Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXX. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\070 (1716), S. 447-454, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1224 [aufgerufen am: ].


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LXX. Discours

Zitat/Motto► Maxima debetur pueris reverentia.

Juv. Sat. xiv. 47.

Il faut avoir beaucoup de respect pour les Enfans. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Les deux Lettres, que je vais donner ici, & que deux jeunes Messieurs fort sensez, l’un & l’autre au-dessous de l’âge de vingt ans, m’ont écrites, sont une bonne preuve de la nécessité qu’il y a de prendre garde à tout ce qui peut faire quelque tort à l’Education de la Jeunesse.

Metatextualität► Lettre d’un Etudiant sur la nécessité qu’il y a d’avoir [448] quelque Directeur dans sa jeunesse. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

Metatextualität► « Je me flattois que, dans le cours de vos Speculations sur les differents Etats de la Vie Humaine, vous parleriez quelque jour d’un sujet qui me tient fort au cœur ; mais puisque vous ne l’avez pas entâmé jusqu’ici, permettez que je le recommande à votre [448] Plume ◀Metatextualität . Je souhaiterois donc que les jeunes Gens, sages & modestes, eussent quelque Directeur qui les encourageât, & qui servit à les introduire dans le monde. Faute d’un tel secours, un jeune Homme de mérite languit dans l’obscurité ou dans la misere, si les biens de la Fortune lui manquent, & se plonge dans l’excès & la débauche, s’il vit au milieu de l’abondance. Je ne sçaurois mieux expliquer ma pensée qu’en vous donnant l’histoire de ma Vie, que je vous prie de vouloir insérer dans quelqu’un de vos Discours, puisque c’est la seule voie qui me reste pour marquer ma reconnoissance à une Personne, à qui j’ai la plus grande de toutes les obligations.

Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Je suis Fils d’un Marchand de Londres, qui, après avoir vu fleurir son Commerce & son Crédit, essuya de terribles pertes & se trouva fort à l’étroit, eu égard du moins à la prosperité dont il avoit joui. Ce revers lui abbattit si bien le courage, qu’il crût sa fortune desesperée, qu’il ne pensa plus à la rétablir dans la suite, & qu’il mourut sans faire son Testament, après avoir eu le chagrin de perdre ma Mere au milieu de toutes ses disgraces. Je n’avois alors que seize ans, & je me vis par-là en possession de 200 Liv. Sterlin de revenu, sans Ami où Tuteur, qui s’intéressât à régler ma dé-[449]pense. Plein de feu & de vivacité, j’eus bien-tôt des Camarades, qui m’entraînerent dans toute sorte d’excès, & qui m’obligerent de passer les bornes de mon revenu. Endetté jusqu’aux oreilles, je fus un jour conduit, sous une bonne Escorte, capable de faire tête au plus hardi Assassin, à la maison d’un Sergent, où je demeurai quatre jours, environné d’une troupe d’Estasiers, qui ne respiroient que la joie, mais dont la compagnie ne m’étoit pas fort agréable. D’abord que je sus délivré de cet honteux Arrêt, je sentis une si vive douleur de ma vie passée, que j’abandonnai tous mes anciens Amis, & que je me retirai dans un de nos Coléges en Droit, résolu d’y étudier la Jurisprudence avec toute l’application possible. Mais j’y perdis une année entiere à examiner mille Questions épineuses, sans avoir personne à qui j’osasse découvrir mes doutes, c’est-à-dire, que j’étois-là entre des Hommes, à peu près comme les petits Enfans qui sont envoyez à l’Ecole, avant qu’ils soient en état de profiter des leçons qu’on y donne, & dans la seule vue de les garantir de quelque fâcheux accident à la Maison ou à la Rue.

Au milieu de tout cet embarras, & lorsque je ne savois à quoi me destiner, un de mes parens eut la bonté de me venir voir. Sur ce qu’il aperçût en moi [450] d’assez bonnes inclinations, il me traita familierement, & me prit avec lui à sa Maison de Campagne. Je n’y fus plûtôt arrivé, qu’il m’introduisit dans toutes les bonnes Compagnies de la Province : de sorte que la générosité, qu’il eut d’abord de me rechercher d’une maniere si obligeante, & qu’il a euë depuis de m’entretenir toûjours chez lui, m’a pénétré d’une si vive reconnoissance, qu’il a sur moi l’autorité d’un Pere, fondée sur une amitié fraternelle. J’ai une jolie Bibliotheque, avec de bons Chevaux a l’Ecurie lors qu’il me plaît de m’en servir ; & quoique je sois encore dans ma dix-huitiéme année, la familiarité, dont il en use à mon égard, jointe à l’envie agréable, a produit un si heureux effet, que je suis le bien-venu par tout où je me trouve. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4

