XLIX. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Katharina Jechsmayr Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 03.11.2014 o:mws.2916 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome VI. Paris: François-Guillaume l’Hermitte 1726, 309-312, Le Spectateur ou le Socrate moderne 6 049 1726 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Gesellschaftsstruktur Struttura della Società Structure of Society Estructura de la Sociedad Structure de la société Vernunft Ragione Reason Razón Raison France 2.0,46.0

XLIX. Discours

Illie postquam se lumine veroImplevit, stellasque vagas miratur, & astraFixa Polis, vidit quanta sub nocte jaceretNostra dies, risitque sui ludibria tronci.

Lucan. Lib. IX. 11.

Après que l’Ame de ce Héros, remplit d’une lumiere céleste, eut admiré le cours des Etoiles & des Astres qui brillent à l’un & à l’autre Pole, elle s’aperçut que nos jours ici bas sont couverts de terribles nuages, & sentit bien le ridicule de tous les amusemens qu’elle y avoit eu.

Lettre sur l’Orgueil mal entendu des Hommes.

Mr. le Spectateur

« Les Lieux communs que les Orateurs mettent en usage contre l’Orgueil de l’Homme, sont pris de la bassesse de son origine, des imperfections de sa Nature, & de la courte durée de ces biens, dont il se glorifie. Quoi qu’il n’y ait rien en nous qui dût exciter notre Vanité, avec tout cela un sentiment interieur de notre merite peut quelquefois être louable. Le mal donc consiste en ce que, d’un côté, nous sommes prêts à nous enorgueillir de niaiseries, ou même de choses indignes, & que, de l’autre, nous regardons comme deshonorable, ce qui fait notre solide gloire.

De là vient que ceux qui sont avides de louanges prennent de fausses mesures pour les obtenir. Si un Orgueuilleux se donnoit la peine de consulter son propre cœur, il trouveroit que, si les autres étoient aussi bien instruits de ses foiblesses que lui-même, il n’auroit jamais l’impudence de prétendre à l’estime du Public. L’Orgueuil naît donc du manque de reflexion, & du peu de connoissance qu’on a de soi-même. Plus on se connoit, & plus on a d’humilité. L’un suit naturellement de l’autre, & ils s’accompagnent toûjours.

Le plus sûr moïen pour juger de nous est d’examiner de près ce que nous estimons ou que nous méprisons dans les autres. Un Homme qui se vante des biens de la Fortune, d’un Habit magnifique, ou d’un nouveau titre d’Honeur se rend par-là ridicule. Ainsi nous ne devrions pas admirer en nous-même ce qui nous engage à nous moquer des autres.

Il y a beaucoup moins de raison à nous enorgueuillir de ce que nous mépriserons certainement quelque jour. Malgrè tout cela, si nous voulons reflechir sur les divers changemens que nous avons essuïé & ceux qui nous attendent encore, nous trouverons que plus notre sagesse & notre connoissance augmentent, plus elles servent à nous découvrir nos imperfections.

A mesure que nous passons de l’Enfance à la Jeunesse, nous regardons avec dédain les Jouets & les Amusemens qui avoient fait jusques-là tout notre plaisir. Lors que nous approchons de l’âge viril, on nous estime vertueux à proportion de la honte & du regret que nous avons pour les desordres & les égaremens de la Jeunesse. La Vieillesse est pleine de reflexions mortifiantes sur une vie mal emploïée à se procurer des biens & des Honeurs incertains. A suivre cette gradation de pensées, on peut conjecturer avec assez de fondement, que, dans le Siécle à venir, la Sagesse, l’Experience & les Maximes de la Vieillesse seront regardées, par un Esprit separé de son Corps, à peu près du même œuil, dont un Vieillard regarde aujourd’hui les folies & les badinages des Enfans. Les Pompes, les Honeurs, la Politique & les Ruses des Hommes faits paroîtront alors aussi ridicules que tous les Jeux & les Exercices qui occupent aujourd’hui toute l’adresse, la force & l’ambition des Créatures raisonnables depuis l’âge de quatre ans jusqu’à neuf ou dix.

Si l’idée d’une élevation graduelle parmi les Etres, depuis le plus bas jusques au plus haut, n’est pas chimerique, il est assez probable qu’un Ange regarde un Homme à peu-près de la même maniere qu’un Homme regarde une Créature qui aproche le plus de celle qui est douée de Raison. Par la même Regle s’il m’est permis de donner carriere à mon Imagination sur cet Article, une Bête d’un ordre superieur regarde avec une espece de mépris celle qui lui est inferieure. Si elles étoient capables de reflechir à juger des pensées de quelques-unes par leurs actions, nous pourrions conjecturer qu’elles croient être les Souveraines du Monde, & que toutes choses ont été faites pour elles. Cette pensée dans les Bêtes brutes ne seroit pas plus absurde que celle de certains Hommes qui s’imaginent que toutes les Etoiles du Firmament ont été créées pour plaire à leurs yeux & divertir leur esprit. Mr. Dryden, dans sa Fable du Coq & du Renard, fait, pour le Coq son Heros un petit Discours qui ne quadre pas mal avec ce que je viens d’avancer :

Faisant un caracol, il dit à sa Compagne,Voi, ma Chere, l’émail de toute la Campagne :La Nature pour nous prodigue à pleines mains L’Herbe, le Blé, les Fruits, la Rose & les Jasmins ;Les Oiseaux sont pour nous entendre leur ramage ;L’Homme aussi nous imite, &, pour paroitre sage,Perché sur ses deux piez, il trote comme nous,Peut se tenir debout, ou se mettre à genoux.

