Article XXVI. Armand de Boisbeleau de La Chapelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Herausgeber Michael Hammer Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Mitarbeiter Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Pia Mayer Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 30.07.2019

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Armand de Boisbeleau de La Chapelle: Le Philosophe Nouvelliste, traduit de l’Anglois de Mr. Steele par A.D.L.C. Tome Second. Amsterdam: François Changuion 1735, 272-288, Le Philosophe nouvelliste 2 026 1735 Frankreich
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Article XXVI.

Du Samedi 27. au Mardi 30. Août 1709.

De la Maison White, 29. Août.

De toutes les Phrases regnantes, il n’y en a point où je me trompe plus souvent que lors qu’on dit de certaines personnes qu’elles ont beaucoup de feu. Je sai que le terme metaphorique de feu, nous a fait beaucoup de bien en ce qu’il porte les Fanfarons à se craindre les uns les autres ; mais je sai aussi que c’est cela même qui les rend si incommodes à tout le reste du monde. A leur seul air on découvre si aisement ce qu’ils cherchent que l’on n’ose en rire, quelque tentation qu’on en ait.

Le sort voulut que hier je passasse la soirée avec deux Hommes de ce Caractére ; car, de même que les Myrmidons, ils sont répandus dans tous les quartiers de la Ville, & l’on en trouve dans les professions les plus differentes. Des deux avec qui je me trouvai, l’un avoit étudié, & l’autre étoit homme d’Epée. Le savant disputoit sur tout, sans que personne l’agaçât ou le contredît. Le Guerrier decidoit de tout sans rien dire, & prononcent son avis par un froncement de sourcil, ou par un ferment. Celui-ci n’étoit qu’un pur Ecolier, & celui-là n’étoit qu’un pur Soldat. Dans leur singularitez specifiques, le premier étoit visible, & le second étoit terrible ; mais comme ils étoient proches parens, cette consideration leur donnoit, entre eux, quelque retenue qui temperoit leur im-pertinence. Je me donnai bien garde de vouloir figurer pour quelque chose dans leur Compagnie. Je parus n’y venir que pour leur donner le plaisir de me montrer leur mérite, & d’avoir un temoin de leur superiorité. L’Homme de Lettres n’a vû que des Livres, & l’Homme d’Epée n’a vû que le monde. Ils ne sont donc que superficiels, chacun en son genre ; car la connoissance des Livres est necessaire pour paroître dans le monde avec avantage, & la connoissance du monde l’est aussi pour entendre les Livres. Mais tous deux ont du feu ; ce qui fait regarder, l’un comme un habile homme, & l’autre comme un galant homme. Il ma paru que j’aurois pu passer assez bien mon temps avec le premier ; car il se contentoit de hausser les épaules & de me regarder en pitié, lorsqu’il m’arrivoit de n’être pas de son sentiment, ou de ne pas sentir tout son mérite. L’autre ne se bornoit point à cela. Il falloit que je souscrivisse aux minces Observations qu’il avoit faites sur la matiere de la guerre, de même qu’au mepris indolent dont il parloit de plusieurs personnes qui s’y sont le plus distinguées Voilà où nous en sommes. A la faveur de ses passions, le plus petit genie, a fait, à peine, une seule Campagne, qu’il croit y avoir aquis du feu, & s’imagine être en droit de s’emparer de la Conversation parmi les personnes les plus éclairées.

Que dans le tête à tête un Amant ait besoin de ce feu pour entretenir sa Maîtresse ; je le crois & j’y consens ; mais qu’on le fasse entrer aussi dans les parties de plaisir entre honnêtes gens & que l’on croye vanter un homme qui y dit d’insipides impertinences, en disant qu’il a beaucoup de feu, c’est ce que je ne comprends pas. Quel divertissement peut on prendre avec le Colonel Du Tricot, qui a toujours ses gens prêts a vous coucher en jouë ; qui s’emporte dès qu’on lui conteste un rien, & qui ne changea jamais d’avis non par opiniâtreté, mais par pure Bêtise ?

C’est un grand malheur pour cette Ville, qu’il suffise d’avoir appris, les manieres, les Modes, & les complimens ordinaires, pour y passer, sans autres perfections, pour gens de sens & de commerce. Peut-être ne faut il s’en prendre qu’à la liberté du païs. Il est pourtant vrai qu’avec un mérite si min-ce, on devroit s’estimer trop heureux de ne point choquer ; mais que l’on choque ou non, le feu doit faire tout passer, & le courage est bon à montrer. Cependant si cela s’appelle courage, on prendroit de même le Cheval vicieux pour le Cheval Fringant. Le faux Brave ressemble parfaitement au premier. Aussi est il la terreur des Auberges, & des Laquais.

