Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: XXIIIe Discours.
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Nivel 1
XXIIIe Discours.
Entretien avec un Membre de la Convention.Nivel 2
Bien des citoyens qui sont
mécontens du passé, qui murmurent du présent, et sont impatiens de l’avenir, me font des quetions
<sic> qui rentrent dans le sens de celles qu’adressa
dernièrement un de nos législateurs à la convention : D’où
venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Je réponds :
nous n’étions pas heureux, nous ne le sommes pas devenus,
peut-être ne le serons-nous jamais. J’imagine qu’on ne sera pas
assez satisfait de cette réponse pour être tenté de m’interroger
davantage ; cependant on insiste souvent pour savoir ma pensée,
et j’échappe à la curiosité et à l’indiscrétion, tantôt par une
plaisanterie, plus souvent par une brusquerie dont je me repens
ensuite.
Lettre d’une citoyenne qui s’est trouvée comprise dans la
Loi qui bannit les Nobles de la Capitale.
Réponse.
Nivel 3
Relato general
Dernièrement un de nos
représentans, que j’estime pour son esprit et sa
franchise, et avec lequel je suis lié depuis plusieurs
années, me parut plus pressant ; et comme je m’obstinois
à garder le silence sur ce sujet, il me dit : Après cet entretien, le député
s’éloigna, et j’ignore si je n’aurai pas un jour sujet
de me repentir de ma confiance et de ma franchise.
Diálogo
eh bien ! supposez, pour un
moment, que je sois chargé par un de nos comités
d’interroger le publiciste qui nous a donné un
ouvrage sur les constitutions de l’Europe, et de
savoir de lui ce qu’il nous conseilleroit de faire
pour sortir de l’état de crise où se trouve la
république. Je lui répondis que je ne pouvois
admettre une pareille supposition ;
que les comités renfermoient des membres trop
eclairés pour recourir aux foibles lumières d’un
individu étranger aux affaires publiques. Il revint
à la charge, et alors je lui dis : commencez donc
par rendre à la pensée la plus grande liberté,
rapportez tous les décrets qui limitent les opinions
et compriment le vœu national. – La convention
n’a-t-elle pas déclaré, dans une de ses dernières
séances, d’un commun accord, qu’elle n’entendoit
plus mettre d’entraves à la liberté de la presse et
des opinions ? – Je le sais ; mais un décret
promulgué n’a pas suivi cet élan sublime du corps
législatif. – N’importe ; ne voyez-vous pas que vous
pouvez user d’un droit reconnu, consenti, et que
font valoir aujourd’hui plusieurs de nos collègues,
dans leurs journaux ou dans leurs feuilles. C’est en
commençant à porter atteinte à cette précieuse
liberté que Robespierre et ses complices sont
insensiblement parvenus à la plus épouvantable
tyrannie ; aujourd’hui, leurs partisans ne font tant
d’efforts pour l’étouffer que parce qu’ils craignent
qu’elle ne dévoile leurs forfaits. – Ces raisons,
quoique bonnes au fond, ne me rassurent pas trop ; cependant je m’y confie et je
consens à vous exposer mon opinion, en vous
déclarant que je n’y tiens pas et que je suis prêt à
en changer, si vous me démontrez qu’elle puisse
avoir le moindre inconvénient. Je commence par vous
avouer que le véritable vœu national est encore
douteux pour moi ; que je ne suis pas encore bien
sûr que le peuple ait dans le cœur l’amour de la
république, ce sentiment intime qui résulte d’une
comparaison réfléchie du gouvernement actuel avec
celui dont vous l’avez délivré. Tant d’individus
vont machinalement, adoptent ou feignent d’adopter
l’opinion qu’on s’efforce de leur suggérer, que je
ne me repose pas sur des signes extérieurs, ni sur
des acclamations inspirées par la crainte ou par le
desir de l’imitation. – Je pense bien, à cet égard,
comme vous ; mais comment acquérir cette certitude
que vous voudriez avoir ? – Voilà, il est vrai, la
grande difficulté ; les clubs, les sections, les
assemblées populaires sont divisés d’opinion. Les
individus qui s’y réunissent ne forment pas la
dixième partie de la nation ; on peut d’autant moins
statuer sur ce qui y est arrêté, que le lendemain
voir souvent détruire ce qui a été
unanimement proclamé la veille. Si la convention
autorisoit les assemblées primaires que l’intrigue
sollicite aujourd’hui, les agitateurs, les
anarchistes y figureroient avec audace,
s’empareroient des élections, intimideroient les
citoyens qui ne veulent que l’ordre, dirigeroient
sur eux, par la violence et les menaces, le choix de
la multitude. Un corps ainsi composé auroit la
présomption de l’ignorance ; il sacrifieroit à un
instant de faveur les intérêts du peuple ; en cédant
à des vœux indiscrets, il tariroit toutes les
sources de l’abondance, il dirigeroit la guerre sur
des plans téméraires, renverseroit les bases de
notre législation, attaqueroit toutes les
propriétés, porteroit la terreur dans les fermes,
dans les magasins, dans les manufactures, et ne
tarderoit pas à nous conduire à l’épuisement de nos
finances, de notre crédit et de nos forces
militaires. – Je le crois comme vous ; mais il faut,
ou que la convention prolonge éternellement ses
pouvoirs, ou qu’elle soit renouvelée ; or, pour la
renouveler, il est indispensable de procéder à des
élections de députés. – Mon avis n’est pas que la
convention soit éternelle ; il l’est
encore moins qu’elle soit renouvelée dans ce moment.
