XIX. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Michael Hammer Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 20.05.2014 o:mws.2721 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome VI. Paris: François-Guillaume l’Hermitte 1726, 121-126, Le Spectateur ou le Socrate moderne 6 019 1726 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Andere Länder Altri Paesi Other Countries Otros Países Autres Pays Natur Natura Nature Naturaleza Nature France 2.0,46.0

XIX. Discours.

Ipsi lætitiâ voces ad sidera jactantIntonsi montes : ipsæ jam carmina rupes,Ipsa sonant arbusta :Virg. Ecl. V. 62.Les Montagnes incultes même y font éclater leur joie par les cris qu’elles poussent vers le Ciel ; les Rochers & les Arbrisseaux y répetent déja les Chansons que les Bergers y entonnent.

Suite du même Conte Chinois.

La Lettre que je viens de rapporter fit tant d’impression sur Hilpa, qu’elle y répondit, en moins d’une Année, de la maniere suivante.

Hilpa, Maîtresse des Vallées, à Shalum, Maître du Mont Tirzah.

Dans la 789. Année de la Création.

« Qu’est-ce que j’ai à démêler avec toi, ô Shalum ? Tu louës la beauté de Hilpa ; mais n’es-tu pas amoureux en secret de la verdure de ses Prairies ? N’es-tu pas plus touché de la perspective de ses riantes Vallées, que tu ne le serois de la vûe de sa personne ? Le mugissement de mes Taureaux & le bêlement de mes Brebis forment un agréable Echo dans tes Montagnes & produisent un doux son à tes oreilles. Quoique je me plaise à voir tes Forêts lorsque les Zephirs en agitent les Arbres, & à sentir l’air parfumé qui vient du mont Tirzah : qui-a-t-il en tout ceci qui approche de la fertilité de mes Vallées ?

Je te connois, ô Shalum ; tu es le plus sage & le plus heureux de tous les Fils des Hommes. Ton Habitation est au milieu des Cedres ; tu connois la diversité des Terroirs, aussi bien que les influances des Astres. & tu observe le changement des Saisons. Une Femme peut-elle paroître aimable aux yeux d’un tel Homme ? Ne viens pas troubler mon repos, ô Shalum ; laisse-moi jouїr en paix de ces beaux Do-maines, qui me sont échus en partage, & ne me sollicite point par tes discours flateurs. Que tes Arbres s’augmentent & se multiplient à l’infini ! Puisse-tu joindre tous les jours de nouvelles Forêts à celles que tu possédes, & étendre leur ombre au long & au large ! mais ne tente pas Hilpa à te faire sortir de ta Retraite & à peupler ta Solitude. »

Les Chinois ajoutent que, peu de temps après, elle se rendit à un Festin, auquel Shalum l’invita sur une des Montagnes voisines ; que ce Festin dura deux années ; qu’on y consuma cinq cent Gazelles, deux mille Autruches avec mille Tonnaux de Lait, & que ce qui en releva sur tout la magnificence fut la grande variété des fruits délicieux & d’excellentes herbes potageres, en quoi il n’y avoit personne alors qui pût égaler Shalum.

Il la traita sous un Berceau qu’il avoit planté au milieu du Bocage nommé des Rossignols. Ce Bois étoit rempli de tous les Arbres fruitiers & de toutes les Plantes qui sont les plus agréables aux differentes especes des Oiseaux de chant ; de sorte qu’il y attiroit tout ce qui s’en trouvoit dans ce Païs-là & que, d’un bout de l’année à l’autre, on y entendoit la plus douce harmonie de chaque Saison.

II lui faisoit voir tous les jours quelque belle & surprenante Scène dans ces vastes Forêts ; & comme il avoit par-là toutes les occasions qu’il pouvoit souhaiter de lui ouvrir son cœur, il réussit si bien qu’à son départ elle lui promit en quelque maniere & lui donna sa parole qu’en moins de cinquante ans elle lui rendroit une réponse positive.

