XXVIII. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Michael Hammer Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 27.10.2014 o:mws.2887 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome VI. Paris: François-Guillaume l’Hermitte 1726, 177-181, Le Spectateur ou le Socrate moderne 6 028 1726 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Libya 17.0,28.0 United Kingdom London London -0.12574,51.50853 France 2.0,46.0 United Kingdom Billingsgate Billingsgate -0.08506,51.5096

XXVIII. Discours.

Sed non ut placidis coeant immitia, non ut Serpentes avibus geminentur, tigribus agni.

Hor. A. P. vs. 12.

Mais ce droit ne s’étend point jusqu’à forcer la Nature, unir ensemble les Bêtes farouches & celles qui sont apprivoisées, les Oiseaux & les Serpens, les Tigres & les Agneaux.

Sur le mêlange des Métaphores qui ne quadrent pas ensemble.

Si les Auteurs ordinaires vouloient avoir la bonté d’écrire comme ils pensent, ils auroient du moins la reputation d’être intelligibles. Mais au pié de la lettre ils se donnent de la peine pour se rendre ridicules ; & par les ornemens afectez du Stile, ils obscurcissent tout à-fait le peu de sens qui leur reste. II y a un Grief de cette espece dans la République des Lettres, auquel j’ai resolu depuis quelque tems de remedier, & j’y ai même destiné ce Discours. Le défaut dont je veux parler est le mêlange de Métaphores incompatibles les unes avec les autres qui ne paroit que trop souvent dans quelques-uns de nos Auteurs habiles, & qui ne manque jamais de se trouver dans tous nos ignorans sans en excepter aucun.

Pour mettre cette matiere dans tout son jour, j’observerai d’abord que la Méta-phore est une Similitude, qui sert à exciter les pensées de l’Esprit sous des Images qui afectent les Sens. Il n’y a rien au Monde, qui envisagé sous diferentes vûes ne puisse être comparé à plusieurs choses, ou, pour le dire en d’autres termes, la même chose peut être exprimée par diverses Métaphores. Mais le malheur est qu’un Ignorant joindra plusieurs de ces Métaphores ensemble d’une maniere si absurde, qu’il n’y aura ni Similitude, ni Peinture agréable, ni Ressemblance naturelle, & qu’il n’y restera plus que confusion, qu’obscurité & que vain bruit. C’est ainsi que j’ai entendu comparer un Heros à la Foudre, à un Lion & à la Mer ; toutes Métaphores bien propres à marquer l’impetuosité, le courage ou la force. Mais, par l’inadvertence de l’Orateur, il arriva que la Foudre inondoit tous ses bords, que le Lion étoit lancé au travers des Nuages, & que les Flots rouloient du sable aride & brûlant des Déserts de la Libye.

Quoique l’absurdité dans cet Exemple saute aux yeux, on peut dire avec tout cela que, toutes les fois qu’on joint ensemble des Métaphores discordantes, on tombe plus ou moins dans le même défaut. Nous avons déja dit que les Métaphores sont des Images des choses qui frapent les Sens. De sorte qu’une Image prise de ce qui afecte la Vûe ne sauroit, sans violence, être apliquée à l’Ouïe ; & ainsi du reste. Il n’y a pas moins d’impropriete à suposer qu’un Etre, soit de la Nature ou de l’Art, fait certaines choses dans son état métaphorique, qu’il ne sauroit faire dans son état original. J’en pourrois fournir divers Exemples tirez de nos Controversistes. Les pesans coup de sonet, dit un Auteur célebre, qui sont tombez de votre plume, &c. Il avoit sans doute entendu parler du siel qui tombe d’une plume, & de donner le fouet dans une Satire ; de sorte que resolu à tout prix de joindre ces deux traits ensemble, il en fit ce beau galimathias. On sentira mieux l’absurdité de ces unions monstrueuses, si l’on supose que ces Métaphores ou ces Images sont peintes actuellement. Representez-vous donc une main qui tient une plume, avec plusieurs coups de fouet qui en partent, & vous aurez alors une description naïve de cette sorte d’Eloquence. Je croi que, par cette seule Regle, on pourra juger de l’union de toutes les Métaphores, & déterminer qu’elles sont les homogénes, & qu’elles sont les heterogénes ; ou, pour me servir de termes plus familiers, quelles sont les compatibles, & quelles sont les incompatibles.

