XIII. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Barbara Müllner Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 21.01.2014 info:fedora/o:mws.2427 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome V. Paris: Etienne Papillon 1723, 82-89, Le Spectateur ou le Socrate moderne 5 013 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Sitten und Bräuche Costumi Manners and Customs Costumbres Mœurs et coutumes France 2.0,46.0 Italy Rome Rome 12.51133,41.89193

XIII. Discours

At quodcunque meæ poterunt audere Camœnæ,Seu tibi par poterunt, seu, quod spes abnuit, ultra ;Sive minus ; certèque canent minus ; omne vovemus.Hoc tibi, nec tanto careat mihi carmine Charta.Tibul. l. iv. Eleg. l. 24.

Je vous consacre tous ce que ma Muse poura m’inspirer de grand & de sublime, soie que cela réponde à votre mérite, ou qu’il aille plus loin, ce qui n’est pas à craindre, ou qu’il n’en aproche pas, ce qui arrivera infailliblement, je vous le consacre, dis-je de tout mon cœur, afin que mes Vers ne soient pas privez d’un si noble sujet.

Portrait de Manilius, qui est d’une humeur bienfaisante & généreuse.

L’Amour des Louanges est une Passion profondément enracinée dans le cœur de toutes les personnes extraordinaires, & ceux qui en sont le plus touchez semblent avoir une plus grande portion de cette particule de la Divinité, qui nous distingue de toutes les Créatures d’un ordre inférieur. Dieu lui-même se plaît à recevoir nos louanges & nos actions de graces ; parce qu’alors nous adorons ses divins Attributs, & que nous nous aquitons d’une bonne partie de notre devoir, pendant que de l’autre côté nous déplorons nos vices & nos égaremens. C’est une remarque très-juste, que 1’on ne méprise les Eloges que lors qu’on cesse de les mériter. Nous avons encore deux Panegyriques, 1’un de Ciceron & l’autre de Pline, en faveur des plus illustres de tous les Empereurs de l’ancienne Rome, qui ne pouvoient goûter qu’un plaisir extrême à 1’ouïe de ce que les personnes les plus desintéressées ne peuvent lire aujourd’hui, après tant de siécles, qu’avec la plus grande admiration. Cesar ne cherchoit qu’à se faire aprouver de tout le monde, puis qu’il comptoit avoir assez vécu lors qu’il eut aquis assez de gloire. D’autres ont sacrifié leur vie pour obtenir une réputation qui ne devoit commencer qu’après leur mort. Mais le plus haut degré de bonheur où l’on puisse aspirer ici-bas est non seulement d’aquérir une estime universelle par son mérite & des qualitez superieures, mais aussi d’en jouïr pendant sa vie. Si le nombre des Vicieux l’emporte de beaucoup sur celui des honêtes Gens, je me flate qu’il en est de même que des peines ordonnées par les Loix civiles, qui en menacent les infracteurs, plûtôt pour détourner les Hommes du Crime, que pour châtier les Criminels. D’ailleurs, cela peut venir de ce que les bons Exemples sont rares, ou de la perversité de notre Nature, qui nous engage plutôt à suivre le mal que le Bien, le Vice que la Vertu. Quoi qu’il en soit, il n’est pas moins juste qu’il est agréable, quand ce ne seroit que pour varier un peu, de representer quelquefois la Nature Humaine par son bel endroit ou ce qu’elle a de brillant, aussi bien que par son mauvais côté, ou ce qu’elle a de sombre & d’odieux. Peut être que l’estime de ce qui est digne de nos éloges produira plus d’effet sur nous, que l’aversion de ce qui est blamable ; puis que l’une nous dirige d’abord à ce que nous devons faire, au lieu que l’autre nous indique seulement ce que nous devons éviter.

Je ne saurois offrir à notre imitation un Exemple qui soit plus de mon goût que celui de Manilius. Je tâcherai de lui rendre la justice qui lui est dûe ; mais les bornes, que je me suis prescrites, ne me permettent pas de le suivre dans tous les differens états de son illustre vie. Après avoir donc laissé à part les manieres adroites, polies, franches & insinuantes qu’il mit en usage pour s’élever aux Emplois, dont il a été honoré, & qui servent aujourd’hui de relief à l’aise & à l’abondance dont il jouϊt, je ne le considérerai que dans sa vie privée. C’est de là qu’il regarde avec plaisir les vagues à travers lesquelles il est arrivé à cet heureux Port ; où il s’occupe à la pratique de toutes les Vertus, que la grande connoissance, qu’il a des Hommes, lui a fait voir leur être les plus utiles. C’est ainsi qu’il n’est pas moins glorieux dans l’un que dans l’autre état, en particulier qu’il l’étoit en public ; quoi qu’il soit plus difficile de briller dans la retraite, que dans l’embarras & l’agitation des affaires. Ceux qui se trouvent engagez dans celles-ci, de même que certains Corps agitez avec violence, aquiérent un nouvel éclat, que la rapidité du mouvement leur donne, & qu’ils perdent souvent lors qu’ils tombent dans le repos ; mais s’il continue ensuite, c’est une preuve de leur valeur intrinseque, & que, pour briller, ils n’ont pas besoin d’aucune aide extérieure.

