LXI. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Mitarbeiter Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Katharina Tez Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 22.07.2019 o:mws-119-1244 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 394-401 Le Spectateur ou le Socrate moderne 1 061 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Teatro Literatura Arte Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Imagem humana France 2.0,46.0

LXI. Discours

Non andire licet, nec Urbe totâQuisquam est tam propè tam proculque nobis.

Mart. L. I. Epig. 87.

C’est-à-dire, Il n’est pas de s’entendre avec Novius, & il n’y a Personne dans toute la Ville qui fait plus près ni plus loin de nous, que lui.

Mon ami Mr. Honeycomb est un de ces Hommes reveurs & discrets, qui pensent à toute autre chose qu’à ce qui se dit en leur compagnie. Hier au soir, un peu avant l’heure de notre Rendez-vous nocturne nous nous promenâmes ensemble dans le Jardin du Palais de Somerset, où il trouva un petit Caillou, d’une figure si étrange, qu’il le prit pour le donner à un Curieux de ses Amis. Un moment après, je m’arrêtai tout court, & je tournai le visage à l’Ouest, qui est mon attitude ordinaire pour demander, l’après-midi, quelle heure il est. Là-dessus mon Ami, qui n’ignoroit pas ce que je voulois, tira à Montre, & me dit que nous avions sept minutes de bon. Nous continuâmes ainsi notre promenade ; mais je fus bien étonné lorsqu’il jetta sa Montre à tour de bras, dans la Tamise, & qu’il mit, d’un air fort tranquile, dans son Gousset, le Caillou qu’il avoit ramassé. J’aime si peu à parler, ou à donner de mauvaises nouvelles, sur tout lorsque l’avis est inutile & qu’il arrive trop tard, que je ne voulus pas lui découvrir la méprise où il venoit de tomber & que je me bornai à reflechir sur ces petites distractions de l’Esprit Humain, resolu d’en faire le sujet de mon premier Discours.

Je m’y engageai d’autant plus volontiers, que ces absences font tort à quantité de Personnes d’esprit, & qu’elles donnent lieu au Proverbe Latin, qui assûre, Que les grands Esprits ont un grain de folie.

Je ne doute pas que mes Lecteurs ne s’apercoivent, que je distingue un Homme qui est distrait, parce qu’il a l’Esprit occupé de quelque autre chose, de celui qui est distrait, parce qu’il ne pense à rien : Le dernier est trop innocent pour mériter nos reflexions ; mais il me semble qu’on peut attribuer en genéral les absences du premier à l’une ou à l’autre de ces causes. Je veux dire que l’esprit de celui-ci est entierement, fixé à une Science particuliere, soit aux Mathématiques ou à une autre ; ou qu’il est agité d’une Passion violente, comme de la Crainte, de la Colere, ou de l’Amour, qui l’attache à un Objet éloigné ; ou qu’enfin sa vivacité naturelle lui fournit tant d’idées, qu’elle ne lui permet pas de s’arrêter sur aucune. Il n’y a donc rien de plus irregulier que les pensées d’un tel Homme, puisque la Compagnie où il se trouve, & les Objets qu’il a devant les yeux, ne les excitent presque jamais. Lorsque vous croïez qu’il admire une belle Femme, on pourrait gager à coup sûr qu’il est occupé à resoudre une Proportion d’Euclide ; & lorsqu’il semble lire la Gazette de Paris, il y a grande apparence qu’il songe à renverser & à rebâtir la façade de sa Maison de Campagne.

Malgré tout le ridicule que je tâche de répandre sur cette foiblesse, j’avouërai ingénûment que j’y ai été moi-même sujet, & que, pour m’en délivrer, je pris une forte resolution de tirer quelque avantage de tout ce qui me frapoit les yeux ou les oreilles. Si l’on pouvoit s’accoutûmer à reflechir sur tout ce qui se présente, il n’y a pas un seul objet au Monde, dont on ne pût recueillir quelque profit. Par exem-ple ces traits de bon Sens & ces efforts d’une Raison mal-cultivée qui éclatent dans le discours d’un Païsan grossier, me donnent aujourd’hui autant de satisfaction que les Périodes les plus brillantes de l’Orateur le plus accompli ; & je puis être attentif au Jeu de Marionnettes ou à l’Opera, aussi bien qu’à la représentation de Hamlet ou d’Othelle. Je tiens toujoûrs mon rôle dans les Compagnies où je me trouve ; car quoique je n’y parle guéres, l’air attentif que j’ai à tout ce que les autres disent, & ces coups de tête que je ne donne jamais sans sujet pour marquer mon approbation, sont assez connoître que je suis avec eux. Il n’en est pas de même de mon Ami Honeycomb, qui, malgré tout son Esprit, fait & dit tous les jours cent choses qu’il avouë ensuite, avec beaucoup de franchise, avoir été mal-à propos & sans aucun dessein.

