflent. Il seroit donc inutile de leur donner des Avis, que peut-être même ils ne voudroient pas lire. Ainsi resolu de ne pas les fatiguer par un long Discours, je les renvoïerai avec ce mot de Platon, qui nous dit que le travail est autant préferable à l’oisiveté, que le poli d’un Métail l’est à la rouille.

Les recherches des Hommes actifs & laborieux sont, d’un côté, dans les sentiers de la Religion & de la Vertu ; ou, de l’autre, dans le grand chemin des Richesses, des Honeurs ou des plaisirs. Je comparerai donc les poursuites de l’Avarice, de l’Ambition & de la Sensualité avec les Vertus qui leur sont ; opposées ; & j’examinerai lequel de tous ces Principes engage à plus de travail, de fatigue & d’assiduité. La plûpart des Hommes avouent, lorsqu’ils raisonnent de sang froid, qu’une Vie sainte & vertueuse sera couronnée à la fin d’une recompense tout extraordinaire, mais ils prétendent que le chemin en est fort étroit & raboteux. S’il paroît donc qu’ils s’attirent autant ou plus d’embarras pour se rendre miserables, que pour arriver au suprême Bonheur ; peut-être qu’ils s’éforceront à devenir honêtes Gens, lorsqu’ils verront qu’ils ne hasardent rien par-là.

En premier lieu, l’Avare a plus d’industrie que le Saint ; la peine d’aquerir, la crainte de perdre, & l’incapacité de jouïr de ses richesses ont fait, de tout tems, le sujet de la plus vive Satire. Si son repentir pour avoir négligé un marché avantageux, douleur d’avoir été la Dupe d’un autre, son esperance d’augmenter son Capital, & sa crainte de tomber dans la misere, se tournoient vers leurs véritables Objets, elles formeroient autant de Graces & de Vertus Chrétiennes. II peut s’appliquer une bonne partie des soufrances que saint Paul avoit, endurées, & dire avec lui, II Corinth. XI. 16, 27.J’ai été en peril sur les Fleuves, en péril des Voleurs; en péril au milieu des faux Freres. J’ai soufert des travaux & des fatigues, beaucoup de veilles, la faim, la soif, des jeûnes fréquens, la soif & la nudité. Avec combien moins de frais ne pourroit-il pas Matth. VI. 20.s’amasser des trèsors au Ciel ; ou s’il m’est permis d’emploïer ici l’expression d’un grand Philosophe, ne pourroit-il pas aquerir des richesses, qui ne craignent ni les Armes, ni les Hommes, ni Jupiter même !

En deuxiéme lieu, si nous considerons les travaux de l’Ambitieux dans le même jour que nous avons regardé ceux de l’Avare nous tomberons facilement d’accord qu’il ne faut pas à beaucoup près tant d’embarras pour s’élever à une Gloire solide & durable, que pour en aquerir une fragile & passagere ; ou, pour me servir d’autres termes, qu’il est plus aisé de mériter les Honeurs de ce Monde, que de les obtenir. L’Ambitieux devroit se rapeller les regrets du Cardinal Woolsey, qui dit sur la fin de ses jours: Si j’avois servi Dieu avec la même ardeur qui m’animoit pour le service de mon Roy, il ne m’auroit pas abandonné dans ma vieillesse. Le Cardinal adoucit les termes & cache son Ambition sous le prétexte specieux de servir son Roy, mais, à les prendre dans leur véritable sens, ils veulent dire que si, au lieu d’être enflamé par l’Ambition, il avoit agi par un principe de Vertu, il en auroit senti les consolations à la fin de sa vie, lorsque tout le monde lui tourna le dos.

