Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XX. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\020 (1716), S. 125-130, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1048 [aufgerufen am: ].


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XX. Discours

Zitat/Motto► Pallida Mors æquo pulsat pede pauperum tabernas
Regumque turres, ô beate Sesti.
Vitæ summa brevis spem nos vetat inchoare longam.
Jam te premet nox, fabulæque Manes,
Et domus exilis Plutonia ; — — —

Hor. L. I. Od. IV. 13,—17.

C’est-à-dire, La Mort frappe sans distinction aux Palais des Rois, comme aux Cabanes des Pauvres. Nous vivons trop peu pour porter loin nos esperances. Les ombres de la Mort vous envelopperont tout à coup, vous n’échapperez point aux Manes, fables tant qu’il vous plaira ; vous vous trouverez sans y penser, logé à l’étroit chez Pluton ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► Lorsque j’ai du penchant à être serieux, je me promene tout seul dans l’Abbaïe [126] de Westminster ; où l’obscurité du Lieu, l’air antique du Bâtiment, l’usage auquel il est destiné, & l’état de ceux qui s’y trouvent étendus dans la poussiere, contribuent à exciter une espece de mélancholie, ou plutôt d’humeur rêveuse, qui n’est pas desagréable. Je passat hier tout l’aprés-midi dans le Cimetiere, l’Eglise & le Cloître, où je m’amusai à examiner les pierres qui couvrent les Tombeaux & les Inscriptions qu’on voit dans ces differentes Regions des Morts. La plûpart ne marquoient autre chose de la Personne défunte, que le jour de sa Naissance & celui de sa Mort ; c’est-à-dire, que toute l’histoire de sa vie se bornoit à ces deux circonstances, qui sont communes à tout le Genre Humain. Je ne pûs m’empêcher de regarder ces Inscriptions, soit qu’elles fussent gravées sur le bronze ou sur le marbre, comme une espece de Satire contre les décedez, qui n’avoient laissé aucun monument après eux, si ce n’est qu’ils étoient venus au Monde & qu’ils en étoient sortis. Je me rappellai d’abord quelques-uns de ces grands Personnages qui se trouvent dans les Combats des Poëmes Heroïques, où ils ne semblent avoir des Noms pompeux & sonores, que pour être tuez sur le champ de bataille, & qui ne sont célebres que pour avoir eu la tête cassée. Tels sont un Glaucus, un Medon, & un Therfilocus, dont Homere & Virgile nous parlent. L’Ecriture Sainte nous dépeint admirablement bien la vie de ces [127] Hommes, qu’elle compare à la trace d’une Fléche, qui est imperceptible & qui se referme d abord.

A mon entrée dans l’Eglise, je m’arrêtai à voir creuser une Fosse, & à chaque pellée de terre qu’on en sortit, je vis quelque morceau d’Os ou de Crane, mêlé avec une espece de poudre nouvellement formée, qui avoit eu place autrefois dans la composition d’un Corps Humain. Là-dessus, je vins à reflechir sur la multitude innombrable des Personnes qui étoient confondues sous le pavé de cette ancienne Abbaïe ; sur ce que les Hommes & les Femmes, les Amis & les Ennemis, les Prêtres & les Soldats, les Religieux & les Chanoines, s’y trouvoient enveloppez tous ensemble dans un seul amas de poussiere ; sur ce enfin que la Beauté, la Force et la Jeunesse y étoient réduites, sans aucune distinction, dans la même poudre, avec l’Age avancé, la Foiblesse & la Laideur.

Après avoir ainsi parcouru en gros ce vaste Magasin de la Mortalité ; pour en venir un peu plus au détail, j’examinai les Tombeaux, qui sont dispersez dans tous les quartiers de cet auguste Edifice. Quelques-uns étoient chargez d’Epitaphes si extravagantes, que si les Défunts en pouvoient être avertis ils rougiroient de honte à la vûë des Eloges qu’on leur donne. Il y a d’autres de ces Epitaphes si modestes, qu’elles sont conçues en Grec ou en Hébreu & qu’il n’arrive pas une foi [128] dans un an qu’un seul Curieux les déchifre. Au Quartier des Poëtes, j’y en trouvai qui n’avoient point de Tombeau, & j’y vis des Tombeaux qui ne renfermoient aucun Poëte. Je remarquai d’ailleurs que la Guerre où nous sommes engagez avoit orné l’Eglise d’un nombre infini de ces Monumens vuides, qu’on y a élevez à la memoire de divers Officiers, dont les corps reposent peut-être dans les Plaines de Blenheim, ou dans le fond de la Mer.

