Article XXVIII. Armand de Boisbeleau de La Chapelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Herausgeber Michael Hammer Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Mitarbeiter Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Pia Mayer Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 30.07.2019

o:mws.7934

Armand de Boisbeleau de La Chapelle: Le Philosophe Nouvelliste, traduit de l’Anglois de Mr. Steele par A.D.L.C. Tome Second. Amsterdam: François Changuion 1735, 303-316, Le Philosophe nouvelliste 2 028 1735 Frankreich
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Article XXVIII.

Du Jeudi 1. au Samedi, 31. Septembre.

De la Maison de White, 2. Sept.

Il m’a toujours paru que rien n’obscurcissoit davantage la gloire des Romains, que la coûtume, qu’ils avoient dans leurs Triomphes publics, d’y trainer, chargés de Chaines, les Ennemis qu’ils avoient faits Prisonniers. J’avoue que les Honneurs que l’on fait à un Heros rejaillissent sur la Nation qui l’a produit, & qu’en élevant l’un au-dessus des Hommes, on éleve l’autre au-dessus des Peuples. Mais ce qui m’a paru choquant, de la part d’une Nation civilisée & polie, c’est qu’il lui ait paru juste, qu’un Homme qui n’avoit d’autre défaut que celui d’être malheureux, & qui ne le cedoit en rien au Vainqueur que par le sort des Armes, fût attaché en Esclave au Char du Conquerant. Je ne blâmerai pas de même certaines autres Maximes dont on se fit des Loix dans ces Spectacles. On n’accordoit point l’honneur du Triomphe dans les Guerres Civiles, de peur qu’une partie du Peuple ne fût en pleurs pendant que l’autre seroit dans la joye. On ne l’accordoit point non plus, lorsqu’il n’y avoit pas un certain nombre d’Ennemis qui fussent morts dans la Bataille. On flétrissoit publiquement un Général, qui pour parvenir au Triomphe, auroit grossi la liste des Morts. Il y avoit en tout cela beaucoup de bon Sens, & de Politique profonde. Tout y tendoit manifestement au bien commun de la Republique. Mais je ne saurois concevoir ni du côté de la Nature, ni du côté de la Politique, ce qui fondoit le mauvais traitement auquel on exposoit alors les Vaincus. Cela ne pouvoit servir qu’à flatter l’Orgueil du Peuple Romain, & qu’à le rendre insolent : car dans le fond d’Action étoit inhumaine, & l’on y paroissoit moins triompher des Nations barbares qu’imiter leur barbarie. Chose étrange ! On rafinoit sur les soins de porter à leur comble les honneurs que l’on se proposoit, ce jour-là, de faire au Général conduit en triomphe. Il étoit, comme revêtu de l’Autorité Souveraine ; il n’y avoit point de Pouvoir qui fut au-dessus de lui dans la Ville ; les Consuls eux-mêmes, ne paroissoient le soir, à sa Table, qu’en qualité de simples Convives. Mais puis qu’ils y étoient invités, n’auroit on point dû penser que la présence du principal Prisonnier, invité comme eux, & y paroissant comme leur Egal, ne pouvoit que rendre la Compagnie plus belle & plus magnifique ? La joye du repas en auroit été plus complete & plus douce, & le Vainqueur auroit pu tirer plus de gloire, de ce que personne ne paroissoit malheureux ce jour-là, que de ce qu’il étoit le seul qui parût grand.

Que si de ces jours si remarquables, par leur pompe & par leur rareté, nous passons au train commun de la vie, on verra que tous les Hommes sont, à peu près, ce que faisoient alors les Romains. Chacun aspire au triomphe & vous trouverez peu de gens qui n’aiment mieux être dans la souffrance pour paroître heureux, que d’être réellement heureux & paroître dans la souffrance. C’est à quoi sert la somptuosité des Equippages, la magnificence des Maisons, la multi-tude des Domestiques. C’est à quoi servent aussi tant de soucis, ou d’assujettissemens, que l’Ambition dicte, ou qu’éxige la Mode.

