Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: XXIVe Discours.
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Nível 1
XXIVe Discours.
Sur les Triomphes de la République.Nível 2
Que sont-elles donc
devenues ces troupes dont l’appareil étoit si menaçant, qu’on
dénombroit avec tant d’emphase, qui devoient, disoit-on, chatier
un peuple rebelle, et le faire rentrer sous le joug qu’il avoit
osé briser ? Au lieu d’arriver jusqu’à nous, à peine nous
laissent-elles le temps d’en approcher, tant leur fuite est
précipitée. Ces Electeurs qui avoient formé une ligue qu’ils
croyoient si formidable, voient tour-à-tour leurs
États envahis par des républicains dont ils parloient avec le
mépris le plus insultant. Combien les Électeurs de Trèves, de
Mayence, de Cologne, celui du Palatinat et tous ces princes, si
grands dans leurs prétentions, et si petits dans leur
contingent, doivent se repentir de n’avoir pas détourné l’orage
qu’ils ont espéré de voir fondre sur notre territoire ! Que ne
nous laissoient-ils à nos projets intérieurs ! Pourquoi ne nous
ont-ils pas abandonnés au cours de notre révolution ?
Qu’étoit-ce donc pour eux que la suppression de quelques vains
droits dont on leur offroit une généreuse indemnité, en
comparaison des dévastations qu’ils éprouvent dans leurs palais,
dans leurs temples et sur leur territoire ! Ils ont prétendu
nous donner la loi, ils la reçoivent de nous : ils n’ont pas
voulu composer avec la liberté, ils perdront peut-être leur
domination. Voilà donc le résultat de ces graves délibérations,
de ces traités secrets, de ces alliances mystérieuses !
L’expérience d’une diète qui médite pendant des siècles, avant
de hasarder une décision, avant d’éclaircir une question de
vanité, est déconcertée par la fougue d’une nation
qui agit pendant que ses ennemis réfléchissent, et dont les
succès justifient la témérité. Jamais assistance fut-elle plus
funeste à son allié que celle que l’Autriche, la Prusse et
l’Espagne ont voulu donner à la royauté chancelante ? Au lieu de
la raffermir sur son trône, elle n’a fait qu’accélérer sa chûte
et amener la destruction de ceux qui y avoient attaché leurs
espérances et leur gloire. Aujourd’hui je promène mes regards
sur les principales cours de l’Europe, et je n’y vois que
trouble, que dépit, que consternation. J’observe, dans leur
retraite précipitée, ces armées auxquelles on avoit promis des
victoires si faciles, et je n’apperçois, ni à leur tête, ni même
à leur suite, ces deux frères irrités, qui devoient venger les
affronts faits à une couronne dont l’éclat se répandoit sur
leurs têtes ; ils ont rejeté avec dédain le titre de prince
français, et ils ne tendent pas même de mériter celui de
capitaine ! Plutôt que d’être plongé dans une aussi honte
usenullité <sic>, il valoit mieux se contenter de celui de
simple citoyen ! Cette noblesse qu’ils ont attirée sur leurs
pas, éblouie d’un vain faste, enivrée de fausses
espérances, comment la dédommageront-ils des sacrifices qu’ils
en ont exigés ? Errante, fugitive, elle n’essuie de toutes parts
que des humiliations et des reproches. Les rois qui ont d’abord
feint de la protéger se repentent d’avoir écouté ses plaintes et
cédé à ses demandes. Elle leur reproche à son tour de s’être
plus occupés d’agrandir leur domination que de servir la cause
qu’ils paroissoient défendre ; d’avoir à peine daigné l’admettre
à combattre sous les mêmes étendards ; de l’avoir tenue à une
distance offensante des dangers ; d’avoir voulu triompher sans
elle, pour qu’elle reçut de leur générosité ce qu’elle ne
vouloit devoir qu’à son courage. Elle accuse ce général qui
l’avoit d’abord étonnée par ses succès de s’être endormi sur ses
lauriers, et d’avoir laissé échapper, pendant son sommeil, le
fruit de ses victoires. C’est ainsi que, dans l’adversité, les
malheureux rejettent toujours sur d’autres les suites de leurs
désastres et de leurs erreurs ; c’est bien encore plus à eux
qu’il appartient de dire : Que sommes-nous ? Où allons-nous ?
Que deviendrons-nous ? Celui qui se croyoit déjà régent de la
France n’ose pas en approcher ; les ordres
qu’il auroit le ridicule de donner sous ce titre évanouie
n’exciteroient que le mépris ou la pitié. Son frère, arrêté par
un droit d’aînesse qu’il s’efforce de respecter pour le rendre
respectable aux autres, ne se dissimule pas qu’en marchant à sa
suite, loin d’y trouver un appui, il n’y rencontre qu’un
obstacle de plus à ses projets. Le descendant d’un des héros de
la France n’a pas encore perdu tout l’éclat de son nom, mais il
en éprouve tous les revers ; la troupe qui s’est attachée á sa
destinée recule devant le torrent qui ménace de l’engloutir.
