Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XLVIII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\048 (1720), S. 286-293, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1346 [aufgerufen am: ].


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XLVIII. Discours

Zitat/Motto► Quem tu, Melpomene, semel
Nascentem placido lumine videris
Allum non labor Isthmius Clarabit pugilem ; &c.
Sed quæ Tibur agquæ fertile perfluunt
Et spissæ nemorum comæ,
fingent Æolio carmine nobilem.
Hor. L. IV. Ode III. 1

Melpomene, celui que vous avez favorisé d’un de vos regards, au moment de sa naissance, ne se signalera jamais dans les combats du Ceste, ni à la course des Chars ; etc. Mais les belles eaux qui environnent les ferules campagnes de Tivoli & ses sombres Forêts en feront un fameux Poëte Lyrique. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► De la liaison qu’il y a entre plusieurs idées. Moïens de perfectionner l’Imagination. Anciens Poëtes, qui ont excellé à cet égard. ◀Metatextualität

Ebene 2► Nous pouvons observer qu’une seule circonstance de ce que nous avons vû autrefois excite souvent une Scène divertissante, & reveille une infinité d’Idées qui paroissent endormies dans l’imagination ; une telle Odeur particuliere, ou une telle Couleur peut tout d’un coup offrir à l’Esprit ces Champs ou ces Jardins où nous l’avions d’abord trouvée, & nous remettre devant les yeux toute la varieté des [287] Images qu’il accompagnoient alors. Notre Imagination en est si frapée, qu’elle nous conduit à l’improviste dans des Villes, des Théatres, des Plaines ou des Prairies. On peut remarquer d’ailleurs que, si elle vient à reflechir sur les Scènes qu’il y a euës autrefois, celles qui lui avoient été agréables le sont encore davantage, & que la Memoire augmente le plaisir qu’elle avoit reçu à la vûe de l’Original. Un Cartesien expliqueroit ces deux Phénomenes de la maniere suivante.

Ebene 3► « Lors que nous avons contemplé un Païsage ou un Jardin, il nous est entré dans l’Esprit un amas d’Idées, qui ont formé sur le Cerveau différentes traces voisines les unes des autres ; Lors donc est qu’une de ces idées vient à s’élever dans l’imagination, les esprits animaux ne courent pas seulement vers la trace qui lui apartient, mais aussi vers la plûpart de celles qui l’environnent : Celles-ci poussent à leur tour de nouveaux esprits de tous côtez, jusqu’à ce qu’enfin tout ces amas d’idées est excité, & que tout le Païsage ou le Jardin fleurit dans l’imagination. Mais parce que le Plaisir que nous avons reçu à la vûe de ces Objets surpassoit de beaucoup quelque desagrément que nous y trouvions d’un autre côté ; de là vient que les traces du premier étoient plus larges & plus profondes ; au lieu que celles de l’autre étoient si petites & si legeres, qu’elles se sont [288] bientôt refermées, qu’elles sont devenues incapables de recevoir les Esprits animaux, & par conséquent de nous rapeller aucune idée fâcheuse. » ◀Ebene 3

Il seroit inutile de rechercher, si le pouvoir qu’on a de se former une idée vive des Objets vient de ce que l’Ame de l’un est plus parfaite que celle d’un autre, ou de ce qu’il a le Cerveau d’une contexture plus délicate. Mais il est sûr qu’un habile Ecrivain doit posseder ce talent naturel dans toute sa force & vigueur ; en sorte qu’il soit en état de recevoir de vives impressions de la part des Objets, de les garder long-tems, & de les ranger dans le besoin, d’une telle maniere, qu’elles puissent fraper l’Imagination du Lecteur. Un Poëte doit prendre autant de soin de se former l’Imagination, qu’un Philosophe de cultiver son Esprit. Il doit aquerir un juste Goût des Ouvrages de la Nature, & se familiariser avec les différentes Scènes de la vie champêtre.

Lors qu’il est bien muni de toutes ces Images de la Campagne, s’il ne veut pas se borner aux simples Pastorales, & aux Genres les plus bas de la Poësie, il doit s’instruire de la pompe & de la magnificence des Cours. Il doit connoître à fonds tout ce qu’il y a de noble & d’exquis dans les Productions de l’Art, soit dans la Peinture ou la Sculpture, dans les superbes Edifices qui conservent leur premier éclat, ou dans les ruïnes de ceux qui ne subsistent plus aujourd’hui.

[289] De tels avantages aident à ouvrir l’Esprit, donnent de l’étendue à l’Imagination, & ne peuvent qu’avoir une grande influence sur toute sorte d’Ecrits, du moins si l’Auteur en sait faire un bon usage. Entre les Poëtes des Langues savantes qui excellent dans ce talent, peut-être que les plus parfaits, dans leurs différens Genres, sont Homere, Virgile & Ovide. Le premier frape l’imagination de ce qu’il y a de grand, le second de ce qu’il y a de beau, & le dernier de ce qui est extraordinaire. Lors qu’on s’attache à la lecture de l’Iliade il semble qu’on voïage à travers un Païs inhabité, où l’imagination est entretenue de mille Déserts afreux, de vastes Marais incultes, de Forêts énormes, de Rochers & de Précipices horribles. Tout au contraire, l’Enéïde ressemble à un Jardin bien ordonné, où l’on ne sauroit trouver aucun endroit sans quelque ornement, ni jetter les yeux sur aucun morceau de terre, qui ne produise quelque belle Plante ou quelque Fleur. Mais lors que nous venons aux Métamorphoses, nous marchons dans un Païs enchanté, & nous y sommes environnez de Scènes magiques.

