Louis Couturat an Hugo Schuchardt (36-01994)

von Louis Couturat

an Hugo Schuchardt

Bois-le-Roi

03. 10. 1905

language Französisch

Schlagwörter: Internationale Verständigungssprache Universität Leipzig Universität Grazlanguage Esperantolanguage Deutschlanguage Französischlanguage Englischlanguage Niederländischlanguage Volapük Ostwald, Wilhelm Baudouin de Courtenay, Jan Mayer, Herbert (2001)

Zitiervorschlag: Louis Couturat an Hugo Schuchardt (36-01994). Bois-le-Roi, 03. 10. 1905. Hrsg. von Frank-Rutger Hausmann (2018). In: Bernhard Hurch (Hrsg.): Hugo Schuchardt Archiv. Online unter https://gams.uni-graz.at/o:hsa.letter.7033, abgerufen am 28. 03. 2024. Handle: hdl.handle.net/11471/518.10.1.7033.


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DÉLÉGATION POUR L’ADOPTION D’UNE LANGUE AUXILIAIRE INTERNATIONALE  
SECRÉTAIRE : M. L. LEAU                                                TÉSORIER : M. L.COUTURAT
6, Rue Vavin                                                                         7, Rue Nicole
PARIS (6 e)                                                                            PARIS (5e)
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                                                                                                          Bois-le-Roi, le 3 octobre 1905.

Monsieur et honoré Collègue,1

Je ne me suis pas pressé de répondre a votre lettre du 20 juillet, puisque vous me disiez que vous partiez „dans le bleu“.2 Je n’ai pas voulu troubler votre repos, et j’espère que vous êtes revenu avec une santé et des forces nouvelles. J’ai répondu deux mots à votre carte postale du 27 août, pour vous avertir que ce que vous me citiez était de l’Idiom neutral, et non de l’Esperanto.3 J’ai justement fait pendant ce même mois deux expériences instructives à ce regard. J’ai assisté au congrès espérantiste de Boulogne, qui a été un grand succès, pour le Dr Zamenhof4 comme pour sa langue. Pendant plus de huit jours, plus de mille espérantistes de 20 pays différents se sont entretenus au moyen de l’Esperanto, leur seule langue commune; on a discouru, chanté, toasté uniquement en Esperanto. Et non seulement tout le monde comprenait et était compris (ce qui, je le sais par expérience, n’arrive jamais dans les Congrès polyglottes), mais les différences de prononciation étaient absolument insignifiantes, et nullement gênantes. Le plus souvent, on ne pouvait pas deviner la nationalité de son interlocuteur. En un mot, ce fut la réfutation éclatante et complète de toutes les objections soi-disant scientifiques des ignorants … et de quelques autres. Car il est curieux de constater, que la conscience scientifique de certains savants est spécialisée et confinée dans leur domaine propre; hors de là, ils ne craignaient pas d’émettre les jugements les plus téméraires et les moins compétents. Pour la L. I. en particulier, on croirait qu’il est permi de la juger sans la connaître, et qu’on peut |2| soutenir impunément le contraire de la vérité. – Pour revenir à l’Esperanto, il a fait brillamment des preuves de „langue vivante“: car, qu’importe que cette langue soit ou ne soit pas parlée par un groupe ethnique ou une nation particulière?

