Le Philosophe nouvelliste: Article III.
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Article III.
Par la même
Du Mardi 5. au Jeudi 7. Juillet 1709
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De mon Cabinet, le 6. Juillet
J’ai écrit à mon Frere, pour le prier de hâter son retour. Il en sentira toute la nécessité, quand il verra que je fais imprimer, sans réponse, les Lettres qui lui sont adressées, parce que je ne me sens pas assez forte pour y répondre. En voici une qui vint hier pour lui.5. Juillet 1709
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Brief/Leserbrief
« Monsieur, Vous ne pourriez
rendre de plus grand service à la Societé qu’en la
délivrant des Chucheteurs sans affaire & des Rieurs
sans sujet. Puis que vous avez promis d’y travailler, je
vous conjure, par tout l’amour que vous
portez à votre Patrie, de ne pas abandonner cet Ouvrage.
Il est toujours nécessaire, & à présent plus que
jamais. Plusieurs autres incommoditez pourront finir
avec la guerre ; mais il est fort à craindre, que les
maudites engeances, qui causent celle-ci, ne se
multiplient dans le temps de la Paix, & ne nous
ravissent ainsi la moitié de ses plaisirs. Ce qui
entretient leur sottise, c’est qu’ils se persuadent, je
ne sai pourquoi, que ces Singeries les feront passer
pour importans, & pour gens d’esprit. Faites-leur
bien comprendre, mon cher Monsieur, qu’ils ne l’ont
jamais été, qu’ils ne le sont point, & qu’ils ne le
seront jamais ; qu’ils n’en imposent point au monde,
& qu’ils ne lui en imposeront point quand ils
vivroient dix siecles, & que leurs manieres,
tout-à-fait indignes de l’Homme, consideré comme une
Créature sociable, sont le plus grand fléau de la
Societé. En faisant ceci, Monsieur, vous obligerez un
plus grand nombre de vos Serviteurs ; qu’il n’en
pourroit souscrire au bas de cette Lettre ? »
Du Caffé de White, le 6. Juillet.
Il y a des Hommes qui ne réussissent à se distinguer de leurs semblables, que par la fatuité avec laquelle ils étalent leur bien ou leurs impertinences. Ils ne disent pas un seul mot, & ne font pas un seul geste qui ne montre la petitesse de leur genie. Il n’y a point de jour où je ne le remarque, & cela me rappelle la definition que Wicherley a donnée des gens de ce caractere. Un Fat, disoit-il, est celui qui affecte si fort de faire l’homme de conséquence, qu’il paroit à tout qu’il ne l’est pas. Lorsque les Femmes se composent, pour se donner des airs de douceur, de gayeté, de rigueur, ou de vivacité, on lit, à travers leur contrainte, un dessein secret de satisfaire l’amour propre, & de se faire admirer. Le ton de leur voix, leurs petites façons, certains coups d’œil, tout l’annonce. C’est bien pis dans les Hommes.Ebene 3
Fremdportrait
Prenez-en un qui soit dans les
affaires. Vous le rencontrez dans la rue, &
l’abordez civilement pour l’entretenir de vos intérêts.
Il vous accoste le Chapeau sur la tête, & sans prendre garde que vous tenez le vôtre à la
main, il vous laisse dans cette posture une demie heure.
Il a fait de grandes reflexions sur la chose ; il vous
fait part de ses considerations, & vous dit tout
cela à voix haute. Les passans, qui peuvent l’entendre,
s’attroupent pour savoir ce que c’est. Alors votre Homme
s’avise qu’on l’écoute, & ne vous parle plus qu’à
l’oreille. C’est pourtant toujours d’un air aiffairé.
Pour tenir les curieux en haleine, il lui échappe de
temps en temps, un Mais, un Cependant, un Enfin, qu’ils
peuvent entendre, & qui sont suivis de grands airs
de mystere. Les gens se lassent du manege, & s’en
vont. Il vous abandonne alors lui-même, content d’avoir
appris à tout le monde qu’il est important, & que
vous ne l’êtes pas.
Fremdportrait
Tel est certain Seigneur à qui ces manieres
ont fait donner le nom de Nullepart. Il ne voit point
passer de Laquais, ou de femme de Chambre, qu’il ne
coure leur demander comment se porte Mylord un tel ou
Madame une telle. En Courtisan habile il s’approche
respectueusement des Pages du Ministre,
& s’informe d’eux mysterieusement s’il y a des
Nouvelles. Pourvu qu’il sache qu’il y en a, peu lui
importe de savoir ce que c’est, il est déjà dans la
confidence du Prince. Il vous soufle à l’oreille que le
Conseil est occupé d’une affaire importante & que le
temps nous apprendra ce que c’est. Ensuite il fronce les
sourcils, vous rappelle, & vous dit avec gravité, au
reste, Monsieur, le secret s’il vous plait. Vous voyez,
bien que la chose est de celles qu’il ne faut pas
divulguer. Cependant si vous en parlez, ne citez pas vos
Auteurs, je vous prie ; car pour rien du monde je ne
voudrois que l’on fût que c’est moi. La farce est
d’autant plus divertissante qu’il y a des momens, où il
ne daignera pas vous dire ces riens-là tout riens qu’ils
sont. Il faut, pour les lui arracher, ou qu’il soit de
bien bonne humeur, ou qu’il vous ait vû parler avec
quelques gens de conséquence. Autrement il passera près
de vous, sans vous honorer d’un regard, ne prenant pas
garde que ses Politesses sont des insultes, & que
ses mépris vous obligent. Montrez-moi, si vous le
pouvez, une Femme qui fasse, dans le monde, un plus
petit personnage.
