Article IX. Armand de Boisbeleau de La Chapelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Herausgeber Michael Hammer Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Mitarbeiter Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Pia Mayer Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 30.07.2019

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Armand de Boisbeleau de La Chapelle: Le Philosophe Nouvelliste, traduit de l’Anglois de Mr. Steele par A.D.L.C. Tome Second. Amsterdam: François Changuion 1735, 86-97, Le Philosophe nouvelliste 2 009 1735 Frankreich
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Article IX.

Du Mardi 19. au Jeudi 21. Juillet 1709

Du Caffé de White, 19. Juillet.

Comme, je traversois aujourd’hui le C’est une grande Place dans un Lieu qui étoit autrefois le Jardin d’un Couvent, dont le nom a été retenu en Anglois, mais dont les François ont fait je ne sai comment, le Common Jardin.Commun-Jardin, Pacolet m’y a fait jetter les yeux vers le Portique, pour y voir un Spectacle qu’il m’a dit être le Triomphe de l’Amour & de la Jeunesse. Je me suis tourné du côté qu’il m’a montré du doigt ; & j’y ai découvert un Carosse coupé, bien doré, fort galant, attellé à des Chevaux très-fringans, conduit par un Cocher dont la Cocarde étoit toute neuve, & suivi de quelques Laquais dont l’air arrogant annonçoit le bien de leur Maitre. A cet Equippage si brillant, & si leste, ai-je dit aussi-tôt, on devine un jeune-Homme, ou bien un Amoureux. Vous n’y êtes pas ; m’a dit mon Camarade, tenez ; voila le Maître ; Il veut parler de Mr. Radcliff, fameux Medecin, qui faisoit alors beaucoup de bruit dans sa Profession, & qu’il gagna de grandes Richesses. Il mourut le 1. Nov. 1714. âgé de 55. ans. & s’appelloit Jean. Il avoit donc 50. ans en 1709.c’est Esculape en habits de Deuil. En habits de Deuil ! me suis-je recrié. Oui, m’a-t-il dit, il est en grand deuil, & dans ce lugubre attirail il languit sans espoir pour la Divine Hebé qui est la jeunesse, & la Beauté même. Ce grand Homme, est un des plus tristes monumens du pouvoir irrésistible de l’Amour. Vous ne pouvez que connoitre Esculape, au moins de reputation. Vous n’ignorez pas qu’il est le Il étoit Medecin de la Reine Anne, & peu de gens de sa Profession, ont eu plus de pratique, quoique d’ailleurs il ne fût pas fort savant.Chef des Medecins, & qu’il n’y en a point, dans sa profession, qui ait plus de succès. Ce n’est pas qu’il conoisse les Maladies, ou qu’il ait fait son Etude des simples. Mais on diroit que ses Ordonnances lui sont dictées par l’Instinct ou par l’Inspiration. Son grand secret a toujours été de donner plus á la Nature, que ne le font ordinairement Mrs. ses Confreres, & par ce moyen il a souvent operé ses Cures où le plus grand Art auroit échoué. Aussi passe-t-il pour un Demi-Dieu dans l’opinion du Public, & l’on ne se fieroit pas plus en lui quand il seroit le Le petit Peuple croit qu’un Enfant né le septieme Garçon d’une même Mere a de grandes Vertus par toutes sorte de Maux.septieme fils de sa Mere. Mr. Radcliff n’étant plus jeune devint amoureux de Mlle. Tempest, très-belle & très-vertueuse Personne, & fille d’honneur de la Reine. Cette Demoiselle étant tombé malade, Mr. Radcliff, avec tout son savoir qui étoit médiocre, & tout son amour qui étoit fort grand, ne pût lui sauver la vie. L’Auteur, qui le peint à cause de cela, en grand deuil charge d’ailleurs la