La Libéralité de Manilius va si loin, qu’elle passeroit presque dans un autre pour une grande Profusion ; Vous diriez même qu’il en adore l’excès, & qu’il ressemble à une Riviere, qui plus elle se déborde, plus elle rend la Campagne fertile : Mais il goûte trop de plaisir a faire du bien, pour se mettre hors d’état de continuer. C’est aussi pour cela qu’il observe chez lui une sage Economie, la source abondante de tous ces Ruisseaux qu’il distribue au long & au large. Il regarde avec mépris ceux qui atendent la mort, pour exercer leur générosité ; il est charmé de voir lui-même ce qu’il donne & d’être l’Exécuteur de sa bienveillance ; pendant que ceux qu’il console, qu’il protege & qu’il aide prient pour sa longue vie & pour la continuation de leur bonheur. Nul n’est à l’abri des services qu’il peut rendre ; il connoit les voies les plus propres pour s’élever au niveau des Personnnes du plus haut rang, & son bon naturel l’oblige de se familiariser avec celles du plus bas & de pourvoir à leurs besoins. On peut dire de lui ce que Pindare exhorte sa Muse à publier de Theron, Jurez que Theron a fait serment qu’aucun de ceux qui l’aprochent ne seroit pauvre. Jurez que personne n’a jamais eu tant de grace ni l’art à distribuer libéralement les Dons de la Fortune.

Jamais Atticus ne réussit mieux à gagner l’estime & l’amitié de tout le monde, & n’observa un plus exact équilibre entre deux Partis opposez. Quoi qu’il n’embrasse ni l’un ni l’autre avec ardeur, il est non seulement admiré, mais, ce qui est beaucoup plus rare, il est aimé & caressé de tous les deux ; & je n’ai vu personne jusques ici, de quelque âge ou de quelque Sexe qu’il puisse être, qui n’ait été d’abord frapé du mérite de Manilius. Il y en a plusieurs qui sont aprouvez de quelques-uns en particulier, pendant que tout le reste du Genre Humain les regarde avec froideur & indiférence ; mais il est le seu1 qui ait le bonheur d’être toujours content & de plaire aux autres, de se faire admirer par tout où il se trouve & qu’on regrete là où il n’est pas. Il en est de son Mérite comme des Tableaux de Raphael qu’on ne peut voir sans admiration, ou du moins qu’on n’oseroit desaprouver, si l’on veut qu’on nous atribue quelque goût pour la Peinture. L’Envie & la Malice ne trouvent pas leur intérêt à le noircir. Il est aussi difficile à un Ennemi de le calomnier, qu’à un Ami d’en faire un trop grand éloge. Vouloir attaquer sa réputation, c’est chercher surement à perdre la sienne ; & le seul moïen qu’il y ait, pour lui faire tort, est de lui refuser les louanges qu’il mérite.

Il est indigne de lui de s’amuser à éblouir les yeux par la magnificence de ses Habits ; sa parure est honnête, simple, sans afectation & l’emblème de son Esprit ; il sait que l’Or & la Broderie ne peuvent rien ajouter à l’idée qu’on a de son Mérite, & qu’il donne du lustre à l’Habit le plus simple, pendant que le plus riche ne sauroit lui en donner aucun. Il est toujours le principal Personnage dans toutes les Compagnies où il se trouve. Il s’attire d’abord les yeux de tout le monde, comme si la lumiere qui tombe sur lui formoit plus d’éclat, que celle qui environne tous les autres.

Ceci me rapelle une Avanture du fameux Bussy d’Amboise, qui dans un jour de Cérémonie à la Cour, où tout le monde voulut paroître avec la derniere magnificence, ne mit lui-même qu’un Habit tout simple, & orna ses Valets de la plus riche Livrée qu’il pût trouver, dans l’esperance que cela même & sa bonne conduite le distingueroient à son avantage de tous les autres Seigneurs de la Cour. En effet le succès répondit à son atente ; il s’atira les yeux de tout le monde, & les autres sembloient être des Gens de sa suite pendaut qu’il avoit seul l’air d’un Homme de qualité & de distinction.

