Lugere, ubi esset aliquis in lucem editus,
Humanæ vitæ varia reputantes mala ;
At, qui labores morte
finisset graves,
Hunc omnes amicos laude & lætitia
exequi.Eurip. ap. Cic. Troja
Quast. L. I. c.
48.Lors que nous repassons dans l’esprit tous
les maux, auxquels la Vie des Hommes est sujette, nous croïons qu’il
seroit de la bienséance de plaindre une Famille, où quelcun vient de
naître ; au lieu que tout le monde devroit témoigner de la joie,
lors que la Mort finit les pénibles travaux d’un de leurs Amis,
& l’en féliciter lui-même.
Paris à un Gentil-Homme François de
distinction établi dans cette Ville, pour lui anoncer la Mort d’une
véritable Heroïne, qu’on peut regarder comme un Modèle de Patience &
de Générosité.
Paris le 18. Avril 1712.
Monsieur,
« Il y a si long-tems que vous êtes éloigné de vôtre
Patrie, que je me vois reduit à vous donner le Caractère de vos plus
proches, avec la même exactitude que si vous ne les aviez jamais
connus. Ce qui m’oblige de vous écrire aujourd’hui est la Mort de
Madame de Villacerf, que je ne sai pas si
un Homme de vôtre esprit philosophique apellera infortunée ou non,
puis que les circonstances, qu’il y a euës, la rendent aussi digne
de nos vœux que triste & lamentable. Elle avoit jouï toute sa
vie d’une santé parfaite, honorée de tout le monde à cause de
l’égalité de son Humeur & de l’élevation de son Esprit.
10. de ce Mois elle fut ataquée d’une Indisposition qui
l’obligea de garder sa chambre ; mais, quoi que trop legere pour la
retenir au Lit, elle étoit trop fâcheuse pour lui permettre de se
tranquilliser dans un Fauteuil. Tout le monde sait à Paris, que Mr. Festeau, un des plus célèbres Chirurgiens de cette Ville,
devint, il y a quelques années, éperdûment amoureux de cette Dame :
Sa naissance la mettoit á l’abri de ses poursuites ; mais comme une
Femme a toûjours quelque égard pour celui qui l’admire, sur l’avis
que ses Medecins lui avoient donné de se faire tirer un peu de Festeau. Je m’y trouvai à l’heure qu’il
s’y rendit, & j’eus la permission de ma Cousine de rester dans
la Chambre. D’abord qu’il lui eut retroussé la manche de la Chemise
au-dessus du coude, & qu’il vint à lui serrer le bras pour
rendre la Veine plus visible, il changea de couleur & me parut
saisi d’un tremblement universel. Je pris la liberté de le dire à ma
Cousine avec quelque espèce de crainte : Elle en sourit, &
ajouta qu’elle étoit persuadée que Mr. Festeau n’avoit aucune envie de lui faire du mal. Il
sembla se rafermir, &, après avoir souri à son tour, il en vint
à l’operation : Il n’eut pas plûtôt donné le coup qu’il s’écria
qu’il étoit le plus malheureux de tous les Hommes, & qu’il avoit
piqué une Artere au lieu de la Veine. Il n’est pas moins impossible
d’exprimer l’abatement de l’Operateur que la tranquillité de la
Patiente. Sans m’arrêter à de petites circonstances, je vous dirai
qu’au bout de trois jours il fut jugé nécessaire de lui couper le
bras. Bien loin d’en user avec Festeau
d’une maniere qui auroit paru naturelle à tout autre Esprit que le
sien, elle voulut qu’il assistât à toutes les Consultations qui se
firent à cette occasion, & ne manqua jamais de lui demander s’il
aprouvoit les mesures qu’on prenoit à son égard. Avant cette
derniere Operation, elle fit dresser son Festeau, d’executer ce qu’ils avoient
résolu. Je ne me souviens pas de tous les termes de l’Art ; mais,
dès qu’on lui eut amputé le bras, on découvrit quelques symptomes
qui firent juger qu’elle ne vivroit pas vingt-quatre heures. Elle
témoigna tant de courage & de grandeur d’ame au milieu de ses
maux, que j’eus la curiosité de prendre garde à tout ce qui se
passoit à mesure qu’elle aprochoit de sa fin, & d’écrire en
abregé ce qu’elle dit à tous ceux qui l’environnoient. J’écrivis
même mot pour mot le discours qu’elle tint à Mr. Festeau, & qui étoit conçu en ces
termes :
Monsieur, vous me causez une peine extrême par la
douleur dont je vous vois accablé. Prête à sortir de ce Monde,
je ne dois plus m’interésser à ce qui s’y passe : Je ne vous
regarde point du tout comme une Personne, dont la méprise me
coûte la vie ; mais plûtôt comme un Bienfaicteur, qui avance mon
entrée dans une heureuse Immortalité. Voilà l’opinion que j’ai
de cet accident ; mais le Monde où vous vivez en peut avoir des
idées qui vous seroient préjudiciables : C’est pour cela même
que j’ai eu Soin de vous dans mon Testament, & que je vous
ai mis en état de n’avoir rien á craindre de leur malice.
Pendant que cette illustre Dame lui Festeau ressembloit plûtôt à un homme
qu’on condamne à la Mort, qu’à celui qui reçoit une Pension viagere.
Madame De
Villacerf vêcut jusques au lendemain à
huit heures du soir ; & quoi qu’elle sentît des douleurs
excessives, elles se posseda toûjours avec un calme & une
patience à toute épreuve ; en sorte qu’on peut dire qu’elle ne
mourut pas alors, mais qu’elle cessa de respirer. &c. »
Paul Regnaud.
A peine trouveroit on un plus bel Exemple d’un Esprit heroïque, que
la maniere desintéressée dont cette Dame jugea de son malheur.
L’amour naturel qu’on a pour la Vie ne l’empêcha pas d’avoir égard à
l’accablement de cet Homme infortuné, dont la passion
extraordinaire, qu’il avoit pour elle, faisoit tout le crime. Si
l’on avoit une Relation exacte de la Vie de cette Dame, qui l’a
couronnée par une fin si glorieuse, cela ne pourroit être que fort
utile à la Société. Une pareille Grandeur d’ame ne s’aquiert pas à
l’article de la Mort, & il
T.