V. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Stefanie Lenzenweger Editor Martin Stocker Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 17.12.2013 info:fedora/o:mws.2275 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome IV. Amsterdam: Frères Wetstein 1720, 29-34, Le Spectateur ou le Socrate moderne 4 005 1720 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Sitten und Bräuche Costumi Manners and Customs Costumbres Mœurs et coutumes France 2.0,46.0

V. Discours

Et quibus in solo vivendi causa palato est.Juv. Sat. xi. ii.Ces gens-là semblent n’être au Monde que pour boire & manger.

Des Hommes qui se piquent d’être de gros Mangeurs ou de tels autres défauts.

Mr. le Spectateur,

« Je ne croi pas que vous ayez raisonné jusques-ici sur une infinité de Caprices & une sote Ambition, où les Hommes tombent, pour se distinguer entre ceux de leur connoissance : Des Observations de cette nature, bien soutenuës & poussées à bout, feroient une Histoire divertissante de la Vie animale. J’ai aquis moi-même une grande réputation par un simple accident, qui est presque toûjours la cause de ce qui arrive d’extraordinaire aux Hommes. Il y a quelques jours que je fus engagé par malheur avec une trou-pe de Messieurs, qui estiment un Homme à proportion de la quantité de viande qu’il peut engloutir dans un repas. Toûjours prêt à me vouloir distinguer dans tout ce que la pluralité de mes Camarades trouvent digne de leur choix, je mangeai à un tel excès, que, pour obtenir leurs éloges, peu s’en falut qu’il ne m’en coûtât la vie. Il est vrai que j’ai d’ordinaire un grand apétit, & que j’avois mené depuis quelque tems une vie fort sobre ; de sorte que mon Corps étoit aussi bien disposé qu’il le pouvoit être pour un tel défi, quand même je m’y serois préparé d’avance. J’eus bientôt vaincu les plus avides Mangeurs de la Compagnie à la réserve d’un seul, qui étoit un véritable Prodige à cet égard, & avec tout cela de si bonne humeur, qu’il m’entraina insensiblement à lui faire tête ; mais après l’avoir réduit, pour insulter à son desastre, je mangeai beaucoup au-delà de tout ce que l’honeur pouvoit exiger de moi, de l’aveu même de tous nos Amis. Cependant je résolus dès-lors de ne manger plus à l’avenir pour la gloire, & je me suis accommodé pour trois Gageures que j’avois faites de l’emporter sur quelques autres Goulus ; ce qui est arrivé bien à propos ; puisque nos conditions étoient qu’il faloit manger ou paier. On aura de la peine à concevoir, qu’un Homme, qui a le Sens commun, ait pû s’engager dans un tel défi ; mais je ne vous en écris que pour vous prier d’avertir quelques Gourmands de ma connoissance, qui me regardent d’un œuil plein d’envie, qu’ils feroient mieux de modérer au plûtôt leur Ambition sur cet article, de peut que l’Infamie ou la Mort ne suive de prés leur triomphe. J’oubliois de vous dire, mon cher Monsieur, que je goûtois un plaisir incroïable à recevoir les aplaudissemens de toute la Bande joyeuse, lors qu’à force de manger, mon Antagoniste étoit sur le point d’avoir des convulsions : Ce fut alors que je lui retorquai ses railleries, avec tant de succès, qu’il ne pouvoit presque plus avaler un morceau, quoi qu’animé du desir de la gloire, & d’une ardente passion de se distinguer : Mais je n’en serois pas venu si loin, si toute la Compagnie m’eût prodigué ses éloges. D’ailleurs, je ne doute pas que la même soif pour la gloire n’ai souvent engagé un Homme à gober d’un seul trait des Pintes de Vin, ou à tenter des choses aussi difficiles, qu’elle ne pût lui être fort avantageuse, s’il la tournoit d’un bon côté. J’avouë que la mienne sur le chapitre de la Gourmandise alloit jusqu’á l’extravagance : Mais vous ne verrez presque jamais louër un Homme pour son grand apétit, qu’il ne se remette à manger tout de nouveau, quoi qu’il eût achevé de diner, soit pour confirmer celui qui le louë dans la bonne opinion qu’il a de lui, ou pour en convaincre tout autre de ceux qui sont à table, qui pourroit ne l’avoir pas observé, & n’avoir pas rendu justice à son Caractere. Je suis, &c. »

Epicure Mammom.

Sur les Dames qui prennent du Tabac en poudre.