Le feu qui anime l’aimable Marin est bien different. Ce jeune Gentilhomme, est affable, officieux, équitable ; L’Auteur veut parler de quelque Gentilhomme Officier de Marine.Il est dans son Vaisseau, ce que sont les Intelligences dans les Globes qu’elles conduisent. Il est comme l’Ame qui donne à tout le reste le mouvement & la vie. Il ne montre de vivacité que dans sa promptitude à remplir ses devoirs, & que dans son attention à s’en bien aquitter. Cette Activité qui n’est jamais employée qu’à faire des choses louables, est le Çaractére certain d’un Homme de Mérite, au lieu que le feu du Caractére opposé ne consiste qu’à être toujours dans le faux, & à n’en démordre jamais.

De la Maison de Guillaume, 29. Août.

Les Ecrits, qui comme le mien, tiennent quelque chose de la Satyre, ont tous un côté qui previent contre eux bien des gens. On dit que ces Ecrits nuisent à la reputation des personnes, & que par la même ils sont aussi préjudicables à leur intérêt. L’Objection est dans la bouche de presque tout le monde, & ce soir elle a été faite dans la Compagnie. Un Homme d’esprit, qui en étoit, a dit au contraire, que ce que l’on reprochoit à cette espece d’Ouvrage, étoit précisement, à son avis, ce qui en faisoit le mérite. « Je voudrois seulement, a-t-il ajouté, que les Auteurs s’astreignissent à certaines restrictions convenables. En effet les défauts, qui sont le plus de desordre dans la Societé, sont souvent, d’une telle nature que les Tribunaux Humains n’en connoissent point, ou ne sauroient en connoître. Prenons en pour l’exemple, celui de l’ingratitude. Il y a des cas où le Bienfait ôte, par lui-même, au Bienfaiteur, tout moyen de se faire rendre justice, & cependant alors la Personne, qui a reçu la faveur, n’en est que plus indispensablement obligée à la reconnoissance. Faut-il donc, en circonstance pareille, que le vice demeure impuni, & n’est-il pas juste que l’on flêtrisse, par quelque endroit, des gens qui sont tout ce qui se peut de plus indigne, sans pêcher contre les Loix du Païs ? Ces mêmes Loix ne permettent-elles pas de leur imprimer la flêtrissure ? Et n’est ce pas, sous leur protection, qu’on attaque les Vicieux, en leur laissant le même moyen de défense ? Il me paroit donc que c’est une action moralement très bonne que de reprendre ces Vicieux, d’une façon indirecte, & que de les tourner en ridicule sous des noms supposez. »

A cette Occasion je dois dire, ce que j’ai appris par une Lettre en daté du 25. On m’y avertit que toute la Ville est fort curieuse de savoir qui est ce Mr. le Cuivre, dont je parlois il y a quelques jours. Je sai que les personnes, qui sentent en leur conscience, n’avoir que trop mérité ce nom-là, m’ont imputé d’avoir voulu désigner un de nos riches BourgeoisOn pretendoit que ce fut le Chevalier Mackworth, qui étoit Gouverneur d’une Compagnie érigée pour travailler aux Mines de Cuivre en Angleterre, & connue vulgairement sous le nom du Copper-Office, ou Bureau de Cuivre., que l’on nomme. On a tort, je n’ai imaginé ce mot que sur une idée tout-à-fait générale. Il m’a paru convenir à la Leçon que je voulois doner <sic> au sujet des Richesses ; c’est que celles qui ne sont aquises, en tout, ou en partie, que par les Extorsions, & que par les Injustices, perdent véritablement leur prix, & appauvrissent le Possesseur à proportion de ce gain deshonnête. Dans ce sens moral, tout l’Or que l’on arrache à ses Voisins, en tirant avantage de leur Misere, se change en Cuivre, & n’est pas autre chose. Nos Banquiers n’ont qu’à prendre là-dessus leur mesures. Je leur donne pouvoir de se distinguer en deux Classes ; l’une, de ceux qui négocient en Or, & l’autre, de ceux qui négocient en Cuivre. A la premiére se rapporteront ceux qui se contentant d’un honnête profit ne cherchent pas moins l’avantage d’autrui que le leur ; & dans la seconde on mettra ceux qui, sans conscience, & sans honneur, attrappent tout ce qu’ils peuvent. Si les plus coupables, parmi ces derniers, prennent ceci particuliérement sur leur compte, qu’ils se consolent du mépris que l’on fait de leur personne par les biens qu’ils possedent.

