Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: XXVe Discours.
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XXVe Discours.
Sur les Moyens de rendre l’Agriculture et le Commerce florissans.Ebene 2
Depuis que la pensée n’est plus enchaînée, et qu’il
est permis à tous les citoyens de concourir par leurs idées à
l’harmonie et au bonheur de la société, je promène mes regards
avec plus d’assurance sur le régime intérieur de la république ;
j’y découvre plus d’espérance que de réalités ; on entrevoit la
félicité, et son aspect éloigné en tient lieu. Nous ne sommes
plus sous la tyrannie, mais nous ne sommes pas
encore sous la liberté ; nous ressemblons à des captifs qu’on a
mis hors de leurs prisons, et auxquels on a dit : vous pouvez
marcher, mais si vous osiez courir vous retomberez dans le
gouffre de misère d’où vous sortez. J’entends de tous côtés des
gens s’écrier : nous sommes libres, nos oppresseurs sont
abattus.
Il est
incontestable qu’en triplant la représentation de la valeur des
denrées, cette valeur a dû augmenter ; il est certain qu’en
substituant à nn <sic> signe inaltérable recherché de
toutes les nations agricoles ou commerçantes, un papier que la
contrefaçon multiplie, que la défiance dégrade, que l’étranger
repousse, il a fallu, pour en soutenir la concurrence avec le
numéraire et en entretenir la circulation, des moyens
rigoureux ; mais quelque sèvères qu’ils fussent, comme ils
n’avoient d’action que sur les individus qui y
étoient soumis, ils n’ont pu arrêter la hausse du numéraire, la
difficulté des échanges, prévenir la rareté des subsistances et
l’accroissement des salaires. L’attachement à un gouvernement
peut faire supporter aux individus qui l’ont adopté bien des
privations ; mais il est un terme à cet attachement. Si la
prudence des législateurs ne permet pas de le mettre à de trop
rudes épreuves, l’amour du bien public impose à tous les bons
citoyens le devoir d’indiquer les moyens qu’ils jugent les plus
propres à prévenir ce refroidissement, avant-coureur de
l’infidélité et du parjure. Les assignats sont la monnoie de la
république ; elle les donne en paiement à ses créanciers, à ses
fournisseurs ; ils doivent donc être remboursés sous peine d’un
deshonneur ineffaçable ; mais pour qu’ils le soient et
n’éprouvent pas une dégradation dans le commerce et la confiance
publique, il faut qu’ils aient un gage assuré uniquement
consacré à leur extinction ; ce gage peut être de trois natures,
le prix des biens nationaux, l’acquittement des impôts, et le montant des condamnations pécuniaires ; la
première est limitée, les deux autres peuvent se prolonger
autant que le gouvernement. Un décret qui porteroit que tout
débiteur de la républqiue pourra, dans tous les temps, se
libérer vis-à-vis d’elle avec des assignats, suffiroit donc pour
en soutenir la valeur et la circulation ; mais si, au lieu
d’user sagement de ce supplément à un signe d’une valeur plus
générale, on en abuse par des émissions illimitées, il en
résultera que le numéraire acquérera un nouvel ascendant sur
lui, et les moyens qu’on emploiera pour comprimer le premier ne
feront qu’accroître son énergie et sa prépondérance, en le
rendant plus rare et par cette raison plus précieux. Pour parer
à cet inconvénient, il faudroit donc avoir le courage de
décréter solemnellement, 1o. qu’il ne pourra plus être fabriqué
et mis en circulation qu’une somme déterminée en assignats ; 2o.
