Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: XXXIIe Discours.
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Nivel 1
XXXIIe. Discours.
Sur quelques beaux effets de la révolution.Nivel 2
Si d’un côté la
révolution française a produit des effets affligeans ; si elle a
dévoilé bien des ingrats et de faux amis de l’humanité ; si elle
a exposé au grand jour bien des passions honteuses ; si elle a
démasqué bien des vices, et transformé trop souvent l’adulation,
la bassesse en arrogance, en cruauté, elle opère bien des
prodiges, fait éclore des talens et briller des vertus ignorées.
Des militaires, auxquels on auroit à peine osé confier la
conduite de vingt soldats et l’attaque d’un village, conduisent
de grandes armées à la victoire, dirigent les opérations d’un
siège important, et réduisent, après quelques jours d’attaque,
des garnisons nombreuses à souscrire des capitulations qui
seroient humiliantes pour la bravoure. Certainement les
campagnes de Jourdan, de Pichegru, peuvent être comparées à
celles qui ont immortalisé Turenne et le maréchal
de Saxe ; ils ont triomphé des plus grands généraux de l’empire
et de la Prusse ; leurs marches n’ont pas été moins rapides,
leurs dispositions moins savantes que celles de nos plus
illustres capitaines. L’ardeur des soldats qu’ils commandent a
mis la discipline en déroute, et rejeté tous nos ennemis au delà
de ce fleuve rapide qui fut, tant de siècles, l’imposante
barrière des Gaules et de la Germanie. Il ne faudroit pas
pourtant en conclure que tout bon soldat puisse devenir un
excellent général, ainsi que l’a prétendu un orateur des
Jacobins, qui n’a de commun avec Démosthènes que la difficulté
que cet illustre Athénien avoit, dit-on, surmontée en répétant
ses discours devant la mer agitée. On doit seulement en tirer la
conséquence que parmi les hommes que la vanité et les préjugés
absurdes concentroient dans les emplois subalternes, il se
rencontre des individus plus capables par l’étendue de leurs
conceptions, la rapidité de leur coup-d’œil, et la justesse de
leurs mesures, d’honorer les armes d’une nation, et d’affermir
sa puissance, que tous ces vains personnages qui
se croyoient déjà de grands hommes, parce qu’ils se glorifioient
d’avoir de grands noms. Ce qui n’est pas moins surprenant, c’est
le développement subit du talent de la parole dans des individus
qui sembloient être, par leur ancienne profession, étrangers à
l’éloquence, à ses formes brillantes, à ses grands mouvemens, à
ses apostrophes véhémentes. J’avoue que j’ai très-peu lu de
harangues qui réunissent ces parties oratoires au point où elles
se rencontrent dans un des discours que prononça Legendre dans
cette séance où les agens de la terreur dénoncèrent l’humanité
comme un crime, et osèrent tenter de replonger dans des cachots
la vieillesse et les infirmités qui venoient d’être rendues à la
lumière.
Un discours nourri d’idées
toutes aussi énergiques, et prononcé avec l’expression de la
force et du sentiment, a produit sur la convention et sur le
peuple un tel effet que le crime en a été consterné ; Si de ces talens inattendus,
nés de la révolution, nous passons aux vertus privées, nous en
verrons qui, peut être moins éclatantes, n’en méritent pas moins
notre estime. Des femmes, jusqu’alors timides, ont tout-à-coup
été transformées en héroïnes. N’en avons-nous pas vues qui, pour
ne pas survivre à leurs époux et les accompagner jusqu’à la
mort, ont défié l’iniquité d’un tribunal féroce, et fait
entendre, dans son odieuse enceinte, ce vœu proscrit par le zèle
républicain ? Ces juges avides de sang, au lieu de jeter le
voile de l’indulgence sur un délire respectable,
furent assez aveugles dans leur cruauté pour accomplir, par une
condamnation précipitée, le dernier desir de l’amour conjugal.