Mais disons aussi un mot de Stentor, Il continuë opiniatrement à faire bruire sa Voix dans une Cathedrale. Les mépris, qu’il a fait de mes avis, lui en ont attiré d’autres d’une part qu’il devroit au moins respecter. C’est d’une Il veut parler du Dr. Tennisson, Archévêque de Cantorbery, qui fut toujours très zélé tant pour les libertés Civiles, que pour la Religion Protestante. Dans les Ordres sacrés depuis le Retablissement des Stuarts, & successivément Chapelain de Deux Comtes de Manchester, & de Charles II. Il fut ensuite Vicaire de la Paroisse de St. Martin des Champs, élévé au Siége de Lincoln en 1691., & celui de Cantorbery après la mort du Dr. Tillotson auquel il succeda le 10. de Janvier 1695. Il étoit donc déjà fort agé en 1709. ; il vecut jusqu’au regne de George I. qu’il eut le plaisir devoir sur le Thrône.Personne non moins illustre par son Esprit que par sa Pitié. Elle se ressent quelquefois à l’Eglise des infir-mitez d’une grande Vieillesse. Autrefois très attentive au Service divin, elle y est à présent un peu sujette au Sommeil. Cinquante ans de travail ne peuvent qu’avoit appesanti ce grand Homme, & l’on pourra bien dire de sa mort, lorsqu’elle arrivera, ce qu’on dit de celle des Saints, qu’il s’est endormi. L’innocence de sa Vie lui fait attendre en effet ce dernier moment, avec la même tranquillité que l’on attend d’ordinaire celui du repos. Il ignore si peu les foiblesses à quoi son age l’expose, qu’il est le premier à en rire. C’est dans ce Stile de plaisanterie qu’il en a parlé à On doit se souvenir que ce Stentor est le fameux Ministre Sachevarell. Ce fut le 15. d’Août 1709., qu’il précha aux Assizes de Derby un de ces Sermons Seditieux pour lesquels il sut poursuivi par les Communes. La Piéce couroit déja imprimée, & faisoit grand bruit, lorsque Mr. Steele écrivoit cette Feuille.Stentor. Mon Frere, lui dit-il, je vous prie, pour le repos de l’Eglise, de suivre les Conseils que Mr. Biquerstaff vous a donnez. Considerez que le bruit que vous faites dans vos dévotions à St. Paul est la Cathédrale de Londres, & St. Pierre est celle de Westminster où le Parlement s’assemble. L’Auteur veut dire que les Ministres d’Etat, & autres bien intentionnez pour le Gouvernement, ne voyoient pas, sans de grandes inquietudes, la fougue de ce Prédicateur, & en craignoient les suites tant pour le repos de l’Etat même, que pour celui de l’Eglise.St. Paul, nous empêche de dormir à St. Pierre.

De mon Cabinet, 29. Août.

On m’a proposé depuis peu, la question la plus difficile que j’aye eû à vuider depuis que je me mêle d’Astrologie. On me demande, combien, & jusqu’à quel âge les Femmes doivent faire leur principal de la Beauté ? Je reponds d’abord en général qu’il n’y a point de regles fixes, parce que la difference de leurs Temperamens en met beaucoup dans le soin qu’elles prennent de leur personnes ; mais s’il m’est permis d‘examiner avec plus de précision un Point si délicat, je dirai, sans avoir dessein de les offenser, qu’à prendre moins de soin de leurs personnes, & à remployer mieux, elles étendroient le pouvoir de leur charmés, & ne le seroient pas moins durer que la vie. Il en est autrement dans leur conduite commune. Nous formons nos jugemens sur le leur. Le seul mérite qu’elles se reconnoissent, est aussi le seul que nous devions leur reconnoître, & toute Femme, qui ne s’estime que pour sa Beauté, doit trouver juste, qu’on l’estime belle qu’entant qu’elle est belle.

Il y a, certainement, dans l’éducation des Femmes, de même que dans celle des Hommes, une différence de bon goût ou de Pedanterie, qui decide dé la durée de leur Mérite. Une Fille qui a été élevée dans une liberté honnête, & qui toute sa Vie a vû le monde, considere les Hommes par les qualités qui les caracterisent, & par les distinctions qui les differencient. Mais celle, que la contrainte a mis hors d’état de faire ce discernement, ne voit, dans les Hommes, que ce qu’ils ont de commun, & pour elle le Cocher de son Pére n’est pas un Cocher, mais un Homme. Les Femmes, à leur tour, ne sont pour nous que ce que nous sommes pour Elles. Celles qui songent à se faire valoir par les qualités estimables de l’Esprit & du Cœur, se font considerer par ces endroits, independemment de leur Sexe, & celles qui ne veulent être que Femme ne sont point autre chose à nos yeux, cet Objet étant le seul à leur propre jugement, qui leur donne du prix, ou qui puisse les faire rechercher des Hommes. J’en conclus que la grande Regle que doit se prescrire une Femme, qui veut plaire longtemps, est de se faire un Mérite qui la mette en droit de plaire, quand bien elle ne seroit pas Femme.