Il m’arriva l’autre jour d’entrer dans un Caffé, où je le vis debout au milieu d’une foule d’Auteurs qu’il avoit assemblez autour de lui, & qu’il entretenoit du caractère de C’est une jeune Beauté de Londres.Marie Hinton. Ma vûe ne servit qu’à lui rappeler mon idée, sans qu’il s’aperçut de ma présence actuelle. De sorte qu’au grand étonnement de son Auditoire, avec les yeux attachez sur moi il interrompit le fil de son Discours, & m’apostropha en ces termes : « En effet, voilà mon Ami tel, c’est un Drôle qui pense beaucoup, mais il ne desserre jamais les dents ; Je gage qu’à cette heure il va fourrer son petit museau dans quelque Caffé autour de la Bourse. Je fus sa Caution lorsque le Complot des Papistes vint à éclater, sur ce qu’on le prenoit pour un Jesuite ». S’il m’avoit regardé plus long tems, il n’auroit pas manqué de me dépeindre d’une maniere si exacte, sans penser à ce qu’il amenoit, que toute la Compagnie n’auroit pu que me découvrir. Là-dessus je me rapellai par bonheur le vieux Proverbe qui dit, Hors de vûë, hors du souvenir, & je m’enfuis au plus vîte. Une heure après, nous nous rencontrâmes, & il me demanda, d’un air fort enjoué, en quel Païs du Monde je me tenois, & qu’il ne m’avoit vû aucune pan depuis trois jours.

Mr. de la Bruyere nous a donné le caractère d’une de ces Personnes distraites, avec autant d’esprit que de vivacité, & il le pousse jusqu’à une extravagance fort agréable. En voici quelques-uns des principaux endrois, qui serviront de clôture à mon Discours.

« On dit que c’est le feu Comte de Brancas. Voïez Menagiana, Tome II. P. 344, &c.Menalque, (dit cet excellent Auteur) descend son Escalier, ouvre sa porte pour sortir, il la referme ; il s’aperçoit qu’il est en bonnet de nuit ; & venant à mieux s’examiner, il se trouve rasé à moitié, il voit que son épée est mise du côté droit, que ses bas sont rabatus sur ses talons, & que sa chemise est pardessus ses chausses. Il entre à l’Appartement, & passe sous un Lustre, où sa Perruque s’accroche & demeure suspendue ; tous les Courtisans regardent & rient ; Ménalque regarde aussi & rit plus haut que les autres ; il cherche des yeux dans toute l’assemblée où est celui qui montre ses oreilles, & à qui il manque une Perruque. Il descend du Palais, & trouvant au bas du grand Degré un Carosse qu’il prend pour le sien, il se met dedans ; le Cocher touche & croit remener son Maître dans sa Maison : Ménalque se jette hors te la portiere, traverse la Cour, montse l’Escalier, parcourt l’antichambre, la chambre, le cabinet ; tout lui est familier, rien ne lui est nouveau ; il s’assiet, il se repose, il est chez soi. Le Maître arrive, Ménalque se leve pour le recevoir, il le trait fort civilement, le prie de s’asseoir, & croit faire les honneurs de sa chambre ; il rêve, il reprend la parole. Le Maître de la Maison s’ennuie & demeure étonné ; Ménalque ne l’est pas moins, & ne dit pas ce qu’il en pense ; il a affaire à un fâcheux, & à un Homme oisif, qui se retirera à la fin, il l’espere & il prend patience ; la nuit arrive, qu’il est à peine détrompé.