Bromeo & Tabio, sont deux Hommes qui s’en veulent également, & qui se portent la même Envie. Le moyen infaillible de plaire à l’un, est de lui faire entrevoir quelque chose qui manque au bonheur de l’autre. Un Flatteur adroit, qui connoit le foible de ces deux Mortels, mene par-là Bromeo comme il veut. Ce dernier qui depuis peu a changé toute l’Oeconomie de sa Maison de Campagne, en montroit les Appartemens, & les dépendances à quelques Amis. C’est sa marote, il est toujours à faire, & à défaire. Mais le Parasite le prit d’un autre biais. Voilà, dit-il, le Plan que je proposai à Tabio quand il voulut rebatir. Je voulois qu’il abbatit de grands Arbres qui couvroient son jardin. Il ne daigna pas m’écouter, & je suis sûr, quand il verra vôtre Parterre, votre Potager, vos Allées, qu’il sera homme à se pendre. Après tout, il faut avouer de bonne foi que la disposition de son Terrain n’est pas heureuse. Quelque souci qu’il se donne pour travailler sur votre Modele, cette Si-tuation lui manquera toujours ; & d’ailleurs on n’est heureux que de la seconde main lors qu’on ne l’est qu’en qualité de Copiste. Il faut être fou à lier, repond Bromeo, pour songer à autre chose en tout cela qu’à se satisfaire soi-même. Pour moi, je ne cherche qu’à me contenter, je suis l’ostentation, & je ne connois rien de plus imprudent que de se régler sur l’Imagination des autres ; car ce n’est jamais fait. Après ces belles Sentences, dès qu’il sait que son Rival l’imite, il n’a rien de plus pressé que de faire, à sa Maison, des Changemens qui la rendent toujours superieure à celle de l’autre. Tel est leur malheur, qu’étant tous deux égaux en âge, en bien & en génie, leur émulation ne durera pas moins que leurs jours. Il y a quelque temps que Tabio s’estimoit le plus heureux, parce qu’il étoit le plus riche en Fonds de Terre. Il ne se croit pas heureux aujourd’hui, parce qu’il vient d’apprendre que Bromeo s’est aquis deux cent Livres Sterling de rente dans les Fonds de l’Etat. On trouvera, sans doute, en tout cela, un grand travers d’Esprit, & ces deux humeurs paroîtront bien bizarres. Il n’y a pourtant rien de plus ordinaire que de voir des gens qui travaillent bien plus à passer les autres dans le chemin de la Fortune, qu’à se faire un Plan fixe pour leur propre bonheur.

Du Caffé de Guillaume, 2. Sept.

Mr. Dactile a prodigué, ce soir, son Esprit sur l’Art de tourner les choses en ridicule. Il a dit entre autres choses, avec beaucoup de raison, qu’en général ce Talent est mal placé dans une Compagnie d’honnêtes gens, à moins que l’on n’y ait des égards aux Temps, aux Lieux, & aux Personnes. « On ne doit s’en servir, a t-il ajouté, que comme on se sert de l’Epée, seulement pour la défensive, & contre les faux Beaux-Esprits. Le mauvais goût seul est cause que Virgile a plû à certaines gens, travesti en burlesque. On a cru qu’il y avoit de l’Esprit à mettre ainsi les plus belles choses du monde, à niveau avec les plus probables. Il n’y a proprement personne qui mérite d’être tourné en ridicule pour les defauts, que ceux qui tirent vanité de leurs imperfections, & qui prétendent se faire valoir par leurs Foibles. Tels sont les Poltrons, qui, pour contrefaire les Braves, en affectent la Mine & les manieres ; & tels sont aussi les Pedans qui, pour cacher leur ignorance, prennent l’Air Doctoral, &, le Ton décisif. Ils ne sont pas ridicules, les uns, parce qu’ils n’ont point de courage, & les autres, parce qu’ils ont peu de savoir ; mais parce qu’ils se déplacent eux-mêmes, & qu’ils veulent figurer avec des gens dont la Comparaison les rend méprisables.

