I. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Stefanie Lenzenweger Editor Martin Stocker Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 17.12.2013 o:mws.2271 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome IV. Amsterdam: Frères Wetstein 1720, 1-6 Le Spectateur ou le Socrate moderne 4 001 1720 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Sitten und Bräuche Costumi Manners and Customs Costumbres Mœurs et coutumes France 2.0,46.0

I. Discours

Stolidam praebet tibi vellere barbam.

PERS. Sat. ii 28

Il vous permet de lui arracher sa plaisance Barbe.

Sur les Barbes longues & la moustache.

La derniere fois que j’ai été à l’Abbaïe de Westminster avec le Chevalier De Coverly, je pris garde qu’il s’arrêtoit plus long tems qu’à l’ordinaire devant le Buste d’un venerable Vieillard. Je ne savois qu’en penser, lors que tout d’un coup il me fit signe de regarder cette Figure, & qu’il me demanda si je ne trouvois pas que nos Ancêtres paroissent plus sages avec leurs Barbes que nous sans un poil au menton. « Pour moi, ajouta-t-il, lors que je me promene dans ma Galerie à la Campagne, & que j’y vois mes Ancêtres, dont la plûpart moururent avant qu’ils eussent ateint un âge aussi avancé que le mien, je ne saurois m’empêcher de les regarder comme autant de vieux Patriarches, & de me trouver moi-même un jeune Damoiseau évaporé. J’aime à voir vos Abrahams, vos Isaacs & vos Jacobs, tels qu’on les represente dans nos anciennes Tapisseries, avec des Barbes qui leur pendent plus bas que la Ceinture, & qui font la moitié de tout l’ouvrage. » Il me dit d’ailleurs que, si je voulois recommander les Barbes dans un de mes Discours, & rétablir nos Visages dans leur ancienne dignité, il ne manqueroit pas d’en donner lui-même l’Exemple, & de porter une grosse Moustache, pourvû que je l’avertisse un Mois d’avance.

Je sourîs à l’ouïe de sa Proposition, mais lors que nous nous fûmes séparez, je ne pûs éviter de réfléchir sur les métamorphoses que nos Visages ont essuïées à cet égard.

La Barbe, suivant l’idée de mon Ami le Chevalier, fut, durant bien des siécles, le type ou la marque de la Sagesse. Lucien raille, en divers endroits, les Philosophes de son tems qui tachoient de se surpasser les uns les autres par la longueur de leurs Barbes ; & il nous represente un Savant, qui aspiroit à une Chaire de Professeur en Philosophie, comme incapable de la remplir, parce qu’il avoit la Barbe trop courte.

Elien, dans ce qu’il raporte de Zoïle, qui prétendoit relever les fautes d’Homere & de Platon, & qui se croïoit plus habile que tous ceux qui l’avoient précedé, nous dit que ce fameux Critique portoit une longue Barbe qui lui pendoit sur la poitrine, mais qu’il avoit toûjours la tête rase. Il craignoit sans doute que ses Cheveux ne fussent comme autant de rejettons, qui auroient pû s’attirer, s’il les avoit laissé croître, tout le suc de sa Barbe, & la dégarnir par ce moien.

J’ai lû quelque part qu’un Pape avoit refusé d’accepter un Exemplaire des Ouvrages d’un Saint, qu’on lui presentoit, parce que la Taille-douce du Saint, mise à la tête du Livre, étoit sans Barbe.

Nous voyons par tous ces Exemples qu’on avoit autrefois une grande veneration pour les Barbes ; & qu’un Barbier n’avoit pas alors la permission, qu’on lui a donnée depuis environ un demi-siécle, de faire ces terribles dégats sur les visages des Savans.

Il est certain aussi qu’il y a eu divers Peuples d’une prudence reconnuë, si jaloux de la moindre insulte faite à leurs Barbes, qu’ils semblent y avoir mis leur Point d’honneur le plus capital. Les Espagnols, entre autres, étoient fort chatouilleux sur cet Article. Don Quevedo, dans sa troisiéme Vision sur le Jugement dernier, pousse bien le ridicule de cette délicatesse, lors qu’il nous dit qu’un de ses orgueilleux Compatriotes, après avoir reçu sa Condamnation, fut mis sous la garde d’une couple de malins Esprits ; mais qu’il ne voulut pas marcher, ni les suivre, jusqu’à ce qu’avec un fer destiné à cet usage, il lui eussent retroussé la Moustache, qu’ils lui avoient derangée.

