Juv. Sat. XIV. 99.Le Vice, caché
sous les apparences de la Vertu, séduit le cœur.
. Locke, dans son Essai
philosophique concernant l’Entendement Humain, a emploïé Le deux Chapitres à examiner
l’abus qu’on fait des Mots.
Il ajoute en second lieu qu’un autre de cet abus vient de
l’aplication inconstante qu’on fait du même Mot, lors qu’on
l’emploie pour signifier tantôt une Idée & tantôt une autre. D’où il conclut que le resultat de nos
Speculations & de nos Raisonnemens ne peut être qu’obscur &
absurde, pendant que nous ne joignons aucune idée fixe & précise
à nos termes. Pour éviter ce défaut, sur tout dans les Discours qui
regardent la Morale, où l’on devroit toûjours prendre un Mot au même
sens, il est fort exact à nous recommander l’usage des Définitions.
Il n’y a pas deux Mots, que je sâche, dont on ait plus abusé, par les
diferentes & les fausses idées qu’on y a jointes, que de ces
deux-ci, Modestie & Assûrance. Lors qu’on dit d’un Homme qu’il est modeste, on lui attribue quelquefois par-là
un bon Caractère ; mais aujourd’hui ce titre ne marque souvent qu’un
pauvre Niais, un
D’un autre côté, quoique, par un Homme qui a de
l’assûrance, on entendît d’abord celui qui a des manieres
aisées & libres, on désigne aujourd’hui par-là un malheureux
Débauché ; qui viole toutes les regles de la Bienséance & de la
Morale sans en rougir.
C’est pour cela même que je vai tâcher de ramener ces Mots à leur
véritable signification, afin que l’idée qu’on doit avoir de la Modestie ne soit pas confondue avec celle de
la Simplicité ou de la Bêtise, & que l’Impudence ne
soit pas regardée du même œil qu’un air
assûré.
Si l’on m’engageoit à définir la Modestie, je
dirois que c’est la reflexion d’un cœur honête, lors qu’un Homme a
fait une action pour laquelle il se condamne lui-même, ou qu’il
se croit exposé à la censure des autres.
De-là vient qu’un Homme véritablement modeste l’est aussi bien lors qu’il se trouve seul qu’en compagnie, & qu’il rougit dans son Cabinet, de même que lors qu’une foule de gens ont les yeux attachez sur lui.
Romains, fut acusé, devant le Senat, de tyranniser &
d’oprimer son Peuple. Arrivé à Rome, pour
défendre la Cause de son Pere, il se rendit au Senat ;
Selon moi, Assûrance est la faculté qu’un Homme a
de se posseder, ou bien de dire & de
faire des choses indifférentes sans la moindre gêne ou aucune
émotion dans l’Esprit.
Tout le monde doit fomenter & nourrir dans son sein la Modestie & l’Assûrance dont je viens de parler.
Un Homme sans Assûrance est exposé à être jetté dans l’embarras par
la folie ou la
Il est plus que vrai semblable, que le jeune Prince, dont je viens de vous entretenir, possedoit ces deux bonnes qualitez dans un degré fort éminent. S’il n’avoit eu de l’Assûrance, il n’auroit jamais entrepris de parler devant la plus auguste Assemblée qu’il y eut au Monde. S’il n’avoit eu de la Modestie, il auroit Plaidé la Cause qu’il vouloit défendre, quelque méchante qu’elle parut.
Il est aisé de voir par ce que nous avons dit, que l’Assûrance &
la Modestie sont deux qualitez aimables, & qu’elles peuvent fort
bien se trouver dans la même Personne. Lors qu’elles sont ainsi
mêlées & unies ensemble, elles forment ce que nous appellons une Assûrance modeste, qui tient un juste
milieu entre la Timidité & l’Impudence.
J’observerai
d’ailleurs, que, si la même Personne peut être modeste &
assûrée, il n’est pas moins possible qu’elle soit impudente &
timide.
Nous avons une infinité d’exemples de ce mêlange bizarre dans ceux qui sont mal élevez & qui ont le cœur dépravé. Quoiqu’ils n’osent regarder un Homme en face, ni dire quatre mots sans quelque espece de honte, ils ne font pas le moindre scrupule de commettre les plus grandes vilanies, & les actions les plus indécentes.
En un mot, je voudrois établir cette Maxime, Que la pratique de la Vertu est le meilleur
expedient qu’il y ait pour arriver à une Assûrance modeste lors
qu’on parle ou qu’on agit.
X.