Que la belle Cleomire nous montre donc son vrai Visage, & qu’elle aprenne de moi, que comme chaque âge a ses charmes qui lui appartiennent en propre, il n’est point nécessaire à cinquante ans de revenir à quinze. Le Vermillon, qu’elle met sur ses jouës, pour reparoître Enfant, est aussi ridicule à présent, qu’il l’auroit été dans ce premier temps de la vie où cette couleur lui fut naturelle. Elle ne manque pas de bon sens, & le bon sens auroit dû lui dire que la Nature nous suit, quelques efforts que nous fassions pour la fuir. Je me souviens d’avoir vû cette Dame chez son Grand Pere que j’allois voir quelquefois. Elle avoit alors toute la fleur de la jeunesse, l’Air riant, & la douceur la plus engageante. Quoique le temps l’ait changée, ses agrémens ne sont pas moindres, bien que d’autre espece. Son abord est aimable, son Air majestueux, sa Sagesse solide. Mais son cœur étoit si attaché à son mérite passé, qu’elle ne fait aucun cas de celui d’à présent, si tant est même que le mépris qu’elle en fait n’aille pas au dépit. Est ce donc qu’elle blâmeroit dans les autres une conduite plus posée ? Point du tout ; car elle recommande perpétuellement à sa Fille le serieux, la circonspection, & la retenuë. Mais c’est le monde renversé. On a été prude à vingt ans, & l’on veut être Coquette à soixante.

Ce derangement ne vient guére que de l’Education que l’on donne au Beau-Sexe. Cette Education est inconcevable dans les Méthodes que l’on s’y prescrit. Il ne se peut rien de plus bizarre. Il n’y a rien de certain & de fixe. J’allai l’autre jour rendre visite à une Dame de ma connoissance. Elle avoit auprès d’Elle sa Fille, à laquelle je demandai civilement comment elle se portoit. Monsieur, me repondit cet Enfant, je ne parle point aux Hommes. En sortant de là, j’entrai dans une autre Maison, & rencontrant aussi la Fille avec la Mere, je fis la même question à cette jeune personne. Qu’est ce que cela vous fait, vieux Coquin ? me repondit elle, en me donnant un petit coup sur l’Epaule.

A moins que de connoître l’interieur des Familles, je défie qui que ce soit de savoir si sa Visite fera plaisir ou non, à celle où l’on entre pour la premiere fois. Vous ne trouverez point de Maison dans laquelle il n’y ait ou quelque Vieille folle, qui s’est mise en possession d’y regler tout à tors & à travers, & dont l’Empire ne finit qu’avec la vie, ou quelque jeune Ecervellée, qui s’en faisant accroire à cause de sa beauté, donne toutes ses Sottises pour des Oracles. Je n’ose dire tout ce que j’en pense, parce qu’il se pourroit bien qu’à l’exemple des autres Vieillards, je ne trouve plus rien de beau & de bon que ce qui me parut tel dans ma jeunesse. Il est pourtant certain que le goût des Graces, & de la Beauté est fort baissé à présent. Ce que l’on me montre aujourd’hui pour des Femmes parfaitement belles, ne sont tout au plus que de jolies personnes qui connurent C’étoit une Comtesse dont j’ai oublié le nom. Je croi que c’est celle de Dorset. Sachariste, lorsque tout le monde repetoit les beaux Vers qu’elle avoit inspirés ; ou C’étoit la Duchesse de Cleveland, Maîtresse de Charles II. Roi d’Angleterre.Villerie, lors qu’elle voyoit à ses pieds un jeune Monarque. Aujourd’hui, l’on court & l’on chante des Objets qu’autrefois on auroit renvoyez comme de petites Filletes à la Quenouille ou au Coussin. Elles sont proprement mises ; aussi le sont leur Lingeres. Elles sont jolies ; aussi le sont leurs Servantes. Où est ce port charmant, & cet Air de Majesté ? Où sont ces attraits irresistibles de la Personne que leur Esprit & leur Conversation rendoit, de mon tems, encore plus frappans, & plus animés ? Voilà, me dit-on, le langage des Vieilles gens. A la bonne heure j’en suis plus jeune. Cela est vrai, & j’en suis ravi, puisque j’ai dispense d’age d’en conter à nos jeunes Dames.

Parmi celles qui pointillent le plus sur les bienséances, il y en a qui en sortent tout-à-fait, à force d’outrer, à cet égard, le scrupule. Nous avons ici cinq jeunes Dames qui se sont aquis une grande réputation de Mœurs severes, & de Conduite réglée. Leurs Amans, qui vou-loient de les regaler d’un Concert suivi de quelque Collation, ne purent jamais les y faire consentir, tant qu’ils ne parlerent que des Maisons, & des Lieux, où cela se fait ordinairement tous les jours. Enfin ils s’aviserent de proposer les Orgues dans une Eglise, & la repugnance cessa. On alla aux Orgues, & pour le rafraichissement de ces Dames, de même que pour leur édification, elles eurent un repas, & quelques Chansons d’Opéra. Ces Personnes-là, qui passent pour avoir tant de prudence, en auroient elles eu moins, si elles eussent accepté l’invitation dans une Auberge ? On auroit de la peine à le dire ; mais je sai bien que des Caprices, & des Contraintes de cette Nature ne contribuent pas à faire êstimer le Beau-Sexe, & nous mettent souvent dans l’embarras d’y démêler cette douceur dans l’inclination, & cette simplicité dans les Mœurs, qui en font tout le mérite durable.

