Article III. Armand de Boisbeleau de La Chapelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer Herausgeber Michael Hammer Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Mitarbeiter Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Pia Mayer Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 30.07.2019

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Armand de Boisbeleau de La Chapelle: Le Philosophe Nouvelliste, traduit de l’Anglois de Mr. Steele par A.D.L.C. Tome Second. Amsterdam: François Changuion 1735, 18-27, Le Philosophe nouvelliste 2 003 1735 Frankreich
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Article III. Par la même

Du Mardi 5. au Jeudi 7. Juillet 1709

De mon Cabinet, le 6. Juillet

J’ai écrit à mon Frere, pour le prier de hâter son retour. Il en sentira toute la nécessité, quand il verra que je fais imprimer, sans réponse, les Lettres qui lui sont adressées, parce que je ne me sens pas assez forte pour y répondre. En voici une qui vint hier pour lui.

5. Juillet 1709

« Monsieur,

Vous ne pourriez rendre de plus grand service à la Societé qu’en la délivrant des Chucheteurs sans affaire & des Rieurs sans sujet. Puis que vous avez promis d’y travailler, je vous conjure, par tout l’amour que vous portez à votre Patrie, de ne pas abandonner cet Ouvrage. Il est toujours nécessaire, & à présent plus que jamais. Plusieurs autres incommoditez pourront finir avec la guerre ; mais il est fort à craindre, que les maudites engeances, qui causent celle-ci, ne se multiplient dans le temps de la Paix, & ne nous ravissent ainsi la moitié de ses plaisirs. Ce qui entretient leur sottise, c’est qu’ils se persuadent, je ne sai pourquoi, que ces Singeries les feront passer pour importans, & pour gens d’esprit. Faites-leur bien comprendre, mon cher Monsieur, qu’ils ne l’ont jamais été, qu’ils ne le sont point, & qu’ils ne le seront jamais ; qu’ils n’en imposent point au monde, & qu’ils ne lui en imposeront point quand ils vivroient dix siecles, & que leurs manieres, tout-à-fait indignes de l’Homme, consideré comme une Créature sociable, sont le plus grand fléau de la Societé. En faisant ceci, Monsieur, vous obligerez un plus grand nombre de vos Serviteurs ; qu’il n’en pourroit souscrire au bas de cette Lettre ? »

Du Caffé de White, le 6. Juillet.

Il y a des Hommes qui ne réussissent à se distinguer de leurs semblables, que par la fatuité avec laquelle ils étalent leur bien ou leurs impertinences. Ils ne disent pas un seul mot, & ne font pas un seul geste qui ne montre la petitesse de leur genie. Il n’y a point de jour où je ne le remarque, & cela me rappelle la definition que Wicherley a donnée des gens de ce caractere. Un Fat, disoit-il, est celui qui affecte si fort de faire l’homme de conséquence, qu’il paroit à tout qu’il ne l’est pas. Lorsque les Femmes se composent, pour se donner des airs de douceur, de gayeté, de rigueur, ou de vivacité, on lit, à travers leur contrainte, un dessein secret de satisfaire l’amour propre, & de se faire admirer. Le ton de leur voix, leurs petites façons, certains coups d’œil, tout l’annonce. C’est bien pis dans les Hommes. Prenez-en un qui soit dans les affaires. Vous le rencontrez dans la rue, & l’abordez civilement pour l’entretenir de vos intérêts. Il vous accoste le Chapeau sur la tête, & sans prendre garde que vous tenez le vôtre à la main, il vous laisse dans cette posture une demie heure. Il a fait de grandes reflexions sur la chose ; il vous fait part de ses considerations, & vous dit tout cela à voix haute. Les passans, qui peuvent l’entendre, s’attroupent pour savoir ce que c’est. Alors votre Homme s’avise qu’on l’écoute, & ne vous parle plus qu’à l’oreille. C’est pourtant toujours d’un air aiffairé. Pour tenir les curieux en haleine, il lui échappe de temps en temps, un Mais, un Cependant, un Enfin, qu’ils peuvent entendre, & qui sont suivis de grands airs de mystere. Les gens se lassent du manege, & s’en vont. Il vous abandonne alors lui-même, content d’avoir appris à tout le monde qu’il est important, & que vous ne l’êtes pas.