Puisqu’elle existe qu’elle est investie d’une
autorité qu’on ne lui conteste pas, il faut qu’elle
la conserve pour faire tout le bien qui dépendra
d’elle, et réparer les maux qu’elle a laissé
commettre ; elle a plus de lumières et d’expérience
qu’elle n’en avoit lorsqu’elle a déployé sa
puissance ; elle s’est purifiée de ses plus
dangereux intrigans ; s’il en reste encore, ils
seront bientôt démasqués, abattus : pour faire
oublier ses erreurs et avoir de justes droits à la
reconnoissance du peuple, elle n’a plus qu’à se
pénétrer de sa volonté et s’en rendre l’organe. –
Qu’appellez-vous le peuple ? Qu’entendez-vous par
cette dénomination vague dont on a trop abusé ? – Je
comprends tout ce qui a intérêt à la prospérité de
l’Etat ; tout ce qui s’est mis en société pour
retirer et apporter des avantages réciproques ; qui
en supporte les charges, et doit, par cette raison,
en recueillir les bénéfices : j’en exclus tout ce
qui la déshonore par ses vices, tout ce qui ne se
propose que d’abuser de ses dons, qui en exige
beaucoup sans lui rien rendre, qui ne lui tient pas
par son industrie, par ses propriétés,
par ses emplois, par ses services et par les
récompenses qu’il en a mérités. Cette classe
d’hommes, quelque nombreuse qu’elle puisse être,
n’est pas à mes yeux le peuple français ; son
opinion est nulle pour moi. Eh ! que lui importe
notre gouvernement, l’état de nos finances, la
considération dont nous jouirons chez l’étranger,
l’amélioration de nos domaines, le gage de la dette
publique ? Si notre gouvernement contrarie ses viles
passions, elle ira les porter ailleurs ; si nous
n’avons pas d’argent pour alimenter son oisiveté, on
la verra mendier chez un peuple plus riche ; si nos
domaines se détériorent, elle ravira au cultivateur
jusqu’à sa semence ; si l’Etat se déshonore par une
banqueroute, comme il ne lui est rien dû, elle se
réjouira de la misère des autres ; les atteliers,
les manufactures qui enlèvent à sa paresse toute
excuse, lui semblent plus funestes qu’utiles. –
Cette exclusion soulèvera bien des individus et
occasionnera peut-être de grands troubles. – La
convention est assez puissante pour prescrire tout
ce qui est juste ; tous les bons citoyens la
fortifieront. Au surplus, d’une seule
phrase elle écarte bien des sots, bien des
vagabonds. Pour être admis à donner son suffrage, il
faudra savoir lire et écrire lisiblement. Ajoutez-y
celle-ci : pour voter dans une commune, il sera
indispensable d’y avoir un domicile fixe depuis un
an, et d’avoir payé sa contribution. N’oubliez pas
celle-ci : toute célibataire sera tenu de produire
un certificat de bonne vie et mœurs, signé de deux
propriétaires, chefs de famille. Quelle suite
donnez-vous à cette idée ? – La convention enverra
dans chaque département un député chargé de
recueillir le vœu national ; il demeurera dans le
chef-lieu du département ; il aura pour adjoints les
agens nationaux de districts qui se répandront dans
les communes, et inviteront tous les propriétaires,
tous les domiciliés, âgés de vingt-un ans, à venir
faire inscrire leurs noms, leurs demeures, leurs
professions ; à présenter la quittance de leurs
contributions ; et après qu’ils auront rempli cette
formalité, on leur présentera un bulletin, en tête
duquel seront gravés cet <sic> mots : liberté
des opinions, maintien des propriétés, bonheur public ; au-dessous seront imprimés en
colonne ces mots détachés :
République.