Mr. le Spectateur,

« Je vous ai écrit trois ou quatre fois pour vous prier de vouloir réflechir sur l’impertinente Coûtume, qui s’est introduite en dernier lieu parmi nos Femmes de bel air, qui s’amusent à prendre du Tabac en poudre. Les unes font ce ridicule manege d’un air si coquet, & les autres d’un air si mâle, que je ne sai point lesquelles méritent d’être les plus blâmées ; mais elles me paroissent toutes également desagréables. Mlle Trotin ne sauroit vivre sans tabac ; elle en prend aussi souvent que du sel à ses repas ; & comme elle affecte une grande négligence dans toutes ses manieres, une lévre supérieure barbouillée de tabac & de sauce est l’objet qu’elle offre aux yeux de tous ceux qui ont l’honeur de manger avec elle. Cette jolie Créature, sa Niéce, fait tout ce qu’elle peut pour se rendre aussi desagréable que sa Tante ; si elle ne choque pas la vûë à un si haut point, elle ne choque pas moins l’oreille ; & si elle ne peut ateindre à son air de confiance, elle s’en dédommage par le siflement enroué de son Nez, lors qu’elle y fourre du tabac, & que ses doigts jouent des orgues sous les narines. Peut-être qu’on ne trouvera pas cette description fort civile à l’égard des Dames ; je l’avouë ; mais à qui en doit-on attribuer la faute ? Est-ce à celles qui la commettent, ou à ceux qui la remarquent ? Pour moi, j’ai senti un tel dégout à la vûë de cette vilaine drogue répandue sur la lévre, que la Conversation, ou la Personne, la plus charmante n’a pû m’en dédommager. A l’égard de celles qui n’en prennent que pour se donner de petits airs, ou pour remplir les vuides de la Conversation ; je puis bien les suporter ; mais elles doivent y renoncer en public, & ne pas faire courir leur Tabatiere d’un<sic> main à l’autre, pendant qu’on doit écouter avec respect celui qui leur parle. Malgré tout cela, Fulvie est si charmée de sa bonne grace en pareil cas, qu’au milieu du Sermon, elle tire sa Tabatiere, pleine d’excellent Tabac de Bresil, & qu’elle en offre à tous ceux qui l’environnent, Hommes & Femmes, pour les convaincre qu’elle a toutes les manieres libres d’une Dame de qualité. Mais puis que tout le monde sait déja qu’elle a la main belle, j’espere qu’à l’avenir elle ne se donnera plus la même fatigue. Dimanche dernier il y eut huit jours, qu’à l’aproche du Diacre ou de l’Ancien, qui recevoit les Aumônes dans l’Eglise, elle donna la sienne de très bon air, & lui offrit en même tems une pincée de son Tabac. Je vous prie de nouveau, mon cher Monsieur, de vouloir remedier à cet abus, & vous obligerez &c. »

T.

