Sugestão de citação: Jacques-Vincent Delacroix (Ed.): "XXIIe Discours.", em: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, Vol.1\022 (1794), S. 217-229, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4616 [consultado em: ].


Nível 1►

XXIIe Discours.

Entretien avec un Ennemi irréconciliable des anciens Constitutionnels.

Nível 2► Que nous sommes exagérés et inconséquens dans nos jugemens, ainsi que dans nos opinions ! Tous les jours j’entends des hommes que les événemens ne corrigent pas, et dont les malheurs ne font qu’aigrir les haines, s’élever avec le même emportement et contre ceux qui ont adopté la constitution de 89 avec enthousiasme, et contre ceux qui s’y sont soumis par raison. Il suffit d’avoir paru y adhérer, pour être placés par eux au rang des ennemis publics, et être à jamais un objet d’aversion et de mépris. Narração geral► Diálogo► Ce sont les constitutionnels, s’écrioit dernièrement un de leurs implacables adversaires, qui ont attiré sur nous tous les malheurs dont nous gémissons ; aussi je ne les plains pas lorsqu’ils sont persécutés à leur tour : ils ont voulu une révolution, ils la trouvoient si belle cette fameuse constitution ! eh [218] bien, qu’il <sic> avalent à longs traits toutes les injustices qui en découlent ! Permettez-moi, lui dis-je, de vous demander si vous gagnez beaucoup à leur erreur ? Ils ont sans doute eu tort de se flatter que cette constitution pourroit se soutenir sur le sentiment mobile de la nation, et résister, par ses seuls principes, aux haines, aux passions qui appelloient sur elle la veangeance <sic> et la destruction : mais s’ils n’avoient pas trop présumé de l’assentiment passager de la multitude, vous jouiriez tranquillement du fruit de vos domaines, du revenu de vos capitaux ; vous porteriez le signe honorable de vos services ; le prince dont la fin malheureuse excite vos regrets seroit assis sur son trône ; les églises, si rapidement dépouillées et détruites, seroient consacrées à l’ancien culte ; vous ne pourriez être inquiété ni pour vos opinions religieuses, ni pour vos actions, lorsqu’elles ne nuiroient pas à la société ; jamais votre domicile n’auroit été violé, vous ne seriez jugés que d’après une loi positive et par des magistrats que vous auriez élus. Si vous vous déplaisiez dans votre patrie, vous pourriez en sortir, y revenir à votre gré ; vous et vos enfans auriez la fa-[219]culté de parvenir à tous les emplois, à tous les grades, d’après vos talens et la durée de vos services. Je ne vois pas ce qui vous rendroit si à plaindre sous un pareil gouvernement, et si, au lieu de vous complaire dans sa chûte, vous n’avez pas à gémir de ce qu’il ne subsiste plus.