A cette premiére Observation qui prouve que le Talent de la Raillerie est d’une Nature fort délicate, il faut ajouter, que la Risibilité, étant l’effet de la Raison, tout Homme qui rit sans raison doit être chassé des bonnes Compagnies. » Dactile alloit continuer ; mais à cette Reflexion le Sr. Truby, qui l’écoutoit, à fait un grand éclat de rire, & s’est écrié, Ha ! Ha ! Voilà qui est plaisant. Est ce qu’on me prescrira des regles pour m’apprendre quand je dois rire, & de qui je puis me moquer ? Plaisant vous même, lui a repondu Finet. Ne vous y trompez pas Vous faites du bruit ; à la bonne heure. Un Anglois doit avoir la liberté de faire de son visage tout ce qui lui plait. Mais si vous croyez qu’ouvrir la Bouche, s‘agiter les Poumons, & se tenir les côtez, ce soit rire, croyez m’en, mon Cher, vous ne savez pas ce que c’est. Le rire est une chose plus serieuse que vous pensez, & j’oserai vous dire, en ami, que vous n’avez ri de votre vie. J’apprehende même bien fort que cela ne vous arrive jamais, à moins que vous ne vous guerissiez de ces mouvemens convulsifs. Truby s’est éloigné là-dessus, en disant à dix pas de nous, Voilà des drôles de Corps, & est aussitôt retombé dans ses convulsions ordinaires.

Les Trubys sont des bonnes gens, qui ont cela de particulier qu’ils rient de ceux qu’ils estiment, avec le même plaisir, que les autres le font de ceux qu’ils méprisent. A leurs Eclats bruyans, à leurs contorsions quand ils rient, on voit la mesure de leur bienveuillance. Mais les Finets se contentent de soûrire dans les rencontres qui leur paroissent les plus divertissantes, & cette différence des uns aux autres vient bien plus de ce que leurs Organes sont autrement disposés, que de ce que les derniers sont moins frappés de l’Objet que ne le sont les premiers. Je connois des personnes qui se mettent de mauvaise humeur, lorsque Truby leur rit au nés ; pour moi, quand il me le fait, je lui en veux du bien, parce que je sai que c’est uniquement le plaisir qu’il a de me voir, qui le lui fait faire. On ne lui rend pas justice. Il ne rit point. Il ne sait que grossir sa voix, & l’articuler d’une façon singuliere. J’expliquerai tout cela quelque jour davantage. Ce sera dans un Traité auquel je travaille, sur le Bâaillement, le Rire, & le Ridicule.

De mon Cabinet, 2. Septembre.

On me louë, dans la Lettre suivante, d’une Vertu qui est à la portée de tout le monde. Cette Vertu consiste à faire un libre aveû de ses fautes. La Lettre pouvant donc être utile à tous mes Confreres les Auteurs, on ne trouvera pas mauvais que je la rende publique. La voici

« Monsieur,

Il faut reconnoître que de tous les Auteurs Mr. Biquerstaff est le plus ingenu. Ils sont rares, & même très-rares, ces Messieurs qui veulent bien avouer qu’ils sont en faute, dans les Occasions même où tout le monde convient qu’ils n’ont pas le Sens commun. Vous me pardonnerez, Monsieur, cette expression, pour la même raison pour laquelle vous nous priâtes, un jour, de vous excuser quand vous paroitriez insipide. La plupart des gens qui écrivent ressemblent aux Saints de Mr. Lorrain étoit alors le Chapelain de Newgate ou de la Prison, où l’on tient les Gens poursuivis criminellement, ou condamnés pour leur Crimes. Le chapelain les accompagne au lieu du Supplice, après les avoir bien sermonés dans la Chapelle. Mr. Lorrain avoit coûtume de faire imprimer une Relation des Gens suppliciez, où il rendoit compte & des Exhortations qu’il leur avoit adressées, & des Confessions qu’ils lui avoient faites. A son Compte la plûpart de ces gens-là mouroient fort penitens, & néanmoins chargés ou de peu de Crimes, ou de petits Crimes, & c’est-là ce qu’on apppelloit <sic> les Saints de Mr. Lorrain. On remarquoit sur tout, comme une chose bien singuliere, que ce que la plupart de ces Penitens se reprochoient avec le plus de douleur dans leurs Confessions, étoit d’avoir négligé le jour de Dimanche d’aller à l’Eglise, ou de l’avoir passé à jouer & à boire.Mr. Lorrain, qui semblent tirer Vanité de la dureté de Conscience avec laquelle ils meurent. Pour vous, Monsieur, vous donnez un meilleur exemple à vos Confreres. Non seulement vous confessez vos fautes, mais encore vous les corrigez de vôtre pur mouvement. Vous avez même poussé le bon Naturel jusqu’à découvrir dans la Lettre qu’on vous écrivit des beautez qu’assurement l’Ecrivain ne croyoit pas y avoir mises. Pour combler la mesure des honnêtetez, vous l’avez reconnu pour vôtre Parent, & quoique ce ne soit, selon vous que du côté gauche, il ne laisse pas d’en être très fier. Cet Ecrivain, qui est mon Frere, se trouvant à cette heure, fort occupé de rien, il m’a chargé de vous rendre grâces pour lui de tant de faveurs, & pour marque de sa Reconnoissance, de vous communiquer, l’Avis suivant qu’il juge être plus à la bienséance de vôtre Papier de Nouvelles, qu’à celle de tous les autres.

