Du Caffé de Guillaume, 19. Août.
J’ai
proposé ce soir à notre Compagnie ordinaire, les plaintes que me
fait Emilie. Elle m’écrit de la Province, où elle est depuis
quelque temps, que ses Voisins connoissent si peu les manieres
de Cour, qu’elle a le chagrin de ne passer parmi elles que pour
une grande diseuse de rien, elle, dis-je, dont l’esprit étoit si
vanté dans le Capitole. Un Vieillard m’a dit là dessus, qu’il
conseilloit à cette Dame de garder son Esprit pour la Ville
& de le suspendre jusqu’à son retour, parce que c’est un
avantage topique aussi bien que la politesse, & qu’une femme
de Cour paroit aussi étrange dans la Province, qu’une
Provinciale le peut paroitre à la Cour. C’est la pure vérité,
que rien ne peut être plus utile que de connoître avec qui nous pouvons figurer le plus à notre avantage,
& puis qu’il y a quelque endroit où l’on ne goûte pas la
belle & la charmante Emilie, on doit être sûr que l’on
formeroit vainement le dessein de plaire à tout le monde.
Ebene 3
Fremdportrait
Le pauvre Ubi ne laisse pas de
tenter l’avanture. Il n’a d’autre ambition que celle de
vouloir passer pour un homme universellement agréable.
Dans cet esprit il se prête à toute la terre, & que
gagne-t-il à cela ? C’est que personne ne veut de sa
Compagnie, parce qu’il ne sait pas celles qui lui
conviennent.
On méprise toujours les gens qui se prostituent &
lors que l’on ne se refuse à personne, il en est de l’Esprit
comme de ces Belles faciles, qu’aucun Amant ne recherche, parce
que tout le monde sait où lès trouver. Le meilleur avis que
j’aye donc à donner à la spirituelle Emilie ; c’est d’être moins
humble. Si elle peut venir à bout de s’estimer autant elle même
avec toutes ses bonnes qualitez, que quelques unes de ses
Voisines s’estiment avec une seule, elle doit s’assurer qu’elles
sentiront tout son merite, & prendront bientôt pour modele
ces mêmes manieres, qu’elles trouvent à present si
ridicules. Il est est <sic> bien rare dans le Beau Sexe
que l’on ne sache pas assez se faire valoir. C’est pourtant là
le défaut d’Emilie.
De la Maison de White 19.
Août.
Un joueur de ma Connoissance m’écrivit hier pour
me dire, que dans l’Article où je parlai de ses Confreres les
Chevaliers d’lndustrie, j’aurois bien dû reconnoître, que tous
les gens de ce caractere ne sont pas de sa Classe. Il m’y parle
entre autres du Sieur le Cuivre qu’il peint en petit, comme un
homme qui en très-peu de temps a gagné cinquante mille Livres
Sterling par des voyes beaucoup plus obliques que ne le sont de
faux Dez. L’avis est bon, & celui qui le donne me l’a
confirmé de bouche ce matin, en m’accostant dans la ruë.