Les gens de ce caractere ne sont jamais en secret qu’en public. Tel est certain Seigneur à qui ces manieres ont fait donner le nom de Nullepart. Il ne voit point passer de Laquais, ou de femme de Chambre, qu’il ne coure leur demander comment se porte Mylord un tel ou Madame une telle. En Courtisan habile il s’approche respectueuse-ment des Pages du Ministre, & s’informe d’eux mysterieusement s’il y a des Nouvelles. Pourvu qu’il sache qu’il y en a, peu lui importe de savoir ce que c’est, il est déjà dans la confidence du Prince. Il vous soufle à l’oreille que le Conseil est occupé d’une affaire importante & que le temps nous apprendra ce que c’est. Ensuite il fronce les sourcils, vous rappelle, & vous dit avec gravité, au reste, Monsieur, le secret s’il vous plait. Vous voyez, bien que la chose est de celles qu’il ne faut pas divulguer. Cependant si vous en parlez, ne citez pas vos Auteurs, je vous prie ; car pour rien du monde je ne voudrois que l’on fût que c’est moi. La farce est d’autant plus divertissante qu’il y a des momens, où il ne daignera pas vous dire ces riens-là tout riens qu’ils sont. Il faut, pour les lui arracher, ou qu’il soit de bien bonne humeur, ou qu’il vous ait vû parler avec quelques gens de conséquence. Autrement il passera près de vous, sans vous honorer d’un regard, ne prenant pas garde que ses Politesses sont des insultes, & que ses mépris vous obligent. Montrez-moi, si vous le pouvez, une Femme qui fasse, dans le monde, un plus petit personnage.

Puis que j’en suis sur ce sujet, qu’il me soit permis d’adresser la parole à un homme de cette espece, & qui n’en est pas le moins remarquable. Te voila donc, mon cher Fredonnet. Que tu me parois aimable, & quel plaisir n’aurois-je point de te peindre ! Mais que dirai-je d’un Homme qui est tout superficie ? Dis-moi donc ; comment tu veux que je m’y prenne ? Souhaites-tu que je te représente peignant ta Perruque, jouant avec sa Tabatiere, ou faisant des minauderies ? Aimerois-tu mieux que je te fisse voir ouvrant la bouche, non pour parler, mais pour me faire admirer tes dens ? Ah ! Cruel, cesse de les nettoyer & de les blanchir. Veux-tu donc me faire mourir ? Oh ! que pour mon repos & pour le tien ne sont-elles déja pourries ?

Peste soit de l’Original, je le plante là, & me tourne vers le Civil Dameret. Voilà ce qui se peut appeller un homme galant. Des saluts jusqu’à terre ! Des Complimens à perte de vue ! On diroit qu’il n’ose toucher la main que je lui présente. Mais à peine m’a-t-il accostée, qu’il m’a fait familierement les mêmes questions que mon Apothicaire, & qu’il faut que je lui conte tous mes maux comme à mon Medecin, il est tout à fait sans consequence. C’est lui qui va chercher les Accoucheuses & les Nourrices, lors que les Dames en ont besoin. Il en fait assez pour guérir les petits boutons qui leur sortent ou les égratigneures qu’elles se sont faites dans les occasions de cette importance, il se donne de grands mouvemens, & de peur que le savoir ne lui manque il va de maison en maison consulter ce qu’on y fait pour de semblables maladies. C’est ensuite un plaisir de lui entendre vanter les peines qu’il s’est données pour cette grande Cure. On ne peut moins faire que de l’en remercier. Oh ! Madame, vous dit-il avec une profonde reverence ; vous pouvez toujours disposer de moi & de mes secrets. Toute ma science, & tout mon credit sont à votre service.