Fremdportrait
Te voila donc, mon cher
Fredonnet. Que tu me parois aimable, & quel plaisir
n’aurois-je point de te peindre ! Mais que dirai-je d’un
Homme qui est tout superficie ? Dis-moi donc ; comment
tu veux que je m’y prenne ? Souhaites-tu que je te
représente peignant ta Perruque, jouant avec sa
Tabatiere, ou faisant des minauderies ? Aimerois-tu
mieux que je te fisse voir ouvrant la bouche, non pour
parler, mais pour me faire admirer tes dens ? Ah !
Cruel, cesse de les nettoyer & de les blanchir.
Veux-tu donc me faire mourir ? Oh ! que pour mon repos
& pour le tien ne sont-elles déja pourries ?
Fremdportrait
Peste soit de l’Original, je
le plante là, & me tourne vers le Civil Dameret.
Voilà ce qui se peut appeller un homme galant. Des
saluts jusqu’à terre ! Des Complimens à perte de vue !
On diroit qu’il n’ose toucher la main que je lui
présente. Mais à peine m’a-t-il accostée, qu’il m’a fait
familierement les mêmes questions que mon Apothicaire,
& qu’il faut que je lui conte tous
mes maux comme à mon Medecin, il est tout à fait sans
consequence. C’est lui qui va chercher les Accoucheuses
& les Nourrices, lors que les Dames en ont besoin.
Il en fait assez pour guérir les petits boutons qui leur
sortent ou les égratigneures qu’elles se sont faites
dans les occasions de cette importance, il se donne de
grands mouvemens, & de peur que le savoir ne lui
manque il va de maison en maison consulter ce qu’on y
fait pour de semblables maladies. C’est ensuite un
plaisir de lui entendre vanter les peines qu’il s’est
données pour cette grande Cure. On ne peut moins faire
que de l’en remercier. Oh ! Madame, vous dit-il avec une
profonde reverence ; vous pouvez toujours disposer de
moi & de mes secrets. Toute ma science, & tout
mon credit sont à votre service. En faisant reflexion
sur cet Etre superficiel, & si serieusement occupé
de ces bagatelles, il me paroit qu’après tout il se
pourroit bien que l’on ne lui rendît pas une entiere
justice. Nous avons peut-être plus à nous en louer qu’à
nous en plaindre, il y a de l’impertinence
dans son fait, je l’avoue. Il nous derobe des momens
précieux, pour nous dire, ou pour nous faire fort
mysterieusement des choses qui nous sont inutiles. Il
est pourtant vrai que ces choses-là passent, dans son
imagination, pour être importantes, & qu’il nous les
croit utiles. Or si l’Equité veut que l’on juge des
actions par l’intention de celui qui les fait, un homme
qui nous sert de bon cœur, & de son mieux, quoi
qu’il le fasse mal, & à contre-temps, ne mérite-t-il
pas, de notre part, une certaine proportion d’estime
& de reconnoissance ? L’obligeant Dameret n’est donc
pas tout-à-fait indigne de la faveur des Dames qui le
connoissent ; car s’il ne leur a pas rendu des services
réels, au moins a-t-il eu dessein de le faire, &
croit-il serieusement l’avoir fait.
Fremdportrait
Le Sr.
la Mouche m’est insupportable par cet endroit. S’il est
reçu dans les meilleures Compagnies, il faut s’en
prendre à la corruption du siecle. Car pour
lui rendre justice, il devroit être traité par tout
comme un Coquin. Il est tout à la fois sot &
méchant. Il vous parle hardiment de tout le monde, &
il fait tout ce qu’on en dit dans la ville. Mais il n’en
fait, & n’en dit que ce que la Médisance & la
Calomnie en rapportent, il ne connoit les gens que par
les mauvais endroits. Parlez-lui d’un grand Homme, il
vous conte aussi-tôt quelque Anecdote qui en ternit la
réputation. Vantez-lui quelque Belle. N’en fût-il aucun
mal, il chuchetera tout bas à quelqu’un, afin de laisser
croire à la Compagnie qu’il en fait quelque chose. C’est
une vraye Mouche, qui ne s’arrête que sur les endroits
ulcerez, & qui manqueroit d’alimens si tout le Corps
étoit sain. Vous le distinguerez entre mille par le
frequent usage du Mais. Aussi ne me parle-t-on jamais de
cet Homme que je ne me serve de son Mais favori contre
lui-même. L’autre jour quelqu’un lui disoit, Mlle
Distaff a beaucoup d’esprit, elle est enjouée, elle est
vertueuse, elle est bonne amie. Oui, reprit-il
aussi-tôt, mais elle n’est pas belle. L’impertinent ! On
lui disoit ce que je suis, & non ce que je ne suis
pas.