Article XXVI. Du Samedi 27. au Mardi 30. Août 1709. De la Maison White, 29. Août. De toutes les Phrases regnantes, il n’y en a point où je me trompe plus souvent que lors qu’on dit de certaines personnes qu’elles ont beaucoup de feu. Je sai que le terme metaphorique de feu, nous a fait beaucoup de bien en ce qu’il porte les Fanfarons à se craindre les uns les autres ; mais je sai aussi que c’est cela même qui les rend si incommodes à tout le reste du monde. A leur seul air on découvre si aisement ce qu’ils cherchent que l’on n’ose en rire, quelque tentation qu’on en ait. Le sort voulut que hier je passasse la soirée avec deux Hommes de ce Caractére ; car, de même que les Myrmidons, ils sont répandus dans tous les quartiers de la Ville, & l’on en trouve dans les professions les plus differentes. Des deux avec qui je me trouvai, l’un avoit étudié, & l’autre étoit homme d’Epée. Le savant disputoit sur tout, sans que personne l’agaçât ou le contredît. Le Guerrier decidoit de tout sans rien dire, & prononcent son avis par un froncement de sourcil, ou par un ferment. Celui-ci n’étoit qu’un pur Ecolier, & celui-là n’étoit qu’un pur Soldat. Dans leur singularitez specifiques, le premier étoit visible, & le second étoit terrible ; mais comme ils étoient proches parens, cette consideration leur donnoit, entre eux, quelque retenue qui temperoit leur im-pertinence. Je me donnai bien garde de vouloir figurer pour quelque chose dans leur Compagnie. Je parus n’y venir que pour leur donner le plaisir de me montrer leur mérite, & d’avoir un temoin de leur superiorité. L’Homme de Lettres n’a vû que des Livres, & l’Homme d’Epée n’a vû que le monde. Ils ne sont donc que superficiels, chacun en son genre ; car la connoissance des Livres est necessaire pour paroître dans le monde avec avantage, & la connoissance du monde l’est aussi pour entendre les Livres. Mais tous deux ont du feu ; ce qui fait regarder, l’un comme un habile homme, & l’autre comme un galant homme. Il ma paru que j’aurois pu passer assez bien mon temps avec le premier ; car il se contentoit de hausser les épaules & de me regarder en pitié, lorsqu’il m’arrivoit de n’être pas de son sentiment, ou de ne pas sentir tout son mérite. L’autre ne se bornoit point à cela. Il falloit que je souscrivisse aux minces Observations qu’il avoit faites sur la matiere de la guerre, de même qu’au mepris indolent dont il parloit de plusieurs personnes qui s’y sont le plus distinguées Voilà où nous en sommes. A la faveur de ses passions, le plus petit genie, a fait, à peine, une seule Campagne, qu’il croit y avoir aquis du feu, & s’imagine être en droit de s’emparer de la Conversation parmi les personnes les plus éclairées. Que dans le tête à tête un Amant ait besoin de ce feu pour entretenir sa Maîtresse ; je le crois & j’y consens ; mais qu’on le fasse entrer aussi dans les parties de plaisir entre honnêtes gens & que l’on croye vanter un homme qui y dit d’insipides impertinences, en disant qu’il a beaucoup de feu, c’est ce que je ne comprends pas. Quel divertissement peut on prendre avec le Colonel Du Tricot, qui a toujours ses gens prêts a vous coucher en jouë ; qui s’emporte dès qu’on lui conteste un rien, & qui ne changea jamais d’avis non par opiniâtreté, mais par pure Bêtise ? C’est un grand malheur pour cette Ville, qu’il suffise d’avoir appris, les manieres, les Modes, & les complimens ordinaires, pour y passer, sans autres perfections, pour gens de sens & de commerce. Peut-être ne faut il s’en prendre qu’à la liberté du païs. Il est pourtant vrai qu’avec un mérite si min-ce, on devroit s’estimer trop heureux de ne point choquer ; mais que l’on choque ou non, le feu doit faire tout passer, & le courage est bon à montrer. Cependant si cela s’appelle courage, on prendroit de même le Cheval vicieux pour le Cheval Fringant. Le faux Brave ressemble parfaitement au premier. Aussi est il la terreur des Auberges, & des Laquais. Le feu qui anime l’aimable Marin est bien different. Ce jeune Gentilhomme, est affable, officieux, équitable ; L’Auteur veut parler de quelque Gentilhomme Officier de Marine.Il est dans son Vaisseau, ce que sont les Intelligences dans les Globes qu’elles conduisent. Il est comme l’Ame qui donne à tout le reste le mouvement & la vie. Il ne montre de vivacité que dans sa promptitude à remplir ses devoirs, & que dans son attention à s’en bien aquitter. Cette Activité qui n’est