V. Discours Et quibus in solo vivendi causa palato est.Juv. Sat. xi. ii.Ces gens-là semblent n’être au Monde que pour boire & manger. Des Hommes qui se piquent d’être de gros Mangeurs ou de tels autres défauts. Mr. le Spectateur, « Je ne croi pas que vous ayez raisonné jusques-ici sur une infinité de Caprices & une sote Ambition, où les Hommes tombent, pour se distinguer entre ceux de leur connoissance : Des Observations de cette nature, bien soutenuës & poussées à bout, feroient une Histoire divertissante de la Vie animale. J’ai aquis moi-même une grande réputation par un simple accident, qui est presque toûjours la cause de ce qui arrive d’extraordinaire aux Hommes. Il y a quelques jours que je fus engagé par malheur avec une trou-pe de Messieurs, qui estiment un Homme à proportion de la quantité de viande qu’il peut engloutir dans un repas. Toûjours prêt à me vouloir distinguer dans tout ce que la pluralité de mes Camarades trouvent digne de leur choix, je mangeai à un tel excès, que, pour obtenir leurs éloges, peu s’en falut qu’il ne m’en coûtât la vie. Il est vrai que j’ai d’ordinaire un grand apétit, & que j’avois mené depuis quelque tems une vie fort sobre ; de sorte que mon Corps étoit aussi bien disposé qu’il le pouvoit être pour un tel défi, quand même je m’y serois préparé d’avance. J’eus bientôt vaincu les plus avides Mangeurs de la Compagnie à la réserve d’un seul, qui étoit un véritable Prodige à cet égard, & avec tout cela de si bonne humeur, qu’il m’entraina insensiblement à lui faire tête ; mais après l’avoir réduit, pour insulter à son desastre, je mangeai beaucoup au-delà de tout ce que l’honeur pouvoit exiger de moi, de l’aveu même de tous nos Amis. Cependant je résolus dès-lors de ne manger plus à l’avenir pour la gloire, & je me suis accommodé pour trois Gageures que j’avois faites de l’emporter sur quelques autres Goulus ; ce qui est arrivé bien à propos ; puisque nos conditions étoient qu’il faloit manger ou paier. On aura de la peine à concevoir, qu’un Homme, qui a le Sens commun, ait pû s’engager dans un tel défi ; mais je ne vous en écris que pour vous prier d’avertir quelques Gourmands de ma connoissance, qui me regardent d’un œuil plein d’envie, qu’ils feroient mieux de modérer au plûtôt leur Ambition sur cet article, de peut que l’Infamie ou la Mort ne suive de prés leur triomphe. J’oubliois de vous dire, mon cher Monsieur, que je goûtois un plaisir incroïable à recevoir les aplaudissemens de toute la Bande joyeuse, lors qu’à force de manger, mon Antagoniste étoit sur le point d’avoir des convulsions : Ce fut alors que je lui retorquai ses railleries, avec tant de succès, qu’il ne pouvoit presque plus avaler un morceau, quoi qu’animé du desir de la gloire, & d’une ardente passion de se distinguer : Mais je n’en serois pas venu si loin, si toute la Compagnie m’eût prodigué ses éloges. D’ailleurs, je ne doute pas que la même soif pour la gloire n’ai souvent engagé un Homme à gober d’un seul trait des Pintes de Vin, ou à tenter des choses aussi difficiles, qu’elle ne pût lui être fort avantageuse, s’il la tournoit d’un bon côté. J’avouë que la mienne sur le chapitre de la Gourmandise alloit jusqu’á l’extravagance : Mais vous ne verrez presque jamais louër un Homme pour son grand apétit, qu’il ne se remette à manger tout de nouveau, quoi qu’il eût achevé de diner, soit pour confirmer celui qui le louë dans la bonne opinion qu’il a de lui, ou pour en convaincre tout autre de ceux qui sont à table, qui pourroit ne l’avoir pas observé, & n’avoir pas rendu justice à son Caractere. Je suis, &c. » Epicure Mammom. Sur les Dames qui prennent du Tabac en poudre. Mr. le Spectateur, « Je vous ai écrit trois ou quatre fois pour vous prier de vouloir réflechir sur l’impertinente Coûtume, qui s’est introduite en dernier lieu parmi nos Femmes de bel air, qui s’amusent à prendre du Tabac en poudre. Les unes font ce ridicule manege d’un air si coquet, & les autres d’un air si mâle, que je ne sai point lesquelles méritent d’être les plus blâmées ; mais elles me paroissent toutes également desagréables. Mlle Trotin ne sauroit vivre sans tabac ; elle en prend aussi souvent que du sel à ses repas ; & comme elle affecte une grande négligence dans toutes ses manieres, une lévre supérieure barbouillée de tabac & de sauce est l’objet qu’elle offre aux yeux de tous ceux qui ont l’honeur de manger avec elle. Cette jolie Créature, sa Niéce, fait tout ce qu’elle peut pour se rendre aussi desagréable que sa Tante ; si elle ne choque pas la vûë à un si haut point, elle ne choque pas moins l’oreille ; & si elle ne peut ateindre à son air de confiance, elle s’en dédommage par le siflement enroué de son Nez, lors qu’elle y fourre du tabac, & que ses doigts jouent des orgues sous les narines. Peut-être qu’on ne trouvera pas cette description fort civile à l’égard des Dames ; je l’avouë ; mais à qui en doit-on attribuer la faute ? Est-ce à celles qui la commettent, ou à ceux qui la remarquent ? Pour moi, j’ai senti un tel dégout à la vûë de cette vilaine drogue répandue sur la lévre, que la Conversation, ou la Personne, la plus charmante n’a pû m’en dédommager. A l’égard de celles qui n’en prennent que pour se donner de petits airs, ou pour remplir les vuides de la Conversation ; je puis bien les suporter ; mais elles doivent y renoncer en public, & ne pas faire courir leur Tabatiere d’un<sic> main à l’autre, pendant qu’on doit écouter avec respect celui qui leur parle. Malgré tout cela, Fulvie est si charmée de sa bonne grace en pareil cas, qu’au milieu du Sermon, elle tire sa Tabatiere, pleine d’excellent Tabac de Bresil, & qu’elle en offre à tous ceux qui l’environnent, Hommes & Femmes, pour les convaincre qu’elle a toutes les manieres libres d’une Dame de qualité. Mais puis que tout le monde sait déja qu’elle a la main belle, j’espere qu’à l’avenir elle ne se donnera plus la même fatigue. Dimanche dernier il y eut huit jours, qu’à l’aproche du Diacre ou de l’Ancien, qui recevoit les Aumônes dans l’Eglise, elle donna la sienne de très bon air, & lui offrit en même tems une pincée de son Tabac. Je vous prie de nouveau, mon cher Monsieur, de vouloir remedier à cet abus, & vous obligerez &c. » T.