peinture d’autres Ornemens étrangers, afin de dépaïser un peu les Lecteurs.La Charmante Hébé, depuis peu attaquée d’une Fievre très-violente, étoit dans un extrême danger. Abandonnée des autres Medecins, celui-ci fut appellé. A la vue de tant d’appas, quoique mourans, son coeur s’attendrit. Dans cet état de langueur, la jeunesse n’en étoit que plus touchante, & la Beauté que plus douce. Il ne négligea donc rien pour garantir la vie d’une si ravissante Personne. Sa Passion y seconda son Adresse. Mais helas ! Il ne songeoit guere que ses soins officieux alloient le perdre lui-même ! Il a eu le sort du Statuaire qui conçut de l’amour pour une Statue qu’il avoit faite ; c’est-à-dire, qu’il est devenu le Patient de la belle Malade qu’il vient de guérir. Admirez le changement. Autrefois Esculape s’étoit jetté fort avant dans des frivoles amusemens de la Vieillesse, qui ne s’occupe que du soin d’aquerir, dans un âge où l’on ne peut plus jouïr. Fût-il encore dans la plus riante jeunesse, il a plus de bien qu’il ne lui en faudroit pour suffire à toutes les dissipations de ces premieres temps de la vie. Cependant, avant cette derniere Avanture, & même longtemps auparavant, l’amour des Richesses étoit le seul qu’il connût. Aujourd’hui c’est autre chose. L’amour de la Beauté a pris la place de celui des Richesses. C’est pourtant toujours la même Passion, qui n’a fait que changer d’Objet. C’est la même Avarice, mais d’un genre different. Il court à présent comme alors après des biens qui lui sont inutiles. Mais écoutez-le parler lui-même. Aux plaintes de l’Amant vous reconnoitrez l’Usurier. J’ai prêté l’oreille, & j’ai entendu Esculape qui parloit de la maniere suivante. Amour, puissant Amour, je reconnois ton Empire. Hebé, ayez pitié d’un Ce Medecin n’étoit pas né pour la Galanterie, car ses manieres étoient fort brusques, & généralement très-impolies. A cela près il étoit grand, & bien fait.Homme à qui vous faites jouer un personnage si ridicule. Devrois-je faire dorer autre chose que mes Pillules ? Mais voyez, ma Charmante, ce que je fais pour vous. J’ai fait tout dorer mon Carrosse, j’ai des Boutons d’Or, j’ai des Agrasses d’Or, n’estimant plus cet aimable Metal, qu’autant qu’il peut me faire valoir à vos yeux. Non, belle Hebé, ce n’est point la vie que je vous demande. Donnez-moi seulement une Mort qui soit douce. Ce mot est Grec, & signifie une mort douce, & facile. C’est le même dont l’Empereur Auguste se servoit pour exprimer ses souhaits à cet égard. Sueton. in. Aug. Cap. 99. Nam fere quoties audisset, ceto ac nullo cruciatu defunctum quempiam ; sibi & suis εὐθανασία similem, hoc enim & verbo uti solebat, precabatur. C’est-à-dire, Presque toutes les fois qu’il entendoit parler de quelqu’un qui étoit mort promptement, & sans aucune douleur, il demandoit en priere, pour lui & pour les siens une semblable Euthanasie ; car c’étoit le Terme dont il se servoit.L’Euthanasie ! L’Eu-thanasie ! C’est à quoi se bornent mes voeux. Esculape ayant fini, Pacolet a saisi cette occasion pour me faire de grandes & belles Reflexions sur la Vanité des Richesses, & a conclu son Discour par cette Exlamation pathetique. O biens du monde que vous êtes peu de chose, & que l’on cherche inutilement une felicité rêelle dans votre possession, puis que l’Avare lui-même est capable de vous mépriser pour l’amour de ce qui ne le rendroit pas plus heureux !

Du Caffé de Guillaume, 19. Juillet.