que tous ceux qui rentreront dans la caisse nationale pour
l’acquittement des biens nationaux continueront d’être
supprimés ; 3o. qu’un an après la paix, la république s’oblige à
n’en plus remettre en circulation, quoiqu’elle
s’engage à recevoir en paiement tous ceux qui lui seront
présentés, jusqu’à leur extinction totale ; 4o. qu’il sera
dès-à-présent libre à tous les contractans de stipuler leurs
ventes ou leurs achats payables en argent ou en assignats,
pourvu que le montant du marché excède mille francs et soit
sujet à l’enregistrement. Ce réglement fortifiera la confiance,
fera reparoître le numéraire, et rendra à la république un
crédit extérieur, dont les plus puissans Empires ne peuvent se
passer. Le
commerce est l’image de la providence ; la liberté lui donne des
aîles pour voler d’une extrêmité du monde à l’autre, et répartir
les dons de la nature sur toutes les sociétés, en raison de
leurs besoins et de leurs facultés : sans cette liberté il se
traîne avec peine, et loin d’accroître les subsistances, il les
absorbe et les détériore. Ne calculez jamais avec le commerce,
c’est à lui seul qu’il appartient de calculer avec
vous ; si vous voulez le tromper, vous vous tromperez
vous-mêmes. Vous avez vu ce qu’ont produit ces déclarations, ces
visites domiciliaires, ce maximum ? Oubliez ces mesures
nuisibles à la société ; bientôt le desir de vendre surpassera
le besoin d’acheter, et l’abondance naîtra de l’intérêt du
marchand. Laissez-le s’agiter pour découvrir, pour multiplier
les subsistances ; fiez-vous-en à son industrie, elle vous
amènera plus d’objets de consommation que toutes vos
réquisitions ne pourront vous en conserver. Si vous avez une
barrière à mettre, placez-là aux extrêmités de vos frontières
pour arrêter l’exportation des denrées d’une nécessité absolue
et des matières premières : si vous avez des encouragemens à
donner, réservez-les pour l’importation de ces mêmes denrées et
de tous les alimens de vos manufactures : au lieu d’absorber vos
fonds dans des fêtes qui ne produisent qu’un stérile spectacle,
qu’une surprise passagère, ou dans des sociétés tumultueuses,
consacrez-les à l’entretien des routes, à l’ouverture des canaux
navigables, et bientôt la république sera comme un
corps vigoureux et bien constitué qui sent circuler dans ses
veines la force et la santé. Le commerce pour vivifier toujours
un Etat et l’enrichir sans jamais l’exténuer, doit se reposer
sur l’agriculture nationale et s’unir à elle : mais par la
raison que l’homme libre ne peut assujettir sa marche à celle
d’un esclave chargé d’entraves, il faut que la liberté de
l’agriculture soit égale à celle du commerce. Eclairons le
laboureur et ne le tyrannisons jamais ; prouvons lui par
l’exemple qu’il peut gagner davantage, et nous le verrons se
rendre à l’évidence des fait <sic>, quoiqu’il résiste à la
clarté des préceptes : ne commençons pas par mettre un impôt sur
son industrie, parce qu’il veut travailler pour lui ; et en
travaillant pour lui il travaille nécessairement pour nous ;
qu’il ne s’apperçoive pas qu’en encourageant les défrichemens on
a aussi pour objet d’accroître le revenu public. Lorsque les
terres seront une fois en valeur, il aimera mieux payer un
sixième de sa récolte que de les abandonner à la stérilité ; peu
nous importe l’étendue de sa propriété ; s’il la rend bien
productive, elle n’est pas trop étendue ; il
n’y a que le mauvais agriculteur qui a trop de terres, quelque
peu qu’il en ait. Conserve-t-il son grain ? tant mieux ; c’est
un magasin de plus que vous avez ; il faudra bien qu’il le
vuide, sous peine d’attirer sur lui sa ruine et la malédiction
publique ; garantissez-le des taxes arbitraires et du pillage,
il vous préservera de la famine. Avec ces réglemens, me
dira-t-on, que deviendra le gouvernement révolutionnaire ? Vous
voulez donc le détruire ? non certainement, puisqu’un décret le
prolonge ; mais je desire qu’il subsiste pour agir en sens
contraire de sa conduite passée : il a amené sur nous des
malheurs et des persécutions dont nous avons tous gémi ; il a
commis des forfaits, exercé des cruautés qui inspirent de
l’horreur aux hommes les moins sensibles ; il a paralysé le
commerce, éteint l’industrie, découragé l’agriculture, multiplié
les agitateurs, enhardi la calomnie, humilié les vertus ; il
faut qu’il foudroie ses agens pervers, qu’il dirige son énergie
contre les ennemis publics qui se sont revêtus des couleurs du
patriotisme, pour immoler une patrie qui n’est pas la leur ; il
faut qu’en expulsant des administrations
l’arrogance et la cupidité, il y ramène la probité et les
lumières. La convention, dégagée de tous ses ennemis, éclairée
par l’expérience, animée d’un bon esprit, soutenue des vrais
citoyens qui ont placé leur espoir en elle, n’a plus aujourd’hui
qu’à prescrire le bien pour qu’il s’effectue. Les rébelles qui
la défioient n’osent plus soutenir ses regards ; qu’elle use de
son pouvoir, et ils rentreront dans la poussière ; ils ont voulu
le règne de la terreur, eh bien, qu’ils subsiste pour eux seuls.