Je conclus sur le tout, que nous ne devons nous estimer que pour ces choses que des Etres superieurs croient dignes d’estime ; puisque c’est le seul moïen de ne perdre jamais la bonne opinion que nous avons de nous-mêmes. »

XLIX. Discours Illie postquam se lumine veroImplevit, stellasque vagas miratur, & astraFixa Polis, vidit quanta sub nocte jaceretNostra dies, risitque sui ludibria tronci. Lucan. Lib. IX. 11. Après que l’Ame de ce Héros, remplit d’une lumiere céleste, eut admiré le cours des Etoiles & des Astres qui brillent à l’un & à l’autre Pole, elle s’aperçut que nos jours ici bas sont couverts de terribles nuages, & sentit bien le ridicule de tous les amusemens qu’elle y avoit eu. Lettre sur l’Orgueil mal entendu des Hommes. Mr. le Spectateur « Les Lieux communs que les Orateurs mettent en usage contre l’Orgueil de l’Homme, sont pris de la bassesse de son origine, des imperfections de sa Nature, & de la courte durée de ces biens, dont il se glorifie. Quoi qu’il n’y ait rien en nous qui dût exciter notre Vanité, avec tout cela un sentiment interieur de notre merite peut quelquefois être louable. Le mal donc consiste en ce que, d’un côté, nous sommes prêts à nous enorgueillir de niaiseries, ou même de choses indignes, & que, de l’autre, nous regardons comme deshonorable, ce qui fait notre solide gloire. De là vient que ceux qui sont avides de louanges prennent de fausses mesures pour les obtenir. Si un Orgueuilleux se donnoit la peine de consulter son propre cœur, il trouveroit que, si les autres étoient aussi bien instruits de ses foiblesses que lui-même, il n’auroit jamais l’impudence de prétendre à l’estime du Public. L’Orgueuil naît donc du manque de reflexion, & du peu de connoissance qu’on a de soi-même. Plus on se connoit, & plus on a d’humilité. L’un suit naturellement de l’autre, & ils s’accompagnent toûjours. Le plus sûr moïen pour juger de nous est d’examiner de près ce que nous estimons ou que nous méprisons dans les autres. Un Homme qui se vante des biens de la Fortune, d’un Habit magnifique, ou d’un nouveau titre d’Honeur se rend par-là ridicule. Ainsi nous ne devrions pas admirer en nous-même ce qui nous engage à nous moquer des autres. Il y a beaucoup moins de raison à nous enorgueuillir de ce que nous mépriserons certainement quelque jour. Malgrè tout cela, si nous voulons reflechir sur les divers changemens que nous avons essuïé & ceux qui nous attendent encore, nous trouverons que plus notre sagesse & notre connoissance augmentent, plus elles servent à nous découvrir nos imperfections. A mesure que nous passons de l’Enfance à la Jeunesse, nous regardons avec dédain les Jouets & les Amusemens qui avoient fait jusques-là tout notre plaisir. Lors que nous approchons de l’âge viril, on nous estime vertueux à proportion de la honte & du regret que nous avons pour les desordres & les égaremens de la Jeunesse. La Vieillesse est pleine de reflexions mortifiantes sur une vie mal emploïée à se procurer des biens & des Honeurs incertains. A suivre cette gradation de pensées, on peut conjecturer avec assez de fondement, que, dans le Siécle à venir, la Sagesse, l’Experience & les Maximes de la Vieillesse seront regardées, par un Esprit separé de son Corps, à peu près du même œuil, dont un Vieillard regarde aujourd’hui les folies & les badinages des Enfans. Les Pompes, les Honeurs, la Politique & les Ruses des Hommes faits paroîtront alors aussi ridicules que tous les Jeux & les Exercices qui occupent aujourd’hui toute l’adresse, la force & l’ambition des Créatures raisonnables depuis l’âge de quatre ans jusqu’à neuf ou dix. Si l’idée d’une élevation graduelle parmi les Etres, depuis le plus bas jusques au plus haut, n’est pas chimerique, il est assez probable qu’un Ange regarde un Homme à peu-près de la même maniere qu’un Homme regarde une Créature qui aproche le plus de celle qui est douée de Raison. Par la même Regle s’il m’est permis de donner carriere à mon Imagination sur cet Article, une Bête d’un ordre superieur regarde avec une espece de mépris celle qui lui est inferieure. Si elles étoient capables de reflechir à juger des pensées de quelques-unes par leurs actions, nous pourrions conjecturer qu’elles croient être les Souveraines du Monde, & que toutes choses ont été faites pour elles. Cette pensée dans les Bêtes brutes ne seroit pas plus absurde que celle de certains Hommes qui s’imaginent que toutes les Etoiles du Firmament ont été créées pour plaire à leurs yeux & divertir leur esprit. Mr. Dryden, dans sa Fable du Coq & du Renard, fait, pour le Coq son Heros un petit Discours qui ne quadre pas mal avec ce que je viens d’avancer : Faisant un caracol, il dit à sa Compagne,Voi, ma Chere, l’émail de toute la Campagne :La Nature pour nous prodigue à pleines mains L’Herbe, le Blé, les Fruits, la Rose & les Jasmins ;Les Oiseaux sont pour nous entendre leur ramage ;L’Homme aussi nous imite, &, pour paroitre sage,Perché sur ses deux piez, il trote comme nous,Peut se tenir debout, ou se mettre à genoux. Je conclus sur le tout, que nous ne devons nous estimer que pour ces choses que des Etres superieurs croient dignes d’estime ; puisque c’est le seul moïen de ne perdre jamais la bonne opinion que nous avons de nous-mêmes. »