D’autres, tant que leurs maris ou leurs fils furent captifs,
alloient, dès le lever de l’aurore, s’asseoir sur une pierre
pour attacher leurs regards tendres et inquiets aux barreaux qui
leur laissoient entrevoir les objets de leurs affections ; on
eût dit que le sentiment qui les occupoit les élevoit au-dessus
de l’humanité. La nuit les surprenoit encore dans leur
déplorable jouissance, et ce n’étoit que pour revenir le
lendemain à la même place, qu’elles regagnoient leur triste
demeure. Jamais le soleil n’éclaira dans son cours une aussi
vénérable douleur. Mère de Hérault de Séchelles, où reposes-tu
maintenant, depuis que tes yeux usés de larmes ne peuvent plus
découvrir celui qui faisoit le charme de ta vieillesse ? Tu ne
verras plus ce jeune orateur d’une si belle espérance, qui
réunissoit, sous des dehors si aimables, le talent d’émouvoir
les cœurs, et qui eût réuni tous les suffrages, s’il n’eût eu le
malheur de s’égarer dans le chemin de la gloire !
L’antiquité ne se seroit-elle pas honorée de compter parmi ses
citoyennes celle qui, bravant la surveillance des sentinelles,
et persistant à ne vouloir jamais s’éloigner des murs où
gémissoit son mari, fut entraînée à un corps-de-garde, et
ensuite au comité de sa section, qui la menaça de la prison si
elle continuoit ses recherches, qu’on osoit nommer criminelles.
Je ne peux, répondit-elle, résister à la force ; mais, je vous
le déclare, je ne serai pas plutôt libre que je retournerai vers
le lieu d’où vous m’avez arrachée. Etonnée de son courage et de
sa franchise, la violence ne la retient plus et la laisse
échapper ; déjà elle revole goûter la seule consolation qui
reste à sa douleur. Représentans du peuple, que de filles, que
de mères, que d’épouses vous avez vu, dans vos maisons, attendre
votre passage dans la plus humble contenance, se prosterner à
vos pieds, y oublier la décence de leur sexe, le sentiment de
leur naissance, braver les menaces de la puissance, les dédains
de l’insensibilité, les dangers de l’importunité, pour essayer
de vous toucher, et obtenir de votre émotion, un frère, un fils,
un époux ! Pourquoi le Spectateur, qui doit tout
voir, tout révéler, ne consigneroit-il pas, parmi les actes de
vertu révolutionnaire, la résignation de certains ministres d’un
culte dont les illusions sont dissipées ? Plusieurs d’entre eux,
victimes de leurs opinions religieuses, ont refusé, dans leur
abandon, dans le dénuement le plus affreux, les secours de leurs
compagnons de captivité. Insensés, qui jouissez de votre
erreur, comment ne voyez-vous pas que le ciel vous abandonne à
la destinée de l’espèce humaine ? Mais votre courage vous honore
aux yeux de l’impartialité, qui plaint et respecte votre aveugle
crédulité. Si je parcourois tous les états, j’y verrois des
vertus de tous les genres, produites par la révolution : des
femmes, jadis opulentes, habituées aux commodités du luxe,
supporter avec dignité les privations du
nécessaire ; des serviteurs faire le sacrifice de leurs gages
pour nourrir ceux qui étoient leurs maîtres ; des amis qui se
sont exposés à la mort pour dérober l’amitié aux recherches de
la persécution ; des prisonniers qui ont préféré de demeurer
captifs à la honte de trahir la confiance ; des enfans qui se
sont dévoués à de vils travaux pour subvenir aux besoins d’une
mère tout-à-coup réduite à l’indigence ; de sensibles
mercenaires qui, sous le voile d’un message, ont partagé entre
un prisonnier et sa famille le fruit de leurs épargnes ; des
pères, des frères qui ont trompé la justice, et se sont dévoués
à ses coups pour conserver un père à leurs neveux, un fils plus
utile à sa mère. C’est sur ces traits qui honorent notre
révolution, que je me plais à arrêter mes regards ; c’est en les
y attachant que je me réconcilie avec l’humanité, que je ne
rougis pas de lui appartenir. Je voudrois qu’on en composât un
recueil pour l’instruction de la jeunesse ; il ne lui seroit pas
moins utile pour la perfection de ses mœurs que celui qu’on
destine à animer son zèle par le récit de ces actes civiques,
dont la plûpart ne sont peut-être pas plus réels
que la submersion héroïque de l’équipage du Vengeur, et que
plusieurs autres qu’un de nos représentans vient de démentir. Un
pareil ouvrage rédigé avec la liberté de la pensée et
l’exactitude de la vérité, feroit rougir l’étranger de son
injustice envers une nation qu’il déprécie sur les torts de
quelques individus, au lieu de l’estimer sur la masse de ses
vertus ; il nous présenteroit sous des auspices favorables à la
postérité, à laquelle l’histoire transmettra nos déchiremens,
nos déclamations sanguinaires, nos actes de barbarie, et qui
ignorera peut-être que la nation fut plus à plaindre que
coupable sous l’empire du crime et du parjure ; qu’elle n’a pas
été plutôt rendue à la liberté de son caractère sensible et
généreux, qu’elle a désavoué ceux qui ont osé parler et agir en
son nom ; enfin qu’elle demeura ensévelie sous la crainte à
l’aspect des forfaits dont elle gémissoit en silence.