Dans quelque état ou quelque occasion, que Manilius paroisse, à l’exemple d’Aristipe, il est toujours le même, aisé, content & d’une humeur égale ; mais si l’étendue de ses desseins va du pair avec sa Fortune, il y a une chose en quoi il dément son Caractere, je veux dire que la droiture de son Esprit a corrigé ses desirs ambitieux, & qu’il se borne à jouïr tranquilement de ce qu’il possede.

Mille manieres obligeantes l’accompagnent par tout, si justes & si naturelles, qu’il est impossible de croire qu’il ait pris aucun soin pour les rechercher. On diroit qu’un bon Génie lui découvre ses pensées & qu’il en détourne les autres, tant elles sont naïves & à la portée de tout 1e monde. Il n’y a rien qui aproche du plaisir qu’on goûte à l’entendre parler, si ce n’est la satisfaction qu’on ressent à voir l’air civil & atentif avec lequel il prête l’oreille au discours des autres. Ses regards sont un éloge tacite de ce qui est bon & solide, ou un desaveu secret de ce qui est mauvais ou impertinent. Il sait l’art de paroître libre & familier sans risquer de se rendre incommode, & d’avoir de la prudence sans qu’on se taxe de finesse ou de ruse. Le sérieux de sa Conversation est toujours egaïé par quelque trait d’Esprit ou de bonne humeur, & son enjoüement est mêlé de quelque chose d’instructif, aussi bien que d’agréable. Vous êtes donc sur avec lui de n’être pas gai aux dépens de la Raison, ni sérieux au préjudice de la bonne Humeur ; mais, par un heureux mélange de son tempérament, l’une & l’autre vont toûjours ensemble, ou se succedent tour à tour. En un mot, toutes ses démarches sont également éloignées de la contrainte & de la négligence, & il vous inspire du respect lors même qu’il vous gagne le cœur.

Il est si doux & si durable, qu’on ne peut le croire sujet à ces violentes Passions, qui ne manquent presque jamais d’éclater au dehors pas tout où elles se trouvent : mais son tempérament tient un juste milieu entre l’indolence d’un côté & la sensibilité de l’autre. Il est civil & retenu, lors que ses affaires lui permettent de suivre son inclination ; mais on le voit toujours ferme & vigoureux, lors qu’il s’agit de servir son Prince, sa Patrie, ou ses Amis.

Z.

