Zitiervorschlag: Armand de Boisbeleau de La Chapelle (Hrsg.): "Article II.", in: Le Philosophe nouvelliste, Vol.2\002 (1735), S. 10-17, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.5045 [aufgerufen am: ].


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Article II.

Par la même.

Du Samedi 2. au Mardi 5. Juillet 1709

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Du Caffé de White, le 2. Juillet.

1 On trouvera peut-être fort étrange qu’une personne qui à coup sûr, n’entra jamais dans ce Caffé, pretende savoir ce qui s’y fait, ou ce qu’on y dit. Je réponds que je vois des Hommes qui fréquentent cette Maison-là, & qui me rap-[11]portent ce qu’ils y voyent & ce qu’ils y entendent. Quoi qu’on en dise, les Messieurs n’aiment pas moins à parler que nous, ils ne sauroient guére entretenir la Compagnie où ils se trouvent, qu’en lui sacrifiant la derniere où ils se sont trouvés. Cette reflexion, que j’ai souvent faite, m’en a fait faire beaucoup d’autres sur l’usage de la parole. Je me suis apperçue que le monde est plein de gens qui abusent étrangement de cet avantage. Le défaut est commun aux deux Sexes, & les Exemples s’en rencontrent par-tout. Sans toucher à la Chaire, que n’a-t-on point à essuyer, en ce genre, dans les Conversations, & dans le train commun de la vie. Allegorie► Assurément il n’y a personne qui en lisant ceci, ne se rappelle d’abord, cette grande Chasseuse du Nord, 2 Madame Copsoud, qui paroit, de [12] puis peu, dans la Capitale. Mais où trouver des termes assez forts pour célébrer dignement une Femme qui marche toujours, comme si elle étoit à cheval prête à sauter un Buisson, & qui parle avec la même hauteur de voix, qu’elle fait à la suite des Chiens ? Je dirai seulement que ce n’est rien en comparaison de son Beau-Frere le Sieur Belfroi, 3 qui est l’homme du Royaume qui a le plus les manieres & les qualitez d’un Gentilhomme de Village. Tout le monde sait qu’il est ennemi déclaré des 4 Musiciens d’Italie. Ce n’est pas qu’il soit ennemi de la Musique ; mais il la veut à l’Angloise, & lorsqu’il l’exécute lui-même, 5 dans [13] le goût du Païs, il la rend encore plus bruiante que celle de ces Etrangers, quoique ceux-ci soient accoutumez à remplir les plus grands Théâtres. Aussi l’étenduë de voix qu’il faut sur la Scene, n’est-elle rien au prix de celle qui est nécessaire à la Chasse du 6 Renard. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Je me suis trouvée une fois à un Divertissement de cette derniere espèce, où je fus surprise de ce que d’habiles gens peuvent y faire. La Partie avoit été faite pour la Province de Stafford. Il y vint du monde de toutes les autres, & les plus grands Maîtres s’y trouverent. C’étoit une chose qui ne se pouvoit assez admirer, que la belle harmonie qui y reignoit entre les Chiens & les Hommes. On les avoit accouplez, & mis un Chien avec un Chas-[14]seur. Le Couple faisoit ensemble ses cris, & tous se repondoient l’un à l’autre, jamais je n’entendis pareil tintamarre. Le Sr. Belfroi sur-tout y fit des merveilles ; car sa voix porte un quart de lieuë plus loin que les plus fortes qu’il y ait en Angleterre. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Metatextualität► On me reprochera peut-être que ce n’est ici qu’une Digression, & que je perds de vuë le projet que j’avois d’abord formé de faire des reflexions sur l’usage de la Parole. Mais on aura tort ; car puisque ces cris sont employez pour suppléer à la Parole, ils appartiennent naturellement au même Chapitre. ◀Metatextualität Le Sr. Belfroi lui-même m’en fournira la preuve. Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Etant, un jour, venu rendre visite à Madame Daintis sa Parente, cette Dame lui demanda, quelles Nouvelles il lui apportoit de la Province, & ce que l’on y disoit. Savez-vous ce qu’il lui répondit ? Un Homme qui auroit eu quelque Esprit ou quelque Politesse n’auroit pas manqué cette occasion de dire à sa Cousine quelque chose de curieux ou d’obligeant. Le Personnage étoit trop ignorant & trop grossier pour cela. Il falloit pourtant dire quelque chose, & son impudence le tira [15] d’affaire. Sans prononcer un seul mot, qui fût articulé à la façon des Hommes, il contrefit une Meute de Chiens qui poursuivoient un Renard. A ce Charivari, Marquis, le petit Bichon de la Dame, prend l’épouvante, se jette sur les genoux de sa Maitresse, & se met à japper de toute sa force. Le Chasseur continuë, les Passans s’attroupent à la Porte ; bientôt on accourt de tous les côtez, & la grande Place, sur laquelle la Maison donne, est remplie. La Parente étoit dans une confusion qui ne se peut exprimer. Elle voyoit tout le monde qui rioit à se tenir les côtez. Elle seule étoit dans de mortelles angoisses. Elle jetta donc enfin des cris aigus pour imposer silence au Cousin, & Marquis, pour la seconder, faisoit un Vacarme horrible. Tout cela ne fit que blanchir. Il fallut entendre la fin de la Chasse. Quand Belfroi se fut tû, la Dame, en colere, le prit par le bras pour le chasser de chez elle. Il étoit en Bottes. Les Eperons s’embarrasserent dans les juppes de la Parente, & de son Fouet qu’il tenoit à la main, il don-[16]na sur la Porcelaine, & la renversa toute à terre. Oh ! Oh ! dit-il, Votre Vaisselle de Terre est-elle si fragile, & vos juppes sont-elles en querelles qu’on y’accroche si facilement ? Vous avez tant de babioles chez vous qu’on ne s’y peut remuer. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Il n’y a pas une seule Province, dans la Grande Bretagne, où l’on ne trouve plusieurs centaines de cette espece d’Hommes qui rugissent plûtôt qu’ils ne parlent. Et l’on se plaint après cela du flux de bouche des femmes ! Certainement une personne qui n’incommode à là fois qu’une seule Compagnie, ou qu’une seule Famille, est bien plus supportable que celle qui met dans l’allarme des Viles, & des Provinces entieres. Peut-on, même, voir, sans indignation, que des gens, qui, avec le Bien qu’ils possedent, pourroient faire la gloire & le bonheur de tout ce qui les approche, bornent leur ambition à être quelque chose de plus que leurs Chevaux, & n’aient aucun goût pour les plaisirs qui conviennent en propre à la Nature Humaine ? Qu’y ferions-nous ? C’est peine perdue que de vouloir donner des leçons à ces Nobles [17] Campagnards. On ne peut guere en profiter qu’après avoir frequenté le beau monde, vû la Cour, ou passé par les Colleges.