Le commencement de cet Article n’est qu’un pur badinage aux dépens du Sr. Rich, & de la decadence de son Théatre. La fin, qui en est plus enveloppée & plus maligne, regarde une Dispute très-vive qu’il y avoit alors entre Mrs. Offsprint Blackhall, Evêque d’Exeter, & Benjamin Hoadly, Recteur de la Paroisse de St. Pierre le Pauvre, à Londres.La Compagnie, qui fréquente cette Maison, étant toute composée de personnes qui aiment beaucoup les Représentations Dramatiques, on s’y étoit côtisé, pour acheter les Meubles du Théatre de la Rue de Drury, afin d’en faire présent à celui que l’on érige dans le Marché au Foin. Mais les friponneries, qui se sont faites dans la Vente, ont rendu ce soin inutile ; car on n’y a exposé ni le Manteau Impérial de Çyrus, ni le Carrosse attellé de Dragons, sous prétexte que ces deux Pieces étoient egarées. On a sû depuis qu’elles ont été venduës clandestinement à un Provincial, que l’on a vu, hors deVille, allant chez lui, vêtu de cette Robe Royale, & faisant traîner la Voiture par ses propres Chevaux. Le même Homme s’est aussi assuré de l’Arc-en-Ciel, qu’on doit lui faire tenir, après qu’il aura été dégraissé. Enfin il a invité le Sr. Rich à le suivre à Southampton où il demeure ; le priant d’y porter son Soleil Couchant, & lui promettant l’Intendance des Loges dans le Théâtre qu’il se propose de faire bâtir dans sa ville. Il y a eu tant d’obliquités dans toute cette affaire que je demande pardon au Public d’avoir inséré, dans ce Papier, l’Inventaire qu’on y lut il y a quelques jours. Je proteste serieusement que je ne savois point alors qu’il dût y avoir la moindre supercherie, & qu’en ceci, comme en tout autres choses, mes intentions étoient bonnes.

Mais à propos de cela, je dois me défendre à l’occasion d’un Article où je parlois, il y a quelque temps, Powel étoit un petit Homme, bossu, qui avoit un jeu de Marionettes, dont les Pieces étoient fort grandes, & dont le spectacle divertissoit tout le monde.d’un certain Homme qu’i1 montre des Marionettes dans la Ville de Bath. J’eus alors la politesse de ne le point nommer, & tout ce que j’en dis de plus fort, étoit d’insinuer qu’il promettoit plus qu’il ne donnoit. Pour entendre ce qui suit, il faut savoir qu’en Mars 1709. Mr. Blackhall prêcha devant la Reine un Sermon, dans lequel il établit la Doctrine la plus outrée sur l’Obéissance passive ; & qu’en 1704. prêchant dans une Paroisse de Londres, il avoit prêché l’obéissance limitée par les Loix de l’Etat. Mr. Hoadly écrivit contre le Sermon de 1709. & le combatit principalement par l’opposition de celui de 1704. L’Evêque horriblement piqué de cette maniere de refutation, repondit avec une extrême hauteur, & se prévalut beaucoup de la superiorité de son rang contre un Antagoniste qui n’étoit encore que simple Recteur de Paroisse. Le Sr. Bickerstaff prend ici parti contre l’Evêque. D’un côté il lui reproche la hauteur l’impolitesse de sa Réponse, dont il tire quelques paroles qui marquent plus de colere que de Civilité. De l’autre, en l’introduisant sous le personnage de Powel, il l’accuse de n’aller pas droit en besogne, d’agir par des Principes cachés, & de supposer tous les Sujets comme autant d’Automates, ou de Machines qui ne peuvent & qui ne doivent se remuer qu’à la Volonté du Prince.Mais j’ai appris que depuis ce temps-là, son Polichinelle se divertit à mes dépens, qu’il me traite du dernier cavalier, & qu’en présence même de mes meilleurs Amis, il me conteste la qualité d’Ecuyer. On voit assez que ce Mr. Powel, car c’est ainsi qu’il se nomme, est un petit Fanfaron, qui demande noise, & qui me cherche querelle afin de se faire connoitre. C’est un reproche qu’Ajax fait à Ulysse lors que ce dernier lui disputoit les armes d’Achille. Ovid. Metam. Lib. XIII. vers. 20.Mecum certasse feretur, c’est-à-dire, qu’il se flatte de passer pour un grand Homme puis qu’il est entré en lice contre moi. Qu’il sache pourtant que je ne suis point la duppe de ses Ma-chines, que j’en connois toute la petite Manœuvre. Je sai très-bien que des Fils d’Achal en font tout le jeu, & que ces Machines-là ne se remuent & ne parlent qu’à l’aide de certains Ressorts, qui pour être cachés en imposent aux yeux. C’est par le moyen de l’un de ces Fils d’Archal, attaché à la Machoire du Polichinelle, que Powel, qui se tient derriere, hausse & baisse à son gré cette Machoire, & fait dire à sa Marionette mille impertinences contre ses Superieurs. C’est bien à lui, vraiment ; qu’il sied de m’attaquer dans ses Prolongues ! Lui ! qui... Mais je suis trop interessé à la chose pour dire tout ce que j’en pense. D’ailleurs je dois peu me mettre en peine d’un si petit Compagnon. Il n’est après tout lui-même qu’une grande Marionette, & n’a pas assez d’esprit pour faire parler des Poupées même, comme elles devroient le faire. Mais qu’il les fasse parler comme il voudra, je m’en moque. C’est un Proverbe Payen qui veut dire que tous les Esprits ne sont pas propres aux Sciences Voy. Erasm. Adag.Ex quovis ligno non fit Mercu-rius ; On ne fait pas un Mercure de toute sorte de Bois.