Quelques jours après, j’ai reçu la visite de M. Rosenberger,5 le principal auteur de l’Idiom neutral. Nous avons essayé successivement de parler Idiom neutral, Esperanto, allemand et enfin français; la conversation était plutôt pénible, malgré (ou à cause de) la diversité des idiomes employés. M. Rosenberger lui-même ne parle pas couramment „sa“ langue; cela faisait un contraste frappant avec le Dr. Zamenhof, qui parle si facilement, si éloquemment sa langue, qu’elle semble pour lui (et pour beaucoup de ses adeptes) sa langue maternelle. M. Rosenberger m’a avoué que l’Idiom neutral ne fait aucun adepte, soit parce que les membres de l’Akademi ne font aucune propagande, soit parce que les manuels sont trop chers (il en existe un allemand, un anglais, un hollandais, et on va en publier un français).6 Mais je crois que le principal défaut de l’Idiom neutral est d’être une langue … morte. Sur le papier, elle ressemble à l’Esperanto, et peut lui être théoriquement comparée; mais dans la pratique, elle est bien moins facile, parce qu’elle n’est pas prolifique; (on est obligé d’apprendre beaucoup plus de mots pour dire les mêmes choses, on ne peut pas fabriquer en quelque sorte les mots dont on a besoin; malgré l’ampleur de ses vocabulaires, c’est une langue pauvre et sèche. Et enfin, elle ne coule pas des lèvres comme l’Esperanto: elle n’a pas été faite pour être parlée, les mots ne se lient pas, ne se fondent pas entre eux. Et cela me rappelle que le Dr Zamenhof a couvé pendant dix ans sa langue avant de la publier, s’exerçant à la parler, à penser en elle, à composer en prose et en vers, bref; l’assouplissant et la polissant par un long usage. C’est sans doute à cette incubation qu’elle doit son caractère de |3| langue naturelle et vivante, sa sonorité et son harmonie, qui en font, quand elle est bien prononcée, une véritable musique. Le discours du Dr Zamenhof se terminait par quelques strophes lyriques, sorte de prière à l’être suprême, qui ont ému et enthousiasmé l’assistance. C’etait aussi touchant que n’importe quel poème en langue naturelle. – Il faut dire aussi que Zamenhof est un homme d’un caractère admirable, qui commande la sympathie et le respect. Non seulement il a consacré sa vie et sacrifié toute sa jeunesse à son œuvre (inspirée de l’idée humanitaire de rapprocher les hommes, idée chimérique peut-être, mais généreuse à coup sûr), mais il se montre d’une modestie, d’un libéralisme et d’un désintéressement parfait. Il parle de „sa“ lange comme si elle n’était pas son œuvre, il en est absolument détaché. Le plus beau trait de caractère a été l’hommage rendu, dans son discours, à Mgr Schleyer,7 hommage qui a surpris et presque choqué la plupart des Espérantistes, qui voient, non sans quelque raison, dans le Volapük un fâcheux précurseur, et, encore aujourd’hui, un obstacle à leur propagande. Mais les Espérantistes ont une telle admiration pour leur „Majstro“ qu’ils l’ont applaudi tout de même, presque malgré eux, à ce moment, et certainement plus par regard pour cette pensée généreuse que pour Mgr Schleyer.

Il est temps que je vous parle de la Délégation, et de ses projets. Nous allons commencer une nouvelle année scolaire, donc une nouvelle campagne (bien que la propagande ne chôme pas, même pendant les vacances). Comme le champ de notre action s’étend de plus en plus, nous avons décidé, tant pour nous soulager dans notre tâche que pour donner une nouvelle impulsion à la propagande, de nous adjoindre des secré- |4|taires nationaux, en les chargeant de diriger la propagande dans leurs pays respectifs. D’autre part, nous voudrions constituer un „Conseil de patronage“ dont le double rôle est indiqué par ces deux mots: il nous servirait de conseil, c’est à dire que nous le consulterions dans les grandes circonstances; et il nous servirait de patronage, c’est à dire que, par sa composition seule, il recommanderait notre œuvre aux corps savants et au public, et nous permettrait d’agir dans certains cas plus efficacement. Naturellement, nous pensons le composer des savants éminents qui nous ont déjà prouvé leur bienveillance en nous donnant leurs conseils et leur appui. C’est vous dire, Monsieur, que nous serions très heureux que vous vouliez bien en faire partie. Pour préciser nos intentions, nous adressons la même invitation à MM. De Tilly, Ostwald, Baudouin de Courtenay, au Général Sebert (qui tous ont rendu des services signalés à la Délégation), et peut-être à Sir W. Ramsay, qui n’a pas encore agi en faveur de la Délégation, mais qui lui a exprimé sa sympathie. Ainsi les principaux pays d’Europe (sauf l’Italie) seraient déjà représentés dans ce conseil de patronage, auquel on pourrait adjoindre peu á peu d’autre membres. Il est simplement un moyen, pour nous, de reconnaître la part que vous avez prise à notre œuvre, et de vous conférer la part d’autorité à laquelle vous avez droit dans sa direction; pour vous, un moyen d’y collaborer encore plus en lui accordant votre nom et votre protection.8