Il ne s’agit que de bien appliquer les mots aux choses, et tous
les gens honnêtes s’entendront. Les vrais
contre-révolutionnaires ne sont-ils pas ceux qui ont fait haïr
la révolution et regretter l’ancien gouvernement ; qui ont
attiré sur la république des calamités que le despotisme le plus
cruel auroit eu honte d’y répandre ; qui ont dépeuplé nos cités,
renversé nos édifices, englouti des familles entières, refusé la
justice aux accusés, miséricorde au repentir en violant leurs
promesses, et enveloppé dans les mêmes exécutions les coupables
et les innocens ? C’est donc contre ces ennemis
avérés que le gouvernement révolutionnaire doit tourner son
glaive vengeur. Par quelle fatalité a-t-il jusqu’à présent
épargné les tigres pour n’immoler que de paisibles agneaux ?
Comment avons-nous pu souffrir si long-temps qu’on transformât
la modération en crime, et la violence la plus brutale en
vertu ? Ces idées monstrueuses sont heureusement dissipées ; on
n’en imposera plus avec des mots, et on sera jugé sur les
choses. Lettre d’un Jacobin qui se propose de se démettre de son
titre.
Réponse.
Exemplum
Mais si je dis à un
négociant : la fortune n’est plus un sujet d’épouvante,
l’industrie va reprendre son cours ; quel emploi allez-vous
faire de vos capitaux ? Il me répond : le temps n’est pas
encore venu de se livrer aux spéculations du commerce ;
avant d’acheter, il faut être le maître de disposer de ce
que l’on a, et ne pas courir le risque de ne recueillir que
la haine publique pour prix de ses peines et de ses avances.
Exemplum
Si j’interroge un homme de lettres
sur l’objet de son travail ; il me rappèle que plus d’un
écrivain n’existe plus parce qu’il s’est reposé avec trop de
confiance sur le droit qu’il croyoit avoir de donner un
libre essor à sa pensée, et que l’expérience lui prescrit le
silence et le repos.
Exemplum
Si je questionne une mère de
famille sur l’éducation qu’elle se propose de
donner à ses enfans, elle me répond qu’elle attend le temps
où elle pourra se dispenser de les confier à l’ignorance, et
choisir un instituteur éclairé.
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Allgemeine Erzählung
J’étois, il y a quelques
jours, chez un propriétaire qui fait valoir un vaste
domaine ; je le complimentois sur les principes
favorables à l’agriculture que paroît avoir adopté la
convention. Tout cela est beau, me dit-il ; mais tandis
que je lis les feuilles où ces sages maximes sont
exposées et accueillies, je suis assailli de
réquisitions, et je ne sais auquel entendre. Je me
croyois propriétaire, et je suis moins le maître de ce
qui m’appartient que ne le seroit le fermier du public.
Des ouvriers qu’on m’envoie, et que je n’ai pas le droit
de refuser, viennent s’installer dans mes granges et me
font payer le ravage qu’ils y font par leur mal-adresse
et leur inexpérience. J’ai besoin de chevaux, et je
n’ose en acheter, dans la crainte qu’on ne vienne encore
les détacher de mes charrues ; j’avois deux fils
laborieux qui m’aidoient dans mes travaux, ils
languissent dans des hôpitaux, au lieu de pouvoir se
rétablir dans la maison de leur père, dont
ils soulageroient les soins. J’espérois fournir à la
république des laines, des bestiaux, des comestibles de
toutes espèces, on me laisse à peine de quoi me
nourrir ; comment pourrois-je former des élèves et
engraisser des animaux ? Si on continue d’exagérer les
rigueurs de la loi, au lieu de les adoucir, le
découragement ruinera les campagnes et affamera les
villes. Je n’avois rien à répondre aux observations de
ce bon cultivateur, et je gémissois avec lui sur
l’imprévoyance de nos anciens administrateurs, qui, en
portant les premières atteintes aux propriétés, et à la
liberté de l’agriculture, ont altéré la source de
l’abondance, et auroient fini par la tarir. En revenant
à la ville que j’habite, je m’arrêtai dans une
manufacture qui a vivifié un village entier qui
n’offroit auparavant à l’œil qu’un vallon humide et mal
sain, où erroient des animaux suivis de pauvres
mercenaires. J’admirois ce que savent opérer