Lorsqu’il joue au Trictrac, il de-mande à boire, on lui en apporte ; c’est à lui à jouer, il tient le Cornet d’une main & un Verre de l’autre ; & comme il a une grande soif, il avale les Dez, & presque le Cornet, jette le Verre d’eau dans le Trictrac, & inonde celui contre qui il joue. Il écrit une longue Lettre, met de la poudre dessus à plusieurs reprises, & jette toujours la poudre dans l’Encrier. Ce n’est pas tout, il écrit une seconde Lettre, & après les avoir cachetées toutes deux, il se trompe à l’Adresse ; un Duc & Pair reçoit l’une de ces deux Lettres, & en l’ouvrant y lit ces mots : Maître Olivier, ne manquez si-tôt la présente reçuë, de m’envoïer ma provision de Soin . . . . Son Fermier reçoit l’autre, il l’ouvre, & de la fait lire ; on y trouve, Monseigneur, j’ai reçu, avec une soumission aveugle, les ordres qu’il a plû à votre Grandeur. . . . S’il se trouve à un repas, on voit le pain se multiplier insensiblement sur son assiette ; il est vrai que ses Voisins en manquent, aussi bien que de couteaux & de fourchettes, dont il ne les laisse pas jouïr long-tems. Il s’avise au matin de faire tout hâter dans sa Cuisine, il se leve avant le fruit, prend congé de la compagnie : on le voit ce jour là en tous les endroits de la Ville, hormis en celui où il a donné un rendez-vous précis pour cette affaire qui l’a empêché de dîner ; & l’a fait sortir à pied, de peur que son Carosse de le fit attendre. Vous le prendriez souvent pour tout ce qu’il n’est pas, pour un Stupide, car il n’écoute point, & il parle encore moins ; pour un Fou, car outre qu’il parle tout seul, il est sujet à de certaines grimace & à des mouvemens de tête involontaires ; pour un Homme fier & incivil, car vous le saluez, & il passe sans vous regarder, ou il regarde sans vous rendre le salut. Il revient une fois de la Campagne, ses Laquais en Livrées entreprennent de le voler & y réussissent ; ils descendent de son Carosse, lui demandent la bourse, & il la rend : Arrivé chez soi, il raconte son avanture a ses Amis, qui ne manquent pas de l’interoger sur les circonstance, & il leur dit, demandez à mes gens, ils y étoient. »

X.