Je suis bien plus touché d’une Lettre qu’il m’a écrite de Bath, lui-même. Il m’y dit que son premier dessein étoit de renvoyer à me faire réponse jusqu’à ce qu’il fût en lieu Les Amis de Mr. Blackhall disoient par voye d’éloge, qu’il lisoit peu à la vérité, mais qu’en recompense il méditoit beaucoup. Une louange pareille ressemble assez à la Satyre, & l’on sent l’avantage que l’Auteur en tire ici contre ce Prélat.de consulter ses Livres, & que les miens ne sont propres qu’aux Gens qui prennent les Eaux Purgatives. L’Expression seroit plus séante dans la bouche d’un petit Ecolier que dans celle d’un Homme qui doit instruire les autres. Mais savez-vous comment il prend les choses obligeantes que je lui disois ? Voici tout ce qu’il y répond. Oh ! grand merci pour cela... je suis votre très-humble serviteur pour cela. Hé ! là, là, Mr. Powel, ces Gentillesses piquantes ne déferrent pas un Savant. Je penetre vos vuës. Vous voudriez que tous les Hommes ne fussent que des Automates, non plus que vos Marionettes. Mais le monde est trop éclairé, & vos finesses ne sont pas assez subtiles pour en imposer à personne. De l’humeur que je vous connois, il n’y a point de doute que vous ne repliquiez à ceci. Mais, si vous le faites, souvenez-vous au moins d’eviter les Ecarts ; car si vous alliez-vous jetter dans les raisonnemens sur la maniere de gouverner des Machines, je vous declare, que je ne suis, ni n’ai été, ni ne ferai de loisir de vous faire réponse. En vérité c’est une chose honteuse, qu’il soit permis à cet Homme-là de faire de si grossieres illusions au Public. Il est vrai que son Esprit baisse terriblement, & qu’il n’est guere plus vivant que Partridge.

Article IX. Du Mardi 19. au Jeudi 21. Juillet 1709 Du Caffé de White, 19. Juillet. Comme, je traversois aujourd’hui le C’est une grande Place dans un Lieu qui étoit autrefois le Jardin d’un Couvent, dont le nom a été retenu en Anglois, mais dont les François ont fait je ne sai comment, le Common Jardin.Commun-Jardin, Pacolet m’y a fait jetter les yeux vers le Portique, pour y voir un Spectacle qu’il m’a dit être le Triomphe de l’Amour & de la Jeunesse. Je me suis tourné du côté qu’il m’a montré du doigt ; & j’y ai découvert un Carosse coupé, bien doré, fort galant, attellé à des Chevaux très-fringans, conduit par un Cocher dont la Cocarde étoit toute neuve, & suivi de quelques Laquais dont l’air arrogant annonçoit le bien de leur Maitre. A cet Equippage si brillant, & si leste, ai-je dit aussi-tôt, on devine un jeune-Homme, ou bien un Amoureux. Vous n’y êtes pas ; m’a dit mon Camarade, tenez ; voila le Maître ; Il veut parler de Mr. Radcliff, fameux Medecin, qui faisoit alors beaucoup de bruit dans sa Profession, & qu’il gagna de grandes Richesses. Il mourut le 1. Nov. 1714. âgé de 55. ans. & s’appelloit Jean. Il avoit donc 50. ans en 1709.c’est Esculape en habits de Deuil. En habits de Deuil ! me suis-je recrié. Oui, m’a-t-il dit, il est en grand deuil, & dans ce lugubre attirail il languit sans espoir pour la Divine Hebé qui est la jeunesse, & la Beauté même. Ce grand Homme, est un des plus tristes monumens du pouvoir irrésistible de l’Amour. Vous ne pouvez que connoitre Esculape, au moins de reputation. Vous n’ignorez pas qu’il est le Il étoit Medecin de la Reine Anne, & peu de gens de sa Profession, ont eu plus de pratique, quoique d’ailleurs il ne fût pas fort savant.Chef des Medecins, & qu’il n’y en a point, dans sa profession, qui ait plus de succès. Ce n’est pas qu’il conoisse les Maladies, ou qu’il ait fait son Etude des simples. Mais on diroit que ses Ordonnances lui sont dictées par l’Instinct ou par l’Inspiration. Son grand