l’industrie, la bienfaisance et l’amour du travail,
inspiré par une générosité attentive ; j’étois frappé de la perfection des ouvrages, de
la grandeur des atteliers, de la distribution et de
l’ordre qui y régnoient ; je remarquois l’aisance et la
liberté sur tous les visages et dans tous les
mouvemens ; chaque ouvrier, depuis l’enfant qui soutient
à peine le burin ou le pinceau, jusqu’au chef de famille
qui achève ce que sa postérité a commencé, me paroissoit
autant de parties d’une belle machine assujettie à un
mouvement régulier. Lorsque j’eus appris que ces
individus si actifs, si intelligens, qui présentent
l’image d’une république où l’âge et le talent assignent
les rangs et varient les salaires ; où la reconnoissance
et la générosité assurent à la vieillesse une fin
paisible, au malade les moyens de rappeler ses forces et
d’en attendre le retour, je me sentis plus disposé à
honorer l’humanité dans le citoyen qui en exerçoit les
vertus. Voilà, me disois-je, un homme bien précieux à la
république ; il est le père de l’orphelin, l’appui du
vieillard ; des mères, de jeunes filles qui languiroient
dans la misère ou se flétriroient dans le vice, lui
doivent leur aisance et leur honneur. Je crus
m’appercevoir cependant que ce vénérable citoyen étoit triste et inquiet : il me semble, lui
dis-je, qu’il ne devroit rien manquer au bonheur de
celui qui recueille tant de bénédictions ; est-ce que
l’homme qui ne fait que des heureux ne le seroit pas
lui-même ? Je le serois, me répondit-il, si j’étois
assuré de pouvoir toujours entretenir cette nombreuse
famille dans l’activité où vous la voyez ;
malheureusement ces toiles dont vous admirez la finesse,
les dessins et les vives couleurs, n’arrivent à ce degré
de beauté qu’avec dec <sic> matières qui
deviennent plus rares de jour en jour ; celles que je me
suis procurées à des prix exorbitans ne me parviennent
qu’avec peine ; et si les mêmes entraves devoient
subsister long-temps, une manufacture qui ma <sic>
coûté tant de soins et d’avance, à laquelle j’ai
consacré tant de veilles, qui est devenue une des
branches productives de notre commerce tomberoit dans la
langueur. Quel seroit alors le sort de toutes ces
familles, dont l’existence tient à sa prospérité ! Ces
frayeurs, qui s’échappoient du sein de l’humanité et
d’un pur patriotisme, ajoutèrent à ma vénération pour
celui qui les éprouvoit, et je le quittai avec
l’intention d’employer tous mes
efforts à les dissiper (I1).
Metatextualität
Il est, je le sais, bien plus aisé
de faire remarquer les vices des réglemens et leurs funestes
conséquences, que d’en substituer de meilleurs ; mais c’est
déjà beaucoup que de reconnoître qu’on s’est trompé de ses
vues politiques. Le sentiment de l’erreur place les hommes
dans la voie de la vérité ; essayons d’avancer vers elle en
nous appuyant sur le raisonnement.
Metatextualität
Après avoir proposé ce
réglement relatif aux assignats, j’en indiquerai un autre
qui ne seroit pas moins favorable au commerce.
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Brief/Leserbrief
Je me félicitois, il y a
quelques jours, de m’être maintenu dans une société
puissante et redoutée, malgré la vicissitude de ses
affections, la mobilité de ses opinions, et la déroute
de ses chefs. Je m’applaudissois de l’esprit de conduite
qui m’avoit toujours rangé sous la protection du plus
fort, et préservé de ses radiations humiliantes qui
détachoient tout-à-coup un citoyen de la souveraineté
que nous exercions, et ne lui présentoient plus pour
perspective que la prison ou la mort. J’observois avec
soin le sentiment du parti dominant
pour m’y livrer sans examen ; jamais je n’avois manqué
d’appuyer ses propositions et de concourir à ses
arrêtés, quelque contraires qu’ils fussent aux loix et
même à ma pensée : voilà, disoient, en parlant de moi,
nos chefs de files, un vrai patriote ; on peut toujours
compter sur lui. Aussi je ne me refusois à aucune
mission ; mon zèle étoit à toute épreuve ; ami, parent,
intérêt personnel, tout étoit sacrifié, lorsqu’il
s’agissoit de faire exécuter un de nos réglemens.