En faisant reflexion sur cet Etre superficiel, & si serieusement occupé de ces bagatelles, il me paroit qu’après tout il se pourroit bien que l’on ne lui rendît pas une entiere justice. Nous avons peut-être plus à nous en louer qu’à nous en plaindre, il y a de l’imper-tinence dans son fait, je l’avoue. Il nous derobe des momens précieux, pour nous dire, ou pour nous faire fort mysterieusement des choses qui nous sont inutiles. Il est pourtant vrai que ces choses-là passent, dans son imagination, pour être importantes, & qu’il nous les croit utiles. Or si l’Equité veut que l’on juge des actions par l’intention de celui qui les fait, un homme qui nous sert de bon cœur, & de son mieux, quoi qu’il le fasse mal, & à contre-temps, ne mérite-t-il pas, de notre part, une certaine proportion d’estime & de reconnoissance ? L’obligeant Dameret n’est donc pas tout-à-fait indigne de la faveur des Dames qui le connoissent ; car s’il ne leur a pas rendu des services réels, au moins a-t-il eu dessein de le faire, & croit-il serieusement l’avoir fait.

Par la raison des contraires, & si nous devons quelque retour à une bienveillance inutile, il doit nous être permis de ressentir une malice impuissante Le Sr. la Mouche m’est insupportable par cet endroit. S’il est reçu dans les meilleures Compagnies, il faut s’en prendre à la corruption du siecle. Car pour lui rendre justice, il devroit être traité par tout comme un Coquin. Il est tout à la fois sot & méchant. Il vous parle hardiment de tout le monde, & il fait tout ce qu’on en dit dans la ville. Mais il n’en fait, & n’en dit que ce que la Médisance & la Calomnie en rapportent, il ne connoit les gens que par les mauvais endroits. Parlez-lui d’un grand Homme, il vous conte aussi-tôt quelque Anecdote qui en ternit la réputation. Vantez-lui quelque Belle. N’en fût-il aucun mal, il chuchetera tout bas à quelqu’un, afin de laisser croire à la Compagnie qu’il en fait quelque chose. C’est une vraye Mouche, qui ne s’arrête que sur les endroits ulcerez, & qui manqueroit d’alimens si tout le Corps étoit sain. Vous le distinguerez entre mille par le frequent usage du Mais. Aussi ne me parle-t-on jamais de cet Homme que je ne me serve de son Mais favori contre lui-même. L’autre jour quelqu’un lui disoit, Mlle Distaff a beaucoup d’esprit, elle est enjouée, elle est vertueuse, elle est bonne amie. Oui, reprit-il aussi-tôt, mais elle n’est pas belle. L’impertinent ! On lui disoit ce que je suis, & non ce que je ne suis pas.

Au reste si l’on trouve quelques-unes de ces Feuilles Volantes froides & plattes, on avertit les Lecteurs que l’Auteur y entend finesse.