Constitution de 93.
Constitution de 91.
Adhésion a une paix honorable, si elle est proposée par les puissances étrangères. Chaque citoyen, auquel on remettra un semblable bulletin, passera dans une chambre particulière divisée en plusieurs cases, où il écrira sans être vu, à la suite de ces quatre propositions, oui, ou non ; il pliera le papier, y imprimera le cachet national, et ira déposer son scrutin dans une boîte fermée, sur laquelle l’agent national appliquera son scellé. Ces différentes boîtes seront portées au chef-lieu du département ; le député, après en avoir constaté la remise intacte en présence des commissaires, versera tous les scrutins dans une même urne qu’il scellera et qu’il apportera à la convention. Quarante scrutateurs pris dans son sein, seront chargés de procéder solemnellement à la vérification des suffrages, et d’en proclamer le résultat. – Je conçois votre plan ; mais il semble, malgré sa simplicité, entraîner de grands inconvéniens. – Quels sont-ils ? – Si par hasard le vœu de la majorité étoit contre la république ! s’il alloit faire revivre cette constitution de 91 que nous avons anéantie ! Pourquoi remettre en question ce qui est déjà jugé ? – De deux choses l’une ; ou la majorité de la nation est pour la république, ou elle est contre : si, comme nous le présumons, elle est en sa faveur, vous donnez à l’Europe entière la preuve bien importante que vous n’avez fait que céder au desir de la nation, et que vous n’avez été que l’organe de sa volonté ; si elle est contre, la convention n’aura à se reprocher qu’une erreur d’autant plus excusable, que l’effervescence populaire et une idée sublime l’y auront entraînée ; elle en acquerra plus de gloire à se départir de son opinion, et à la sacrifier au vœu national qui lui sera alors bien connu. Quant à la constitution de 91, je ne lui suis pas plus attaché que vous ; vous le savez, j’en ai démontré les principaux vices ; mais bien des gens sont encore persuadés qu’elle étoit mieux adaptée au caractère du peuple que la dernière ; qu’on auroit dû la modifier au lieu de la détruire : il seroit, par cette raison, essentiel de démontrer qu’elle n’a plus pour elle le suffrage du peuple. – J’adopte ces idées, parce qu’elles se concilient parfaitement avec celles d’un bon républicain, cependant je ne voudrois pas abandonner ma destinée au hasard ; ne seroit-il pas imprudent de s’exposer à voir un monarque porté sur le trône par le vœu inconstant de la multitude, s’investir tout-à-coup d’un grand pouvoir, et tourner contre nous l’autorité que nous lui aurions conférée ? – Dans ce cas ce seroit à la sagesse de la convention à limiter cette autorité dans de justes bornes par des réglemens invincibles, par un pacte solemnel entre le prince et la nation, qui seroit bien certainement la maîtresse de mettre, au don qu’elle lui feroit de la couronne, les conditions qu’il lui plairoit. – Dans cette chimérique supposition, quelles seroient-elles, à-peu-près, ces conditions préliminaires que vous jugeriez devoir imposer ? – La première seroit un oubli réciproque de tous les faits antérieurs à ce grand évènement ; la seconde, la reconnoissance de la dette nationale contractée depuis la révolution ; la troisième, le maintien de toutes les propriétés acquises conformément aux loix ; la quatrième, tous les biens saisis sur le clergé, sur les émigrés, affectés à l’extinction des assignats ; la cinquième, la confirmation de tous les emplois civils, jusqu’à une nouvelle élection populaire ; la sixième, l’établissement d’un juri tel qu’il a été décrété en 1791 comme un sûr garant de la liberté publique et individuelle ; la septième, l’égalité absolue entre tous les cultes, et leurs ministres soldés par les citoyens qui voudroient en adopter un moins simple, moins sublime que celui qui est adressé à l’Éternel ; la huitième, la ratification de tous les grades militaires, de toutes les pensions accordées à l’intelligence, à la bravoure et au malheur. – Tout cela est bien imaginé ; mais l’expérience des siècles passés nous apprend qu’un prince qui a le desir de régner promet, jure d’observer tout ce qu’on exige de lui, avant