J’étois quelquefois étonné que les plus implacables
ennemis des moines en eussent pris exactement l’esprit,
les statuts et l’une de leur dénomination. Je remarquois
que nos affections étoient concentrées dans notre
association ; que tout ce qui ne lui étoit pas affilié,
qui n’adoptoit pas notre costume, qui ne marchoit pas
sur la ligne qu’il nous plaisoit de tracer, nous
sembloit plus funeste qu’utile au monde ; et quand
l’univers se seroit trouvé réduit à notre société, il
n’en eût été à nos yeux que plus parfait. D’après cet
isolement religieux, peu nous importoit que tout ce qui
nous étoit étranger manquât de denrées, de vêtemens :
pourvu que les vrais jacobins fussent
dans l’abondance et dans la sécurité, tout alloit au
mieux. C’étoit pour nous seuls que devoient travailler
le cultivateur, le manufacturier ; et comme nous savions
nous passer de toutes les superfluités du luxe, nous ne
voulions pas que d’autres s’y complussent. Les députés
qui siégeoient au milieu de nous étoient à nos yeux les
seuls législateurs, les seuls représentans de la nation.
S’ils venoient à flotter entre nous et la convention,
ils ne tardoient pas à être regardés comme des traîtres
qu’il falloit éconduire et diriger vers l’échafaud. Plus
d’un a éprouvé les effets de notre vengeance : ce petit
Camille Desmoulins n’eut pas plus tôt l’imprudence de
tourner à la modération, et de vouloir montrer son
esprit au lieu du nôtre, que nous oubliâmes qu’il avoit
le premier sonné le tocsin contre le despotisme, et
rallié les patriotes autour de lui. De quoi s’avisoit-il
aussi de demander grace pour les foibles, et justice
pour les riches ; il avoit choisi un beau moment pour
s’appitoyer sur le sort de ces captifs qui ne s’étoient
pas signalés dans nos célèbres journées ! il a vu ce qu’on gagne à parler d’humanité dans un
temps où la terreur et l’insensibilité sont à l’ordre du
jour. Pourquoi ce Danton, qni <sic> de sa voix
tonnante calmoit nos orages ou les excitoit à son gré,
voulut-il adoucir son organe, et arrêter notre marche au
lieu de la devancer ? Il s’est trouvé en arrière ;
séparé de sa troupe, la haine de son rival a fondu sur
lui, et a terrassé sa présomption. Plus nous perdions
d’associés prudens et calculateurs, plus nous nous
applaudissions de notre audace ; il sembloit que nous
avions allégé notre marche de bagages lourds et
embarrassans : à mesure que notre chef exigeoit de
sacrifices, nous étions plus déterminés à lui obéir ;
jamais général d’ordre n’a trouvé plus de soumission,
plus de dévouement dans ses humbles religieux : nous lui
sommes restés fidèles jusqu’à sa mort. Quelle vuide
affreux elle a laissé parmi nous ! Quelle calamité pour
notre société ! Nous ne savons plus à qui nous rallier :
pas un de ses lieutenans n’a le courage de prendre le
commandement ; il leur a laissé ses plans, mais il a
emportés ses ressources et son génie. Depuis qu’il n’est
plus à notre tête, nous n’essuyons que des
échecs, nous ne commettons que des imprudences. Ce
Tallien, ce Fréron que nous avons irrités, en refusant
de les entendre, comme ils se vengent de l’affront que
nous leur avons fait ! Leur talens nous auroient été si
nécassaires ! Les mêmes mains, qui nous offroient des
fleurs, nous lancent des pierres et de la boue ; nos
affiliés se refroidissent au point que nous supportons
seuls tout le poids de notre correspondance ; nous
faisons les lettres et les réponses ; et au lieu de nous
savoir gré de notre activité, ces fils ingrats nous
humilient par leurs désaveux. Pour surcroît de malheur,
un décret nous sépare de tous nos membres, et ne nous
laisse qu’une tête pâle et défigurée qui forme une image
hideuse ; en vain cette tête s’efforce-t-elle
d’articuler encore quelques sons, ils sont étouffés par
la haine publique. Je vous l’avoue, autant je me
glorifiois de mon titre, autant j’en rougis aujourd’hui.