XIII. Discours At quodcunque meæ poterunt audere Camœnæ,Seu tibi par poterunt, seu, quod spes abnuit, ultra ;Sive minus ; certèque canent minus ; omne vovemus.Hoc tibi, nec tanto careat mihi carmine Charta.Tibul. l. iv. Eleg. l. 24. Je vous consacre tous ce que ma Muse poura m’inspirer de grand & de sublime, soie que cela réponde à votre mérite, ou qu’il aille plus loin, ce qui n’est pas à craindre, ou qu’il n’en aproche pas, ce qui arrivera infailliblement, je vous le consacre, dis-je de tout mon cœur, afin que mes Vers ne soient pas privez d’un si noble sujet. Portrait de Manilius, qui est d’une humeur bienfaisante & généreuse. L’Amour des Louanges est une Passion profondément enracinée dans le cœur de toutes les personnes extraordinaires, & ceux qui en sont le plus touchez semblent avoir une plus grande portion de cette particule de la Divinité, qui nous distingue de toutes les Créatures d’un ordre inférieur. Dieu lui-même se plaît à recevoir nos louanges & nos actions de graces ; parce qu’alors nous adorons ses divins Attributs, & que nous nous aquitons d’une bonne partie de notre devoir, pendant que de l’autre côté nous déplorons nos vices & nos égaremens. C’est une remarque très-juste, que 1’on ne méprise les Eloges que lors qu’on cesse de les mériter. Nous avons encore deux Panegyriques, 1’un de Ciceron & l’autre de Pline, en faveur des plus illustres de tous les Empereurs de l’ancienne Rome, qui ne pouvoient goûter qu’un plaisir extrême à 1’ouïe de ce que les personnes les plus desintéressées ne peuvent lire aujourd’hui, après tant de siécles, qu’avec la plus grande admiration. Cesar ne cherchoit qu’à se faire aprouver de tout le monde, puis qu’il comptoit avoir assez vécu lors qu’il eut aquis assez de gloire. D’autres ont sacrifié leur vie pour obtenir une réputation qui ne devoit commencer qu’après leur mort. Mais le plus haut degré de bonheur où l’on puisse aspirer ici-bas est non seulement d’aquérir une estime universelle par son mérite & des qualitez superieures, mais aussi d’en jouïr pendant sa vie. Si le nombre des Vicieux l’emporte de beaucoup sur celui des honêtes Gens, je me flate qu’il en est de même que des peines ordonnées par les Loix civiles, qui en menacent les infracteurs, plûtôt pour détourner les Hommes du Crime, que pour châtier les Criminels. D’ailleurs, cela peut venir de ce que les bons Exemples sont rares, ou de la perversité de notre Nature, qui nous engage plutôt à suivre le mal que le Bien, le Vice que la Vertu. Quoi qu’il en soit, il n’est pas moins juste qu’il est agréable, quand ce ne seroit que pour varier un peu, de representer quelquefois la Nature Humaine par son bel endroit ou ce qu’elle a de brillant, aussi bien que par son mauvais côté, ou ce qu’elle a de sombre & d’odieux. Peut être que l’estime de ce qui est digne de nos éloges produira plus d’effet sur nous, que l’aversion de ce qui est blamable ; puis que l’une nous dirige d’abord à ce que nous devons faire, au lieu que l’autre nous indique seulement ce que nous devons éviter. Je ne saurois offrir à notre imitation un Exemple qui soit plus de mon goût que celui de Manilius. Je tâcherai de lui rendre la justice qui lui est dûe ; mais les bornes, que je me suis prescrites, ne me permettent pas de le suivre dans tous les differens états de son illustre vie. Après avoir donc laissé à part les manieres adroites, polies, franches & insinuantes qu’il mit en usage pour s’élever aux Emplois, dont il a été honoré, & qui servent aujourd’hui de relief à l’aise & à l’abondance dont il jouϊt, je ne le considérerai que dans sa vie privée. C’est de là qu’il regarde avec plaisir les vagues à travers lesquelles il est arrivé à cet heureux Port ; où il s’occupe à la pratique de toutes les Vertus, que la grande connoissance, qu’il a des Hommes, lui a fait voir leur être les plus utiles. C’est ainsi qu’il n’est pas moins glorieux dans l’un que dans l’autre état, en particulier qu’il l’étoit en public ; quoi qu’il soit plus difficile de briller dans la retraite, que dans l’embarras & l’agitation des affaires. Ceux qui se trouvent engagez dans celles-ci, de même que certains Corps agitez avec violence, aquiérent un nouvel éclat, que la rapidité du mouvement leur donne, & qu’ils perdent souvent lors qu’ils tombent dans le repos ; mais s’il continue ensuite, c’est une preuve de leur valeur intrinseque, & que, pour briller, ils n’ont pas besoin d’aucune aide extérieure. La Libéralité de Manilius va si loin, qu’elle passeroit presque dans un autre pour une grande Profusion ; Vous diriez même qu’il en adore l’excès, & qu’il ressemble à une Riviere, qui plus elle se déborde, plus elle rend la Campagne fertile : Mais il goûte trop de plaisir a faire du bien, pour se mettre hors d’état de continuer. C’est aussi pour cela qu’il observe chez lui une sage Economie, la source abondante de tous ces Ruisseaux qu’il distribue au long & au large. Il regarde avec mépris ceux qui atendent la mort, pour exercer leur générosité ; il est charmé de voir lui-même ce qu’il donne & d’être l’Exécuteur de sa bienveillance ; pendant que ceux qu’il console, qu’il protege & qu’il aide prient pour sa longue vie & pour la continuation de leur