Je juge, répondit le personnage auquel j’adressois la parole, que monsieur est constitutionnel, je lui en fais mon compliment : il ne s’agit ici, repliquai-je, ni de mon opinion, ni de votre suffrage ; il est question de savoir si vous vous trouvez beaucoup mieux depuis que cette constitution qui vous sembloit si intolérable s’est évanouie devant un autre ordre de choses. Au surplus, puisque vous vous occupez de mon sentiment particulier, je vous déclare que je n’ai jamais donné une approbation entière à la constitution, parce que je n’aime pas une loi qui attaque brusquement les préjugés d’une nation ; qui contrarie sans ménagement les fortunes et les vanités ; qui s’établit par la violence ; qui, sous le prétexte de produire un bien qui n’est qu’en perspective, exige des sacrifices très-pénibles ; qui mécontente les riches et les [220] grands d’un Etat, sans remplir les souhaits immodérés de la multitude, et fait, par cette raison, moins d’heureux que de mécontens ; qui n’oppose aucun contrepoids aux opinions subites et irréfléchies d’une puissance passagère. Mais quoique mon jugement et la connoissance que j’ai du caractère des hommes aient improuvé cette loi sortie du sein des haines, des rivalités, je n’étois pas moins déterminé à m’y soumettre, et je n’en ai pas moins fait des vœux pour que, depuis le chef jusqu’au dernier individu de l’Empire, tous les citoyens concourussent à la faire respecter. – La conclusion de ce beau discours est que voue <sic> étiez constitutionnel. – Oui, je l’étois parce que j’étois français et que je devois obéir à une loi que la majorité de la nation avoit juré de maintenir, que le prince avoit solemnellement promis de faire exécuter, à laquelle vous auriez dû tous vous rallier, au lieu de l’attaquer partiellement et de venir vous briser contre ses colonnes ; j’aimois mieux exister même sous une loi imparfaite, que dans l’anarchie qui devoit suivre son anéantissement. – On voit bien que vous n’aviez ni noblesse à perdre, [221] ni fief à regretter, ni dignité à espérer. – Quand j’aurois eu devant les yeux toutes ces chimères à conserver, j’aurois encore adopté la constitution qui m’auroit donné une existence politique que je n’avois pas, garanti mes domaines et ma liberté. – Vous voyez cependant ce qui en est résulté ; elle ne nous a rien préservé, et elle nous a exposés à tout perdre. – Pourquoi vous auroit-elle protégés ? vous étiez ses ennemis ; vous avez employé tant d’efforts et de ruses pour l’ébranler et détruire ses foibles appuis, que vous êtes parvenus à la renverser ; mais vous ne vous attendiez pas qu’elle vous écraseroit par sa chûte. Au surplus, je ne vois pas pourquoi vous vous obstinez à la regarder comme la première et l’unique cause de vos malheurs. Ne sont-ce pas les états-généraux qui ont enfanté la constitution ? Les états-généraux n’ont-ils pas été créés par les parlemens, qui les ont fait sortir de l’oubli où ils étoient depuis deux siècles, en s’opposant à l’établissement d’un impôt qui auroit pesé également sur toutes les propriétés ? Cet impôt n’étoit-il pas devenu nécessaire pour faire honneur à la dette publique et combler le vuide de nos finances ? Ce [222] vuide avoit-il d’autres causes qu’une guerre témérairement entreprise, qu’une administration vicieuse qui multiplioit les pensions, accroissoit les dépenses des divers départemens, que la prodigalité d’un ministère qui sembloit prendre plaisir à engloutir le crédit et les ressources de l’État dont il tenoit les rênes ? D’après cette chaîne de faits incontestables, votre emportement pourroit donc remonter à une époque beaucoup plus reculée que la constitution de 89. – Toute cette logique ne me prouvera pas que nous n’étions pas mieux au milieu des abus contre lesquels vous avez tant crié, que depuis qu’on a essayé de les réformer. – Mais si ce sont ces abus qui ont amené l’ordre de choses dont vous vous plaignez, convenez donc qu’on avoit raison de crier contr’eux ; est-ce la faute de ceux qui en annonçoient les conséquences funestes, si, en s’obstinant à les perpétuer, à les grossir, on en a fait naître de plus épouvantables ? – Eh bien, à votre avis, faut-il encore trouver bon le gouvernement où nous sommes ? – Je ne vous prescris pas de l’admirer, mais je vous conseille de vous y soumettre. Vous aviez autrefois un palais antique, vous l’avez laissé [223] dégrader au lieu de l’entretenir et de le réparer ; on avoit, depuis, construit sur ses fondemens une maison d’une architecture simple, mais mieux distribuée, vous avez voulu qu’elle fût renversée de fond en comble, vos vœux ont été accomplis. A présent vous n’avez plus qu’un bâtiment uniforme dans toutes ses parties, où vous pouvez encore exister heureux avec l’amour de vos semblables et de l’indulgence pour leurs défauts. – Ah ! dites plutôt une grange informe où nous sommes pêle-mêle jetés sur la paille, en bute à des animaux malfaisans. – Donnez-lui le nom que vous voudrez, je vous déclare que j’aime mieux m’y tenir que de demeurer sous un ciel nébuleux, exposé aux injures de l’air. – Ainsi vous étiez de bonne foi constitutionnel jusqu’en 92, et vous êtes maintenant un franc républicain ; vous êtes bien heureux de pouvoir prendre votre parti aussi gaiement dans les révolutions. – Et vous, vous êtes bien à plaindre de ne pas savoir souffrir ce que vous ne pouvez pas empêcher. ◀Diálogo

Ici finit un entretien qui auroit pu se terminer d’une manière plus fâcheuse, si un nouvelliste qui survint n’eût consterné [224] mon adversaire, en lui apprenant la retraite de nos ennemis et l’affranchissement de notre territoire. ◀Narração geral

Lettre d’un Amant condamné à demeurer captif jusqu’à la Paix.

Nível 3► Narração geral► En allant ce matin, suivant mon usage, à ma promenade solitaire, je passai devant une de ces demeures de douleurs où tant d’individus voient leurs jours s’alonger dans le tourment de l’ennui et des regrets ; mes yeux s’arrêtèrent par hasard sur un papier qui avoit la forme d’une lettre : je le ramassai et j’y vis pour toute adresse, à ma Julie. J’apperçus une femme qui s’avançoit tristement ; comme je n’osai lui demander si elle se nommoit Julie, je gardai la lettre, et j’y lus ces expressions que je transcrits ici, afin que celle qui y reconnoîtra le langage de son amant puisse se les appliquer.