Comme si on avoit le projet de nous faire honte de notre
existence, de nos lumières, et de la fraîcheur de notre
patriotisme, on exige que nous donnions nos noms, que
nous indiquions notre ancienne profession, et le temps de notre admission. La plupart
d’entre nous, il ne faut pas nous le dissimuler, ne
portent que des noms obscurs dans les arts, n’ont exercé
que des professions qu’on appeloit viles, ne datent pour
leur entrée dans la société que depuis 93 : déjà
plusieurs, pour se soustraire à la censure de la
malignité, ont déserté notre société, et ont déclaré
qu’ils n’entendoient pas être inscrits sur une liste qui
les exposeroit au mépris et au danger. Pour peu que cela
continue, nous serons réduits à un si petit nombre que
notre tableau remplira à peine une feuille de papier à
lettre. Jugez de quelle conséquence il sera de paroître
si isolés et si foibles ! Ceux qui ont provoqué
l’emprisonnement d’un quart de la France, seroient
exposés à être renfermés un beau jour dans le même
cachot. . . . Je crois qu’il est de ma prudence de
prévenir cette opprobre. Dussé-je passer pour un lâche,
je vais écrire à la société qu’un emploi important me
force de m’éloigner de Paris, et que je la prie de
recevoir ma démission ; je veux cependant la motiver de
manière à pouvoir être replacé à mon rang si des temps
plus heureux pour nous revenoient, ainsi
que quelques-uns de mes collègues s’efforcent de nous le
persuader : car il seroit bien piquant de perdre en un
jour le fruit d’une conduite adroite, et d’être rejeté
comme un inconstant, après avoir donné tant de preuves
de fidélité. Il est essentiel de vous observer que chez
nous, ainsi que dans les anciens monastères, on fait
plus de cas d’un novice ardent que d’un profès
refroidi ; et que si l’on pardonne souvent les erreurs
d’un adepte, on est inexorable pour les fautes d’un
initié. Une réflexion me fortifie ; c’est qu’il y aura
tant de coupables avec moi, qu’il faudra bien que nous
trouvions grace tous ensemble, ou que la société se
résolve à demeurer dans un tel état de foiblesse, que
nous n’en aurons rien à craindre ni à espérer, et cela
me suffira toujours pour me consoler de ne plus lui
appartenir.
Brief/Leserbrief
Je suis
très-étonné de votre confiance ; je n’ai aucun titre auprès
de vous pour la mériter. Vous vous reprochez vos
imprudences ; il me semble que vous devriez
plutôt vous repentir de vos crimes. Jamais ce peuple que
vous avez si indignement trompé ne vous rendra les maux dont
vous l’avez accablé. Malheureux ! quel abus vous avez fait
de sa confiance ! A-t-elle été assez aveugle à votre égard !
comme il a été dupe de vos grossières impostures ! Vous lui
parliez de bonheur, et vous attiriez sur sa têtes toutes les
calamités ; de liberté, et vous enchaîniez jusqu’à sa
pensée ; d’abondance, et vous le meniez à la famine ; de
vertu, et vous le précipitiez dans toutes les injustices ;
d’humanité, et vous ne l’abreuviez que de sang ! Vous avez
été tout à la fois ses tyrans et ses bourreaux. Vous vous
plaignez de son mépris ; ce n’est pas du mépris qu’il vous
doit, c’est de l’exécration et de l’horreur. Il étoit si
aimable dans sa joie, si touchant dans sa douleur ! Vous
avez dénaturé toutes ses affections, tous ses sentimens :
avant qu’il revienne à sa bonté première, il est juste que
vous éprouviez toute l’énergie de sa haine. Ah ! si ceux qui
ont quelqu’ascendant sur lui vous ressembloient, vous
n’existeriez déjà plus, et un sang pur auroit été vengé !
Lettre d’une Mère de famille, dont le Mari et le Fils ont été mis en liberté.