C’est ainsi, Mr. le Spectateur, que, par la bienveillance & la protection de ce galant Homme, ce sera ma propre faute, si je ne deviens pas tous les jours plus sage & plus habile. Je fais cette remarque, & je me signerai au bas de cette Lettre, du moins en abregé, non seulement pour lui en témoigner ma reconnoissance, mais aussi pour en exciter d’autres à suivre son Exemple. Il y auroit dequoi composer un Ouvrage digne de la curiosité du Public, si l’on entreprenoit de mon-[451]trer qu’on peut faire de grandes Charitez sans qu’il en coûte un sol, & qu’il y a bien de nobles actions négligées, par l’inadvertance de ceux qui en seroient capables, si quelqu’un se donnoit la peine de les en avertir. Suposé qu’un Gentilhomme, qui fait quelque figure dans une Province, voulut rendre sa Famille un Modéle de bon Sens, de Politesse & de Vertu, & tâcher, par des voyes honnêtes & civiles, d’influer sur l’éducation de toute la jeunesse de son voisinage, il n’y a presqu’aucun doute qu’il n’épargnât quantité de Bierre forte dans une occasion publique, & qu’au lieu d être l’esclave de toutes les débauches & des assemblées tumultueuses qui se font pour élire un Membre de Parlement, il ne devint, sans aucune brigue, le Chef & le Député de tous ceux qu’il auroit animez d’un principe de gratitude envers lui. On peut recommander la même chose à tous ceux qui excellent dans quelque Science, ou quelque Art. En un mot, d’autres peuvent attendre des Emplois & des Richesses de leurs Patrons : Pour moi, je me flatte d’avoir reçû du mien la Vertu & de bonnes Habitudes. Enfin, Monsieur, je vous le répete de nouveau, ayez la bonté de publier ceci, à cause de tout le mal qu’un Orphelin peut éviter, & de tout le bien qu’il peut recevoir dans ce Monde. Je dois l’un & l’autre à l’honnête Homme, [452] dont je vous ai parlé, & je suis à toute épreuve, &c. »

S.P. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

MT* Lettre d’un jeune Ecolier, sur la répugnance qu’a son Pere pour lui acheter des Livres ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

« J’ai environ quatorze ans, & j’aime beaucoup l’Etude. J’ai été quatre années à l’Ecole Latine, & je ne sçache pas m’en être jamais absenté, pour aller courir ou folâtrer, ni d’avoir négligé, une seule fois en ma vie, la tâche que le Maître m’avoit donnée. Je rumine sur ce que j’ai lû dans l’Ecole, à midi & le soir, lorsque je m’en retourne au Logis, & mon Esprit y fait une si grande attention, qu’il m’est arrivé souvent de m’éncarter d’un Mille de mon chemin, sans penser où j’allois. Notre Servante me dit qu’elle m’entend bien des fois jargonner, dans mon sommeil, une Langue qui lui est inconnue. Je rêve deux ou trois Nuits de la semaine que je m’occupe à lire Juvenal & Homere. Le Maître paroît aussi satisfait de moi que d’aucun autre Ecolier de la même Classe. Il me semble, s’il m’est permis de juger de mon cœur, que j’aimerois mieux être un Particulier avec quelque sçavoir, qu’un Prince ignorant. J’ai un très-bon Père qui m’affectionne : mais, quoi qu’il soit fort riche, il est avec tout cela si œconome, qu’il regrette la dépense qu’il [453] fait pour mon Education. Il me dit souvent qu’il est à craindre que les frais de mon Ecole ne le ruinent, & qu’il lui en coûte déjà une bonne Somme pour des Livres. Je n’ose pas lui dire qu’il m’en faudroit un, dont j’ai grand besoin. Je suis même obligé d’en acheter, de tems en tems quelqu’un, sans qu’il le sache, & d’y employer mon argent mignon. Il a donné ordre à mon Maître de n’en acheter plus pour moi, sous prétexte qu’il les achètera lui-même. Je lui demandai l’autre jour un Horace, & il me répondit tout en colere qu’il ne me croyoit pas capable de lire cet Auteur ; mais que c’étoit une ruse de mon Maître qui vouloit lui persuader que j’étois fort avancé dans mes Etudes. Je n’ai quelquefois les Livres, que le Maître ordonne aux Ecoliers d’avoir, qu’un Mois après les autres. Ils ont tous, par exemple, à la réserve de moi seul, les Auteurs Classiques à l’usage du Dauphin, dotez sur tranche & avec le titre au dos. Mon Pere calcule sans cesse le tems que j’ai été à l’Ecole, & il craint toûjours, à ce qu’il me dit, que je n’y profite guéres. Je vous avoue que cela me décourage à un tel point, que je suis devenu triste & mélancolique. Mon Maître s’étonne de me voir dans cet état, & je n’ose pas lui en dire la cause, de peur qu’en Homme qui aime d’exciter la Jeunesse à l’E-[454]tude, il ne grondât là-dessus mon Pere, dont il ne connoît pas l’humeur, & qu’il ne le rendît encore plus difficile à cet égard. Je vous suplie, mon cher Monsieur, si vous avez quelque amour pour les Sciences, de me donner vos avis dans cette occasion, & d’exhorter les Peres, qui ont des Enfans disposez à réussir dans leurs Etudes, à les y encourager par toutes sortes de voies. J’ai entendu quelques Peres se vanter, qu’ils seroient tout au monde pour leurs Enfans, s’ils vouloient s’appliquer à se rendre habiles. Que ne suis-je du nombre de ces derniers ! Excusez, Monsieur, la liberté que j’ai prise. Mais daignez compatir à mon triste sort, & je prierai Dieu toute ma vie pour la conservation de votre Personne, & l’heureux succès de tous vos loüables desseins, en qualité de, &c. »

1 Philomathe ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2

FIN ◀Ebene 1

1C’est un mot Grec, qui signifie celui qui desire d’aprendre.