En troisiéme lieu, comparons les fatigues de l’Homme sensuel avec celles du vertueux ; mettons-les dans la Balance, & voïons quelles sont celles qui pesent le plus. Il peut sembler d’abord étrange, qu’on exhorte les Hommes adonnez aux plaisirs à changer de conduite, parce qu’ils menent une vie pénible & laborieuse. Mais lors qu’au milieu des plaisirs, qu’ils recherchent avec tant d’ardeur & d’empressement, nous les voïons accablez d’inquietudes, & servir de jouet à differentes passions, n’avons-nous pas sujet de leur demander, si les peines qu’ils endurent ne l’emportent pas sur les plaisirs qu’ils goûtent ? D’un côté, les infidelitez qui se commettent entre les deux Sexes, & de l’autre les caprices où ils tombent, l’avilissement de la Raison, les angoisses de l’atente, les dégouts dans la jouissance, les cruels remors, la vanité & les chagrins inséparables des plaisirs les plus rafinez qui occupent toute la vie, la rendent si triste & si amére, qu’un Homme n’est jamais cru sage ni heureux, jusqu’à ce qu’il ait surmonté tous ses desordres.

Voici à quoi tout se reduit. L’Homme est une Créature agissante. Soit qu’il marche dans les sentiers de la Vertu ou du Vice, il ne peut que rencontrer bien des dif-ficultez qui servent à mettre sa patience à l’épreuve, & à exciter son industrie. Le même travail est requis, si ce n’est pas même un plus grand, dans la poursuite du Vice & de la Folie, que dans la recherche de la Vertu & de la Sagesse : De sorte qu’il lui est facile d’en venir à un choix, & de se déterminer si, avec les forces qui lui sont donnée, il veut travailler à se rendre heureux ou miserable.