Réponse.
Metatextualidad
Je ne citerai que
quelques phrases détachées de ce discours, inspirées par une
indignation courageuse.
Nivel 3
« On veut obscurcir l’horison
politique par un nuage qui ne peut s’élever que de la vapeur
du crime. Représentans, l’opinion publique vous entoure ; il
n’appartient pas à une poignée de factieux de vouloir
troubler la république. Quels sont donc ces hommes qui
s’élèvent aujourd’hui contre la convention ?
Les mêmes qui avoient couvert la France de morts et de
paralytiques. J’interpelle ici mon collègue Bourdon, qui a
parcouru avec moi les prisons de Paris, de dire si nous
n’avons pas mis en liberté des spectres, des vieillards, des
aveugles, des sourds et muets que l’on accusoit de
conspirations. . . Misérables ! c’étoit pour vous faire
oublier que nous réparions vos crimes. . . Ceux qui blâment
nos opérations ne sont, à proprement parler, que des hommes
de proie. . . Regardez-les en face, vous verrez sur leur
figure un vernis composé de fiel de tyran. . . Ils parlent
de la mort, dont ils disent qu’ils sont à chaque instant
menacés. Je suis loin de la demander pour eux ; je voudrois
que l’Auteur de la nature les condamnât à ne jamais mourir,
pour traîner une vie odieuse au milieu des horreurs de
l’ignominie. . . Je voudrois pouvoir les montrer à mes
descendans, et instruire ma famille à s’attacher à la vertu,
en lui représentant la punition terrible que l’on faisoit
éprouver au crime. . . Les monstres ! ils
voudroient pouvoir encore nous enfouir dans le sang et dans
les cadavres ! mais leurs projets seront confondus.
Représentans du peuple, marchez avec le peuple, et jamais il
ne vous abandonnera ».
Ejemplo
ce fut la massue d’Hercule qui
terrassa le lion furieux de ce qu’on lui avoit ravi sa proie
qu’il vouloit resaisir.
Nivel 3
« Gardez,
gardez, disoient-ils, pour vous-mêmes ce que la pitié vous
porte à nous offrir. Nous sommes ici au poste du malheur ;
le ciel, qui nous y a placés, nous en retirera, ou nous y
succomberons si c’est sa volonté. Notre indigence ne nous
humilie pas ; elle n’est honteuse que pour nos
persécuteurs ».