secret a toujours été de donner plus á la Nature, que ne le font ordinairement Mrs. ses Confreres, & par ce moyen il a souvent operé ses Cures où le plus grand Art auroit échoué. Aussi passe-t-il pour un Demi-Dieu dans l’opinion du Public, & l’on ne se fieroit pas plus en lui quand il seroit le Le petit Peuple croit qu’un Enfant né le septieme Garçon d’une même Mere a de grandes Vertus par toutes sorte de Maux.septieme fils de sa Mere. Mr. Radcliff n’étant plus jeune devint amoureux de Mlle. Tempest, très-belle & très-vertueuse Personne, & fille d’honneur de la Reine. Cette Demoiselle étant tombé malade, Mr. Radcliff, avec tout son savoir qui étoit médiocre, & tout son amour qui étoit fort grand, ne pût lui sauver la vie. L’Auteur, qui le peint à cause de cela, en grand deuil charge d’ailleurs la peinture d’autres Ornemens étrangers, afin de dépaïser un peu les Lecteurs.La Charmante Hébé, depuis peu attaquée d’une Fievre très-violente, étoit dans un extrême danger. Abandonnée des autres Medecins, celui-ci fut appellé. A la vue de tant d’appas, quoique mourans, son coeur s’attendrit. Dans cet état de langueur, la jeunesse n’en étoit que plus touchante, & la Beauté que plus douce. Il ne négligea donc rien pour garantir la vie d’une si ravissante Personne. Sa Passion y seconda son Adresse. Mais helas ! Il ne songeoit guere que ses soins officieux alloient le perdre lui-même ! Il a eu le sort du Statuaire qui conçut de l’amour pour une Statue qu’il avoit faite ; c’est-à-dire, qu’il est devenu le Patient de la belle Malade qu’il vient de guérir. Admirez le changement. Autrefois Esculape s’étoit jetté fort avant dans des frivoles amusemens de la Vieillesse, qui ne s’occupe que du soin d’aquerir, dans un âge où l’on ne peut plus jouïr. Fût-il encore dans la plus riante jeunesse, il a plus de bien qu’il ne lui en faudroit pour suffire à toutes les dissipations de ces premieres temps de la vie. Cependant, avant cette derniere Avanture, & même longtemps auparavant, l’amour des Richesses étoit le seul qu’il connût. Aujourd’hui c’est autre chose. L’amour de la Beauté a pris la place de celui des Richesses. C’est pourtant toujours la même Passion, qui n’a fait que changer d’Objet. C’est la même Avarice, mais d’un genre different. Il court à présent comme alors après des biens qui lui sont inutiles. Mais écoutez-le parler lui-même. Aux plaintes de l’Amant vous reconnoitrez l’Usurier. J’ai prêté l’oreille, & j’ai entendu Esculape qui parloit de la maniere suivante. Amour, puissant Amour, je reconnois ton Empire. Hebé, ayez pitié d’un Ce Medecin n’étoit pas né pour la Galanterie, car ses manieres étoient fort brusques, & généralement très-impolies. A cela près il étoit grand, & bien fait.Homme à qui vous faites jouer un personnage si ridicule. Devrois-je faire dorer autre chose que mes Pillules ? Mais voyez, ma Charmante, ce que je fais pour vous. J’ai fait tout dorer mon Carrosse, j’ai des Boutons d’Or, j’ai des Agrasses d’Or, n’estimant plus cet aimable Metal, qu’autant qu’il peut me faire valoir à vos yeux. Non, belle Hebé, ce n’est point la vie que je vous demande. Donnez-moi seulement une Mort qui soit douce. Ce mot est Grec, & signifie une mort douce, & facile. C’est le même dont l’Empereur Auguste se servoit pour exprimer ses souhaits à cet égard. Sueton. in. Aug. Cap. 99. Nam fere quoties audisset, ceto ac nullo cruciatu defunctum quempiam ; sibi & suis εὐθανασία similem, hoc enim & verbo uti solebat, precabatur. C’est-à-dire, Presque toutes les fois qu’il entendoit parler de quelqu’un qui étoit mort promptement, & sans aucune douleur, il demandoit en priere, pour lui & pour les siens une semblable