strepere, que l’Auteur Anglois
a changé en strepit.strepit Anser Olores.Virg. Ecl. IX. 36.
L’Oie se mêle de barboter entre les
Cygnes.
Spectateur,
« Discours, à tous ceux qui voudroient vous
écrire sur quelque Sujet digne de la curiosité du Public, je vous
envoie ce petit Essai contre les Préjugez qui regnent dans le monde.
L’Homme est un Animal sociable & qui aime la gloire : Ainsi,
d’abord qu’il y en a quelques uns qui forment un Corps entre eux,
ils cherchent à élever leur réputation sur les ruïnes de celle des
autres. Les bons Politiques se bornent à conduire les ressorts en
cachette, & à se réjouïr en secret du progrès qu’ils font :
L’éclat & le triomphe sont pour les Es-Capitole. De-là vient que les Marques &
les Dévises, qui servent à distinguer les Partis, doivent leur
origine aux petits-Maîtres & aux Belles de cette Isle. Les
différens retroussis des Chapeaux se sont défiez long tems les uns
les autres ; les Mouches diversement placées sur les Visages ont été
sur le point de se livrer bataille ; les Fonds publics ont haussé ou
baissé avec les Coifures de nos Dames ; & l’on atendoit la Paix
ou la Guerre, suivant que la Coife blanche ou la rouge prévaloit. Ce
sont les Porte-Etendards de nos Armées ennemies, les Nains & les
Ecuïers qui portent les Dévises des Géans ou des Chevaliers, &
qui ne sont pas nez pour se battre eux-mêmes, mais pour disposer
toutes choses au Combat.
On ne peut que s’étonner de voir quelle est la force des Préjugez sur
une infinité d’Esprits médiocres & d’une Imagination vive, qui
croient que tous ceux d’un autre Parti sont des Voleurs & des
Brigands. Les Etrangers se plaignent qu’il n’y a pas de Nation au
monde plus enflée d’orgueil que les Anglois.
Peut-être que les autres en ont aussi leur part ; mais, qu’il en
soit tout ce que l’on voudra, un tel reproche, qui tombe sur un
Peuple entier, ou sur les différentes Societez d’Hommes unis
ensemble, est le défaut contre lequel j’écris. On doit Irlande, & ils vous prendront pour un Fou, si vous
leur soutenez qu’en Laponie on a écrit de
belles Odes.
Cet Esprit de jalousie qui régnoit autrefois entre nos deux Universitez est absolument éteint, & nos Colleges n’y sont presque plus sensibles. Le desir de la Gloire domine toûjours dans les Paroisses & les Ecoles : Ces petites Républiques ne manquent pas de renouveller leurs animositez mutuelles, d’abord que la Saison de jouer au Balon, & de faire battre les Coqs arrive. Mon Fermier à la Campagne est très-persuadé, qu’il n’y a pas un seul honête Homme dans la Paroisse opposée à la sienne.
J’ai toujours haï les Satires contre les Femmes & les Hommes en
général : Un Etranger qui se moque de la Religion des Médecins m’est
suspect : Ma bile s’échaufe lors que je vois un Sot & un Fripon
turlupiner les Maires & les Echevins ; & je n’ai jamais été
plus aise que de voir donner la bastonnade à un Avocat du Temple, qui drapoit souvent les
Ministres.
C’est sans doute un grand bonheur d’être élevé dans des Societez, où
il y a des Professeurs illustres & habiles. Leurs Instructions
& leurs Exemples sont d’un avantage tout extraordinaire. Cela
sert à inspirer tant de respect pour ceux qui gouvernent ces
Communautez, & à s’interesser si bien à l’honneur du Lieu que
les jeunes Membres, animez d’une honnête émulation, ne pensent qu’à
des Entreprises dignes de leur recherche : Mais remplir le cerveau
de la Jeunesse du prétendu mérite de leur Société, aux dépens &
à l’exclusion de toutes les autres, c’est lui faire un tort
irréparable. De-là vient que leurs efforts sont presque toûjours
languissans, & qu’ils se rendent incommodes par leur babil,
persuadez que, pour aquerir de l’estime, il leur suffit
Et l’on corrigeoit ainsi de bonne heure le sot orgueil de la Jeunesse ; à mesure qu’elle avanceroit en âge, elle aprendroit peu à peu à ne pas critiquer les autres en l’air ; mais à se remplir le cœur de bienveillance & d’humanité pour tout le monde ; ce qui leur rendroit la vie plus douce à eux-mêmes, & les feroit aimer des autres.
De pareilles reflexions m’ont si bien délivré de toute sorte de
Préjugez, que Paris, quoi que d’un naturel fort sérieux. Je
suis &c. »
T.