de monter sur le trône ; et que lorsqu’il y est bien assis, il viole sans scrupule ses promesses et ses sermens - Cela n’est que trop vrai ; mais c’est lorsque la nation s’endort pendant qu’il veille ; c’est lorsqu’elle lui laisse les moyens d’être impunément parjure ; c’est lorsqu’elle ne lui montre pas d’un côté amour, respect, grandeur ; de l’autre haine, dégradation et abandon général. – Avec toutes ces mesures, je vous avoue que moi qui ai opiné, non pour la mort, mais pour la réclusion du dernier monarque, je ne me fierois pas au serment de son successeur, et que je redouterois toujours sa vengeance. – Comme votre crainte seroit encore raisonnable, je voudrois la dissiper entièrement. –Comment opéreriez-vous cette sécurité ? par un moyen bien simple : après que vous auriez solemnellement rempli le vœu du peuple, en le préservant, autant qu’il auroit dépendu de vous, des effets de la tyrannie, et avant d’abdiquer vos pouvoirs, il seroit équipé, en vertu de votre dernier décret, trois vaisseaux sur lesquels seroient embarqués tous les administrateurs, tous les députés qui voudroient s’éloigner de la France, et aller se fixer chez nos alliés de l’Amérique septentrionale ; on chargeroit sur ces vaisseaux tous les effets des passagers ; on donneroit aux députés, qui délaisseroient des immeubles ou des rentes, la valeur des capitaux en numéraire, et ils recevroient en outre vingt mille livres, à titre d’indemnité et de récompense, pour les aider à former leur nouvel établissement. En supposant que trois cents députés crussent devoir s’éloigner et profiter de ce secours honorable, ce seroit six millions qu’il en coûteroit à l’Etat pour assurer l’indépendance de ses législateurs. . . . . – Passons maintenant à une opinion plus réelle, et admettons tous deux que la majorité de la nation vote pour la république et pour la paix. Sur quels préliminaires établiriez-vous cette paix desirée ? – J’autoriserois les généraux avancés sur les pays ennemis à déclarer qu’ils poseront les armes au moment où toutes les puissances coalisées reconnoîtroient qu’elles n’ont pas le droit de s’immiscer dans le gouvernement d’un peuple libre, s’obligeroient à faire restituer par l’Angleterre toutes les possessions envahies sur la France, qui, de son côté, consentiroit à délaisser ses conquêtes, à se renfermer dans ses anciennes limites, à la condition néanmoins que tous les habitans des pays conquis auroient la faculté de vendre ou transporter leurs propriétés, et de venir se fixer sous les loix de la république française. Un cartel réciproque assureroit le retour de tous les prisonniers pris les armes à la main ou par la trahison. – Parleriez-vous des émigrés ? – Je les abandonnerois à leur mauvais fortune ; isolés et réduits à leurs seules forces, ils ne peuvent être à craindre, et, par conséquent, ils ne doivent pas être jugés dignes de figurer dans un traité fait de puissance à puissance. Si je ne considérois qu’eux, je leur fermerois donc pour jamais l’entrée d’une république où ils ont voulu porter la flamme, l’esclavage et la mort ; mais, en jetant mes regards sur leurs pères, leurs femmes et leurs enfans, je pousserois peut-être la générosité de la victoire jusqu’à permettre aux bons citoyens de réclamer et recevoir leurs proches, sous la condition qu’ils ratifieroient les ventes faites de leurs biens pendant leur absence ; je leur imposerois aussi l’obligation de se présenter, pendant deux ans, tous les jours à la municipalité de leur résidence, pour garantir leur repentir et leur soumission aux loix. – Quoique je n’adopte pas votre plan dans toutes ses parties, y auroit-il de l’indiscrétion à vous demander la permission de le communiquer à quelques-uns de mes collègues ? – J’y consens, pourvu que ce soit à des députés qui soient vraiment patriotes, et plus jaloux du bonheur de leurs concitoyens que de perpétuer leurs pouvoirs. – Il m’est permis, d’après cette explication, de le faire connoître à la grande majorité de la convention. – Je me plais à le croire ; mais, je le répète, elle sait mieux que moi ce qu’elle peut et ce qu’elle doit faire pour terminer honorablement sa mission.