Si nous examinons l’Histoire de nôtre Isle, nous verrons que la Barbe y fleurissoit sousC’est un mot Grec, qui signifie Sept Royaumes, Principautez ou Gouvernemens : & c’est le nom qu’on donnoit au partage que les Rois Saxons avoient fait de toute l’Angleterre. l’Heptarchie Saxonne ; mais qu’elle fut presque détruite sous la Race Normande. Il y eut avec tout cela plusieurs Regnes, où elle repoussa de tems en tems sous diverses figures. Il semble qu’elle fit son dernier éfort sous celui de Marie, comme les Curieux peuvent le remarquer, s’il leur plait de jetter les yeux sur les Estampes où les Portraits du Cardinal Poole & de l’Evêque Gardiner ; quoi que nos Peintres Protestans, animez de zéle contre le Papisme, pourroient bien avoir étendu les Barbes de ces deux Persécureurs au-delà de leurs justes dimensions, afin de les rendre plus terribles à la vûë.

Je ne trouve que peu de Barbes dignes de remarquer sous la regne de Jaques I.

Durant nos Guerres civiles, il en parut une, qui fait une trop belle figure dans l’Histoire, pour n’en prendre pas quelque connoissance ; je veux dire celle du redou-table Voyez le Note, qui est au bas de la p. 414 du ii.Tome, & de la 383. du iii.Hudibras, dont Butler nous a laissé la description en ces termes :

Sa Barbe brune en étalage

Servoit de grace à son visage,

Et relevoit en même tems

L’éclat de tous ses beaux talens :

La figure en étoit quarrée,

Et la couleur fort bigarrée ;

Le haut d’un blanc de petit Lait,

Le bas d’Orange & gris parfait.

La Moustache continua quelque tems parmi nous après l’extirpation des Barbes ; mais je n’entamerai pas ici un si noble sujet, parce que je l’ai discuté au long dans un Traité particulier, que je garde par devers moi en Manuscrit.

Si le projet de mon Ami le Chevalier, pour l’introduction des Barbes, pouvoit réüssir, il est à craindre que la Vanité du Siécle n’en rendît la Mode fort onereuse. Il n’y a nul doute que nos Damoiseaux n’en missent d’abord de postiches de la couleur la plus blonde, & d’une longueur excessive. Une belle Barbe, de la taille de celles qu’on voit dans nos anciennes Tapisseries, & que Mr.de Coverly semble aprouver, ne coûteroit pas moins de vingt Guin-ées. La fameuse Barbe d’Or, qui pendoit au menton d’Esculape, vaudroit à peine davantage, qu’une de nos Barbes portée jusqu’à l’excès de la Mode.

D’ailleurs il est incertain si nos Dames ne voudroient pas suivre la Mode, lors qu’elles vont se promener à Cheval. Elles y paroissent déja avec le Chapeau & le Plumet, le Juste-au-corps & la Perruque ; & je ne vois aucune raison qui les empêchât de vouloir se munir en même tems d’une Barbe à la Cavalière.

Peut-être que je donnerai une autre fois la Morale de ce Discours.

X.