Lettre d’un Négociant qui se ruine en gagnant toujours sur le prix de ses marchandises.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Depuis quinze ans que j’ai
embrassé la profession du commerce, j’ai toujours en vue
de me concilier l’estime publique, de faire honneur à
mes engagemens, d’accroître ma petite fortune sans la
compromettre dans de grandes et périlleuses
spéculations. J’avois, à l’époque de la révolution, un
fond de marchandises qui, d’après les factures, m’étoit
revenu à cent mille francs ; c’étoit tout mon bien, je
n’en desirerois pas davantage ; pourvu que ce fond, me
disois-je, produise annuellement dix mille francs de
bénéfice, je serai en état de subvenir à mes dépenses
journalières de satisfaire les fantaisies modestes de ma
femme, d’élever mes enfans ; et si je viens à mourir, en
suivant les règles de commerce et d’économie dont je
leur aurai donné l’exemple et le précepte, ils ne
manqueront jamais du nécessaire. Aujourd’hui, cette
perspective consolante s’est transformée en
pressentimens douloureux ; et au lieu de
l’espoir de transmettre à mes enfans une fortune
améliorée par mon travail et mon assiduité, j’ai la
juste crainte de ne leur laisser pour héritage qu’un nom
et une maison déshonorée : n’allez pas croire cependant
que je vende à perte ; au contraire, je fais sur mes
marchandises un bénéfice plus fort que celui dont je
savois autrefois me contenter. La toile qui me coûte 8
livres, je ne la donne pas à moins de 9 livres ; ainsi
je gagne plus de douze pour cent sur mes ventes. Que
résulte-t-il de ce gain qui n’est qu’apparent ? que
40,000 livres que j’avois en toile, m’ont produit à la
vérité 45,000 liv., mais pour 40,000 liv. il m’étoit
parvenu cinq mille aunes de toile à 8 liv., et je n’ai
pu m’en procurer que quatre mille aunes avec la même
somme ; j’ai continué de vendre toujours avec le même
bénéfice, et de remplacer les fonds qui me rentroient
par de nouvelles marchandises prises dans nos
fabriques : il s’est ensuivi de ma persévérance à
observer la loi du maximum, que les rayons de mon
magasin, qui étoient surchargés de toiles n’offrent
partout que des vuides ; lorsque je gémis de cette
altération dont l’aspect me désole, on me
dit que vous importe d’avoir moins en quantité, puisque
vous avez toujours le même fond en valeur ? Ne
voyez-vous pas, répliquai-je, que si mon commerce va
toujours ainsi en décroissant de quantité, quoiqu’en
augmentant en valeur, tout mon magasin sera limité à un
coin misérable qui, en représentant toujours à vos yeux
un fond de cent mille francs, finira par ne plus
contenir que de quoi faire des chemises à ma femme et à
mes enfans. Il en sera de mon commerce comme de celui
d’un épicier qui auroit eu pour cent mille francs de
sucre, et qui, en vendant ses pains au maximum, en
auroit à mesure de sa vente acheté d’autres d’après le
prix établi dans les ports ; au lieu de douze mille cinq
cents pains de huit livres qu’il avoit, il n’en auroit
plus que douze cents aujourd’hui, et dans un an il lui
en resteroit à peine pour la consommation de sa
maison. . . . . Mes observations, toutes évidentes
qu’elles soient, lorsque je les fais aux consommateurs,
leur paroissent des subtilités, et on ne me répond que
par ces mots vuides de sens : si l’on écoutoit les
marchands, il faudroit tout leur payer au poids de l’or.
Eh ! qui voulez-vous donc écouter et
consulter en matière de commerce, si vous dédaignez
l’opinion de ceux qui y ont mis leurs fonds et leur
industrie ? Leur expérience ne vaut-elle pas bien le
savoir des hommes qui n’ont jamais acheté que ce qui est
nécessaire à leur ménage ? Un de mes confrères, beaucoup
plus riche que moi, à qui j’ai fait part de mes terreurs
sur l’avenir, et auquel j’ai demandé comment il se
garantissoit du malheur qui me ménace, m’a confié ses
procédés : je dirige, m’a-t-il dit, mon commerce sur un
plan bien différent du vôtre ; avant de livrer cent
aunes de toiles qu’on me demande, je sais à quel prix on
me les fourniroit dans une fabrique d’où je les tire, et
c’est sur ce prix que je règle ma vente ; je ne
m’inquiète pas du prix porté sur mes anciennes factures,
je ne vois que mes mesures ; il faut, avant que j’altère
mon fond d’un nombre quelconque d’aunes, que je sache si
je pourrai les remplacer avec l’ergent <sic> que