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Brief/Leserbrief
Témoin de ma douleur,
soyez-le aussi de ma joie ; vous m’avez vue dans les
larmes et le désespoir, venez me voir dans mon
ravissement. Hélas ! j’ai eu assez de force pour
supporter le malheur, en aurai-je assez pour soutenir la
félicité ! Je vais, comme une insensée, de mon fils à
mon mari ; je les couvre de mes baisers, je les inonde
de mes larmes : objets si chers à mon cœur,
qu’inventerai-je pour vous faire oublier vos longs
tourmens ? Qu’aviez-vous donc fait à cette république
qui nous promettoit le bonheur, pour qu’elle vous rendît
si malheureux ? Jamais vous n’avez été rebelle à la
loi ; ce qu’elle exigeoit de vous vous l’avez offert ;
vous ne demandiez, pour prix de vos sacrifices et de
votre soumission, que paix et sécurité ; on vous a
traités comme des révoltés. Nuit horrible où je vous ai
vu arrachés de mes bras ; où mes cris ont été étouffés ;
où mes supplications, mes offres ont été rejettés ; où
des hommes impitoyables me repoussèrent
avec brutalité ; où d’autres plus féroces vous
entraînèrent loin de moi ! nuit affreuse, ne te présente
plus à ma pensée, un jour fortuné t’a succédé. Je
pardonne tout à mes ennemis ; les misérables, qu’ils
m’ont fait de mal ! Ah ! qu’ils vivent heureux s’ils le
peuvent avec leurs crimes et leurs remords ; je ne veux
pas troubler mon bonheur par le sentiment de la
vengeance. O mon époux ! ils ont voulu nous désunir, et
nous n’avons jamais été séparés ; ta fidelle compagne
étoit près de toi, elle te voyoit à travers les barreaux
et les murs les plus épais ; elle recueilloit tes
soupirs : si elle te quittoit un instant, c’étoit pour
se rapprocher de ton fils, de ce fils qui dépérissoit
dans la douleur. Aimable jeune homme ! je n’étois pas la
seule qui formoit le vœu d’adoucir ton sort, et de
ramener la sécurité sur ton front ; une autre main
auroit voulu essuyer tes larmes. Tu la verras bientôt
celle qui a été cacher son désespoir dans un hameau
solitaire ; déjà peut-être en ce moment tient-elle la
lettre qui lui annonce la liberté de celui qui a son
cœur. Ah ! elle ne tardera pas à venir mêler sa joie à
celle d’une famille qui est la sienne : lorsque ces nœuds seront formés, je ne vivrai plus qu’en
vous, mes enfans ; je ne demanderai au ciel qu’assez de
jours pour voir votre bonheur sans nuage, et être bien
sûre que vous n’éprouverez jamais les peines que j’ai
ressenties et comme épouse, et comme mère. Il n’est
point d’ennemis au monde auxquels j’en puisse desirer de
semblables. Que d’infortunées j’ai cependant rencontrées
dans le cours de mes sollicitations et de mes
importunités, qui reclamoient la même justice que moi !
Que je les plains si elles ne l’ont pas encore obtenue !
Dépositaires d’une autorité qui ne doit plus être que
bienfaisante, honorez votre puissance : il n’en est pas
un de vous qui n’ait eu une mère, qui n’en ait reçu les
plus doux soins ; rappelez-vous sa tendresse ; songez
aux sollicitudes, aux déchiremens qu’elle eût éprouvés
si elle vous eût sentis gémissans dans une prison,
placés entre la terreur et la mort ; faites pour celles
qui ont le même titre, ce que vous auriez desiré qu’on
eût fait pour elle ; ne repoussez pas leurs prières ;
songez que si une dénonciation dictée par l’envie, en
provoquant un ordre cruel, a porté la désolation dans
une famille, un mot, un seul mot de votre
main peut y ramener l’ivresse et les transports ; que
votre nom y sera béni ; que vous y trouverez peut-être
un asyle contre les vengeances ; qu’il viendra peut-être
un moment où, poursuivis par l’aveugle haine, vous serez
préservés par des enfans qui s’écrieront : épargnez
celui-là, il a sauvé notre père, ne frappez pas notre
bienfaiteur. Dans mon délire j’adresse la parole à tout
ce qui environne mon imagination ; je suis si heureuse
que je voudrois ne voir que des êtres satisfaits comme
moi. Si mes vœux étoient exaucés, dans ce moment les
prisons s’ouvriroient devant toutes les victimes de la
calomnie ou d’une eurreur expiée par de longues
souffrances. Toutes les épouses, toutes les mères
presseroient contre leur sein leurs époux et leurs
fils ; un concert de reconnoissance et d’amour se feroit
entendre de toutes les parties de la république, et
viendroit frapper de ses sons expressifs l’ame de nos
législateurs.
1(I) On reconnoîtra peut-être, à cette description, la manufacture de Jouy et son respectable propriétaire.