A peine fut elle de retour dans ses Vallées, qu’elle réçut de nouvelles propositions, & en même temps une Visite des plus superbes de Mishpach, qui étoit un Homme très-puissant, & qui avoit bâti une grande Ville, à laquelle il donna son Nom. Les Edifices en étoient si solides, qu’ils pouvoient au moins durer mille ans ; il y avoit même quelques maisons qui étoient louées pour trois Vies ; de sorte qu’on auroit de la peine à concevoir aujourd’hui la quantité de pierres & de bois de charpente qui fut emploïée à leur structure. Quoiqu’il en soit, Mishpach regala Hilpa du son harmonieux de quelques Instrumens de Musique qui venoient d’être inventez, & il dansa, qui plus est, en sa présence, au son du Tabourin. D’ailleurs il lui fit présent de divers Ustenciles de fer & de cuivre bonnes pour le Ménage, qui étoient de nouvelle invention, & qui ser-voient aux commoditez de la Vie. D’un autre côté Shalum devint fort inquiet & si chagrin de ce que Hilpa avoit reçu Mishpach, qu’il ne lui écrivit plus & ne parla plus d’elle durant une revolution entiere de Saturne ; mais lors qu’il s’apperçut que cette Entrevûe n’aboutissoit qu’à une simple Visite, il renouvella ses instances auprès de la Belle, qui, à ce qu’on dit, tournoit souvent les yeux avec quelque plaisir vers le Mont Tirzah, pendant que Shalum gardoit un profond silence.

Son esprit balança une vingtaine d’années entre l’inclination qu’elle avoit pour Shalum & son intérêt qui plaidoit puissamment en faveur de Mishpach. Mais il arriva un accident qui la détermina. Lorsqu’elle étoit ainsi agitée des deux côtez, un Eclair mit le feu à une haute Tour de bois qu’il y avoit à Mishpach, d’où il gagna si bien les Maisons, qu’en peu de jours toute la Ville fut reduite en cendres. Mishpach resolu de la rebâtir à tout prix, sur ce qu’il avoit épuisé tout le bois de charpente qui se trouvoit dans son voisinage, se vit obligé d’avoir recours â Shalum, dont les Forêts avoient alors deux cent années. II les aquit pour autant de Troupeaux de gros & de ménu Bêtail, & une si vaste étendue de Champs & de Prairies, que Shalum fut beaucoup plus riche que Mishpach, & qu’il devint par-là si agréable aux yeux de la fille de Zilpah, qu’elle ne le refusa plus en mariage. Le jour qu’il la conduisit à ses Montagnes, il éleva un si prodigieux Bucher de Cédres & de toute sorte de bois odoriferant, qu’il avoit plus de 300. coudées de hauteur : Il y jetta quantité de Myrrhe, de Spicanard, de Buissons & de Gommes aromatiques qui venoient de ses Plantations. Ce fut l’Holocauste que Shalum offrit le jour de ses Epousailles : La fumée en monta jusques au Ciel, & remplit tout le Païs de sa bonne odeur.

