Cita bibliográfica: Armand de Boisbeleau de La Chapelle (Ed.): "Article XVI.", en: Le Philosophe nouvelliste, Vol.2\016 (1735), pp. 166-173, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5059 [consultado el: ].


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Article XVI.

Du Jeudi 4. au Samedi, 6. Août 1709

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Du Caffé de Guillaume, 5. Août.

Nivel 3► Relato general► Je suis allé tantôt, en bonne Compagnie, voir ou plutôt entendre un Homme, qui manie, avec un Art surprenant, les Organes de sa Voix, & qui en fait tout ce qu’il veut. Il nous a d’abord regalés d’un Carillon qui ne pouvoit être plus parfaitement imité. Après cela est venuë une Chasse, où l’on distinguoit tous les cris d’une Meute nombreuse. Le plaisir étoit grand. La surprise ne l’étoit pas moins. Tout le monde applaudissoit, & ces applaudissement se faisoient d’une façon si bruyante, que l’on n’entendit jamais de plus beau concert de Chiens & d’Hommes. Au milieu de ce Tintamare, certain Gaillard frais & vermeil, qui se tenoit à l’écart, dans un Coin de la Sale, s’est mis à contrefaire le Coq, & l’a si bien attrapé qu’on a laissé là la Meute pour l’en-[167]tendre. Je n’ai pas plutôt jetté les yeux sur lui que je me le suis rappellé. Je l’avois vû quelquefois sur le Théâtre, où il fait ordinairement le Tabarin. Il m’a aussi reconnu, & m’adressant la parole, je suis étonné m’a-t-il dit, qu’un Homme, aussi serieux que vous l’êtes, se divertisse de si peu de chose. Le spectacle est bien mince pour une personne de vôtre Génie. Une imitation de Chiens & de Cloches ! Et qu’est-ce que cela ? Vous ne sauriez le définir, est-ce Esprit ? Est-ce Badinage ? Est ce Raillerie ? L’imitation d’un Homme ne divertiroit-elle pas plus à rire ? En finissant ces mots, mon Homme à quitté son Air naturel, & s’est mis à parler d’un ton de Voix tout-à-fait different de ce qu’il venoit faire. Aussi tôt mes Voisins ont ri de toutes leur forces, sans que je pûsse en deviner la raison. Je ne voyois dans le Comédien ni Grimaces, ni affectation qui me parussent choquantes. On se parloit pourtant à l’Oreille, & n’y comprenant rien, qu’est-ce que ceci ? ai-je dit à Pacolet, & que veut dire toute cette chucheterie ? Se moque-t-on de quelqu’un ?  « C’est m’a-t-il repondu, que cet Homme-là qui vous parle, vous a contrefait sans que vous vous en soyez apperçu. On a [168] trouvé fort divertissant que vous vous connoissiez si peu vous même, & que l’amour propre s’étende chez vous jusque sur la ressemblance. Jugez par là de quelle utilité seroit dans le monde un Homme de ce Caractére, pourvû que l’on voulût profiter de ses Léçons, Il n’y a ni Maître de Danse, ni Grammairien, ni Professeur de Rhetorique, qui pût mieux corriger les fautes de Geste, de Stile, & de Déclamation. Vous le voyez par vous même. Cet Homme vous a peint en présence, d’une maniere si fine, que vous n’y avez rien trouvé d’offensant. C’est là son grand Art. Il montre aux gens leur ridicule sans leur déplaire. Vos défauts vous paroissent aussi supportables en lui qu’en vous même. Il est le premier Copiste qui ait sû donner à la fois le beau & le laid des personnes. On peut dire de lui ce que Dryden a dit, dans un autre sens, d’un très grand Homme. Il est un Abregé, bien plus qu’un individu du Genre Humain. Peut-être vaudroit il mieux de dire que cet habile Comédien constitue tout seul une Espece. Il n’a rien de commun avec les autres Hommes [169] qu’autant qu’ils sont pour lui des Objets à imiter. » Original en même temps que Copie, il ressemble à l’Oiseau connu dans les Indes sous le nom du Moquer, qui n’ayant point de chant à lui-même, contrefait tous les autres. C’est même fort comme même Talent. L’Oiseau recherché par la Linoste, par l’Alouette, & par le Rossignol, n’a point de plus grands Ennemis que le Corbeau, la Buse, & le Hibou. L’Homme pareillement estimé & bien reçu de Sophronius, qui sent bien que sa Copie ne sauroit lui faire aucun tort, est insupportable à Bathille, qui étant tout contraint & tout affecté, craint, avec raison, que tout le monde ne s’apperçoive qu’il n’est pas plus naturel que son imitateur. ◀Relato general ◀Nivel 3

De mon Cabinet, 5. Août.