Fera-t-il, avec ses foibles moyens, ce que les monarques réunis
ne peuvent réaliser avec toutes leurs puissances ? Ces
transfuges, qui se glorifioient de leur désertion et se
regardoient comme autant de preux chevaliers chargés de
reconquérir les prérogatives du trône, les richesses du clergé,
le pouvoir des parlemens, les priviléges de leur caste, quel
avenir ont-ils aujourd’hui devant les yeux ? Plusieurs d’entreux
se consolent sans doute de la perte de leurs propriétés, par
l’idée d’avoir échappés à la captivité, au supplice qu’auroient
attiré sur eux leurs indiscrets murmures. Cette
pensée les a fortifiés contre les coups du sort ; ils ont paru
soulagés de leurs malheurs en apprenant ceux qui nous ont
accablés ; mais ceux-ci sont passés, et les leurs se sont encore
aggravés. S’il en est quelques-uns parmi ces déserteurs que leur
jeunesse, et le préjugé souvent plus fort que la raison, rendent
encore dignes de pitié, combien il en est qui ne méritent pas
d’inspirer ce sentiment ! Ils avoient une vengeance si aveugle
dans le cœur, une jactance si présomptueuse, un orgueil si
insultant, des projets si injustes et si cruels ; ils
confondoient tellement la modération, qui fait des vœux pour le
bien, avec l’iniquité qui multiplie les maux, qu’on ne peut
desirer que leur abaissement et se réjouir de l’impuissance de
leur rage. Ils se flattent sans doute de voir encore reparoître
sur notre sol ces mercenaires conduits par l’espoir du meurtre
et du pillage ; mais que de terrein perdu il faudroit regagner ;
que de soldats animés par la victoire il faudroit épouvanter,
que de villes fortifiées il y auroit à reconquérir ; que de
ressources inattendues on auroit à épuiser ! Si l’expérience et
la raison pouvoient éclairer les passions
humaines, comme elles changeroient les pensées de l’orgueil et
calmeroient sa fureur ! Elles prouveroient à ces implacables
ennemis de notre liberté que leur unique espérance doit être
placée dans une suspension de toutes les haines, de toutes les
hostilités. Ils croient avoir tout perdu ; comptent-ils pour
rien la vie qui leur reste, et la possibilité de faire un jour
oublier leurs erreurs ? Parce que beaucoup de sang a été
inutilement versé pour leur cause, faut-il en répandre encore ?
Ils ont armé contre nous les puissances étrangères ; qu’ils leur
demandent aujourd’hui la paix avec autant d’instance qu’ils leur
ont demandé la guerre. Peut-être seront-ils compris dans une
amnistie générale ; peut-être recevroient-ils quelques
adoucissemens à leur infortune, pour prix de leur repentir. Si
les monarques dont ils se croient protégés s’intéressent
véritablement à eux, qu’ils convertissent en bienfaits ce qu’ils
perdront en argent, en soldats, dans de nouvelles tentatives
aussi infructueuses que meurtrières. Qu’on ne s’étonne pas si
ces réflexions m’échappent à la vue de nos triomphes ; c’est
dans la victoire qu’il est beau de songer à la
paix. Pourquoi me laisserois-je aveugler par nos succès ? Qu’on
se rappelle ceux que nous avons obtenus dans nos guerres
précédentes contre l’Autriche, et qui ont été obscurcis par tant
de revers. Qui nous a dit qu’on ne cherche pas à attirer nos
troupes au-delà du Rhin pour les épuiser, pour nous affoiblir et
faciliter l’invasion de ce territoire, en proie depuis deux ans
aux horreurs d’une guerre civile, et agité par le fanatisme
qu’on a irrité, au lieu de chercher à l’éteindre ? Comment ai-je
encore le courage d’exposer mes doutes et de jeter quelques
réflexions devant ceux qui ne prennent conseil que des
évènemens, et sont d’autant plus disposés à tout risquer qu’ils
ont moins à perdre ! N’ai-je pas vu jusqu’à présent mes conseils
dédaignés, et mes prédictions, que le temps n’a que trop
accomplies, étouffés par la présomption ? Je leur dois cependant
de n’avoir pas été jugé digne de concourir aux iniquités qui ont
épouvanté jusqu’à leurs auteurs, et les placent aujourd’hui
entre le regret de s’être créé tant d’accusateurs, et celui de
ne les avoir pas tous immolés : ne pouvant plus
dominer sur la crainte, ils voudroient au moins régner sur le
silence. . . . . . . Les misérables ! ils sont condamnés à
entendre les imprécations des citoyens qui leur redemandent
leurs proches, les habitans de leurs villes, leurs édifices,
leurs manufactures, leurs subsistances. Le supplice qui les
réunira à leurs victimes pourra seul mettre fin à leurs terreurs
et désarmer les furies qui les poursuivent.