je recevrai, après avoir prélevé le bénéfice que je dois
y faire. C’est en suivant cette marche que j’ai toujours
la même quantité de pièces de toile dans mon magasin ;
et le gain que je fais sur mes ventes
fournit aux frais habituels de ma dépense. J’observai à
mon confrère que son procédé, tout juste qu’il me
paroissoit, ne s’accordoit pas avec la loi du maximun
<sic>, et qu’il s’exposoit à être dénoncé et puni
comme prévaricateur. Je ne connois pas de loi, me
répliqua-t-il, qui me prescrive de continuer le commerce
avec la certitude d’aller à ma ruine, à celle de mes
enfans, et d’opérer celle de mes créanciers ; si une
pareille loi existoit, elle seroit si contraire à toute
justice, qu’il faudroit croire qu’elle a été surprise à
la sagesse de nos législateurs, et qu’ils ne tarderont
pas à revenir de leur erreur ; mais comme alors on ne me
restitueroit pas ce que cette erreur m’auroit fait
perdre, j’ai commencé par prendre pour règles de ma
conduite les principes du commerce et les règles de la
probité. Toute pure que puisse paroître cette morale,
elle ne m’a pas inspiré assez de sécurité pour m’y
confier, et j’ai consulté un autre négociant dont
j’estime la droiture et sa scrupuleuse soumission aux
décrets de l’assemblée nationale : voici quelle a été sa
réponse : une loi opposée au commerce existe. Le
commerçant est citoyen avant d’être négociant, il doit donc obéir à cette loi. Il est tenu
d’être toujours citoyen, il n’est pas obligé de faire
toujours le commerce ; mais, comme citoyen, il a son
honneur à conserver ; comme chef de famille, il a la dot
de sa femme et le patrimoine de ses enfans à préserver :
que fais-je pour concilier tous ces devoirs ? je vends
les marchandises de mon fond suivant la loi du maximum,
mais je n’en fais pas venir de nouvelles. Du produit de
mes ventes j’acquitte mes billets, je rembourse les
fonds qui m’ont été confiés ; j’achète, du surplus, des
domaines, des immeubles. Lorsque mon magasin sera
épuisé, je congédierai mes commis, et je me retirerai à
la campagne, ou je demeurerai à la ville, pour y exister
tranquillement avec ma famille qui vivra de mon revenu.
Il résulte de ces exemples différens, que le négociant
qui persiste à continuer son commerce, en ne s’écartant
jamais de la loi du maximum, marche avec la révolution à
une ruine inévitable ; que celui qui, sans avoir égard à
cette loi, prend pour règle du prix de ses ventes celui
des fabriques qui s’élève progressivement de jour en
jour, court le risque d’être dénoncé et
puni comme rebelle à la loi ; que le marchand qui ne
veut pas s’exposer à ce danger, ni à celui de n’avoir un
jour à présenter à ses créanciers, à sa femme et à ses
enfans qu’un gage idéal, se détache de son commerce, ne
commande plus rien aux fabriques, ce qui doit entraîner
la chûte des manufactures et amener nécessairement la
rareté des marchandises nationales. J’ai pensé que ces
observations ne paroîtroient pas superflues à un
Spectateur ; et que s’il les publioit, elles pourroient
frapper nos législateurs, et ramener leur attention sur
une loi dont le projet n’a pas été assez discuté, assez
approfondi, et dont les inconvéniens nous paroissent
tous les jours plus sensibles.
Carta/Carta al director
Je vous sais
très-bon gré d’avoir bien voulu m’éclairer sur un sujet que
je n’ai, comme tant de braves citoyens, observé que
très-superficiellement. Il m’avoit jusqu’à présent semblé
que les négocians n’avoient point à se plaindre d’une loi
qui leur accordoit un bénéfice honnête sur les marchandises renfermées dans leur magasin ; mais je
n’avois pas songé à la difficulté qu’ils éprouveroient à
s’en procurer la même quantité, sans faire non-seulement le
sacrifice de ce bénéfice, mais encore sans y exposer de plus
forts capitaux. D’après la vérité que vous m’avez rendu si
sensible, je vous conseille de suivre la marche de votre
confrère qui convertit en immeubles le produit de ses
ventes. Ce que vous aurez acquis demeurera dans toute son
étendue à votre femme et à vos enfans. Si tous les marchands
prenoient ce parti, le commerce et les manufactures
finiroient, il est vrai, par s’anéantir ; mais la fraude
sauvera les uns, la témérité perpétuera les autres, en
attendant qu’une loi nouvelle vienne au secours de la
probité et de la prudence.