1 J’ai reçu de Covendry, & d’ailleurs [170] des Lettres qui me sont écrites au sujet de ma Dispute avec le Sr. Powel. On m’y conseille, en termes fort desobligeans, de ne pas sortir de ma Sphere, & de laisser la des Matieres qui sont trop hautes pour moi. Sans doute que les personnes qui me donnent ces Avis, n’entrent pas dans le fin de mes Observations là-dessus, & ne sont pas bien instruites de l’utilité que le Monde savant en retire. Je dois donc leur rappeller 2 le Titre général de mon Ouvrage. Ce Titre me met en droit d’y inserer & même de m’y appropier tous les Endroits d’un Livre, ou de toute autre Piéce, qui y sont déplacés ou que l’Ecrivain y à mis au hazard. Exemplum► S’il arrivoit donc, par exemple, que deux Théologiens écrivissent l’un contre l’autre, & que dans leur different, il leur echappât certaines Expressions, qui pour être trop aigres ou trop basses, ne [171] conviennent ni à leur Sujet, ni à leur Caractére, je prétends que ce qui est de trop dans leur Ecrit est fait pour le mien. ◀Exemplum J’en avertis une fois pour toutes. Il ne paroitra plus de Piéce imprimée, que je n’en tire, par voye d’Extrait, tout ce qui y est inutile. Les Lecteurs y trouveront leur compte comme Moi, puis qu’ils verront ainsi d’un coup d’Oeîl tout ce qu’il leur importe délire, & tout ce qu’ils doivent sauter. Pour me faciliter ce travail, je me suis fait un Tamis Magique, dans lequel je passe toutes les lignes, & quelque fois des Pages entieres, & tout ce qui passe est pour moi. Mon Tamis me servira pour les choses qui seront dites comme pour celles qui seront écrites, & j’entends aussi que tout ce qu’il y a de superflu dans le Discours m’appartienne. Je me saisirai donc, par droit de bienseance, des expressions d’un Avocat, qui n’ayant d’autre but que d’ennuyer & d’étourdir la Cour, supplée la fausse Politesse aux raisons, & crie à tout moment, Avec votre permission, Messieurs... je n’ai plus qu’un mot à dire… Un moment d’attention, & j’ai fait... J’ai bien étudié la Matiere… je sai que le temps [172] de Messieurs est précieux.... je n’abuserai point de leur patience... Quoiqu’il en soit je puis dire hardiment, & mille autres inutilités de ce genre. J’en userai de même à l’égard d’un Fat qui ne parlant jamais de lui-même que pour se faire valoir, debute toujours par un, je puis dire sans vanité. Mais rien ne me fournira tant que le Beau-Sexe. Quels Volumes ne pourrai-je point compiler des détours que les Femmes prennent pour dire certaines choses ? S’agit-il, par exemple, entre elles de flêtrir la reputation d’une Amie ? On s’approche mysterieusement de quelqu’un de sa Connoissance, pour lui dire, Monsieur, vous avez peut-être entendu ce que j’ai dit tout bas à vôtre Voisin de Madame une Telle. En vérité je suis bien mortifiée des bruits qui en courent ; Car personne ne l’estime plus que je le fais. Mais tout le monde en parle. On ne me l’a point dit comme un secret, & pourquoi faire un mystere de ce qui est sû de toute la Ville ? Ces petites Fleurs de Rhetorique, ces lieux communs de Malignité, n’echapperont point à mon Tamis, & reviennent de plein droit au Babillard. A suivre cette Méthode, on verra des Folio reduits en Seize, & la [173] Lecture de quinze jours se faire dans une Matinée. ◀Nivel 2 ◀Nivel 1

1Cet Article s’explique par les Précedens au il est parlé de Powel. L’Auteur s’y defend contre certaines personnes qui le blamoient de prendre parti dans la dispute entre les Drs. Blackhall & Hoadly. Selon lui tout Anglois étoit en droit d’y entrer, & plus encore un Ecrivain, qui avoit declaré, dès le commencement, qu’il parleroit indifferemment de toutes sortes de choses.

2Ce Titre est The Tatler, ou le Babillard, & la Devise générale est ce Vers de Juvenal. Quitquid agunt Homines, hujus farrago Libelli. C’est-à-dire, je ferai entrer pelemêle dans cet Ouvrage, tout ce que font les Hommes.