Article III. Par la même Du Mardi 5. au Jeudi 7. Juillet 1709 De mon Cabinet, le 6. Juillet J’ai écrit à mon Frere, pour le prier de hâter son retour. Il en sentira toute la nécessité, quand il verra que je fais imprimer, sans réponse, les Lettres qui lui sont adressées, parce que je ne me sens pas assez forte pour y répondre. En voici une qui vint hier pour lui. 5. Juillet 1709 « Monsieur, Vous ne pourriez rendre de plus grand service à la Societé qu’en la délivrant des Chucheteurs sans affaire & des Rieurs sans sujet. Puis que vous avez promis d’y travailler, je vous conjure, par tout l’amour que vous portez à votre Patrie, de ne pas abandonner cet Ouvrage. Il est toujours nécessaire, & à présent plus que jamais. Plusieurs autres incommoditez pourront finir avec la guerre ; mais il est fort à craindre, que les maudites engeances, qui causent celle-ci, ne se multiplient dans le temps de la Paix, & ne nous ravissent ainsi la moitié de ses plaisirs. Ce qui entretient leur sottise, c’est qu’ils se persuadent, je ne sai pourquoi, que ces Singeries les feront passer pour importans, & pour gens d’esprit. Faites-leur bien comprendre, mon cher Monsieur, qu’ils ne l’ont jamais été, qu’ils ne le sont point, & qu’ils ne le seront jamais ; qu’ils n’en imposent point au monde, & qu’ils ne lui en imposeront point quand ils vivroient dix siecles, & que leurs manieres, tout-à-fait indignes de l’Homme, consideré comme une Créature sociable, sont le plus grand fléau de la Societé. En faisant ceci, Monsieur, vous obligerez un plus grand nombre de vos Serviteurs ; qu’il n’en pourroit souscrire au bas de cette Lettre ? » Du Caffé de White, le 6. Juillet. Il y a des Hommes qui ne réussissent à se distinguer de leurs semblables, que par la fatuité avec laquelle ils étalent leur bien ou leurs impertinences. Ils ne disent pas un seul mot, & ne font pas un seul geste qui ne montre la petitesse de leur genie. Il n’y a point de jour où je ne le remarque, & cela me rappelle la definition que Wicherley a donnée des gens de ce caractere. Un Fat, disoit-il, est celui qui affecte si fort de faire l’homme de conséquence, qu’il paroit à tout qu’il ne l’est pas. Lorsque les Femmes se composent, pour se donner des airs de douceur, de gayeté, de rigueur, ou de vivacité, on lit, à travers leur contrainte, un dessein secret de satisfaire l’amour propre, & de se faire admirer. Le ton de leur voix, leurs petites façons, certains coups d’œil, tout l’annonce. C’est bien pis dans les Hommes. Prenez-en un qui soit dans les affaires. Vous le rencontrez dans la rue, & l’abordez civilement pour l’entretenir de vos intérêts. Il vous accoste le Chapeau sur la tête, & sans prendre garde que vous tenez le vôtre à la main, il vous laisse dans cette posture une demie heure. Il a fait de grandes reflexions sur la chose ; il vous fait part de ses considerations, & vous dit tout cela à voix haute. Les passans, qui peuvent l’entendre, s’attroupent pour savoir ce que c’est. Alors votre Homme s’avise qu’on l’écoute, & ne vous parle plus qu’à l’oreille. C’est pourtant toujours d’un air aiffairé. Pour tenir les curieux en haleine, il lui échappe de temps en temps, un Mais, un Cependant, un Enfin, qu’ils peuvent entendre, & qui sont suivis de grands airs de mystere. Les gens se lassent du manege, & s’en vont. Il vous abandonne alors lui-même, content d’avoir appris à tout le monde qu’il est important, & que vous ne l’êtes pas. Les gens de ce caractere ne sont jamais en secret qu’en public. Tel est certain Seigneur à qui ces manieres ont fait donner le nom de Nullepart. Il ne voit point passer de Laquais, ou de femme de Chambre, qu’il ne coure leur demander comment se porte Mylord un tel ou Madame une telle. En Courtisan habile il s’approche respectueuse-ment des Pages du Ministre, & s’informe d’eux mysterieusement s’il y a des Nouvelles. Pourvu qu’il sache qu’il y en a, peu lui importe de savoir ce que c’est, il est déjà dans la confidence du Prince. Il vous soufle à l’oreille que le Conseil est occupé d’une affaire importante & que le temps nous apprendra ce que c’est. Ensuite il fronce les sourcils, vous rappelle, & vous dit avec gravité, au reste, Monsieur, le secret s’il vous plait. Vous voyez, bien que la chose est de celles qu’il ne faut pas divulguer. Cependant si vous en parlez, ne citez pas vos Auteurs, je vous prie ; car pour rien du monde je ne voudrois que l’on fût que c’est moi. La farce est d’autant plus divertissante qu’il y a des momens, où il ne daignera pas vous dire ces riens-là tout riens qu’ils sont. Il faut, pour les lui arracher, ou qu’il soit de bien bonne humeur, ou qu’il vous ait vû parler avec quelques gens de conséquence. Autrement il passera près de vous, sans vous