Il y a encore un autre defaut, que je dois relever, & qui consiste à pousser les Métaphores si loin qu’elles deviennent des Allegories ennuïeuses. Quoi qu’il soit plus suportable que le précedent, il ne cause pas moins d’embarras & de confusion. Mais on ne peut le soufrir, lors qu’une expression brillante détourne l’Ecrivain de son but & le fait égarer une ou deux pages de suite. Je me souviens d’un jeune Homme de ce tour d’Esprit, qui, après avoir dit par hazard que sa Maîtresse étoit la Créature la plus charmante du Monde, prit de-là occasion de lui attribuer la Zone froide & la Zone torride, & la poursuivit ainsi la plume dans les reins depuis un Pole jusques à l’autre.

J’ajouterai ici pour conclusion une Lettre de l’Auteur dont j’ai parlé ci-dessus, & qui fut d’abord reçuë avec de grands aplaudissemens ; mais après ce que j’en ai dit, j’ai de la peine à croire que personne ose la louer.

Monsieur,

« Après tous les pesans coup de fouet qui sont tombez de votre plume, vous avez sujet d’attendre, en échange, tout le poids que mon Encre pourra charger sur vos Epaules. Vous avez decoché sur moi toutes les Injures qui se peuvent ramasser dans l’Atmosphere de C’est l’endroit où se tient le marché au Poisson dans la Ville de Londres, & où il se dit bien des injures. De là vient l’Expression commune de Billingsgate-Language, pour dire ce qu’on apelle en France le Langage des Harangeres.Billingsgate sans savoir qui je suis, ni si je merite d’être ventousé & scarifié de cette maniere. Je vous le dis une bonne fois pour toutes, tournez vos yeux du côté qu’il vous plaira, votre odorat ne me decouvrira jamais. Croïez-vous que les terreurs paniques, que vous semez dans la Paroisse ; soient capables d’élever quelque jour un Monument à votre gloire ? Non, Monsieur, vous pouvez livrer ces Combats aussi long-tems que vous voudrez ; mais, lors que vous viendrez à balancer le Compte, vous trouverez que vous avez pêché en eau trouble, qu’un Feu folet vous a fait égarer, que vous avez bâti sur un fondement ruineux, & qu’en un mot, vous avez trouvé la Pie au nid. Je suis, &c. »