Constitution de 93.
Constitution de 91.
Adhésion a une paix honorable, si elle est proposée par les puissances étrangères. Chaque citoyen, auquel on remettra un semblable bulletin, passera dans une chambre particulière divisée en plusieurs cases, où il écrira sans être vu, à la suite de ces quatre propositions, oui, ou non ; il pliera le papier, y imprimera le cachet national, et ira déposer son scrutin dans une boîte fermée, sur laquelle l’agent national appliquera son scellé. Ces différentes boîtes seront portées au chef-lieu du département ; le député, après en avoir constaté la remise intacte en présence des commissaires, versera tous les scrutins dans une même urne qu’il scellera et qu’il apportera à la convention. Quarante scrutateurs pris dans son sein, seront chargés de procéder solemnellement à la vérification des suffrages, et d’en proclamer le résultat. – Je conçois votre plan ; mais il semble, malgré sa simplicité, entraîner de grands inconvéniens. – Quels sont-ils ? – Si par hasard le vœu de la majorité étoit contre la république ! s’il alloit faire revivre cette constitution de 91 que nous avons anéantie ! Pourquoi remettre en question ce qui est déjà jugé ? – De deux choses l’une ; ou la majorité de la nation est pour la république, ou elle est contre : si, comme nous le présumons, elle est en sa faveur, vous donnez à l’Europe entière la preuve bien importante que vous n’avez fait que céder au desir de la nation, et que vous n’avez été que l’organe de sa volonté ; si elle est contre, la convention n’aura à se reprocher qu’une erreur d’autant plus excusable, que l’effervescence populaire et une idée sublime l’y auront entraînée ; elle en acquerra plus de gloire à se départir de son opinion, et à la sacrifier au vœu national qui lui sera alors bien connu. Quant à la constitution de 91, je ne lui suis pas plus attaché que vous ; vous le savez, j’en ai démontré les principaux vices ; mais bien des gens sont encore persuadés qu’elle étoit mieux adaptée au caractère du peuple que la dernière ; qu’on auroit dû la modifier au lieu de la détruire : il seroit, par cette raison, essentiel de démontrer qu’elle n’a plus pour elle le suffrage du peuple. – J’adopte ces idées, parce qu’elles se concilient parfaitement avec celles d’un bon républicain, cependant je ne voudrois pas abandonner ma destinée au hasard ; ne seroit-il pas imprudent de s’exposer à voir un monarque porté sur le trône par le vœu inconstant de la multitude, s’investir tout-à-coup d’un grand pouvoir, et tourner contre nous l’autorité que nous lui aurions conférée ? – Dans ce cas ce seroit à la sagesse de la convention à limiter cette autorité dans de justes bornes par des réglemens invincibles, par un pacte solemnel entre le prince et la nation, qui seroit bien certainement la maîtresse de mettre, au don qu’elle lui feroit de la couronne, les conditions qu’il lui plairoit. – Dans cette chimérique supposition, quelles seroient-elles, à-peu-près, ces conditions préliminaires que vous jugeriez devoir imposer ? – La première seroit un oubli réciproque de tous les faits antérieurs à ce grand évènement ; la seconde, la reconnoissance de la dette nationale contractée depuis la révolution ; la troisième, le maintien de toutes les propriétés acquises conformément aux loix ; la quatrième, tous les biens saisis sur le clergé, sur les émigrés, affectés à l’extinction des assignats ; la cinquième, la confirmation de tous les emplois civils, jusqu’à une nouvelle élection populaire ; la sixième, l’établissement d’un juri tel qu’il a été décrété en 1791 comme un sûr garant de la liberté publique et individuelle ; la septième, l’égalité absolue entre tous les cultes, et leurs ministres soldés par les citoyens qui voudroient en adopter un moins simple, moins sublime que celui qui est adressé à l’Éternel ; la huitième, la ratification de tous les grades militaires, de toutes les pensions accordées à l’intelligence, à la bravoure et au malheur. – Tout cela est bien imaginé ; mais l’expérience des siècles passés nous apprend qu’un prince qui a le desir de régner promet, jure d’observer tout ce qu’on exige de lui, avant de monter sur le trône ; et que lorsqu’il y est bien assis, il viole sans scrupule ses promesses et ses sermens - Cela n’est que trop vrai ; mais c’est lorsque la nation s’endort pendant qu’il veille ; c’est lorsqu’elle lui laisse les moyens d’être impunément parjure ; c’est lorsqu’elle ne lui montre pas d’un côté amour, respect, grandeur ; de