jamais employée qu’à faire des choses louables, est le Çaractére certain d’un Homme de Mérite, au lieu que le feu du Caractére opposé ne consiste qu’à être toujours dans le faux, & à n’en démordre jamais. De la Maison de Guillaume, 29. Août. Les Ecrits, qui comme le mien, tiennent quelque chose de la Satyre, ont tous un côté qui previent contre eux bien des gens. On dit que ces Ecrits nuisent à la reputation des personnes, & que par la même ils sont aussi préjudicables à leur intérêt. L’Objection est dans la bouche de presque tout le monde, & ce soir elle a été faite dans la Compagnie. Un Homme d’esprit, qui en étoit, a dit au contraire, que ce que l’on reprochoit à cette espece d’Ouvrage, étoit précisement, à son avis, ce qui en faisoit le mérite. « Je voudrois seulement, a-t-il ajouté, que les Auteurs s’astreignissent à certaines restrictions convenables. En effet les défauts, qui sont le plus de desordre dans la Societé, sont souvent, d’une telle nature que les Tribunaux Humains n’en connoissent point, ou ne sauroient en connoître. Prenons en pour l’exemple, celui de l’ingratitude. Il y a des cas où le Bienfait ôte, par lui-même, au Bienfaiteur, tout moyen de se faire rendre justice, & cependant alors la Personne, qui a reçu la faveur, n’en est que plus indispensablement obligée à la reconnoissance. Faut-il donc, en circonstance pareille, que le vice demeure impuni, & n’est-il pas juste que l’on flêtrisse, par quelque endroit, des gens qui sont tout ce qui se peut de plus indigne, sans pêcher contre les Loix du Païs ? Ces mêmes Loix ne permettent-elles pas de leur imprimer la flêtrissure ? Et n’est ce pas, sous leur protection, qu’on attaque les Vicieux, en leur laissant le même moyen de défense ? Il me paroit donc que c’est une action moralement très bonne que de reprendre ces Vicieux, d’une façon indirecte, & que de les tourner en ridicule sous des noms supposez. » A cette Occasion je dois dire, ce que j’ai appris par une Lettre en daté du 25. On m’y avertit que toute la Ville est fort curieuse de savoir qui est ce Mr. le Cuivre, dont je parlois il y a quelques jours. Je sai que les personnes, qui sentent en leur conscience, n’avoir que trop mérité ce nom-là, m’ont imputé d’avoir voulu désigner un de nos riches BourgeoisOn pretendoit que ce fut le Chevalier Mackworth, qui étoit Gouverneur d’une Compagnie érigée pour travailler aux Mines de Cuivre en Angleterre, & connue vulgairement sous le nom du Copper-Office, ou Bureau de Cuivre., que l’on nomme. On a tort, je n’ai imaginé ce mot que sur une idée tout-à-fait générale. Il m’a paru convenir à la Leçon que je voulois doner <sic> au sujet des Richesses ; c’est que celles qui ne sont aquises, en tout, ou en partie, que par les Extorsions, & que par les Injustices, perdent véritablement leur prix, & appauvrissent le Possesseur à proportion de ce gain deshonnête. Dans ce sens moral, tout l’Or que l’on arrache à ses Voisins, en tirant avantage de leur Misere, se change en Cuivre, & n’est pas autre chose. Nos Banquiers n’ont qu’à prendre là-dessus leur mesures. Je leur donne pouvoir de se distinguer en deux Classes ; l’une, de ceux qui négocient en Or, & l’autre, de ceux qui négocient en Cuivre. A la premiére se rapporteront ceux qui se contentant d’un honnête profit ne cherchent pas moins l’avantage d’autrui que le leur ; & dans la seconde on mettra ceux qui, sans conscience, & sans honneur, attrappent tout ce qu’ils peuvent. Si les plus coupables, parmi ces derniers, prennent ceci particuliérement sur leur compte, qu’ils se consolent du mépris que l’on fait de leur personne par les biens qu’ils possedent. Mais disons aussi un mot de Stentor, Il continuë opiniatrement à faire bruire sa Voix dans une Cathedrale. Les mépris, qu’il a fait de mes avis, lui en ont attiré d’autres d’une part qu’il devroit au moins respecter. C’est d’une Il veut parler du Dr. Tennisson, Archévêque de Cantorbery, qui fut toujours très zélé tant pour les libertés Civiles, que pour la Religion Protestante. Dans les Ordres sacrés depuis le Retablissement des Stuarts, & successivément Chapelain de Deux Comtes de Manchester, & de Charles II. Il fut ensuite Vicaire de la Paroisse de St. Martin des Champs, élévé au Siége de Lincoln en 1691., & celui de Cantorbery après la mort du Dr. Tillotson auquel il succeda le 10. de Janvier 1695. Il étoit donc déjà fort agé en 1709. ; il vecut jusqu’au regne de George