XXVIII. Discours. Sed non ut placidis coeant immitia, non ut Serpentes avibus geminentur, tigribus agni. Hor. A. P. vs. 12. Mais ce droit ne s’étend point jusqu’à forcer la Nature, unir ensemble les Bêtes farouches & celles qui sont apprivoisées, les Oiseaux & les Serpens, les Tigres & les Agneaux. Sur le mêlange des Métaphores qui ne quadrent pas ensemble. Si les Auteurs ordinaires vouloient avoir la bonté d’écrire comme ils pensent, ils auroient du moins la reputation d’être intelligibles. Mais au pié de la lettre ils se donnent de la peine pour se rendre ridicules ; & par les ornemens afectez du Stile, ils obscurcissent tout à-fait le peu de sens qui leur reste. II y a un Grief de cette espece dans la République des Lettres, auquel j’ai resolu depuis quelque tems de remedier, & j’y ai même destiné ce Discours. Le défaut dont je veux parler est le mêlange de Métaphores incompatibles les unes avec les autres qui ne paroit que trop souvent dans quelques-uns de nos Auteurs habiles, & qui ne manque jamais de se trouver dans tous nos ignorans sans en excepter aucun. Pour mettre cette matiere dans tout son jour, j’observerai d’abord que la Méta-phore est une Similitude, qui sert à exciter les pensées de l’Esprit sous des Images qui afectent les Sens. Il n’y a rien au Monde, qui envisagé sous diferentes vûes ne puisse être comparé à plusieurs choses, ou, pour le dire en d’autres termes, la même chose peut être exprimée par diverses Métaphores. Mais le malheur est qu’un Ignorant joindra plusieurs de ces Métaphores ensemble d’une maniere si absurde, qu’il n’y aura ni Similitude, ni Peinture agréable, ni Ressemblance naturelle, & qu’il n’y restera plus que confusion, qu’obscurité & que vain bruit. C’est ainsi que j’ai entendu comparer un Heros à la Foudre, à un Lion & à la Mer ; toutes Métaphores bien propres à marquer l’impetuosité, le courage ou la force. Mais, par l’inadvertence de l’Orateur, il arriva que la Foudre inondoit tous ses bords, que le Lion étoit lancé au travers des Nuages, & que les Flots rouloient du sable aride & brûlant des Déserts de la Libye. Quoique l’absurdité dans cet Exemple saute aux yeux, on peut dire avec tout cela que, toutes les fois qu’on joint ensemble des Métaphores discordantes, on tombe plus ou moins dans le même défaut. Nous avons déja dit que les Métaphores sont des Images des choses qui frapent les Sens. De sorte qu’une Image prise de ce qui afecte la Vûe ne sauroit, sans violence, être apliquée à l’Ouïe ; & ainsi du reste. Il n’y a pas moins d’impropriete à suposer qu’un Etre, soit de la Nature ou de l’Art, fait certaines choses dans son état métaphorique, qu’il ne sauroit faire dans son état original. J’en pourrois fournir divers Exemples tirez de nos Controversistes. Les pesans coup de sonet, dit un Auteur célebre, qui sont tombez de votre plume, &c. Il avoit sans doute entendu parler du siel qui tombe d’une plume, & de donner le fouet dans une Satire ; de sorte que resolu à tout prix de joindre ces deux traits ensemble, il en fit ce beau galimathias. On sentira mieux l’absurdité de ces unions monstrueuses, si l’on supose que ces Métaphores ou ces Images sont peintes actuellement. Representez-vous donc une main qui tient une plume, avec plusieurs coups de fouet qui en partent, & vous aurez alors une description naïve de cette sorte d’Eloquence. Je croi que, par cette seule Regle, on pourra juger de l’union de toutes les Métaphores, & déterminer qu’elles sont les homogénes, & qu’elles sont les heterogénes ; ou, pour me servir de termes plus familiers, quelles sont les compatibles, & quelles sont les incompatibles. Il y a encore un autre defaut, que je dois relever, & qui consiste à pousser les Métaphores si loin qu’elles deviennent des Allegories ennuïeuses. Quoi qu’il soit plus suportable que le précedent, il ne cause pas moins d’embarras & de confusion. Mais on ne peut le soufrir, lors qu’une expression brillante détourne l’Ecrivain de son but & le fait égarer une ou deux pages de suite. Je me souviens d’un jeune Homme de ce tour d’Esprit, qui, après avoir dit par hazard que sa Maîtresse étoit la Créature la plus charmante du Monde, prit de-là occasion de lui attribuer la Zone froide & la Zone torride, & la poursuivit ainsi la plume dans les reins depuis un Pole jusques à l’autre. J’ajouterai ici pour conclusion une Lettre de l’Auteur dont j’ai parlé ci-dessus, & qui fut d’abord reçuë avec de grands aplaudissemens ; mais après ce que j’en ai dit, j’ai de la peine à croire que personne ose la louer. Monsieur, « Après tous les pesans coup de fouet qui sont tombez de votre plume, vous avez sujet d’attendre, en échange, tout le poids que mon Encre pourra charger sur vos Epaules. Vous avez decoché sur moi toutes les Injures qui se peuvent ramasser dans l’Atmosphere de C’est l’endroit où se tient le marché au Poisson dans la Ville de Londres, & où il se dit bien des injures. De là vient l’Expression commune de Billingsgate-Language, pour dire ce qu’on apelle en France le Langage des Harangeres.Billingsgate sans savoir qui je suis, ni si je merite d’être ventousé & scarifié de cette maniere. Je vous le dis une bonne fois pour toutes, tournez vos yeux du côté qu’il vous plaira, votre odorat ne me decouvrira jamais. Croïez-vous que les terreurs paniques, que vous semez dans la Paroisse ; soient capables d’élever quelque jour un Monument à votre gloire ? Non, Monsieur, vous pouvez livrer ces Combats aussi long-tems que vous voudrez ; mais, lors que vous viendrez à balancer le Compte, vous trouverez que vous avez pêché en eau trouble, qu’un Feu folet vous a fait égarer, que vous avez bâti sur un fondement ruineux, & qu’en un mot, vous avez trouvé la Pie au nid. Je suis, &c. »