Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: XXIXe Discours.
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Niveau 1
XXIXe Discours.
Sur l’Esprit Public.Niveau 2
Je reporte aujourd’hui mes regards sur
ma patrie ; je les attache à cette capitale qui est à la
république ce que le cœur est au corps humain ; c’est elle qui
donne le mouvement et la direction à toutes les affections, à
toutes les pensées de l’Empire François : combien donc il
importe à nos législateurs d’y semer de bons principes, d’y
faire prédominer la sagesse, d’en écarter le trouble, et de
rendre à la justice toute son énergie ! Aujourd’hui cette grande
cité semble être revenue de ses erreurs ; fatiguée d’une trop
longue anarchie, elle soupire après l’ordre, elle
s’indigne contre les agitateurs, elle discerne ses véritables
ennemis, elle veut les réduire à l’impuissance de lui nuire, et
appelle la vengeance sur la tête des coupables. Ceux-ci,
effrayés des conséquences que peuvent avoir ces cris multipliés,
font leurs efforts pour les étouffer : et le Spectateur a sous
ses yeux la défense du crime inquiet contre l’attaque d’une
liberté éclairée. Il y a quelques mois la persécution opposoit
nos succès aux murmures ; elle se faisoit un rempart de nos
triomphes ; il sembloit que nous ne dussions qu’à elle nos
victoires. Depuis qu’elle a perdu son terrible ascendant,
qu’elle ne domine plus dans les comités, dans les
administrations, nous n’en cueillons que plus de lauriers, et ce
n’est qu’après que le règne de l’équité et de la modération a
succédé à celui de la terreur, que nos ennemis ont désespéré de
nous vaincre, ont mis le Rhin entr’eux et nous, et s’occupent
des moyens d’obtenir la paix de ceux qu’ils se vantoient de
subjuguer. Aussi ces succès éclatans, ces prises si rapides de
Maëstricht, de Nimègue déconcertentils nos
prétendus patriotes ; ils auroient voulu que la victoire se fût
détachée de nos étendarts à l’instant où le pouvoir a échappé à
leurs mains sanguinaires ; ils auroient desiré que le danger se
fût accru pour nous au point de nous forcer de recourir à leurs
fausses lumières, à leur politique trompeuse. On reconnoît à
présent que tout ce que nous avons éprouvé d’heureux provenoit
de l’ardeur de nos guerriers, de l’habileté de nos généraux, et
que ceux qui s’attribuoient leurs succès n’étoient que les
auteurs de nos maux et de nos désastres intérieurs. Voilà la
vérité qui confond leur orgueil et les livre au ressentiment de
la nation qu’ils ont abusée. Ah ! qu’ils ne viennent plus nous
vanter leurs mesures homicides, et nous dire que nous leur
sommes redevables de nos victoires ! Il n’a pas tenu à eux qu’un
découragement universel ne s’introduisît parmi nos armées, et
qu’il n’y eût pas un chef éclairé qui osât les commander ; ils
ont fait un crime à un général de quelques actes trop sévères,
et ils en ont ordonné et approuvé de mille fois plus atroces ;
ils ont paru regretter la mort de qulques
<sic> soldats victimes de leur indiscipline, et ils en ont
fait périr des milliers sous leur instrument favori. Le brave
Kellerman n’a-t-il pas été sur le point, après une longue
captivité, de sentir ses mains victorieuses attachées
ignominieusement, et d’être traîné à l’échafaud pour y arroser
ses lauriers de son sang ? Misérables ! c’étoit donc là la
récompense que vous destiniez à l’héroïsme ! Aujourd’hui que
vous ne pouvez plus tourmenter la vertu, vous cherchez à
défendre, à protéger le crime. Comment ne voyez-vous pas qu’en
multipliant vos efforts pour sauver un coupable odieux à toute
la nation, vous achevez de vous dévoiler ; que vous vous accusez
vous-mêmes d’être ses complices, et d’avoir dicté ses ordres
barbares qui soulèvent l’humanité et la font frissonner
d’horreur ? Si vous avez la perversité de la barbarie, vous en
avez aussi l’aveuglement. Heureusement vos conciliabules
séditieux, vos agitations que vous voudriez rendre populaires,
vos diversions perfides viendront se briser contre l’attitude
équitable et imposante de la convention, et il ne vous restera
que la honte d’avoir tenté ce qui est au-dessus du
peu de forces qu’on a eu le tort de vous laisser. On l’a déjà
dit bien des fois, il ne doit y avoir dans la république
françoise qu’une puissance, c’est celle de la majorité de nos
représentans ; il ne doit y avoir qu’une volonté, c’est celle de
la majorité du peuple. Ces deux majorités s’accordent bien
évidemment pour qu’il n’y ait plus d’autres autorités que les
autorités constituées ; plus d’emprisonnemens que ceux qui
auront été prescrits par la loi et le salut public ; plus
d’exécutions que celles qui frapperont les séditieux, les
traîtres, les dilapidateurs, les tyrans, les homicides ; plus de
violations de propriétés, plus d’atteinte à la liberté des
opinions privées ; plus d’inquisitions dans les familles. Si ces
volontés bien prononcées écartent et dissipent toutes les
pétitions mendiées, toutes les réclamations partielles, je
réponds du bonheur public, du respect pour les autorités
légitimes, et du concours général à l’accomplissement de la loi.