l’autre haine, dégradation et abandon général. – Avec toutes ces mesures, je vous avoue que moi qui ai opiné, non pour la mort, mais pour la réclusion du dernier monarque, je ne me fierois pas au serment de son successeur, et que je redouterois toujours sa vengeance. – Comme votre crainte seroit encore raisonnable, je voudrois la dissiper entièrement. –Comment opéreriez-vous cette sécurité ? par un moyen bien simple : après que vous auriez solemnellement rempli le vœu du peuple, en le préservant, autant qu’il auroit dépendu de vous, des effets de la tyrannie, et avant d’abdiquer vos pouvoirs, il seroit équipé, en vertu de votre dernier décret, trois vaisseaux sur lesquels seroient embarqués tous les administrateurs, tous les députés qui voudroient s’éloigner de la France, et aller se fixer chez nos alliés de l’Amérique septentrionale ; on chargeroit sur ces vaisseaux tous les effets des passagers ; on donneroit aux députés, qui délaisseroient des immeubles ou des rentes, la valeur des capitaux en numéraire, et ils recevroient en outre vingt mille livres, à titre d’indemnité et de récompense, pour les aider à former leur nouvel établissement. En supposant que trois cents députés crussent devoir s’éloigner et profiter de ce secours honorable, ce seroit six millions qu’il en coûteroit à l’Etat pour assurer l’indépendance de ses législateurs. . . . . – Passons maintenant à une opinion plus réelle, et admettons tous deux que la majorité de la nation vote pour la république et pour la paix. Sur quels préliminaires établiriez-vous cette paix desirée ? – J’autoriserois les généraux avancés sur les pays ennemis à déclarer qu’ils poseront les armes au moment où toutes les puissances coalisées reconnoîtroient qu’elles n’ont pas le droit de s’immiscer dans le gouvernement d’un peuple libre, s’obligeroient à faire restituer par l’Angleterre toutes les possessions envahies sur la France, qui, de son côté, consentiroit à délaisser ses conquêtes, à se renfermer dans ses anciennes limites, à la condition néanmoins que tous les habitans des pays conquis auroient la faculté de vendre ou transporter leurs propriétés, et de venir se fixer sous les loix de la république française. Un cartel réciproque assureroit le retour de tous les prisonniers pris les armes à la main ou par la trahison. – Parleriez-vous des émigrés ? – Je les abandonnerois à leur mauvais fortune ; isolés et réduits à leurs seules forces, ils ne peuvent être à craindre, et, par conséquent, ils ne doivent pas être jugés dignes de figurer dans un traité fait de puissance à puissance. Si je ne considérois qu’eux, je leur fermerois donc pour jamais l’entrée d’une république où ils ont voulu porter la flamme, l’esclavage et la mort ; mais, en jetant mes regards sur leurs pères, leurs femmes et leurs enfans, je pousserois peut-être la générosité de la victoire jusqu’à permettre aux bons citoyens de réclamer et recevoir leurs proches, sous la condition qu’ils ratifieroient les ventes faites de leurs biens pendant leur absence ; je leur imposerois aussi l’obligation de se présenter, pendant deux ans, tous les jours à la municipalité de leur résidence, pour garantir leur repentir et leur soumission aux loix. – Quoique je n’adopte pas votre plan dans toutes ses parties, y auroit-il de l’indiscrétion à vous demander la permission de le communiquer à quelques-uns de mes collègues ? – J’y consens, pourvu que ce soit à des députés qui soient vraiment patriotes, et plus jaloux du bonheur de leurs concitoyens que de perpétuer leurs pouvoirs. – Il m’est permis, d’après cette explication, de le faire connoître à la grande majorité de la convention. – Je me plais à le croire ; mais, je le répète, elle sait mieux que moi ce qu’elle peut et ce qu’elle doit faire pour terminer honorablement sa mission.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Ce n’étoit donc pas assez pour
mon malheur que d’avoir à peine de quoi
vivre, et faire subsister de mon travail et d’une petite
rente mal payée une mère infirme ! il falloit encore
qu’une découverte fâcheuse nous obligeât de quitter
notre modeste domicile, de nous éloigner de nos
bienfaiteurs, de venir nous fixer dans une commune où
nous n’avons nul appui, et où nous sommes envisagés
comme des individus qu’il est très-important de
surveiller ! Je ne déclame point contre les loix,
quelque sévères qu’elles soient, je m’y soumets ; mais
convenez que les mesures, lorsqu’elles sont si
générales, sont souvent bien funestes aux particuliers.