Dans l’espoir d’une réponse favorable, je vous prie d’agréer, Monsieur et honoré Collègue, l’expression de mon respectueux dévouement.
Louis Couturat.


1 Hs. Zusatz: „Ci-joint une petite ,clef‘ Esperanto, à titre de document, et pour vous servir en cas de besoin“. – Längere Auszüge dieses Briefs finden sich in dem Beitrag von Herbert Mayer (s. die bibliographische Notiz zu Beginn der Wiedergabe dieses Briefwechsels).

2 Belegt ist für den Mai 1905 eine Reise nach Pallanza am Lago Maggiore.

3 PK 01993.

4 Ludwik Lejzer Zamenhof (1859-1917), poln. Augenarzt, Begründer der Plansprache Esperanto. Zu Einzelheiten vgl. Andreas Künzli, L. L. Zamenhof; (1859- 1917); Esperanto, Hillelismus (Homaranismus) und die „jüdische Frage“ in Ost- und Westeuropa, Wiesbaden: Harrassowitz, 2010 (zu Couturat bes. S. 262f.).

5 Waldemar Rosenberger (1849-1918), russisch-deutscher Eisenbahningenieur aus St. Petersburg und Erfinder der Plansprache Idiom Neutral.

6 Waldemar Rosenberger, Lehrgang der praktischen Weltsprache Reform-Neutral, mit einem Vorwort von Dr. Johann Baudoin de Courtenay, Zürich / Leipzig: Rascher, 1912; Manual of the practical universal language reform-neutral , Zürich / Leipzig: Rascher, 1912; Cours de langue universelle pratique Reform-Neutral , Zürich / Leipzig: Rascher, 1912 (frühere Ausgaben waren bibliographisch nicht nachweisbar, desgleichen keine niederländische Ausgabe).

7 Johann Martin Schleyer (1831-1912), katholischer Priester, Philanthrop, Lyriker, Erfinder der Plansprache Volapük und erster Cifal (Kreuzung aus „Chef“ und „Ehrenamt“) der Volapük-Bewegung.

8 Dem Comité gehörten schlussendlich die folgenden Persönlichkeiten an: Manuel Barrios, Präsident des Senats von Peru; Jan Baudoin de Courtenay, Professeur und Linguist, Universität Sankt Petersburg; Louis de Beaufront, Linguist und Esperantist; Émile Boirac, Université de Dijon, Esperantist; Charles Joseph Bouchard, Professor am Collège de Médecine à Paris; Loránd Eötvös, Ungarische Akademie der Wissenschaften; Wilhelm Förster, Président du Comité international des poids et mesures in Sèvres; George Harvey, Esperantist und Herausgeber der North American Review ; Otto Jespersen, Sprachwissenschaftler, Universität Kopenhagen; Spyridon Lambros, Universität Athen; Constantin Le Paige, Mathematiker, Universität Lüttich; Giuseppe Peano, italienischer Linguist und Mathematiker; Wilhelm Ostwald, Chemiker, Universität Leipzig; Hugo Schuchardt, Universität Graz.

Faksimiles: Universitätsbibliothek Graz Abteilung für Sondersammlungen, Creative commons CC BY-NC https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/ (Sig. 01994)