Cic. de Nat. Deor. L. I. c. ult.
Il faut de la foiblesse, dites-vous, pour
être capable d’aimer les autres, & de leur faire du bien.
Sans
doute Poëte donne
des éloges excessifs à son Heros comme si celui-ci devoit être un
Génie plus qu’Humain, pour avoir tâché de faire voir que l’Homme
n’est en rien au-dessus de la Bête.
C’est dans cette Ecole que &c. verra par là
quelles sont les pensées & les passions de tout autre Homme qui
sera dans le même cas. »
Il est vrai que les Philosophes, dont nous venons de parler, ont fait
tout ce qu’ils ont pû pour invalider cet Argument, & qu’après
avoir placé les Dieux dans l’état le plus heureux que l’on puisse
imaginer, ils nous les dépeignent comme aussi attachez à leur propre
interêt que nous autres miserables Mortels, & qu’ils leur ôtent
la conduite du Genre Humain, sous prétexte qu’ils n’ont pas besoin
de nous. Mais si celui qui habite dans le Ciel n’a pas besoin de
nous, il n’y a pas un seul moment auquel nous n’aïons besoin de
lui ; & si la contemplation des trésors immenses de son Esprit
fait ses plus cheres délices, le plus grand plaisir qu’il ait
ensuite vient de ce qu’il regarde d’un œuil favorable ce nombre
infini de Créatures qu’il a tirées du sein du Néant, & qui se
rejouissent dans les diférens dégrès d’existence & de bonheur
dont il les a revêtues. C’est en cela que consiste le véritable
& glorieux Caractere de la Divinité, qui ne peut ainsi avoir
crée un Etre doué de Raison & formé à son Image, sans lui avoir
imprimé quelque trait d’un si aimable Atribut. En effet, quel
plaisir un Esprit, dont l’amour
En effet, on peut remarquer aisément que nous ne poursuivons rien avec ardeur, à moins que nous n’y soïons engagez par un espece de penchant qui prévient notre Raison, & qui, comme un poids, y entraîne l’Esprit avec quelque violence. De sorte que, pour établir, entre les Hommes, un commerce perpetuel de bons offices, leur Créateur ne pouvoit que leur donner cette génereuse inclination à la Bienveillance, si la chose étoit possible. Mais d’où viendroit l’impossibilité ? Est-ce que cette inclination croise l’Amour propre ? Leurs mouvemens sont-ils contraires ? Ils ne le sont non plus que le mouvement diurne de la Terre est opposé à son mouvement annuel, ou que son mouvement autour de son Centre, qu’on peut comparer, si l’on veut, à l’Amour propre, l’est à celui qui l’emporte autour du Centre commun du Monde, qui repond à la Bienveillance universelle. Est-ce que cette Bienveillance diminue la force de l’Amour propre, ou qu’elle porte quelque préjudice à ses interêts ? Elle en est si éloignée, quoi qu’un Principe distinct, qu’elle est très utile à l’Amour propre, & cela d’autant plus qu’elle y pense le moins.
C’est ainsi que j’ai soutenu la dignité de la Nature dont j’ai
l’honneur de participer, &, après toutes les preuves que j’en ai
fournies, je crois être en droit de conclure, Discours, qu’il y a dans le Monde ce qu’on
appelle Genérosité. Mais, si par malheur je me trompois là-dessus,
je dirois volontiers, de même que cet Orateur le dit à l’égard de
l’immortalité de l’Ame, que mon Erreur me fait plaisir, & qu’il
seroit à souhaitter, pour l’interêt du Genre Humain, qu’il fût dans
la même illusion. Du moins l’idée contraire tend naturellement à
décourager l’Esprit, & à le plonger dans une bassesse fatale au
noble desir qu’on a de faire du bien. D’un autre côté elle autorise
les Ingrats, puis qu’elle sert à leur persuader que leurs
Bienfaicteurs ont plutôt en vûe leur Amour propre que l’avantage de
ceux qu’ils prétendent servir. D’ailleurs, celui qui bannit la
Reconnoissance du Monde bouche, autant qu’en lui est, la source de
toute Generosité. Car quoi qu’un Homme véritablement genereux
n’attende aucun retour pour ses bienfaits, avec tout cela il a égard
aux qualitez de la Personne qu’il oblige, & comme il n’y a rien
qui rende celle-ci plus indigne d’en recevoir que son insensibilité,
il ne s’empressera pas beaucoup à lui rendre de nouveaux services.