honorer d’un regard, ne prenant pas garde que ses Politesses sont des insultes, & que ses mépris vous obligent. Montrez-moi, si vous le pouvez, une Femme qui fasse, dans le monde, un plus petit personnage. Puis que j’en suis sur ce sujet, qu’il me soit permis d’adresser la parole à un homme de cette espece, & qui n’en est pas le moins remarquable. Te voila donc, mon cher Fredonnet. Que tu me parois aimable, & quel plaisir n’aurois-je point de te peindre ! Mais que dirai-je d’un Homme qui est tout superficie ? Dis-moi donc ; comment tu veux que je m’y prenne ? Souhaites-tu que je te représente peignant ta Perruque, jouant avec sa Tabatiere, ou faisant des minauderies ? Aimerois-tu mieux que je te fisse voir ouvrant la bouche, non pour parler, mais pour me faire admirer tes dens ? Ah ! Cruel, cesse de les nettoyer & de les blanchir. Veux-tu donc me faire mourir ? Oh ! que pour mon repos & pour le tien ne sont-elles déja pourries ? Peste soit de l’Original, je le plante là, & me tourne vers le Civil Dameret. Voilà ce qui se peut appeller un homme galant. Des saluts jusqu’à terre ! Des Complimens à perte de vue ! On diroit qu’il n’ose toucher la main que je lui présente. Mais à peine m’a-t-il accostée, qu’il m’a fait familierement les mêmes questions que mon Apothicaire, & qu’il faut que je lui conte tous mes maux comme à mon Medecin, il est tout à fait sans consequence. C’est lui qui va chercher les Accoucheuses & les Nourrices, lors que les Dames en ont besoin. Il en fait assez pour guérir les petits boutons qui leur sortent ou les égratigneures qu’elles se sont faites dans les occasions de cette importance, il se donne de grands mouvemens, & de peur que le savoir ne lui manque il va de maison en maison consulter ce qu’on y fait pour de semblables maladies. C’est ensuite un plaisir de lui entendre vanter les peines qu’il s’est données pour cette grande Cure. On ne peut moins faire que de l’en remercier. Oh ! Madame, vous dit-il avec une profonde reverence ; vous pouvez toujours disposer de moi & de mes secrets. Toute ma science, & tout mon credit sont à votre service. En faisant reflexion sur cet Etre superficiel, & si serieusement occupé de ces bagatelles, il me paroit qu’après tout il se pourroit bien que l’on ne lui rendît pas une entiere justice. Nous avons peut-être plus à nous en louer qu’à nous en plaindre, il y a de l’imper-tinence dans son fait, je l’avoue. Il nous derobe des momens précieux, pour nous dire, ou pour nous faire fort mysterieusement des choses qui nous sont inutiles. Il est pourtant vrai que ces choses-là passent, dans son imagination, pour être importantes, & qu’il nous les croit utiles. Or si l’Equité veut que l’on juge des actions par l’intention de celui qui les fait, un homme qui nous sert de bon cœur, & de son mieux, quoi qu’il le fasse mal, & à contre-temps, ne mérite-t-il pas, de notre part, une certaine proportion d’estime & de reconnoissance ? L’obligeant Dameret n’est donc pas tout-à-fait indigne de la faveur des Dames qui le connoissent ; car s’il ne leur a pas rendu des services réels, au moins a-t-il eu dessein de le faire, & croit-il serieusement l’avoir fait. Par la raison des contraires, & si nous devons quelque retour à une bienveillance inutile, il doit nous être permis de ressentir une malice impuissante Le Sr. la Mouche m’est insupportable par cet endroit. S’il est reçu dans les meilleures Compagnies, il faut s’en prendre à la corruption du siecle. Car pour lui rendre justice, il devroit être traité par tout comme un Coquin. Il est tout à la fois sot & méchant. Il vous parle hardiment de tout le monde, & il fait tout ce qu’on en dit dans la ville. Mais il n’en fait, & n’en dit que ce que la Médisance & la Calomnie en rapportent, il ne connoit les gens que par les mauvais endroits. Parlez-lui d’un grand Homme, il vous conte aussi-tôt quelque Anecdote qui en ternit la réputation. Vantez-lui quelque Belle. N’en fût-il aucun mal, il chuchetera tout bas à quelqu’un, afin de laisser croire à la Compagnie qu’il en fait quelque chose. C’est une vraye Mouche, qui ne s’arrête que sur les endroits ulcerez, & qui manqueroit d’alimens si tout le Corps étoit sain. Vous le distinguerez entre mille par le frequent usage du Mais. Aussi ne me parle-t-on jamais de cet Homme que je ne me serve de son Mais favori contre lui-même. L’autre jour quelqu’un lui disoit, Mlle Distaff a beaucoup d’esprit, elle est enjouée, elle est vertueuse, elle est bonne amie. Oui, reprit-il aussi-tôt, mais elle n’est pas belle. L’impertinent ! On lui disoit ce que je suis, & non ce que je ne suis pas. Au reste si l’on trouve quelques-unes de ces Feuilles Volantes froides & plattes, on avertit les Lecteurs que l’Auteur y entend finesse.