Référence bibliographique: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Éd.): "A Son Altesse Roiale.", dans: La Spectatrice danoise, Vol.1\000 (1749), édité dans: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Éd.): Les "Spectators" dans le contexte international. Édition numérique, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4630 [consulté le: ].


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A son Altesse Roiale
Madame la Princesse
héréditaire de Suéde
.

Princesse ! qui savez aux attraits d’une Femme
D’un Héros unir les vertus,
Du zèle, qui pour vous m’enflamme
Je suis les ordres absolus.

Ce zéle, Madame, éxige de moi, que j’offre à Votre Altesse Roiale ma Spectatrice Danoise. Je rêvois depuis longtems, à qui je la dédierois. Il me falloit une Héroine : car, le moien de me résoudre à encenser une vertu commune, après avoir dit si librement la vérité au Dannemarc ! Ce mérite accompli, j’ai cru le trouver en Vous, Madame : J’ai cru voir en Votre Altesse Roiale ce rare assemblage de qualités solides & brillantes, qui met une Epitre Dédicatoire à l’abri de tout soupçon de flatterie.

Il m’est pourtant venu un scrupule. J’ai craint que Votre rang ne m’en imposât ; que Votre haute naissance ne me fit illusion. Pour m’éclaircir, j’ai osé dépoüiller V. A. R. des titres pompeux dont elle est revêtuë, de l’éclat qui l’environne, de la suprème puissance qui l’attend ; J’ai osé Vous réduire au rang d’une simple Particuliére. Ah ! Madame, que, sous ce point de vuë, Vous m’avez paru digne de la Couronne ! Plus je Vous en éloignois par ce jeu, ou, pour mieux dire, par cet effort d’imagination ; & plus Vos perfections Vous en approchoient. Le résultat de mon éxamen a été ; que Fortune, en Vous comblant de ses dons les plus précieux, n’a fait que seconder les vuës de la Nature :

De Votre nom fameux quelle que soit la gloire,
Vous lui rendés l’éclat, que Vous en empruntés,
Vous devrés Votre place au Temple de Mémoire
Moins aux titres que Vous portés,
Qu’aux éminentes qualités,
Dont Vous enrichirés l’Histoire.

Vos attraits, Vos graces, Vos mœurs,
Votre esprit, Votre caractère,
Quand Vous ne seriez que Bergère,
Vous vaudroient l’empire des Cœurs.

Que Votre Altesse ne soit donc pas surprise, si je prends la liberté de Lui présenter l’hommage de mes travaux. Je ne prétends pas ajouter par ce présent quelque chose à Votre gloire. Je sçai, Madame, que Vous n’avez pas besoin d’un bel ouvrage, pour immortaliser Votre Nom ; mais je sai aussi, que j’ai besoin d’un beau nom, pour immortaliser mon ouvrage. Et pouvois je en <sic> choisir un, plus auguste, que le Votre ? Où trouver plus de discernement, plus de gout, plus de délicatesse, plus de connoissance de la Langue Françoise ? Cela mème devoit éloigner, ce semble, Aspasie de vos regards : Mais j’ai été enhardi par le favorable accüeil, dont la Cour & la Ville ont honoré mes Feüilles : je me suis flatté, que V. A. ne dédaigneroit pas un tableau fidelle des mœurs des Danois, qu’elle est assés indulgente pour en excuser les défauts, & que le desir de lui plaire me tiendroit lieu de succès.

D’ailleurs, les Danois méritent par l’impartialité, avec laquelle ils rendent justice à Vos vertus, que je leur propose un modèle parfait. Et quel modèle plus beau, qu’une Princesse, qui mesure son bonheur par le bonheur public ; que l’humanité, la douceur, l’affabilité, la droiture caractérisent ; dont le génie, véritablement né pour le grand, annonce au Nord les jours les plus heureux ; & qui fait consister la solide grandeur dans l’amour d’un Peuple nombreux, dont elle est l’éspérance ?

Mais y pensé je ? Est-ce à moi, Madame, à faire Votre éloge ? La voix publique a-t’elle besoin d’écho ; & Votre gloire de Panegiriste ? Votre délicatesse ne s’offensera t’elle pas des traits, qui viennent de m’échapper ? J’ai envain l’éxacte vérité pour garant. Vous ne pouvés Vous voir peinte, sans Vous croire flattée. Vous voulés mériter des loüanges, & Vous ne voulés pas les entendre.

Je me tais : mon respect souscrit à cette loi :
La Suéde peut-elle y souscrire avec moi ?

J’ai l’honneur d’être avec la plus profonde soumission ,

MADAME

de Votre Altesse Roiale

A Copenhague,ce 3. Mars, 1749.

Le très humble, très
obeissant & très soumis
serviteur
Angliviel de la Beavmelle. ◀Niveau 1