Homere est dans son élement, lors qu’il décrit une Bataille & une mêlée, & qu’il caractérise un Dieu ou un Héros. Virgile ne se trouve jamais si bien que dans les Champs Elisées, ou lors qu’il copie une agréable Peinture. Les Epithetes d’Homere marquent en général ce qui [290] est grand, & celles de Virgile ce qui plait. Il n’y a rien de plus auguste que le Personnage de Jupiter dans le premier Livre de l’Illiade, ni de plus charmant que celui de Venus dans le premier de l’Enéïde. Voici un seul trait d’Homere à l’égard de ce Roi des Dieux : Zitat/Motto► 1 En même tems, dit-il, il fit un signe de ses noirs sourcils ; les sacrez cheveux furent agitez sur la tête immortelle du Dieu ; & il ébranla tout l’Olympe. ◀Zitat/Motto Le Grec est encore plus expressif :

Zitat/Motto► 2 Ἦ, καὶ κυανέῃσιν ἐπ᾽ ὀφρύσι νεῦσε Κρο
νίων.
Ἀμβρόσιαι δ᾽ ἄρα χαῖται ἐπερρώσαντο ἄ
νακτος

Κρατὸς ἀπ᾽ ἀθανάτοιο, μέγαν δ᾽ ἐλέλιξεν
Ὄλυμπον. ◀Zitat/Motto

Virgile s’est exprimé de cette maniere : Zitat/Motto► Lors qu’elle eut achevé de parler, & qu’elle s’en retournoit, on vit éclater la blancheur de son coû ; ses cheveux exhaloient une divine odeur d’Ambrosie, les plis de sa Robe lui tomberent sur les piez, & il parut à sa démarche que c’étoit une véritable Déesse. ◀Zitat/Motto L’Original l’emporte de beaucoup sur une si foible traduction :
Zitat/Motto► 3 Dixit, & avertens rosea cervice refulsit :

Am-[291]brosiæque comæ divinum vertice odorem Spiravere : pedes Vertis defluxit ad imos : Et vera incessu paruit Dea. ◀Zitat/Motto

Presque tous les Personnages d’Homere ont quelque chose de divin & de terrible. A peine Virgile en a-t-il admis, dans son Poëme, un seul, qui ne soit beau, & il a pris un soin tout particulier de rendre tel son Heros. Zitat/Motto► Venus, dit-il, lui avoit imprimé les traits éclatans d’une belle Jeunesse, & répandu dans ses yeux de la grace & de la gaitté.

4 lumenque juventæ
Purputeum, & lætos oculis adflarat honores. ◀Zitat/Motto

En un mot, le Poëte Grec remplit ses Lecteurs d’idées sublimes ; & je croi qu’il a formé l’Imagination de tous les bons Poëtes qui sont venus après lui. Je n’en donnerai pour Exemple qu’Horace, qui prend d’abord feu dès qu’il lui vient dans l’Esprit quelque passage de l’Illiade ou de l’Odissée, & qui s’éleve toûjours au-dessus de lui-même, lors qu’il cherche à imiter Homere. Virgile a ressembé, dans son Enéïde, toutes les agréables Scènes que son Sujet pouvoit admettre, & il a donné, dans ses Géorgiques, un recueil de Païsages les plus divertissans que l’on puisse former de [292] Bois & de Prairies, de Troupeaux de Bétail, & d’Essains d’Abeilles.

Ovide nous a fait voir, dans ces Métamorphoses, comment l’Imagination peut être affectée par ce qui est extraordinaire. Il décrit un Miracle dans chacune de ses Fables, & à la fin il expose toûjours à nos yeux quelque nouvelle Créature. Son Art consiste sur tout à inserer sa Description à propos, avant que la premiere Forme soit tout-à-fait anéantie, & que la nouvelle soit achevée ; de sorte qu’il nous entretient par tout de quelque chose que nous n’avions jamais vû, & qu’un Monstre succede à l’autre jusques à la fin des Métamorphoses.

S’il me faloit nommer un Poëte qui réünit tous ses talens, & qui a l’art d’operer sur l’Imagination, je dirois d’abord que c’est Milton : Et si son Paradis perdu n’aproche pas à cet égard de la beauté de l’Enéide & de l’Illiade, cela vient plûtôt du défaut de sa Langue, que de son manque de Genie. Allegorie► Un Poëme si divin écrit en Anglois ressemble à un superbe Palais bâti de Brique, où l’on peut voir une aussi belle Architecture que dans un de Marbre, quoi que les materiaux en soient plus grossiers. ◀Allegorie Mais, pour n’en rien dire que par raport à notre Sujet, que peut-on concevoir de plus grand que le Combat des Anges, que la majesté du Messie, que la taille & la conduite du Démon & de ses Collégues ? Que peut-on se representer de plus beau [293] que le 5 Pandamonium, le Paradis, le Ciel, les Anges, Adam & Eve ? Qu’y a-t-il de plus extraordinaire que la Création du Monde, les différentes Métamorphoses des Anges Apostats, & les Avantures qui arrivent à leur Chef, pendant qu’il court après le Paradis ? Aucun autre Sujet ne pouvoit fournir à un Poëte des Scènes si propres à fraper l’imagination, ni aucun autre Poëte ne pouvoit les dépeindre avec des couleurs vives & plus fortes.

O. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Voyez la Traduction de Madame Dacier, p. 48 de l’Edition imprimée à Amsterdam en 1712. & qui se trouve chez D. Mortier. V. 528, 530 v. 406, xxx

2V. 528 – 530.

3V. 406 – 409.

4Ibid. V. 594.

5Mot formé du Grec, & qui désigne le Lien, où le Poëte supose que tous les Démons étoient assemblez.