Voy. Cydessus. Tom. I. Art. 32.Madonelle, que l’on croyoit, depuis longtemps, avoir pris son vol vers la Region Etherée, marche encore dans celle de la Mortalité. Elle y a découvert, par les profondes reflexions qu’elle a faites sur la Revolution dont vous parliez, dans votre Feuille du 23. de Juin, Elle y a, dis-je, découvert, que faute d’Instructions, qui impriment, dès l’Enfance, la vraye idée des choses dans les ames tendres des personnes de son Sexe, elles ne peuvent jamais, dans la suite, parvenir à ce point de perfection, qui les eleve au-dessus des Loix de la Matiere, & du Mouvement ; Loix qui se fortifient considerablement par les Principes que l’on suce ordinairement ou avec le Lait, ou dans les Pensions. Pour remedier à ce desordre, elle a imaginé le Projet d’un College pour les jeunes Demoiselles, où au lieu de Ciseaux, d’Aiguilles, & de Patrons, elles n’auront que des plumes, des Compas, des Equerres, des Livres, des Manuscripts, du Grec, du Latin, & de l’Hebreu. Elles passeront tout leur temps à cela, si ce n’est les jours de Fête qu’on leur permettra de se divertir à l’exercice des Armes les plus legeres, & les plus ma-niables. Pour cet effet on aura soin de leur donner une Teinture, au moins superficielle, des Tactiques des Amazones tant anciennes que modernes. La direction de cette Discipline Militaire sera laissée à Les Clameurs de Sacheverel & de ses pareils, commencoient à mettre en mouvement des Femmes, qui donnerent un grand branle au relevement du Parti ToriMadame Epicare. Je croi qu’il veut parler de Mr. Freind, savant homme, & celebre Medecin, qui ayant accompagné Mylord Peterborouch en Espagne écrivit des Mémoires à l’avantage de ce Seigneur, & dans lesquels on pretendit qu’il avoit falsifié bien des choses. Ces Mémoires firent plaisir aux Toris parce qu’ils étoient desavantageux au Ministére.L’Auteur des Mémoires de la Mer Mediterranée, à l’aide de quelque Poison artificiel, pris par l’Odorat, a depuis quelques Semaines, conduit plusieurs Personnes des deux Sexes à une fin prématurée, & ce qu’il y a de plus surprenant, à l’aide des mêmes Odeurs, & contre l’usage de sa Profession, il en a ressuscité plusieurs autres qui depuis longtemps avoient passé le Fleuve d’Oubli. Cette Dame aura pour ajointe, dans la même Direction, une autre certaine Da-me, de laquelle nous allons avoir deux jolies Tout le monde sait que Mlle. Manley de la Riviere est l’Auteur de la nouvelle Atlantide. Quand aux Historiettes Saxons c’est un Tour très vieux & très rebatu parmi les Anglois de raconter sur la foi de quelque pretendu Manuscrit ou autrement, comme arrivées, dans la Cour de quelque Roi Saxon de leur Ile, les choses d’une Nature délicate, qu’ils publient, ou des Rois regnans, ou de leur Ministres. Mlle. Manley qui étoit Tori pourroit bien l’avoir fait.Historiettes Saxones, desquelles on dit que les Dames de la Reine Emma, ne firent pas moins d’estime qu’on en fait aujourd’hui à la Cour des Mémoires de la Nouvelle Atlantide. Je m’informerai, avec soin des progrez de cette Fondation savante, & ne manqueroi point de vous fournir les premiers avis des Transactions Philosophiques, & des Recherches de la Nature que la Societé produira : Je suis

Monsieur,

Vôtre Serviteur

Chapeu-Verd.