LXI. Discours Non andire licet, nec Urbe totâQuisquam est tam propè tam proculque nobis. Mart. L. I. Epig. 87. C’est-à-dire, Il n’est pas de s’entendre avec Novius, & il n’y a Personne dans toute la Ville qui fait plus près ni plus loin de nous, que lui. Mon ami Mr. Honeycomb est un de ces Hommes reveurs & discrets, qui pensent à toute autre chose qu’à ce qui se dit en leur compagnie. Hier au soir, un peu avant l’heure de notre Rendez-vous nocturne nous nous promenâmes ensemble dans le Jardin du Palais de Somerset, où il trouva un petit Caillou, d’une figure si étrange, qu’il le prit pour le donner à un Curieux de ses Amis. Un moment après, je m’arrêtai tout court, & je tournai le visage à l’Ouest, qui est mon attitude ordinaire pour demander, l’après-midi, quelle heure il est. Là-dessus mon Ami, qui n’ignoroit pas ce que je voulois, tira à Montre, & me dit que nous avions sept minutes de bon. Nous continuâmes ainsi notre promenade ; mais je fus bien étonné lorsqu’il jetta sa Montre à tour de bras, dans la Tamise, & qu’il mit, d’un air fort tranquile, dans son Gousset, le Caillou qu’il avoit ramassé. J’aime si peu à parler, ou à donner de mauvaises nouvelles, sur tout lorsque l’avis est inutile & qu’il arrive trop tard, que je ne voulus pas lui découvrir la méprise où il venoit de tomber & que je me bornai à reflechir sur ces petites distractions de l’Esprit Humain, resolu d’en faire le sujet de mon premier Discours. Je m’y engageai d’autant plus volontiers, que ces absences font tort à quantité de Personnes d’esprit, & qu’elles donnent lieu au Proverbe Latin, qui assûre, Que les grands Esprits ont un grain de folie. Je ne doute pas que mes Lecteurs ne s’apercoivent, que je distingue un Homme qui est distrait, parce qu’il a l’Esprit occupé de quelque autre chose, de celui qui est distrait, parce qu’il ne pense à rien : Le dernier est trop innocent pour mériter nos reflexions ; mais il me semble qu’on peut attribuer en genéral les absences du premier à l’une ou à l’autre de ces causes. Je veux dire que l’esprit de celui-ci est entierement, fixé à une Science particuliere, soit aux Mathématiques ou à une autre ; ou qu’il est agité d’une Passion violente, comme de la Crainte, de la Colere, ou de l’Amour, qui l’attache à un Objet éloigné ; ou qu’enfin sa vivacité naturelle lui fournit tant d’idées, qu’elle ne lui permet pas de s’arrêter sur aucune. Il n’y a donc rien de plus irregulier que les pensées d’un tel Homme, puisque la Compagnie où il se trouve, & les Objets qu’il a devant les yeux, ne les excitent presque jamais. Lorsque vous croïez qu’il admire une belle Femme, on pourrait gager à coup sûr qu’il est occupé à resoudre une Proportion d’Euclide ; & lorsqu’il semble lire la Gazette de Paris, il y a grande apparence qu’il songe à renverser & à rebâtir la façade de sa Maison de Campagne. Malgré tout le ridicule que je tâche de répandre sur cette foiblesse, j’avouërai ingénûment que j’y ai été moi-même sujet, & que, pour m’en délivrer, je pris une forte resolution de tirer quelque avantage de tout ce qui me frapoit les yeux ou les oreilles. Si l’on pouvoit s’accoutûmer à reflechir sur tout ce qui se présente, il n’y a pas un seul objet au Monde, dont on ne pût recueillir quelque profit. Par exem-ple ces traits de bon Sens & ces efforts d’une Raison mal-cultivée qui éclatent dans le discours d’un Païsan grossier, me donnent aujourd’hui autant de satisfaction que les Périodes les plus brillantes de l’Orateur le plus accompli ; & je puis être attentif au Jeu de Marionnettes ou à l’Opera, aussi bien qu’à la représentation de Hamlet ou d’Othelle. Je tiens toujoûrs mon rôle dans les Compagnies où je me trouve ; car quoique je n’y parle guéres, l’air attentif que j’ai à tout ce que les autres disent, & ces coups de tête que je ne donne jamais sans sujet pour marquer mon approbation, sont assez connoître que je suis avec eux. Il n’en est pas de même de mon Ami Honeycomb, qui, malgré tout son Esprit, fait & dit tous les jours cent choses qu’il avouë ensuite, avec beaucoup de franchise, avoir été mal-à propos & sans aucun dessein. Il m’arriva l’autre jour d’entrer dans un Caffé, où je le vis debout au milieu d’une foule d’Auteurs qu’il avoit assemblez autour de lui, & qu’il entretenoit du caractère de C’est une jeune Beauté de Londres.Marie Hinton. Ma vûe ne servit qu’à lui rappeler mon idée, sans qu’il s’aperçut de ma présence actuelle. De sorte qu’au grand étonnement de son Auditoire, avec les yeux attachez sur moi il interrompit le fil de son Discours, & m’apostropha en ces termes : « En effet, voilà mon Ami tel, c’est un Drôle qui pense beaucoup, mais il ne desserre