Toute pleine que j’étois du Sr. Belfroi, & de la plaisante Scene qu’il nous donna l’autre jour, je m’y suis trop amusée. Metatextualität► Je renvoye donc à une autre occasion le sujet que j’avois entamé. Je communiquerai alors les reflexions que j’ai faites sur les differens abus que l’on fait de la Parole ; les uns étalant une éloquence pompeuse sur les plus importantes. J’y ajoûterai le caractere du Chucheteur sans affaires ; celui du Rieur sans sujet ; celui du Dolent sans chagrin, & de tant d’autres impertinens, dont on ne s’apperçoit presque pas, parce qu’ils sont trop communs c’est-à-dire de ceux qui parlent plus vite qu’ils ne pensent. ◀Metatextualität Ces derniers sont precisément ceux qui affectent le plus de mepriser le Beau Sexe, pendant que leurs Superieurs, les Hommes qui ont du bon sens, se font gloire de le servir. ◀Allegorie ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Tout cet Article est fort mystérieux. L’Auteur, qui n’osoit encore parler aussi clairement qu’il le fit dans la suite, se cacha, & se contraignit d’abord. Dès que les Préliminaires de la Paix générale eurent échoué en 1709, les Toris commencerent à lever la tête, & leurs Prédicateurs se donnerent le mot pour reprêcher l’obéissance passive. Ces Discours, dont le but étoit d’animer les peuples, & de troubler l’Etat, ne manquerent pas en peu de temps de produire ce mauvais effet, & les gens éclairez prévirent aussi-tôt à quoi aboutiroit ce vacarme.

2L’Auteur représente ces Prédicateurs seditieux sous l’Image des Chasseurs, à cause du bruit que font les uns & les autres. Il mêle à cela des choses étrangeres à sa vuë principale, afin de la mieux déguiser. Par la Chasseuse du Nord, il désigne le Dr. Jean Sharpe, alors Archevêque d’Yorck, auquel on a imputé d’avoir été, dans les derniers temps, fort Jacobite, & de n’avoir pas même peu contribué à gâter la Reine.

3Il s’agit ici du Dr. Offspring Blackhall, Evêque d’Exeter, qui avoit toutes les manieres d’un Ecolier, ou d’un homme de l’autre monde.

4Ce sont les prétendus Prophetes, la plupart étrangers, & originaires des Cevennes, qui, depuis quelque temps, avoient fait beaucoup de bruit à Londres, & contre lesquels Mr. Blackhall fit un Sermon qui fut imprimé par ordre de la Reine, & dont on parla beaucoup.

5Les Anglois ne sont pas ennemis des Revolutions ; mais ils n’aiment pas que les Etrangers se mêlent de leurs aiffaires. Bien des gens soupçonnerent que l’Enthousiasme des Prophétes Cevenols, cachoit en Angleterre quelque profondeur Politique.

6Le Poëte Johnson a écrit une Comédie intitulée, Volpone, ou le Renard. Le principal personnage en est un Maitre Fripon. Ce nom de Volpone, ou Renard fut celui que les Toris donnerent à Mylord Godolphin, Grand-Thrésorier, dès que l’an 1703. il les eut abandonnez dans le projet de leur Acte favori contre la Conformité occasionnelle.