Article XXVIII. Du Jeudi 1. au Samedi, 31. Septembre. De la Maison de White, 2. Sept. Il m’a toujours paru que rien n’obscurcissoit davantage la gloire des Romains, que la coûtume, qu’ils avoient dans leurs Triomphes publics, d’y trainer, chargés de Chaines, les Ennemis qu’ils avoient faits Prisonniers. J’avoue que les Honneurs que l’on fait à un Heros rejaillissent sur la Nation qui l’a produit, & qu’en élevant l’un au-dessus des Hommes, on éleve l’autre au-dessus des Peuples. Mais ce qui m’a paru choquant, de la part d’une Nation civilisée & polie, c’est qu’il lui ait paru juste, qu’un Homme qui n’avoit d’autre défaut que celui d’être malheureux, & qui ne le cedoit en rien au Vainqueur que par le sort des Armes, fût attaché en Esclave au Char du Conquerant. Je ne blâmerai pas de même certaines autres Maximes dont on se fit des Loix dans ces Spectacles. On n’accordoit point l’honneur du Triomphe dans les Guerres Civiles, de peur qu’une partie du Peuple ne fût en pleurs pendant que l’autre seroit dans la joye. On ne l’accordoit point non plus, lorsqu’il n’y avoit pas un certain nombre d’Ennemis qui fussent morts dans la Bataille. On flétrissoit publiquement un Général, qui pour parvenir au Triomphe, auroit grossi la liste des Morts. Il y avoit en tout cela beaucoup de bon Sens, & de Politique profonde. Tout y tendoit manifestement au bien commun de la Republique. Mais je ne saurois concevoir ni du côté de la Nature, ni du côté de la Politique, ce qui fondoit le mauvais traitement auquel on exposoit alors les Vaincus. Cela ne pouvoit servir qu’à flatter l’Orgueil du Peuple Romain, & qu’à le rendre insolent : car dans le fond d’Action étoit inhumaine, & l’on y paroissoit moins triompher des Nations barbares qu’imiter leur barbarie. Chose étrange ! On rafinoit sur les soins de porter à leur comble les honneurs que l’on se proposoit, ce jour-là, de faire au Général conduit en triomphe. Il étoit, comme revêtu de l’Autorité Souveraine ; il n’y avoit point de Pouvoir qui fut au-dessus de lui dans la Ville ; les Consuls eux-mêmes, ne paroissoient le soir, à sa Table, qu’en qualité de simples Convives. Mais puis qu’ils y étoient invités, n’auroit on point dû penser que la présence du principal Prisonnier, invité comme eux, & y paroissant comme leur Egal, ne pouvoit que rendre la Compagnie plus belle & plus magnifique ? La joye du repas en auroit été plus complete & plus douce, & le Vainqueur auroit pu tirer plus de gloire, de ce que personne ne paroissoit malheureux ce jour-là, que de ce qu’il étoit le seul qui parût grand. Que si de ces jours si remarquables, par leur pompe & par leur rareté, nous passons au train commun de la vie, on verra que tous les Hommes sont, à peu près, ce que faisoient alors les Romains. Chacun aspire au triomphe & vous trouverez peu de gens qui n’aiment mieux être dans la souffrance pour paroître heureux, que d’être réellement heureux & paroître dans la souffrance. C’est à quoi sert la somptuosité des Equippages, la magnificence des Maisons, la multi-tude des Domestiques. C’est à quoi servent aussi tant de soucis, ou d’assujettissemens, que l’Ambition dicte, ou qu’éxige la Mode. Bromeo & Tabio, sont deux Hommes qui s’en veulent également, & qui se portent la même Envie. Le moyen infaillible de plaire à l’un, est de lui faire entrevoir quelque chose qui manque au bonheur de l’autre. Un Flatteur adroit, qui connoit le foible de ces deux Mortels, mene par-là Bromeo comme il veut. Ce dernier qui depuis peu a changé toute l’Oeconomie de sa Maison de Campagne, en montroit les Appartemens, & les dépendances à quelques Amis. C’est sa marote, il est toujours à faire, & à défaire. Mais le Parasite le prit d’un autre biais. Voilà, dit-il, le