La noblesse étoit
effacée en France, mais elle l’étoit encore plus dans ma
pensée, lorsqu’un décret imprévu l’y a tout-à-coup fait
renaître. Une certaine dame, qui avoit bien voulu me
confier le soin de dissimuler les défauts de sa taille,
et qui avoit autant besoin de ma discrétion que je
pouvois en avoir de son argent, me fait demander
sur-le-champ des robes que j’avois à lui livrer. Je
cours chez elle : madame, lui dis-je, vos robes ne sont
pas encore achevées, mais vous les aurez sous quatre
jours ; j’y travaillerai la nuit s’il le faut. – Que
dites-vous, mademoiselle, sous quatre jours ? il faut
que je sois hors de Paris avan <sic> vingt-quatre
heures. – Quoi madame ! i <sic> ne vous seroit pas
possible de me donner deux jours de plus ? –
Ignorez-vous qu’i <sic> y va de ma
tête ? Si, comme moi, vous étiez née de parens nobles,
vous sauriez qu’il faut que nous quittions cette ville
sur-le-champ, et qu’il me reste à peine le temps d’aller
prendre une lettre de passe pour aller, avec mes filles,
nous établir sous la surveillance d’une munipalité, à
laquelle nous serons tenues de nous présenter tous les
jours : on est bien heureux d’avoir reçu le jour dans
une condition qui permet d’ignorer ces choses-là. – Que
m’apprenez-vous ? Quoi ! si ma mère étoit la veuve d’un
homme qu’on appeloit noble autrefois, elle seroit tenue
de s’éloigner de Paris sous peine de mort ? – Oui,
mademoiselle : on voit bien que cette loi ne vous
regarde pas. – Elle me touche, madame, peut-être autant
que vous : trouvez bon que je vous quitte pour aller
m’en éclaircir. A ces mots cette femme, qui a l’esprit
beaucoup plus de travers que le corps, sourit
dédaigneusement. Eh ! s’écria-t-elle, cela seroit
curieux ! je voudrois qu’il ne pût pas même rester une
couturière à nos bourgeoises. Je la laissai s’épanouir
dans une idée qu’elle trouvoit si plaisante, et je
courus au comité de ma section m’informer si la loi
qu’on venoit de m’annoncer frappoit sur
nous. Vous pourriez bien à toute rigueur, me dit un des
commissaires auquel je m’adressai, rester dans votre
domicile, parce que vous y êtes connue comme ouvrière ;
mais votre mère ne peut y demeurer plus de deux jours,
sans courir le risque d’être conduite en prison, et
ensuite à l’échafaud. J’espère, citoyen, lui
repliquai-je, qu’elle n’ira ni en prison, ni à
l’échafaud qu’avec moi : ayez la complaisance de nous
délivrer une lettre qui nous préserve d’un danger
commun. On nous expédia le titre que je demandois, et je
me hâtai de faire transporter nos effets dans une
commune la plus voisine de la capitale, où j’ai à peine
trouvé deux chambres pour nous loger. Là, j’achève
péniblement les robes que j’avois commencées ; mais il
m’est défendu de les porter aux femmes qui m’ont confié
leurs étoffes ; je perds tous les jours une heure de
temps à conduire une mère impotente devant un municipal
qui inscrit nos noms avec exactitude, et déclare ne
pouvoir nous dispenser de cet assujettissement que
l’hiver et les rigueurs d’une mauvaise saison rendront
plus incommode et plus périlleux : oh
monsieur ! qu’a donc à craindre la république d’une
fille qui ne sait manier que l’aiguille, et d’une
vieille femme qui ne peut pas même tricoter sans
lunette ? Parce que deux ou trois de mes aïeux ont versé
leur sang pour l’Etat, faut-il que leur triste postérité
gémisse sous la honte du soupçon, et ne puissent pas
même respirer l’air de la capitale ? Lorsque j’aurai
consommé le peu d’économies que j’ai faites, faudra-t-il
que, faute de pouvoir travailler, j’aille mendier le
pain que je me faisois honneur de payer du fruit de mes
veilles et de mon unique talent ? Ah ! qu’on bannisse si
l’on veut ces nobles qui frémissent de rage au seul mot
d’égalité, tirent vanité de leurs persécutions,
préfèrent, dans leur sot orgueil, le trouble qui les
distingue, au calme qui les confondroit avec tous les
citoyens ! Mais nous autres pauvres filles ou veuves,
qui ne demandons à la société que de nous souffrir sur
la terre, et de nous permettre d’achever nos tristes
jours dans l’honneur et la probité, pourquoi
serions-nous envisagées comme des ennemies publiques
qu’il est bien essentiel de ne jamais perdre de vue,
dont on doit contrarier les occupations,
briser les relations utiles, et qu’il faut placer
toujours entre la gêne, l’ignominie et la mort ?