Il restera sans doute encore de tristes souvenirs ; on entendra
des soupirs dans le silence de la paix ; des vêtemens de deuil
contrasteront avec <sic> de la jeunesse
enjouée et légère ; des récits douloureux suspendront
quelquefois les chants de l’allégresse ; plus d’un père, plus
d’un orphelin se retireront à l’écart pour n’avoir pas de
témoins importuns de leurs larmes ; on respectera leur
tristesse, on tâchera de l’adoucir ; et si l’on ne parvient pas
à les consoler, on réussira peut-être à les distraire. Lettre
d’un Mari dont la Femme a été corrigée.
Réponse.
Niveau 3
Lettre/Lettre au directeur
Que les femmes sont entêtées
et imprévoyantes ! Je l’avois prédit à la mienne qu’il
lui arriveroit malheur ; elle s’est obstinée à aller
occuper sa place dans une tribune des Jacobins ; elle a
méprisé mes conseils ; elle m’a traité de poltron et de
mauvais patriote ; elle vouloit que je l’accompagnasse :
c’est, disoit-elle, dans les grandes crises qu’il sied à
un républicain de se montrer. Heureusement pour moi je
l’ai laissé défiler ses injures, et je suis demeuré
tranquille dans ma maison. Grand Dieu ! dans quel état
je l’ai vu rentrer ! échevelée, la gorge découverte, les
bras meurtris, les yeux égarés, la voix
étouffée. Que vous est-il donc arrivé, lui ai-je
demandé ? ah ! les monstres ! ah ! les scélérats !
. . . . . . . . Je n’en pouvois pas d’abord tirer
d’autres paroles ; plus je m’efforçois de la calmer,
plus sa fureur croissoit ; elle vouloit se jetter sur
mon sabre, sur mes pistolets : je les tuerai ; non, ils
ne mourront que de mes mains, répétoit-elle. - - - A qui
en voulez-vous ? Où sont vos ennemis ? ils sont mille,
dix mille, je n’en sais pas le nombre ; que n’ai-je la
force de les exterminer tous ! ils ne vivroient pas une
heure, ils rouleroient dans les tourmens de la
mort. . . . . . me faire un pareil affront ! . . . .
m’outrager jusqu’à ce point ! . . . - - Mais
appaisez-vous : êtes-vous blessée ? Que vous a-t-on
fait ? - - - Ce qu’on m’a fait ! on m’a déshonorée : je
ne peux plus me montrer ; il faut que j’aille me cacher
au fond des abîmes, ou que je sois vengée. - - - S’ils
sont mille, dix mille, comment puis-je tirer vengeance
de tous ceux qui vous ont offensée ? Pendant que je lui
parlois, ses bras se tordoient, des larmes de rage
couloient de ses yeux ; ses mots étoient entrecoupés :
je cherchois à voir si elle étoit blessée, si son sein
n’avoit pas souffert ; je ne
découvrois rien qui dût m’alarmer ; ce ne fut qu’avec
bien de la peine de ma part, et de la résistance de la
sienne, que j’ai appris enfin que ma femme, qui a plus
de trente ans, avoit subi ce châtiment réservé pour
l’enfance : je ne vous dissimulerai pas que j’ai été
très-sensible à l’idée de cet outrage, et que si j’en
eusse connu l’auteur, j’en aurois tiré vengeance ; mais
comment le démêler à travers cette immense multitude qui
vient de fondre sur les Jacobins et sur les oisives qui
garnissoient leur tribunes ? Le lendemain je me suis
apperçu que la colère de ma femme s’étoit changée en
abattement, et qu’elle étoit moins irritée que confuse.
J’ai tâché de la tirer de sa douleur silencieuse par le
ton de l’intérêt et l’expression de la tendresse ; elle
avoit les yeux baissés, et sembloit vouloir se dérober à
mes regards ; ma chère amie, lui ai-je dit, il y a mille
à parier que l’insolent qui a porté ses mains sur toi ne
te connoît pas, que tu passerois devant lui sans qu’il
se doutât que tu as à te plaindre de son odieuse
licence ! Oublie ce qui t’afflige, et dissimule-le si
bien que personne ne puisse s’en douter ; si on parle
de cet événement devant toi, écoute-le
comme s’il t’étoit étranger ; nie avec assurance que tu
te sois trouvée dans la mêlée. Si tu consens à ne pas
t’en souvenir, qui aura la hardiesse de te le rappeler ?
Elle n’a pas répondu à ces conseils, mais elle a paru
les écouter et me savoir gré de la délicatesse que je
lui montrois en m’abstenant de lui faire des reproches.
Je suis certainement très-fâché de l’accident arrivé à
ma femme ; cependant, si quelque chose peut m’en
consoler, c’est qu’il la rendra peut-être plus docile à
mes avis ; ce châtiment, qui influe tant sur le naturel
des enfans, auroit-il conservé son ascendant sur le
caractère des femmes ? Les Persans, qui semblent avoir
hérité de l’autorité des pères à l’égard de leurs
épouses, seroient-ils plus sages que nous ?
Lettre/Lettre au directeur
Vous avez donné un
très-bon conseil à votre femme, en lui recommandant le
silence sur son malheur, et je vous promets qu’elle le
suivra ; notre révolution en produit de bien étranges : je
me rappelle le temps où les femmes affiliées
aux Jacobins consternoient les religieuses et les dévotes,
en parcourant les rues avec ces armes qui effraient la
pudeur. Aujourd’hui c’est le tour de ces intrépides
républicaines, d’essuyer un traitement qui excite le rire de
la sottise et de l’immoralité ; tant qu’il ne se fera sentir
qu’à celles qui l’ont fait éprouver aux autres, je m’en
consolerai ; mais toute ma crainte est qu’il ne tombe sur
une de ces créatures modestes, qui se croiroit pour jamais
déshonorée par ce qui ne déshonore que le lâche qui abuse de
sa force pour outrager indignement la foiblesse.