Plan que je proposai à Tabio quand il voulut rebatir. Je voulois qu’il abbatit de grands Arbres qui couvroient son jardin. Il ne daigna pas m’écouter, & je suis sûr, quand il verra vôtre Parterre, votre Potager, vos Allées, qu’il sera homme à se pendre. Après tout, il faut avouer de bonne foi que la disposition de son Terrain n’est pas heureuse. Quelque souci qu’il se donne pour travailler sur votre Modele, cette Si-tuation lui manquera toujours ; & d’ailleurs on n’est heureux que de la seconde main lors qu’on ne l’est qu’en qualité de Copiste. Il faut être fou à lier, repond Bromeo, pour songer à autre chose en tout cela qu’à se satisfaire soi-même. Pour moi, je ne cherche qu’à me contenter, je suis l’ostentation, & je ne connois rien de plus imprudent que de se régler sur l’Imagination des autres ; car ce n’est jamais fait. Après ces belles Sentences, dès qu’il sait que son Rival l’imite, il n’a rien de plus pressé que de faire, à sa Maison, des Changemens qui la rendent toujours superieure à celle de l’autre. Tel est leur malheur, qu’étant tous deux égaux en âge, en bien & en génie, leur émulation ne durera pas moins que leurs jours. Il y a quelque temps que Tabio s’estimoit le plus heureux, parce qu’il étoit le plus riche en Fonds de Terre. Il ne se croit pas heureux aujourd’hui, parce qu’il vient d’apprendre que Bromeo s’est aquis deux cent Livres Sterling de rente dans les Fonds de l’Etat. On trouvera, sans doute, en tout cela, un grand travers d’Esprit, & ces deux humeurs paroîtront bien bizarres. Il n’y a pourtant rien de plus ordinaire que de voir des gens qui travaillent bien plus à passer les autres dans le chemin de la Fortune, qu’à se faire un Plan fixe pour leur propre bonheur. Du Caffé de Guillaume, 2. Sept. Mr. Dactile a prodigué, ce soir, son Esprit sur l’Art de tourner les choses en ridicule. Il a dit entre autres choses, avec beaucoup de raison, qu’en général ce Talent est mal placé dans une Compagnie d’honnêtes gens, à moins que l’on n’y ait des égards aux Temps, aux Lieux, & aux Personnes. « On ne doit s’en servir, a t-il ajouté, que comme on se sert de l’Epée, seulement pour la défensive, & contre les faux Beaux-Esprits. Le mauvais goût seul est cause que Virgile a plû à certaines gens, travesti en burlesque. On a cru qu’il y avoit de l’Esprit à mettre ainsi les plus belles choses du monde, à niveau avec les plus probables. Il n’y a proprement personne qui mérite d’être tourné en ridicule pour les defauts, que ceux qui tirent vanité de leurs imperfections, & qui prétendent se faire valoir par leurs Foibles. Tels sont les Poltrons, qui, pour contrefaire les Braves, en affectent la Mine & les manieres ; & tels sont aussi les Pedans qui, pour cacher leur ignorance, prennent l’Air Doctoral, &, le Ton décisif. Ils ne sont pas ridicules, les uns, parce qu’ils n’ont point de courage, & les autres, parce qu’ils ont peu de savoir ; mais parce qu’ils se déplacent eux-mêmes, & qu’ils veulent figurer avec des gens dont la Comparaison les rend méprisables. A cette premiére Observation qui prouve que le Talent de la Raillerie est d’une Nature fort délicate, il faut ajouter, que la Risibilité, étant l’effet de la Raison, tout Homme qui rit sans raison doit être chassé des bonnes Compagnies. » Dactile alloit continuer ; mais à cette Reflexion le Sr. Truby, qui l’écoutoit, à fait un grand éclat de rire, & s’est écrié, Ha ! Ha ! Voilà qui est plaisant. Est ce qu’on me prescrira des regles pour m’apprendre quand je dois rire, & de qui je puis me moquer ? Plaisant vous même, lui a repondu Finet. Ne vous y trompez pas Vous faites du bruit ; à la bonne heure. Un Anglois doit avoir la liberté de faire de son visage tout ce qui lui