I. qu’il eut le plaisir devoir sur le Thrône.Personne non moins illustre par son Esprit que par sa Pitié. Elle se ressent quelquefois à l’Eglise des infir-mitez d’une grande Vieillesse. Autrefois très attentive au Service divin, elle y est à présent un peu sujette au Sommeil. Cinquante ans de travail ne peuvent qu’avoit appesanti ce grand Homme, & l’on pourra bien dire de sa mort, lorsqu’elle arrivera, ce qu’on dit de celle des Saints, qu’il s’est endormi. L’innocence de sa Vie lui fait attendre en effet ce dernier moment, avec la même tranquillité que l’on attend d’ordinaire celui du repos. Il ignore si peu les foiblesses à quoi son age l’expose, qu’il est le premier à en rire. C’est dans ce Stile de plaisanterie qu’il en a parlé à On doit se souvenir que ce Stentor est le fameux Ministre Sachevarell. Ce fut le 15. d’Août 1709., qu’il précha aux Assizes de Derby un de ces Sermons Seditieux pour lesquels il sut poursuivi par les Communes. La Piéce couroit déja imprimée, & faisoit grand bruit, lorsque Mr. Steele écrivoit cette Feuille.Stentor. Mon Frere, lui dit-il, je vous prie, pour le repos de l’Eglise, de suivre les Conseils que Mr. Biquerstaff vous a donnez. Considerez que le bruit que vous faites dans vos dévotions à St. Paul est la Cathédrale de Londres, & St. Pierre est celle de Westminster où le Parlement s’assemble. L’Auteur veut dire que les Ministres d’Etat, & autres bien intentionnez pour le Gouvernement, ne voyoient pas, sans de grandes inquietudes, la fougue de ce Prédicateur, & en craignoient les suites tant pour le repos de l’Etat même, que pour celui de l’Eglise.St. Paul, nous empêche de dormir à St. Pierre. De mon Cabinet, 29. Août. On m’a proposé depuis peu, la question la plus difficile que j’aye eû à vuider depuis que je me mêle d’Astrologie. On me demande, combien, & jusqu’à quel âge les Femmes doivent faire leur principal de la Beauté ? Je reponds d’abord en général qu’il n’y a point de regles fixes, parce que la difference de leurs Temperamens en met beaucoup dans le soin qu’elles prennent de leur personnes ; mais s’il m’est permis d‘examiner avec plus de précision un Point si délicat, je dirai, sans avoir dessein de les offenser, qu’à prendre moins de soin de leurs personnes, & à remployer mieux, elles étendroient le pouvoir de leur charmés, & ne le seroient pas moins durer que la vie. Il en est autrement dans leur conduite commune. Nous formons nos jugemens sur le leur. Le seul mérite qu’elles se reconnoissent, est aussi le seul que nous devions leur reconnoître, & toute Femme, qui ne s’estime que pour sa Beauté, doit trouver juste, qu’on l’estime belle qu’entant qu’elle est belle. Il y a, certainement, dans l’éducation des Femmes, de même que dans celle des Hommes, une différence de bon goût ou de Pedanterie, qui decide dé la durée de leur Mérite. Une Fille qui a été élevée dans une liberté honnête, & qui toute sa Vie a vû le monde, considere les Hommes par les qualités qui les caracterisent, & par les distinctions qui les differencient. Mais celle, que la contrainte a mis hors d’état de faire ce discernement, ne voit, dans les Hommes, que ce qu’ils ont de commun, & pour elle le Cocher de son Pére n’est pas un Cocher, mais un Homme. Les Femmes, à leur tour, ne sont pour nous que ce que nous sommes pour Elles. Celles qui songent à se faire valoir par les qualités estimables de l’Esprit & du Cœur, se font considerer par ces endroits, independemment de leur Sexe, & celles qui ne veulent être que Femme ne sont point autre chose à nos yeux, cet Objet étant le seul à leur propre jugement, qui leur donne du prix, ou qui puisse les faire rechercher des Hommes. J’en conclus que la grande Regle que doit se prescrire une Femme, qui veut plaire longtemps, est de se faire un Mérite qui la mette en droit de plaire, quand bien elle ne seroit pas Femme. Que la belle Cleomire nous montre donc son vrai Visage, & qu’elle aprenne de moi, que comme chaque âge a ses charmes qui lui appartiennent en propre, il n’est point nécessaire à cinquante ans de revenir à quinze. Le Vermillon, qu’elle met sur ses jouës, pour reparoître Enfant, est aussi ridicule à présent, qu’il l’auroit été dans ce premier temps de la vie où cette couleur lui fut naturelle. Elle ne manque pas de bon sens, & le bon sens auroit dû lui dire que la Nature nous suit, quelques efforts que nous fassions pour la fuir. Je me souviens d’avoir vû cette Dame