LII. Discours Audire, atque togam jubeo componere, quisquisAmbitione malâ, aut argenti pallet amore,Quisquis luxuriâ; tristive superstitione,Aut alio mentis morbo callet : huc propiùs me,Dum doceo infanire omnes, vos ordine adite. Hor. L. II. Sat. III. 77 Je prie les avares & les ambitieux de m’entendre tranquillement. Vous, débauchez ; & vous supersticieux ; vous tous enfin qui avez l’Esprit blessé, approchez & écoutez-moi les uns après les autres atentivement ; & je m’en vas vous faire voir qu’il n’y en a pas un de vous qui ne soit fou. Reflexions sur les Hommes laborieux & les fainnéans ; sur les Avares, les Ambitieux & les Sensuels. Le Genre Humain se peut diviser en deux Parties, celle des Occupez & celle des fainéans. Les premiers se distinguent en Vertueux & en Vicieux. Ceux-ci se subdivisent en Avares, Ambitieux & Sensuels. Les Fainéans sont dans un état inferieur à chacun de ces Ordres-là. Tous les autres, engagez à la recherche du Bonheur, quoique souvent mal-placé, semblent par-là même mieux disposez à recevoir les moïens qu’on leur ofrira pour y parvenir. Le Dr. Tillotson traite les Fainéans qui n’ont aucune prudence ni pour cette Vie ni pour l’autre, de véritables Fous. Ils ne se proposent aucun but, & ils se laissent entraîner à tous les Vents qui souflent. Il seroit donc inutile de leur donner des Avis, que peut-être même ils ne voudroient pas lire. Ainsi resolu de ne pas les fatiguer par un long Discours, je les renvoïerai avec ce mot de Platon, qui nous dit que le travail est autant préferable à l’oisiveté, que le poli d’un Métail l’est à la rouille. Les recherches des Hommes actifs & laborieux sont, d’un côté, dans les sentiers de la Religion & de la Vertu ; ou, de l’autre, dans le grand chemin des Richesses, des Honeurs ou des plaisirs. Je comparerai donc les poursuites de l’Avarice, de l’Ambition & de la Sensualité avec les Vertus qui leur sont ; opposées ; & j’examinerai lequel de tous ces Principes engage à plus de travail, de fatigue & d’assiduité. La plûpart des Hommes avouent, lorsqu’ils raisonnent de sang froid, qu’une Vie sainte & vertueuse sera couronnée à la fin d’une recompense tout extraordinaire, mais ils prétendent que le chemin en est fort étroit & raboteux. S’il paroît donc qu’ils s’attirent autant ou plus d’embarras pour se rendre miserables, que pour arriver au suprême Bonheur ; peut-être qu’ils s’éforceront à devenir honêtes Gens, lorsqu’ils verront qu’ils ne hasardent rien par-là. En premier lieu, l’Avare a plus d’industrie que le Saint ; la peine d’aquerir, la crainte de perdre, & l’incapacité de jouïr de ses richesses ont fait, de tout tems, le sujet de la plus vive Satire. Si son repentir pour avoir négligé un marché avantageux, douleur d’avoir été la Dupe d’un autre, son esperance d’augmenter son Capital, & sa crainte de tomber dans la misere, se tournoient vers leurs véritables Objets, elles formeroient autant de Graces & de Vertus Chrétiennes. II peut s’appliquer une bonne partie des soufrances que saint Paul avoit, endurées, & dire avec lui, II Corinth. XI. 16, 27.J’ai été en peril sur les Fleuves, en péril des Voleurs; en péril au milieu des faux Freres. J’ai soufert des travaux & des fatigues, beaucoup de veilles, la faim, la soif, des jeûnes fréquens, la soif & la nudité. Avec combien moins de frais ne pourroit-il pas Matth. VI. 20.s’amasser des trèsors au Ciel ; ou s’il m’est permis d’emploïer ici l’expression d’un grand Philosophe, ne pourroit-il pas aquerir des richesses, qui ne craignent ni les Armes, ni les Hommes, ni Jupiter même ! En deuxiéme lieu, si nous considerons les travaux de l’Ambitieux dans le même jour que nous avons regardé ceux de l’Avare nous tomberons facilement d’accord qu’il ne faut pas à beaucoup près tant d’embarras pour s’élever à une Gloire solide & durable, que pour en aquerir une fragile & passagere ; ou, pour me servir d’autres termes, qu’il est plus aisé de mériter les Honeurs de ce Monde, que de les obtenir. L’Ambitieux devroit se rapeller les regrets du Cardinal Woolsey, qui dit sur la fin de ses jours: Si j’avois servi Dieu avec la même ardeur qui m’animoit pour le service de mon Roy, il ne m’auroit pas abandonné dans ma vieillesse. Le Cardinal adoucit les termes & cache son Ambition sous le prétexte specieux de servir son Roy, mais, à les prendre dans leur véritable sens, ils veulent dire que si, au lieu d’être enflamé par l’Ambition, il avoit agi par un principe de Vertu, il en auroit senti les consolations à la fin de sa vie, lorsque tout le monde lui tourna le dos. En troisiéme lieu, comparons les fatigues de l’Homme sensuel avec celles du vertueux ; mettons-les dans la Balance, & voïons quelles sont celles qui pesent le plus. Il peut sembler d’abord étrange, qu’on exhorte les Hommes adonnez aux plaisirs à changer de conduite, parce qu’ils menent une vie pénible & laborieuse. Mais lors qu’au milieu des plaisirs, qu’ils recherchent avec tant d’ardeur & d’empressement, nous les voïons accablez d’inquietudes, & servir de jouet à differentes passions, n’avons-nous pas sujet de leur demander, si les peines qu’ils endurent ne l’emportent pas sur les plaisirs qu’ils goûtent ? D’un côté, les infidelitez qui se commettent entre les deux Sexes, & de l’autre les caprices où ils tombent, l’avilissement de la Raison, les angoisses de l’atente, les dégouts dans la jouissance, les cruels remors, la vanité & les chagrins inséparables des plaisirs les plus rafinez qui occupent toute la vie, la rendent si triste & si amére, qu’un Homme n’est jamais cru sage ni heureux, jusqu’à ce qu’il ait surmonté tous ses desordres. Voici à quoi tout se reduit. L’Homme est une Créature agissante. Soit qu’il marche dans les sentiers de la Vertu ou du Vice, il ne peut que rencontrer bien des dif-ficultez qui servent à mettre sa patience à l’épreuve, & à exciter son industrie. Le même travail est requis, si ce n’est pas même un plus grand, dans la poursuite du Vice & de la Folie, que dans la recherche de la Vertu & de la Sagesse : De sorte qu’il lui est facile d’en venir à un choix, & de se déterminer si, avec les forces qui lui sont donnée, il veut travailler à se rendre heureux ou miserable.