plait. Mais si vous croyez qu’ouvrir la Bouche, s‘agiter les Poumons, & se tenir les côtez, ce soit rire, croyez m’en, mon Cher, vous ne savez pas ce que c’est. Le rire est une chose plus serieuse que vous pensez, & j’oserai vous dire, en ami, que vous n’avez ri de votre vie. J’apprehende même bien fort que cela ne vous arrive jamais, à moins que vous ne vous guerissiez de ces mouvemens convulsifs. Truby s’est éloigné là-dessus, en disant à dix pas de nous, Voilà des drôles de Corps, & est aussitôt retombé dans ses convulsions ordinaires. Les Trubys sont des bonnes gens, qui ont cela de particulier qu’ils rient de ceux qu’ils estiment, avec le même plaisir, que les autres le font de ceux qu’ils méprisent. A leurs Eclats bruyans, à leurs contorsions quand ils rient, on voit la mesure de leur bienveuillance. Mais les Finets se contentent de soûrire dans les rencontres qui leur paroissent les plus divertissantes, & cette différence des uns aux autres vient bien plus de ce que leurs Organes sont autrement disposés, que de ce que les derniers sont moins frappés de l’Objet que ne le sont les premiers. Je connois des personnes qui se mettent de mauvaise humeur, lorsque Truby leur rit au nés ; pour moi, quand il me le fait, je lui en veux du bien, parce que je sai que c’est uniquement le plaisir qu’il a de me voir, qui le lui fait faire. On ne lui rend pas justice. Il ne rit point. Il ne sait que grossir sa voix, & l’articuler d’une façon singuliere. J’expliquerai tout cela quelque jour davantage. Ce sera dans un Traité auquel je travaille, sur le Bâaillement, le Rire, & le Ridicule. De mon Cabinet, 2. Septembre. On me louë, dans la Lettre suivante, d’une Vertu qui est à la portée de tout le monde. Cette Vertu consiste à faire un libre aveû de ses fautes. La Lettre pouvant donc être utile à tous mes Confreres les Auteurs, on ne trouvera pas mauvais que je la rende publique. La voici « Monsieur, Il faut reconnoître que de tous les Auteurs Mr. Biquerstaff est le plus ingenu. Ils sont rares, & même très-rares, ces Messieurs qui veulent bien avouer qu’ils sont en faute, dans les Occasions même où tout le monde convient qu’ils n’ont pas le Sens commun. Vous me pardonnerez, Monsieur, cette expression, pour la même raison pour laquelle vous nous priâtes, un jour, de vous excuser quand vous paroitriez insipide. La plupart des gens qui écrivent ressemblent aux Saints de Mr. Lorrain étoit alors le Chapelain de Newgate ou de la Prison, où l’on tient les Gens poursuivis criminellement, ou condamnés pour leur Crimes. Le chapelain les accompagne au lieu du Supplice, après les avoir bien sermonés dans la Chapelle. Mr. Lorrain avoit coûtume de faire imprimer une Relation des Gens suppliciez, où il rendoit compte & des Exhortations qu’il leur avoit adressées, & des Confessions qu’ils lui avoient faites. A son Compte la plûpart de ces gens-là mouroient fort penitens, & néanmoins chargés ou de peu de Crimes, ou de petits Crimes, & c’est-là ce qu’on apppelloit <sic> les Saints de Mr. Lorrain. On remarquoit sur tout, comme une chose bien singuliere, que ce que la plupart de ces Penitens se reprochoient avec le plus de douleur dans leurs Confessions, étoit d’avoir négligé le jour de Dimanche d’aller à l’Eglise, ou de l’avoir passé à jouer & à boire.Mr. Lorrain, qui semblent tirer Vanité de la dureté de Conscience avec laquelle ils meurent. Pour vous, Monsieur, vous donnez un meilleur exemple à vos Confreres. Non seulement vous confessez vos fautes, mais encore vous les corrigez de vôtre pur mouvement. Vous avez même poussé le bon Naturel jusqu’à découvrir dans la Lettre qu’on vous écrivit des beautez qu’assurement l’Ecrivain ne croyoit pas y avoir mises. Pour combler la