Quoi qu’il en soit, j’eus un plaisir extrême à la lecture de quantité d’Epitaphes modernes, qui sont écrites avec beaucoup d’élegance & de justesse, & qui par cela même ne font pas moins d’honneur aux Morts qu’aux Vivans. Il seroit à souhaiter qu’on ne gravât jamais aucunes de ces Pieces, sans les avoir montrées à quelque habile Homme qui s’y entende, parce que les Etrangers se forment là-dessus une idée du Savoir ou de l’Ignorance, de la Politesse ou du mauvais Goût, qui regnent dans une Nation. J’ai toujours été choqué du Monument qu’on a dressé à l’honneur du Chevalier Cloudesly Shovel  Au lieu de nous représenter ce brave Amiral Anglois, sous la figure d’un Homme un peu rustre & sans façon, qui étoit son caractere distinctif, il y paroît en Damoiseau, coifé d’une longue Perruque, & appuié sur des Coussins de velours, à l’ombre d’un Dais magnifique. L’Inscription n’est pas indigne de cet ouvrage ; car au lieu de célebrer ses grands [129] Exploits pour le service de sa Patrie, elle se borne à nous entretenir de sa funeste Mort, où il lui étoit impossible d’acquerir de l’honneur. Les Hollondois, que nous avons du penchant à mépriser, comme s’ils manquoient de genie, font paroître beaucoup plus de goût pour l’Antique & la belle ordonnance dans leurs Bâtimens & leurs Ouvrages de cette nature, qu’on n’en voit dans les nôtres. Les Mausolées, qu’ils ont élevez à leurs Amiraux, les représentent à nos yeux tels qu’ils étoient, & sont enrichis de Couronnes rostrales, accompagnées de plusieurs Ornemens & Festons d’Herbe marine, de Coquillages & de Corail, qui ont un juste rapport avec tout le dessein.

Mais pour revenir à mon sujet, je remets la vûe de nos Monarques à une autre fois, lorsque je me trouverai d’une humeur serieuse &pensive. Je n’ignore pas que des Spectacles de cette nature excitent d’effraïantes & noires idées dans les Esprits timides & les Imaginations foibles ; mais quoique je sois toujours serieux, la mélancholie m’est inconnue, & je puis envisager la Nature dans ses plus tristes Scènes, avec le même plaisir que je l’admire dans ses plus agréables Décorations. Je me trouve en état par-là de profiter de ces Objets, que d’autres ne peuvent regarder qu’avec horreur. Lorsque je tourne les yeux sur les Tombeaux des Grands, tout principe d’Envie s’éteint chez moi lors-[130]que je m’amuse à lire les Epitaphes des Personnes célébres pour leur Beauté, tout apétit déréglé s’évanouit dans mon cœur ; lorsque je vois les plaintes des Peres & des Meres gravées sur les Tombeaux de leurs Enfans, je m’attendris & je verse des larmes ; lorsque je vois les Peres & les Meres ensevelis dans le même endroit, je pense à la vanité qu’il y a de s’affliger pour ceux que nous devons bientôt suivre : Lorsque je vois des Monarques étendus dans la poussiere tout auprès de ceux qui les ont déposez, ou des Rivaux, qui disputoient entre’eux de la gloire, ou les Saints Hommes, qui déchiroient le Monde par leurs cruelles disputes, placez côte à côte les uns des autres, je m’étonne & je sens une vive douleur de toutes les Factions & de tous les petits Débats qui occupent le Genre Humain. En un mot, lorsque j’examine les Dates gravées sur les Tombeaux, dont les unes n’y sont que d’hier, & les autres depuis cinq ou six cens ans, je refléchis sur ce grand Jour, qui nous rendra tous Contemporains, & auquel nous paroîtrons tous ensemble. ◀Allgemeine Erzählung

C. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1