I. Discours Stolidam praebet tibi vellere barbam. PERS. Sat. ii 28 Il vous permet de lui arracher sa plaisance Barbe. Sur les Barbes longues & la moustache. La derniere fois que j’ai été à l’Abbaïe de Westminster avec le Chevalier De Coverly, je pris garde qu’il s’arrêtoit plus long tems qu’à l’ordinaire devant le Buste d’un venerable Vieillard. Je ne savois qu’en penser, lors que tout d’un coup il me fit signe de regarder cette Figure, & qu’il me demanda si je ne trouvois pas que nos Ancêtres paroissent plus sages avec leurs Barbes que nous sans un poil au menton. « Pour moi, ajouta-t-il, lors que je me promene dans ma Galerie à la Campagne, & que j’y vois mes Ancêtres, dont la plûpart moururent avant qu’ils eussent ateint un âge aussi avancé que le mien, je ne saurois m’empêcher de les regarder comme autant de vieux Patriarches, & de me trouver moi-même un jeune Damoiseau évaporé. J’aime à voir vos Abrahams, vos Isaacs & vos Jacobs, tels qu’on les represente dans nos anciennes Tapisseries, avec des Barbes qui leur pendent plus bas que la Ceinture, & qui font la moitié de tout l’ouvrage. » Il me dit d’ailleurs que, si je voulois recommander les Barbes dans un de mes Discours, & rétablir nos Visages dans leur ancienne dignité, il ne manqueroit pas d’en donner lui-même l’Exemple, & de porter une grosse Moustache, pourvû que je l’avertisse un Mois d’avance. Je sourîs à l’ouïe de sa Proposition, mais lors que nous nous fûmes séparez, je ne pûs éviter de réfléchir sur les métamorphoses que nos Visages ont essuïées à cet égard. La Barbe, suivant l’idée de mon Ami le Chevalier, fut, durant bien des siécles, le type ou la marque de la Sagesse. Lucien raille, en divers endroits, les Philosophes de son tems qui tachoient de se surpasser les uns les autres par la longueur de leurs Barbes ; & il nous represente un Savant, qui aspiroit à une Chaire de Professeur en Philosophie, comme incapable de la remplir, parce qu’il avoit la Barbe trop courte. Elien, dans ce qu’il raporte de Zoïle, qui prétendoit relever les fautes d’Homere & de Platon, & qui se croïoit plus habile que tous ceux qui l’avoient précedé, nous dit que ce fameux Critique portoit une longue Barbe qui lui pendoit sur la poitrine, mais qu’il avoit toûjours la tête rase. Il craignoit sans doute que ses Cheveux ne fussent comme autant de rejettons, qui auroient pû s’attirer, s’il les avoit laissé croître, tout le suc de sa Barbe, & la dégarnir par ce moien. J’ai lû quelque part qu’un Pape avoit refusé d’accepter un Exemplaire des Ouvrages d’un Saint, qu’on lui presentoit, parce que la Taille-douce du Saint, mise à la tête du Livre, étoit sans Barbe. Nous voyons par tous ces Exemples qu’on avoit autrefois une grande veneration pour les Barbes ; & qu’un Barbier n’avoit pas alors la permission, qu’on lui a donnée depuis environ un demi-siécle, de faire ces terribles dégats sur les visages des Savans. Il est certain aussi qu’il y a eu divers Peuples d’une prudence reconnuë, si jaloux de la moindre insulte faite à leurs Barbes, qu’ils semblent y avoir mis leur Point d’honneur le plus capital. Les Espagnols, entre autres, étoient fort chatouilleux sur cet Article. Don Quevedo, dans sa troisiéme Vision sur le Jugement dernier, pousse bien le ridicule de cette délicatesse, lors qu’il nous dit qu’un de ses orgueilleux Compatriotes, après avoir reçu sa Condamnation, fut mis sous la garde d’une couple de malins Esprits ; mais qu’il ne voulut pas marcher, ni les suivre, jusqu’à ce qu’avec un fer destiné à cet usage, il lui eussent retroussé la Moustache, qu’ils lui avoient derangée. Si nous examinons l’Histoire de nôtre Isle, nous verrons que la Barbe y fleurissoit sousC’est un mot Grec, qui signifie Sept Royaumes, Principautez ou Gouvernemens : & c’est le nom qu’on donnoit au partage que les Rois Saxons avoient fait de toute l’Angleterre.l’Heptarchie Saxonne ; mais qu’elle fut presque détruite sous la Race Normande. Il y eut avec tout cela plusieurs Regnes, où elle repoussa de tems en tems sous diverses figures. Il semble qu’elle fit son dernier éfort sous celui de Marie, comme les Curieux peuvent le remarquer, s’il leur plait de jetter les yeux sur les Estampes où les Portraits du Cardinal Poole & de l’Evêque Gardiner ; quoi que nos Peintres Protestans, animez de zéle contre le Papisme, pourroient bien avoir étendu les Barbes de ces deux Persécureurs au-delà de leurs justes dimensions, afin de les rendre plus terribles à la vûë. Je ne trouve que peu de Barbes dignes de remarquer sous la regne de Jaques I. Durant nos Guerres civiles, il en parut une, qui fait une trop belle figure dans l’Histoire, pour n’en prendre pas quelque connoissance ; je veux dire celle du redou-table Voyez le Note, qui est au bas de la p. 414 du ii.Tome, & de la 383. du iii.Hudibras, dont Butler nous a laissé la description en ces termes : Sa Barbe brune en étalage Servoit de grace à son visage, Et relevoit en même tems L’éclat de tous ses beaux talens : La figure en étoit quarrée, Et la couleur fort bigarrée ; Le haut d’un blanc de petit Lait, Le bas d’Orange & gris parfait. La Moustache continua quelque tems parmi nous après l’extirpation des Barbes ; mais je n’entamerai pas ici un si noble sujet, parce que je l’ai discuté au long dans un Traité particulier, que je garde par devers moi en Manuscrit. Si le projet de mon Ami le Chevalier, pour l’introduction des Barbes, pouvoit réüssir, il est à craindre que la Vanité du Siécle n’en rendît la Mode fort onereuse. Il n’y a nul doute que nos Damoiseaux n’en missent d’abord de postiches de la couleur la plus blonde, & d’une longueur excessive. Une belle Barbe, de la taille de celles qu’on voit dans nos anciennes Tapisseries, & que Mr.de Coverly semble aprouver, ne coûteroit pas moins de vingt Guin-ées. La fameuse Barbe d’Or, qui pendoit au menton d’Esculape, vaudroit à peine davantage, qu’une de nos Barbes portée jusqu’à l’excès de la Mode. D’ailleurs il est incertain si nos Dames ne voudroient pas suivre la Mode, lors qu’elles vont se promener à Cheval. Elles y paroissent déja avec le Chapeau & le Plumet, le Juste-au-corps & la Perruque ; & je ne vois aucune raison qui les empêchât de vouloir se munir en même tems d’une Barbe à la Cavalière. Peut-être que je donnerai une autre fois la Morale de ce Discours. X.