mesure des honnêtetez, vous l’avez reconnu pour vôtre Parent, & quoique ce ne soit, selon vous que du côté gauche, il ne laisse pas d’en être très fier. Cet Ecrivain, qui est mon Frere, se trouvant à cette heure, fort occupé de rien, il m’a chargé de vous rendre grâces pour lui de tant de faveurs, & pour marque de sa Reconnoissance, de vous communiquer, l’Avis suivant qu’il juge être plus à la bienséance de vôtre Papier de Nouvelles, qu’à celle de tous les autres. Voy. Cydessus. Tom. I. Art. 32.Madonelle, que l’on croyoit, depuis longtemps, avoir pris son vol vers la Region Etherée, marche encore dans celle de la Mortalité. Elle y a découvert, par les profondes reflexions qu’elle a faites sur la Revolution dont vous parliez, dans votre Feuille du 23. de Juin, Elle y a, dis-je, découvert, que faute d’Instructions, qui impriment, dès l’Enfance, la vraye idée des choses dans les ames tendres des personnes de son Sexe, elles ne peuvent jamais, dans la suite, parvenir à ce point de perfection, qui les eleve au-dessus des Loix de la Matiere, & du Mouvement ; Loix qui se fortifient considerablement par les Principes que l’on suce ordinairement ou avec le Lait, ou dans les Pensions. Pour remedier à ce desordre, elle a imaginé le Projet d’un College pour les jeunes Demoiselles, où au lieu de Ciseaux, d’Aiguilles, & de Patrons, elles n’auront que des plumes, des Compas, des Equerres, des Livres, des Manuscripts, du Grec, du Latin, & de l’Hebreu. Elles passeront tout leur temps à cela, si ce n’est les jours de Fête qu’on leur permettra de se divertir à l’exercice des Armes les plus legeres, & les plus ma-niables. Pour cet effet on aura soin de leur donner une Teinture, au moins superficielle, des Tactiques des Amazones tant anciennes que modernes. La direction de cette Discipline Militaire sera laissée à Les Clameurs de Sacheverel & de ses pareils, commencoient à mettre en mouvement des Femmes, qui donnerent un grand branle au relevement du Parti ToriMadame Epicare. Je croi qu’il veut parler de Mr. Freind, savant homme, & celebre Medecin, qui ayant accompagné Mylord Peterborouch en Espagne écrivit des Mémoires à l’avantage de ce Seigneur, & dans lesquels on pretendit qu’il avoit falsifié bien des choses. Ces Mémoires firent plaisir aux Toris parce qu’ils étoient desavantageux au Ministére.L’Auteur des Mémoires de la Mer Mediterranée, à l’aide de quelque Poison artificiel, pris par l’Odorat, a depuis quelques Semaines, conduit plusieurs Personnes des deux Sexes à une fin prématurée, & ce qu’il y a de plus surprenant, à l’aide des mêmes Odeurs, & contre l’usage de sa Profession, il en a ressuscité plusieurs autres qui depuis longtemps avoient passé le Fleuve d’Oubli. Cette Dame aura pour ajointe, dans la même Direction, une autre certaine Da-me, de laquelle nous allons avoir deux jolies Tout le monde sait que Mlle. Manley de la Riviere est l’Auteur de la nouvelle Atlantide. Quand aux Historiettes Saxons c’est un Tour très vieux & très rebatu parmi les Anglois de raconter sur la foi de quelque pretendu Manuscrit ou autrement, comme arrivées, dans la Cour de quelque Roi Saxon de leur Ile, les choses d’une Nature délicate, qu’ils publient, ou des Rois regnans, ou de leur Ministres. Mlle. Manley qui étoit Tori pourroit bien l’avoir fait.Historiettes Saxones, desquelles on dit que les Dames de la Reine Emma, ne firent pas moins d’estime qu’on en fait aujourd’hui à la Cour des Mémoires de la Nouvelle Atlantide. Je m’informerai, avec soin des progrez de cette Fondation savante, & ne manqueroi point de vous fournir les premiers avis des Transactions Philosophiques, & des Recherches de la Nature que la Societé produira : Je suis Monsieur, Vôtre Serviteur Chapeu-Verd.