XIX. Discours. Ipsi lætitiâ voces ad sidera jactantIntonsi montes : ipsæ jam carmina rupes,Ipsa sonant arbusta :Virg. Ecl. V. 62.Les Montagnes incultes même y font éclater leur joie par les cris qu’elles poussent vers le Ciel ; les Rochers & les Arbrisseaux y répetent déja les Chansons que les Bergers y entonnent. Suite du même Conte Chinois. La Lettre que je viens de rapporter fit tant d’impression sur Hilpa, qu’elle y répondit, en moins d’une Année, de la maniere suivante. Hilpa, Maîtresse des Vallées, à Shalum, Maître du Mont Tirzah. Dans la 789. Année de la Création. « Qu’est-ce que j’ai à démêler avec toi, ô Shalum ? Tu louës la beauté de Hilpa ; mais n’es-tu pas amoureux en secret de la verdure de ses Prairies ? N’es-tu pas plus touché de la perspective de ses riantes Vallées, que tu ne le serois de la vûe de sa personne ? Le mugissement de mes Taureaux & le bêlement de mes Brebis forment un agréable Echo dans tes Montagnes & produisent un doux son à tes oreilles. Quoique je me plaise à voir tes Forêts lorsque les Zephirs en agitent les Arbres, & à sentir l’air parfumé qui vient du mont Tirzah : qui-a-t-il en tout ceci qui approche de la fertilité de mes Vallées ? Je te connois, ô Shalum ; tu es le plus sage & le plus heureux de tous les Fils des Hommes. Ton Habitation est au milieu des Cedres ; tu connois la diversité des Terroirs, aussi bien que les influances des Astres. & tu observe le changement des Saisons. Une Femme peut-elle paroître aimable aux yeux d’un tel Homme ? Ne viens pas troubler mon repos, ô Shalum ; laisse-moi jouїr en paix de ces beaux Do-maines, qui me sont échus en partage, & ne me sollicite point par tes discours flateurs. Que tes Arbres s’augmentent & se multiplient à l’infini ! Puisse-tu joindre tous les jours de nouvelles Forêts à celles que tu possédes, & étendre leur ombre au long & au large ! mais ne tente pas Hilpa à te faire sortir de ta Retraite & à peupler ta Solitude. » Les Chinois ajoutent que, peu de temps après, elle se rendit à un Festin, auquel Shalum l’invita sur une des Montagnes voisines ; que ce Festin dura deux années ; qu’on y consuma cinq cent Gazelles, deux mille Autruches avec mille Tonnaux de Lait, & que ce qui en releva sur tout la magnificence fut la grande variété des fruits délicieux & d’excellentes herbes potageres, en quoi il n’y avoit personne alors qui pût égaler Shalum. Il la traita sous un Berceau qu’il avoit planté au milieu du Bocage nommé des Rossignols. Ce Bois étoit rempli de tous les Arbres fruitiers & de toutes les Plantes qui sont les plus agréables aux differentes especes des Oiseaux de chant ; de sorte qu’il y attiroit tout ce qui s’en trouvoit dans ce Païs-là & que, d’un bout de l’année à l’autre, on y entendoit la plus douce harmonie de chaque Saison. II lui faisoit voir tous les jours quelque belle & surprenante Scène dans ces vastes Forêts ; & comme il avoit par-là toutes les occasions qu’il pouvoit souhaiter de lui ouvrir son cœur, il réussit si bien qu’à son départ elle lui promit en quelque maniere & lui donna sa parole qu’en moins de cinquante ans elle lui rendroit une réponse positive. A peine fut elle de retour dans ses Vallées, qu’elle réçut de nouvelles propositions, & en même temps une Visite des plus superbes de Mishpach, qui étoit un Homme très-puissant, & qui avoit bâti une grande Ville, à laquelle il donna son Nom. Les Edifices en étoient si solides, qu’ils pouvoient au moins durer mille ans ; il y avoit même quelques maisons qui étoient louées pour trois Vies ; de sorte qu’on auroit de la peine à concevoir aujourd’hui la quantité de pierres & de bois de charpente qui fut emploïée à leur structure. Quoiqu’il en soit, Mishpach regala Hilpa du son harmonieux de quelques Instrumens de Musique qui venoient d’être inventez, & il dansa, qui plus est, en sa présence, au son du Tabourin. D’ailleurs il lui fit présent de divers Ustenciles de fer & de cuivre bonnes pour le Ménage, qui étoient de nouvelle invention, & qui ser-voient aux commoditez de la Vie. D’un autre côté Shalum devint fort inquiet & si chagrin de ce que Hilpa avoit reçu Mishpach, qu’il ne lui écrivit plus & ne parla plus d’elle durant une revolution entiere de Saturne ; mais lors qu’il s’apperçut que cette Entrevûe n’aboutissoit qu’à une simple Visite, il renouvella ses instances auprès de la Belle, qui, à ce qu’on dit, tournoit souvent les yeux avec quelque plaisir vers le Mont Tirzah, pendant que Shalum gardoit un profond silence. Son esprit balança une vingtaine d’années entre l’inclination qu’elle avoit pour Shalum & son intérêt qui plaidoit puissamment en faveur de Mishpach. Mais il arriva un accident qui la détermina. Lorsqu’elle étoit ainsi agitée des deux côtez, un Eclair mit le feu à une haute Tour de bois qu’il y avoit à Mishpach, d’où il gagna si bien les Maisons, qu’en peu de jours toute la Ville fut reduite en cendres. Mishpach resolu de la rebâtir à tout prix, sur ce qu’il avoit épuisé tout le bois de charpente qui se trouvoit dans son voisinage, se vit obligé d’avoir recours â Shalum, dont les Forêts avoient alors deux cent années. II les aquit pour autant de Troupeaux de gros & de ménu Bêtail, & une si vaste étendue de Champs & de Prairies, que Shalum fut beaucoup plus riche que Mishpach, & qu’il devint par-là si agréable aux yeux de la fille de Zilpah, qu’elle ne le refusa plus en mariage. Le jour qu’il la conduisit à ses Montagnes, il éleva un si prodigieux Bucher de Cédres & de toute sorte de bois odoriferant, qu’il avoit plus de 300. coudées de hauteur : Il y jetta quantité de Myrrhe, de Spicanard, de Buissons & de Gommes aromatiques qui venoient de ses Plantations. Ce fut l’Holocauste que Shalum offrit le jour de ses Epousailles : La fumée en monta jusques au Ciel, & remplit tout le Païs de sa bonne odeur.