Euthanasie ; car c’étoit le Terme dont il se servoit.L’Euthanasie ! L’Eu-thanasie ! C’est à quoi se bornent mes voeux. Esculape ayant fini, Pacolet a saisi cette occasion pour me faire de grandes & belles Reflexions sur la Vanité des Richesses, & a conclu son Discour par cette Exlamation pathetique. O biens du monde que vous êtes peu de chose, & que l’on cherche inutilement une felicité rêelle dans votre possession, puis que l’Avare lui-même est capable de vous mépriser pour l’amour de ce qui ne le rendroit pas plus heureux ! Du Caffé de Guillaume, 19. Juillet. Le commencement de cet Article n’est qu’un pur badinage aux dépens du Sr. Rich, & de la decadence de son Théatre. La fin, qui en est plus enveloppée & plus maligne, regarde une Dispute très-vive qu’il y avoit alors entre Mrs. Offsprint Blackhall, Evêque d’Exeter, & Benjamin Hoadly, Recteur de la Paroisse de St. Pierre le Pauvre, à Londres.La Compagnie, qui fréquente cette Maison, étant toute composée de personnes qui aiment beaucoup les Représentations Dramatiques, on s’y étoit côtisé, pour acheter les Meubles du Théatre de la Rue de Drury, afin d’en faire présent à celui que l’on érige dans le Marché au Foin. Mais les friponneries, qui se sont faites dans la Vente, ont rendu ce soin inutile ; car on n’y a exposé ni le Manteau Impérial de Çyrus, ni le Carrosse attellé de Dragons, sous prétexte que ces deux Pieces étoient egarées. On a sû depuis qu’elles ont été venduës clandestinement à un Provincial, que l’on a vu, hors deVille, allant chez lui, vêtu de cette Robe Royale, & faisant traîner la Voiture par ses propres Chevaux. Le même Homme s’est aussi assuré de l’Arc-en-Ciel, qu’on doit lui faire tenir, après qu’il aura été dégraissé. Enfin il a invité le Sr. Rich à le suivre à Southampton où il demeure ; le priant d’y porter son Soleil Couchant, & lui promettant l’Intendance des Loges dans le Théâtre qu’il se propose de faire bâtir dans sa ville. Il y a eu tant d’obliquités dans toute cette affaire que je demande pardon au Public d’avoir inséré, dans ce Papier, l’Inventaire qu’on y lut il y a quelques jours. Je proteste serieusement que je ne savois point alors qu’il dût y avoir la moindre supercherie, & qu’en ceci, comme en tout autres choses, mes intentions étoient bonnes. Mais à propos de cela, je dois me défendre à l’occasion d’un Article où je parlois, il y a quelque temps, Powel étoit un petit Homme, bossu, qui avoit un jeu de Marionettes, dont les Pieces étoient fort grandes, & dont le spectacle divertissoit tout le monde.d’un certain Homme qu’i1 montre des Marionettes dans la Ville de Bath. J’eus alors la politesse de ne le point nommer, & tout ce que j’en dis de plus fort, étoit d’insinuer qu’il promettoit plus qu’il ne donnoit. Pour entendre ce qui suit, il faut savoir qu’en Mars 1709. Mr. Blackhall prêcha devant la Reine un Sermon, dans lequel il établit la Doctrine la plus outrée sur l’Obéissance passive ; & qu’en 1704. prêchant dans une Paroisse de Londres, il avoit prêché l’obéissance limitée par les Loix de l’Etat. Mr. Hoadly écrivit contre le Sermon de 1709. & le combatit principalement par l’opposition de celui de 1704. L’Evêque horriblement piqué de cette maniere de refutation, repondit avec une extrême hauteur, & se prévalut beaucoup de la superiorité de son rang contre un Antagoniste qui n’étoit encore que simple Recteur de Paroisse. Le Sr. Bickerstaff prend ici parti contre l’Evêque. D’un côté il lui reproche la hauteur l’impolitesse de sa Réponse, dont il tire quelques paroles qui marquent plus de colere que de Civilité. De l’autre, en l’introduisant sous le personnage de Powel, il l’accuse de n’aller