chez son Grand Pere que j’allois voir quelquefois. Elle avoit alors toute la fleur de la jeunesse, l’Air riant, & la douceur la plus engageante. Quoique le temps l’ait changée, ses agrémens ne sont pas moindres, bien que d’autre espece. Son abord est aimable, son Air majestueux, sa Sagesse solide. Mais son cœur étoit si attaché à son mérite passé, qu’elle ne fait aucun cas de celui d’à présent, si tant est même que le mépris qu’elle en fait n’aille pas au dépit. Est ce donc qu’elle blâmeroit dans les autres une conduite plus posée ? Point du tout ; car elle recommande perpétuellement à sa Fille le serieux, la circonspection, & la retenuë. Mais c’est le monde renversé. On a été prude à vingt ans, & l’on veut être Coquette à soixante. Ce derangement ne vient guére que de l’Education que l’on donne au Beau-Sexe. Cette Education est inconcevable dans les Méthodes que l’on s’y prescrit. Il ne se peut rien de plus bizarre. Il n’y a rien de certain & de fixe. J’allai l’autre jour rendre visite à une Dame de ma connoissance. Elle avoit auprès d’Elle sa Fille, à laquelle je demandai civilement comment elle se portoit. Monsieur, me repondit cet Enfant, je ne parle point aux Hommes. En sortant de là, j’entrai dans une autre Maison, & rencontrant aussi la Fille avec la Mere, je fis la même question à cette jeune personne. Qu’est ce que cela vous fait, vieux Coquin ? me repondit elle, en me donnant un petit coup sur l’Epaule. A moins que de connoître l’interieur des Familles, je défie qui que ce soit de savoir si sa Visite fera plaisir ou non, à celle où l’on entre pour la premiere fois. Vous ne trouverez point de Maison dans laquelle il n’y ait ou quelque Vieille folle, qui s’est mise en possession d’y regler tout à tors & à travers, & dont l’Empire ne finit qu’avec la vie, ou quelque jeune Ecervellée, qui s’en faisant accroire à cause de sa beauté, donne toutes ses Sottises pour des Oracles. Je n’ose dire tout ce que j’en pense, parce qu’il se pourroit bien qu’à l’exemple des autres Vieillards, je ne trouve plus rien de beau & de bon que ce qui me parut tel dans ma jeunesse. Il est pourtant certain que le goût des Graces, & de la Beauté est fort baissé à présent. Ce que l’on me montre aujourd’hui pour des Femmes parfaitement belles, ne sont tout au plus que de jolies personnes qui connurent C’étoit une Comtesse dont j’ai oublié le nom. Je croi que c’est celle de Dorset.Sachariste, lorsque tout le monde repetoit les beaux Vers qu’elle avoit inspirés ; ou C’étoit la Duchesse de Cleveland, Maîtresse de Charles II. Roi d’Angleterre.Villerie, lors qu’elle voyoit à ses pieds un jeune Monarque. Aujourd’hui, l’on court & l’on chante des Objets qu’autrefois on auroit renvoyez comme de petites Filletes à la Quenouille ou au Coussin. Elles sont proprement mises ; aussi le sont leur Lingeres. Elles sont jolies ; aussi le sont leurs Servantes. Où est ce port charmant, & cet Air de Majesté ? Où sont ces attraits irresistibles de la Personne que leur Esprit & leur Conversation rendoit, de mon tems, encore plus frappans, & plus animés ? Voilà, me dit-on, le langage des Vieilles gens. A la bonne heure j’en suis plus jeune. Cela est vrai, & j’en suis ravi, puisque j’ai dispense d’age d’en conter à nos jeunes Dames. Parmi celles qui pointillent le plus sur les bienséances, il y en a qui en sortent tout-à-fait, à force d’outrer, à cet égard, le scrupule. Nous avons ici cinq jeunes Dames qui se sont aquis une grande réputation de Mœurs severes, & de Conduite réglée. Leurs Amans, qui vou-loient de les regaler d’un Concert suivi de quelque Collation, ne purent jamais les y faire consentir, tant qu’ils ne parlerent que des Maisons, & des Lieux, où cela se fait ordinairement tous les jours. Enfin ils s’aviserent de proposer les Orgues dans une Eglise, & la repugnance cessa. On alla aux Orgues, & pour le rafraichissement de ces Dames, de même que pour leur édification, elles eurent un repas, & quelques Chansons d’Opéra. Ces Personnes-là, qui passent pour avoir tant de prudence, en auroient elles eu moins, si elles eussent accepté l’invitation dans une Auberge ? On auroit de la peine à le dire ; mais je sai bien que des Caprices, & des Contraintes de cette Nature ne contribuent pas à faire êstimer le Beau-Sexe, & nous mettent souvent dans l’embarras d’y démêler cette douceur dans l’inclination, & cette simplicité dans les Mœurs, qui en font tout le mérite durable.