jamais les dents ; Je gage qu’à cette heure il va fourrer son petit museau dans quelque Caffé autour de la Bourse. Je fus sa Caution lorsque le Complot des Papistes vint à éclater, sur ce qu’on le prenoit pour un Jesuite ». S’il m’avoit regardé plus long tems, il n’auroit pas manqué de me dépeindre d’une maniere si exacte, sans penser à ce qu’il amenoit, que toute la Compagnie n’auroit pu que me découvrir. Là-dessus je me rapellai par bonheur le vieux Proverbe qui dit, Hors de vûë, hors du souvenir, & je m’enfuis au plus vîte. Une heure après, nous nous rencontrâmes, & il me demanda, d’un air fort enjoué, en quel Païs du Monde je me tenois, & qu’il ne m’avoit vû aucune pan depuis trois jours. Mr. de la Bruyere nous a donné le caractère d’une de ces Personnes distraites, avec autant d’esprit que de vivacité, & il le pousse jusqu’à une extravagance fort agréable. En voici quelques-uns des principaux endrois, qui serviront de clôture à mon Discours. « On dit que c’est le feu Comte de Brancas. Voïez Menagiana, Tome II. P. 344, &c.Menalque, (dit cet excellent Auteur) descend son Escalier, ouvre sa porte pour sortir, il la referme ; il s’aperçoit qu’il est en bonnet de nuit ; & venant à mieux s’examiner, il se trouve rasé à moitié, il voit que son épée est mise du côté droit, que ses bas sont rabatus sur ses talons, & que sa chemise est pardessus ses chausses. Il entre à l’Appartement, & passe sous un Lustre, où sa Perruque s’accroche & demeure suspendue ; tous les Courtisans regardent & rient ; Ménalque regarde aussi & rit plus haut que les autres ; il cherche des yeux dans toute l’assemblée où est celui qui montre ses oreilles, & à qui il manque une Perruque. Il descend du Palais, & trouvant au bas du grand Degré un Carosse qu’il prend pour le sien, il se met dedans ; le Cocher touche & croit remener son Maître dans sa Maison : Ménalque se jette hors te la portiere, traverse la Cour, montse l’Escalier, parcourt l’antichambre, la chambre, le cabinet ; tout lui est familier, rien ne lui est nouveau ; il s’assiet, il se repose, il est chez soi. Le Maître arrive, Ménalque se leve pour le recevoir, il le trait fort civilement, le prie de s’asseoir, & croit faire les honneurs de sa chambre ; il rêve, il reprend la parole. Le Maître de la Maison s’ennuie & demeure étonné ; Ménalque ne l’est pas moins, & ne dit pas ce qu’il en pense ; il a affaire à un fâcheux, & à un Homme oisif, qui se retirera à la fin, il l’espere & il prend patience ; la nuit arrive, qu’il est à peine détrompé. Lorsqu’il joue au Trictrac, il de-mande à boire, on lui en apporte ; c’est à lui à jouer, il tient le Cornet d’une main & un Verre de l’autre ; & comme il a une grande soif, il avale les Dez, & presque le Cornet, jette le Verre d’eau dans le Trictrac, & inonde celui contre qui il joue. Il écrit une longue Lettre, met de la poudre dessus à plusieurs reprises, & jette toujours la poudre dans l’Encrier. Ce n’est pas tout, il écrit une seconde Lettre, & après les avoir cachetées toutes deux, il se trompe à l’Adresse ; un Duc & Pair reçoit l’une de ces deux Lettres, & en l’ouvrant y lit ces mots : Maître Olivier, ne manquez si-tôt la présente reçuë, de m’envoïer ma provision de Soin . . . . Son Fermier reçoit l’autre, il l’ouvre, & de la fait lire ; on y trouve, Monseigneur, j’ai reçu, avec une soumission aveugle, les ordres qu’il a plû à votre Grandeur. . . . S’il se trouve à un repas, on voit le pain se multiplier insensiblement sur son assiette ; il est vrai que ses Voisins en manquent, aussi bien que de couteaux & de fourchettes, dont il ne les laisse pas jouïr long-tems. Il s’avise au matin de faire tout hâter dans sa Cuisine, il se leve avant le fruit, prend congé de la compagnie : on le voit ce jour là en tous les endroits de la Ville, hormis en celui où il a donné un rendez-vous précis pour cette affaire qui l’a empêché de dîner ; & l’a fait sortir à pied, de peur que son Carosse de le fit attendre. Vous le prendriez souvent pour tout ce qu’il n’est pas, pour un Stupide, car il n’écoute point, & il parle encore moins ; pour un Fou, car outre qu’il parle tout seul, il est sujet à de certaines grimace & à des mouvemens de tête involontaires ; pour un Homme fier & incivil, car vous le saluez, & il passe sans vous regarder, ou il regarde sans vous rendre le salut. Il revient une fois de la Campagne, ses Laquais en Livrées entreprennent de le voler & y réussissent ; ils descendent de son Carosse, lui demandent la bourse, & il la rend : Arrivé chez soi, il raconte son avanture a ses Amis, qui ne manquent pas de l’interoger sur les circonstance, & il leur dit, demandez à mes gens, ils y étoient. » X.