Ebene 3
Dialog
« Je suis surpris. Mr. m’a-t-
il dit, que pour un homme aussi pénétrant que vous
l’êtes, vous ayez cru qu’il n’y’ait point au monde de
plus mechantes gens que ceux, qui comme moi, vivent
d’adresse. Vous devriez bien savoir qu’il y en a
quantité, qui tiennent constamment, & sans qu’on en parle, une conduite plus indigne &
plus lâche. Quelque mépris que vous fassiez de la
mienne, n’est elle pas moins odieuse que celle de le
Cuivre qui passe pour un homme d’honneur parmi les
Banquiers ? Je profite tout au plus de l’imprudence des
autres ; mais le Cuivre profite de leurs infortunes ;
car il n’a gagné tout son bien qu’aux dépens des
Familles qui recourent à lui quand leurs affaires
commencent à se déranger, & qu’il acheve
infailliblement de ruiner par se ses extorsions. A juger
donc de notre mêtier par la qualité des personnes à qui
nous faisons tort, lui & moi, qui de nous deux sera
le plus digne de blâme, de lui qui succe le sang des
malheureux, ou de moi qui deniaise les sots ? Tous les
hommes, sans exception, étant exposez aux revers de la
Fortune, celui qui ajoûte aux disgrâces d’autrui au lieu
de les soulager, doit être certainement plus à craindre
dans la Societé, que celui qui ne fait autre chose que
décharger les gens d’une abondance dont ils ne savent
que faire. D’ailleurs ceux qui empruntent
de le Cuivre, y sont contraints par la nécessité, mais
ceux qui jouent avec moi, ne le font que
très-volontairement, & par choix. »
Comme celui qui me parloit, bornoit ses plus grandes vuës
à me prouver qu’il y a des hommes aussi méchans que lui, je ne
me suis fait aucune peine de le lui accorder. Je confesserai
même que le Cuivre est le plus dangereux, & le plus effronté
des filoux, car il dépouille les gens en leur rendant servicè
& c’est un Voleur qui prend le manteau d’un ami.
Metatextualität
Cet Objet m’a conduit à quelques
réflexions générales sur le succez prodigieux, que les plus
petits génies ont souvent dans le monde.
Je me suis
rappellé ce que j’avois autrefois oui dire à un homme de grande
experience, qu’il y a des professions où ceux qui ont le moins
d’esprit y reussissent le mieux. Il en donnoit pour exemple
celle des Banquiers, parce que selon lui, plus un homme y est
borné dans ses vuës, dans ses Passions & dans ses Idées,
& plus il y est propre aux affaires.
Ebene 3
Fremdportrait
Voyez le petit Tristram. Il ne
sait pas dire deux mots ; ou il n’a pas le sens commun
quand il parle. Cependant il a eu le
talent de faire une des plus grandes fortunes qu’il y
ait en ce païs. C’est que le petit homme ne sait que ce
qu’il faut savoir pour cela. Il sait qu’il n’est que le
Caissier des autres, & que par consequent il ne doit
être qu’une espèce de Coffre fort duquel on peut dire
qu’il tient l’Argent bien plus qu’il ne le possede.
C’est une plaisante Conversation que celle des gens de
cet ordre.
Ebene 3
Allgemeine Erzählung
Il y a quelque temps que
j’eus l’honneur de boire Bouteille avec les Sieurs
Tristram, le Cuivre & Giles. Ces drôles-là ne
parloient que par credit & par debet, n’avoient de
mot pour rire, que tant à la livre & ne répondoient
que dans le Stile des Lettres de Change. J’ose dire sans
vanité que j’étois le plus spirituel de la Compagnie ;
mais quelque jolie chose que je disse, mes gens n’en
sentoient point la finesse, & ne prononcoient
pourtant pas une seule parole qui ne les fit soûrire.
Tristram ayant fini sa Pipe, il dit gravement, que le
Tabac est une Plante qui vient bien dans les Pots, &
frappe pour appeller la seconde Chopine. Giles trouva là
tant d’esprit qu’il se mit à rire à s’en tenir les
cotez. J’eus le courage de lui representer
que ce qui venoit d’être dit n’étoit qu’un jeu de mots.
Un jeu de mots ! s’écria le Cuivre. Vous vaudriez dix
mille Livres Sterling, plus que vous ne valez, si vous
saviez rencontrer comme Monsieur ; & les voilà tous
trois à faire des éclats de rire dont je ne croyois pas
qu’ils revinssent. Tout le reste du temps se passa dans
un badinage de la même delicatesse, & nous nous
separames enfin après avoir vuidé chacun notre
Bouteille. La seule chose que j’appris avec eux, c’est
que Giles ne doit avoir que vingt mille livres sterling
de bien. Je le conclus de ce que ses plaisanteries,
quoique non moins fades que celles des deux autres, ne
faisoient presque aucun effet sur ses Camarades.
De mon Cabinet. Août 19.