Autorretrato
Mon père est mort il y
a environ quinze ans ; il étoit parvenu, après de
longs services, au grade de lieutenant-colonel ; il
n’avoit, pour tout bien, qu’un petit domaine affermé
cent pistoles, et sa pension de douze cents livres
qui s’est éteinte avec lui. Sa veuve s’est alors
trouvée chargée de deux enfans qu’il a fallu élever,
nourrir sans autres moyens que son modique revenu. A
peine mon frère étoit-il en état de porter les
armes, qu’on l’a placé dans la carrière qu’avoient
suivie ses ancêtres ; il commençoit à
s’y distinguer sous les drapeaux de la république,
lorsqu’un décret, qui exclut les ci-devant nobles de
l’honneur de servir leur patrie, l’a condamné à une
inaction pour laquelle il n’étoit pas né ; nous
ignorons où l’a conduit le désespoir : celui qui
n’aspiroit qu’à la gloire n’aura pas pu supporter
l’humiliation ; l’idée de notre misère qu’il ne
pouvoit plus soulager, en nous abandonnant une
partie de ses appointemens, l’aura tué. Sentant que
nos besoins croissoient à mesure que nos ressources
diminuoient, j’ai pris le parti de travailler plus
utilement que je ne l’avois fait jusqu’alors ; je
n’ai pas rougi de faire des robes, des chemises aux
autres, pour pouvoir en fournir à ma pauvre mère.
Quelques femmes respectables auxquelles je
communiquai mon projet, l’approuvèrent d’autant plus
qu’elles n’ignoroient pas que j’avois préféré une
indigence qui me maintenoit dans leur estime, à des
dons qui m’auroient fait perdre la mienne. Plusieurs
d’entr’elles s’occupèrent de me chercher du travail,
et bientôt je me vis en état d’occuper deux jeunes
ouvrières, qui partageoient en mon absence mes soins, et soulageoient mes inquiétudes
filiales. Je vivois heureuse de la sécurité de ma
mère au milieu des troubles qui agitoient les nobles
et les riches. Je me disois : que peut-il arriver de
fâcheux à une pauvre couturière qui vit de son
métier ? tant qu’on portera des vêtemens, je ne
manquerai pas d’ouvrage.
Carta/Carta al director
Fille vertueuse,
si digne d’un meilleur sort, vous avez supporté l’infortune,
vous avez ennobli l’indigence, vous saurez également
souffrir avec docilité les contradictions que vous impose
une loi sévère, et qui ne tardera pas à être adoucie. Moi
qui ne tiens à aucune des castes proscrites, ne vois-je pas
aussi une barrière élevée entre moi et cette capitale où mes
plus belles années se sont écoulées utilement pour le
malheureux, parce que la prudence m’a éloigné quelque temps
du centre des orages ? En vain la voix de l’amitié
m’appelle, je sacrifie de grand cœur et mes affections et
mon intérêt à l’ordre qui renaît. Loin d’en murmurer, je
l’ai approuvé ce règlement qui, pour bannir plus sûrement
d’une cité trop tumultueuse les agitateurs appelés par
l’intrigue, ne distingue pas même les anciens domiciliés qui
revenoient goûter le calme, et partager la sécurité
publique. Je me résigne à tous les
inconvéniens d’une révolution ; je la traverse le plus
gaiement qu’il m’est possible, comme un chemin inégal et
raboteux qu’on est forcé de suivre. Le pont est rompu, un
fleuve profond est derrière nous ; il faut s’y précipiter,
ou avancer. Dans ce cas, je ne balance pas à marcher, et je
ne demanderois pas mieux que de faire route avec une
citoyenne aussi estimable que vous.