Urget membra quies, & mens sine pondere ludit,
Quidquid luce fuit, tenebris agit. -- -- --
Petron. Satyr. C. 104.
Voyez Tome Lors qu’un profond sommeil nous ferme la paupiere,
Je les vai considérer ici sous une tout autre vûe, en ce qu’ils peuvent nous donner quelque idée de l’excellence de nos Ames, & nous insinuer qu’elles sont indépendantes de la matiere.
En deuxième lieu, les Rêves prouvent l’agilité & la perfection des Facultez de l’Ame, lors qu’elles sont dégagées du Corps. L’Ame est embarrassée & retenue dans ses opérations, lors qu’elle agit de concert avec un Associé qui est si pesant & si lourd dans ses mouvemens. Mais dans les Rêves elle aquiert une vivacité & une allegresse étonnante. Ceux qui sont lents à parlér sont de beaux discours sur le champ, & ils s’expriment avec facilité en des Langues, dont ils n’ont presque aucune tenture. Les Personnes graves abondent en Plaisanteries, & les Stupides en Réparties & en Pointes d’Esprit. Quoi qu’il n’y ait rien de si penible à l’Esprit que l’Invention, il opère
Latine de cet Ouvrage, dont l’Original est écrit en Anglois. Il est cité dans le ii. Volume du Spectateur. p. 304.Dans le Sommeil, dit-il, nous nous surpassons, en quelque maniere, nous-mêmes, & il semble que le Corps n’est pas plûtôt endormi, que l’Amt s’éveille. Si le Sommeil lie nos Sens & les tient engourdis, on peut dire qu’il délie & met en liberté la Raison ; puis que nos Idées durant la Veille n’aprochent pas de la vivacité de nos Imaginations durant le Sommeil. L’Ascendant de ma Nativité étoit le Signe aqueux du Scorpion : Je suis né à l’Heur Planétaire de , & je crois tenir quelque chose du naturel froid qu’on attribue de cettte <sic> Planette : je ne suis point du tout facetieux, ni disposé à la joie & à la gaieté des bonnes compagnies ; malgré tout cela, je puis composer, dans un Rêve, une Comédie entiere, la voir jouer moi-même, en sentir les traits piquans, & si bien éclater de rire, que je m’éveille en sursaut. Si ma Mémoire étoit aussi fidéle que ma Raison est séconde, je n’étudierois jamais que dans mes Rêves, & je prendrois ce tems-là pour mes exercices de Piété ; mais la Mémoire, en ce qu’ella a de plus grossier ou de machinal, a si peu de prise alors sur les idées abstraites de l’Entendement, qu’elle oublie l’Intrigue de la Piéce & le fil de la Narration, dont elle ne raporte à l’Esprit, quand on est éveillé, que des lambeaux & des trait confus. -- C’est ainsi qu’on voit quelquefois des Gens, à l’heure de la Mort, parler & raisonner beaucoup mieux qu’à l’ordinaire, parce que l’Ame, sur le point d’être détaché des liens du Corps, agit plus selon sa nature, & pense alors d’une matiere qui est au deffus de l’Humanité.
On peut observer en troisiéme lieu que les Passions afectent l’Esprit avec plus de force durant le Sommeil que pendant la Veille. C’est aussi alors que la Joie & le Chagrin donnent des sensations de plaisir ou de douleur plus vive qu’en tout autre tems. De même la Piété qui s’éleve dans l’Esprit, comme l’excellent Auteur que je viens de citer, l’insinue, s’enflame d’une façon toute particuliere, & devient plus ardente quand le Corps est plongé dans le Sommeil. L’Experience de chacun l’instruira là-dessus, quoi qu’il soit très-probable que ceci varie selon la difference du tempérament. I. Suposé qu’un Homme fût toujours heureux dans ses Rêves, & malheureux quand il veille, & que sa Vie fût également partagée entre ces
Il y a une autre Circonstance, qui nous donne, ce me semble, une fort haute idée de la nature de l’Ame, à l’égard de ce qui se parle dans les Rêves, je veux dire ce nombre infini & cette grande variété d’idées qui s’y élevent alors. Si cet Etre actif & qui veille toûjours n’étoit sensible en ce tems-là qu’à sa propre existence, dans quelle afreuse & cruelle solitude ne se trouveroit-il pas aux heures du Sommeil ? Si l’Ame sentoit qu’elle est seule quand le Corps est endormi, de la même maniere qu’elle y est sensible dans la veille, que le Tems lui paroitroit long & ennuïeux, comme il lui arrive souvent lors qu’elle songe & « qu’elle se croit dans une pareille solitude obligée à faire un long voyage sans la moindre compagnie ! »
semperque relinqui
Sola sibi ; semper longam incomitata videtur
Ire viam ! —— —— —— ——
Que tous les Hommes qui veillent sont dans le même Monde ; mais que chacun d’eux, lors qu’il est endormi, se trouve dans un nouveau Monde de sa façon. L’Homme qui veille est dans le Monde naturel, & celui qui dort se retire dans un Monde artificiel qui lui est particulier. Il me semble que ceci nous insinue quelque grandeur naturelle de l’Ame, qu’il est plus aisé d’admirer que d’expliquer.
Je ne prétends pas que l’Ame, dans ces Exemples, soit entierement dégagée du Corps : Il sufit qu’elle ne soit pas si enfoncée dans la matiere, ni si embarrassée dans ses operations, avec le mouvement du sang & des esprits animaux, comme lors qu’elle anime la Machine durant la veille. Dans le Sommeil, l’union avec le Corps est assez asoiblie pour donner plus de jeu à l’Esprit. L’Ame semble alors ramassée en elle-même, & recouvrer le ressort qui est rompu ou du moins asoibli, lors qu elle opere de concert avec le Corps.
Si les Réflexions que je viens de faire ne sont pas des Preuves, elles sont du moins de fortes Probabilitez, non seulement de l’excellence de l’Esprit Humain, mais aussi de son indépendance à l’égard du Corps ; & si elles ne démontrent pas, du moins elles confirment ces deux grands Articles, qui sont d’ailleurs établis par quantité d’autres raisons qui ne soufrent point de replique.
O.