Metatextualität
J’ai oui dire, qu’un Evêque qui
vouloit detourner son Clergé d’inventer, ou de debiter de
Fausses Doctrines,
1leur conseilloit de lire à
leurs Auditoires quelques uns de ces Sermons
excellens qui sont deja imprimez. A l’exemple de ces
Prédications de la seconde Main, je vais transcrire de Mr.
de la Bruyere un Morceau de la plus fine Satire que j’aye
jamais rencontré dans les Livres.
L’Auteur
2y parle des François comme un Voyageur
parleroit d’une Nation qu’il a le premier découverte.
Ebene 3
Zitat/Motto
Fremdportrait
« On parle d’une region
où les Vieillards sont galans, polis, & civils ;
les jeunes gens au contraire durs, féroces, sans
mœurs ni politesse : ils se trouvent affranchis de
la passion des femmes dans un age où l’on commence
ailleurs à la sentir : ils leur préferent des repas,
des viandes, & des amours ridicules. Celui-là
chez eux est sobre & moderé, qui ne s’enyvre que
de vin : l’usage trop frequent qu’ils en ont fait,
le leur a rendu insipide. Ils cherchent à reveiller
leur goût deja éteint, par des eaux de vie, &
par toutes les Liqueurs les plus violentes : il ne
manque à leur débauche que de boire de l’eau-forte.
Les femmes du païs précipitent le déclin de leur
beauté par des artifices qu’elles croyent servir à
les rendre belles : leur coûtume est de peindre
leurs levres, leurs jouës, leurs sourcils, &
leurs épaules qu’elles étalent avec leur gorge,
leurs bras & leurs oreilles, comme si elles
craignoient de cacher l’endroit par où elles
pourroient plaire, ou de ne pas se montrer assez.
Ceux qui habitent cette contrée, ont une physionomie
qui n’est pas nette, mais confuse,
embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers,
qu’ils préférent aux naturels, & dont ils font
un long tissu pour couvrir leur tête : il descend à
la moitié du Corps, change les traits, & empêche
qu’on ne connoisse les hommes à leur visage. Ces
peuples d’ailleurs ont leur Dieu & leur Roi. Les
Grands de la Nation s’assemblent tous les jours à
une certaine heure dans un Temple qu’ils nomment
Eglise. Il y a, au fond de ce Temple, un Autel
consacré à leur Dieu, où un Prêtre celebre des
Mystéres, qu’ils appellent saints sacrez &
redoutables. Les Grands forment un vaste Cercle au
pied de cet Autel, & paroissent debout, le dos
tourné directement aux Prêtres & aux saints
Mystéres, & les faces élevées vers leur Roi, que
l’on voit à genoux sur une Tribune, & à qui ils
semblent avoir tout l’esprit, & tout le cœur
appliqué. On ne laisse pas de voir, dans cet usage
une espece de subordination ; car ce peuple, paroit
adorer le Prince, & le Prince adorer Dieu ; les
gens du Païs le nom ment ***. Il est à quelque
quarante huit degrez d’Elevation du
Pole, & à plus d’onze cent lieuës de Mer des
Iroquois & des Hurons. »
Ebene 3
Allgemeine Erzählung
On m’écrit de
3Hampstead qu’il y est arrivé un Fat
d’une espéce toute nouvelle. Parce qu’il a du courage,
il se croit obligé d’en donner des preuves à chaque
instant de la vie. Il est incessamment à se battre avec
les Hommes, & à disputer avec le Beau-Sexe. Une
Dame, qui m’a mandé cette Nouvelle en me decrivant le
Personnage, a fini sa peinture par celle qu’elle en a
tirée de
4Suckling.
Ebene 4
Zitat/Motto
Je suis un vrai
foudre de guerre ; Que j’aye raison ou que j’erre
Je m’en prends à toute la terre Fort devotement. A
toute femme je tiens tête, A tous les sermens je
me prête ; Au Muid, quand je bois, je m’arrête,
Courageusement.