bonheur. Nul n’est à l’abri des services qu’il peut rendre ; il connoit les voies les plus propres pour s’élever au niveau des Personnnes du plus haut rang, & son bon naturel l’oblige de se familiariser avec celles du plus bas & de pourvoir à leurs besoins. On peut dire de lui ce que Pindare exhorte sa Muse à publier de Theron, Jurez que Theron a fait serment qu’aucun de ceux qui l’aprochent ne seroit pauvre. Jurez que personne n’a jamais eu tant de grace ni l’art à distribuer libéralement les Dons de la Fortune. Jamais Atticus ne réussit mieux à gagner l’estime & l’amitié de tout le monde, & n’observa un plus exact équilibre entre deux Partis opposez. Quoi qu’il n’embrasse ni l’un ni l’autre avec ardeur, il est non seulement admiré, mais, ce qui est beaucoup plus rare, il est aimé & caressé de tous les deux ; & je n’ai vu personne jusques ici, de quelque âge ou de quelque Sexe qu’il puisse être, qui n’ait été d’abord frapé du mérite de Manilius. Il y en a plusieurs qui sont aprouvez de quelques-uns en particulier, pendant que tout le reste du Genre Humain les regarde avec froideur & indiférence ; mais il est le seu1 qui ait le bonheur d’être toujours content & de plaire aux autres, de se faire admirer par tout où il se trouve & qu’on regrete là où il n’est pas. Il en est de son Mérite comme des Tableaux de Raphael qu’on ne peut voir sans admiration, ou du moins qu’on n’oseroit desaprouver, si l’on veut qu’on nous atribue quelque goût pour la Peinture. L’Envie & la Malice ne trouvent pas leur intérêt à le noircir. Il est aussi difficile à un Ennemi de le calomnier, qu’à un Ami d’en faire un trop grand éloge. Vouloir attaquer sa réputation, c’est chercher surement à perdre la sienne ; & le seul moïen qu’il y ait, pour lui faire tort, est de lui refuser les louanges qu’il mérite. Il est indigne de lui de s’amuser à éblouir les yeux par la magnificence de ses Habits ; sa parure est honnête, simple, sans afectation & l’emblème de son Esprit ; il sait que l’Or & la Broderie ne peuvent rien ajouter à l’idée qu’on a de son Mérite, & qu’il donne du lustre à l’Habit le plus simple, pendant que le plus riche ne sauroit lui en donner aucun. Il est toujours le principal Personnage dans toutes les Compagnies où il se trouve. Il s’attire d’abord les yeux de tout le monde, comme si la lumiere qui tombe sur lui formoit plus d’éclat, que celle qui environne tous les autres. Ceci me rapelle une Avanture du fameux Bussy d’Amboise, qui dans un jour de Cérémonie à la Cour, où tout le monde voulut paroître avec la derniere magnificence, ne mit lui-même qu’un Habit tout simple, & orna ses Valets de la plus riche Livrée qu’il pût trouver, dans l’esperance que cela même & sa bonne conduite le distingueroient à son avantage de tous les autres Seigneurs de la Cour. En effet le succès répondit à son atente ; il s’atira les yeux de tout le monde, & les autres sembloient être des Gens de sa suite pendaut qu’il avoit seul l’air d’un Homme de qualité & de distinction. Dans quelque état ou quelque occasion, que Manilius paroisse, à l’exemple d’Aristipe, il est toujours le même, aisé, content & d’une humeur égale ; mais si l’étendue de ses desseins va du pair avec sa Fortune, il y a une chose en quoi il dément son Caractere, je veux dire que la droiture de son Esprit a corrigé ses desirs ambitieux, & qu’il se borne à jouïr tranquilement de ce qu’il possede. Mille manieres obligeantes l’accompagnent par tout, si justes & si naturelles, qu’il est impossible de croire qu’il ait pris aucun soin pour les rechercher. On diroit qu’un bon Génie lui découvre ses pensées & qu’il en détourne les autres, tant elles sont naïves & à la portée de tout 1e monde. Il n’y a rien qui aproche du plaisir qu’on goûte à l’entendre parler, si ce n’est la satisfaction qu’on ressent à voir l’air civil & atentif avec lequel il prête l’oreille au discours des autres. Ses regards sont un éloge tacite de ce qui est bon & solide, ou un desaveu secret de ce qui est mauvais ou impertinent. Il sait l’art de paroître libre & familier sans risquer de se rendre incommode, & d’avoir de la prudence sans qu’on se taxe de finesse ou de ruse. Le sérieux de sa Conversation est toujours egaïé par quelque trait d’Esprit ou de bonne humeur, & son enjoüement est mêlé de quelque chose d’instructif, aussi bien que d’agréable. Vous êtes donc sur avec lui de n’être pas gai aux dépens de la Raison, ni sérieux au préjudice de la bonne Humeur ; mais, par un heureux mélange de son tempérament, l’une & l’autre vont toûjours ensemble, ou se succedent tour à tour. En un mot, toutes ses démarches sont également éloignées de la contrainte & de la négligence, & il vous inspire du respect lors même qu’il vous gagne le cœur. Il est si doux & si durable, qu’on ne peut le croire sujet à ces violentes Passions, qui ne manquent presque jamais d’éclater au dehors pas tout où elles se trouvent : mais son tempérament tient un juste milieu entre l’indolence d’un côté & la sensibilité de l’autre. Il est civil & retenu, lors que ses affaires lui permettent de suivre son inclination ; mais on le voit toujours ferme & vigoureux, lors qu’il s’agit de servir son Prince, sa Patrie, ou ses Amis. Z.