pas droit en besogne, d’agir par des Principes cachés, & de supposer tous les Sujets comme autant d’Automates, ou de Machines qui ne peuvent & qui ne doivent se remuer qu’à la Volonté du Prince.Mais j’ai appris que depuis ce temps-là, son Polichinelle se divertit à mes dépens, qu’il me traite du dernier cavalier, & qu’en présence même de mes meilleurs Amis, il me conteste la qualité d’Ecuyer. On voit assez que ce Mr. Powel, car c’est ainsi qu’il se nomme, est un petit Fanfaron, qui demande noise, & qui me cherche querelle afin de se faire connoitre. C’est un reproche qu’Ajax fait à Ulysse lors que ce dernier lui disputoit les armes d’Achille. Ovid. Metam. Lib. XIII. vers. 20.Mecum certasse feretur, c’est-à-dire, qu’il se flatte de passer pour un grand Homme puis qu’il est entré en lice contre moi. Qu’il sache pourtant que je ne suis point la duppe de ses Ma-chines, que j’en connois toute la petite Manœuvre. Je sai très-bien que des Fils d’Achal en font tout le jeu, & que ces Machines-là ne se remuent & ne parlent qu’à l’aide de certains Ressorts, qui pour être cachés en imposent aux yeux. C’est par le moyen de l’un de ces Fils d’Archal, attaché à la Machoire du Polichinelle, que Powel, qui se tient derriere, hausse & baisse à son gré cette Machoire, & fait dire à sa Marionette mille impertinences contre ses Superieurs. C’est bien à lui, vraiment ; qu’il sied de m’attaquer dans ses Prolongues ! Lui ! qui... Mais je suis trop interessé à la chose pour dire tout ce que j’en pense. D’ailleurs je dois peu me mettre en peine d’un si petit Compagnon. Il n’est après tout lui-même qu’une grande Marionette, & n’a pas assez d’esprit pour faire parler des Poupées même, comme elles devroient le faire. Mais qu’il les fasse parler comme il voudra, je m’en moque. C’est un Proverbe Payen qui veut dire que tous les Esprits ne sont pas propres aux Sciences Voy. Erasm. Adag.Ex quovis ligno non fit Mercu-rius ; On ne fait pas un Mercure de toute sorte de Bois. Je suis bien plus touché d’une Lettre qu’il m’a écrite de Bath, lui-même. Il m’y dit que son premier dessein étoit de renvoyer à me faire réponse jusqu’à ce qu’il fût en lieu Les Amis de Mr. Blackhall disoient par voye d’éloge, qu’il lisoit peu à la vérité, mais qu’en recompense il méditoit beaucoup. Une louange pareille ressemble assez à la Satyre, & l’on sent l’avantage que l’Auteur en tire ici contre ce Prélat.de consulter ses Livres, & que les miens ne sont propres qu’aux Gens qui prennent les Eaux Purgatives. L’Expression seroit plus séante dans la bouche d’un petit Ecolier que dans celle d’un Homme qui doit instruire les autres. Mais savez-vous comment il prend les choses obligeantes que je lui disois ? Voici tout ce qu’il y répond. Oh ! grand merci pour cela... je suis votre très-humble serviteur pour cela. Hé ! là, là, Mr. Powel, ces Gentillesses piquantes ne déferrent pas un Savant. Je penetre vos vuës. Vous voudriez que tous les Hommes ne fussent que des Automates, non plus que vos Marionettes. Mais le monde est trop éclairé, & vos finesses ne sont pas assez subtiles pour en imposer à personne. De l’humeur que je vous connois, il n’y a point de doute que vous ne repliquiez à ceci. Mais, si vous le faites, souvenez-vous au moins d’eviter les Ecarts ; car si vous alliez-vous jetter dans les raisonnemens sur la maniere de gouverner des Machines, je vous declare, que je ne suis, ni n’ai été, ni ne ferai de loisir de vous faire réponse. En vérité c’est une chose honteuse, qu’il soit permis à cet Homme-là de faire de si grossieres illusions au Public. Il est vrai que son Esprit baisse terriblement, & qu’il n’est guere plus vivant que Partridge.