Nível 4► Carta/Carta ao editor► « L’homme qui ne soupiroit tant après sa liberté que pour t’en faire hommage, est donc condamné à vivre et mourir séparé de toi, de toi qui lui faisois chérir la vie ! Il faut donc, ô ma Julie ! renoncer à toute idée de bonheur, et ne voir devant soi que [225] douleur et privation ! Cette union si douce dans laquelle nos cœurs se complaisoient d’avance, n’est plus qu’une chimère qui s’est évanouie comme un songe ; une autorité rigoureuse l’a dissipée. Quoi ! il est vrai que j’existe, que tu existes, que nous respirons dans la même cité, et qu’il faut se détacher de l’espoir de vivre et de mourir ensemble ! Ah ! qui me l’eût dit que j’étois réservé à un plus grand malheur que celui de perdre ton amour, et de sentir le mien s’éteindre au fond de mon cœur ! Oui, sans doute, il vaudroit mieux, et pour toi et pour moi, avoir cessé de nous aimer que d’être toute notre vie en proie à une passion qui ne peut plus que nous consumer et nous détruire. O ma bien aimée ! l’aurions-nous jamais cru que nous serions réduits à un tel excès de misère, que le sentiment qui nous charmoit deviendroit notre supplice ! Non, sois-en sûre, ce n’est pas la captivité qui cause mon désespoir ; je la supporterois, je la chérirois si tu étois près de moi, si je te voyois, si je te servois. Mais sans toi, sans toi elle est affreuse ; elle est plus forte que toutes les puissances de mon ame ; elle m’accable de son poids et semble m’en-[226]foncer dans le néant. Qu’ai-je donc fait aux hommes pour être si cruels à mon égard ? Ai-je attenté à leur bonheur, pour qu’ils veuillent me réndre <sic> si malheureux ? Moi suspect ! moi dangereux ! Ils connoissent bien peu le véritable amour, s’ils craignent que celui dont le cœur en est rempli puisse contrarier leurs plans et s’occuper de leurs projets. Eh ! que m’importe le gouvernement sous lequel ils veulent vivre, pourvu qu’il me soit permis d’être tout à ce que j’aime, de lui consacrer toutes mes pensées, toutes mes accusations ? Je suis noble, j’ai de grandes possessions. Est-ce ma faute si ce qui illustroit autrefois ceux qui venoient à la vie s’est répandu sur mon origine ! Mes propriétés excitent-elles l’envie ? qu’elle divise, qu’elle se partage mes domaines ; je lui abandonne toute ma fortune ; je me croirai plus riche que les envieux si je te possède ».

« On parle de préjugés détruits ; n’est-ce pas par l’effet d’un préjugés <sic> que j’ai été arrêté, et que je suis retenu dans les fers ? Insensés que nous sommes, nous croyons avancer vers la raison et nous ne faisons que changer d’erreurs ! »

« On cherche à me consoler, en me di-[227]sant que la paix mettra fin à ma captivité. Ne prévois-je pas que je ne serai jamais rendu à la liberté ; qu’un exil affreux me portera dans une contrée éloignée ou je n’aurai jamais l’espérance de vois celle qui embelliroit, qui animeroit à mes yeux un désert ? Cependant toi, que vas-tu devenir ? Parce que je suis le plus misérable des hommes, faut-il que tu sois toujours la plus malheureuse des femmes ? Ta jeunesse, ta beauté, les agrémens de ton esprit, tous ces dons que tu as reçus de la nature, se flétriront-ils à cause de moi dans une douleur éternelle ? Non, je ne le veux pas ; qu’il y en ait au moins un de nous deux qui goûte le bonheur : aie, ma tendre amie, le courage d’entendre un conseil que j’aurai la force de te donner ; cesse d’absorber tes précieuses facultés dans une passion funeste ; ne les épuise pas en luttant en vain contre la rigueur de ma destinée ; détache ton sort de celui d’un être qui t’entraîne dans un abîme de regrets et de larmes ; bannis ma douloureuse image de ton souvenir ; qu’il n’y ait que moi qui te contemple par la pensée. Je te verrai, du fond de ma tristesse, remplir tes devoirs et d’épouse et de mère. . . [228] O ma Julie ! faudra-t-il que tes enfans ne soient pas les miens. . . . Cruels ennemis, vous n’avez pas l’idée des tourmens auxquels vous m’avez livré ; vous m’avez laissé la vie comme par pitié, et vous me donnez mille fois la mort. Un moment m’eût délivré de toutes mes souffrances : il n’y a plus de jeunesse, plus de santé, plus de printemps pour moi ; vous m’avez tout-à-coup placé sur le bord de la tombe, et vous m’y avez cloué pour demeurer jusqu’à mon dernier soupir entre la douleur et le néant ».

« Puisse cette lettre que je jette au devant de toi, ne pas trop affliger le cœur de ma Julie ? Peut-être ne la trouvera-t-elle pas lorsqu’elle viendra promener ses douloureux regards autour de ces murs. Qui que vous soyez, hommes qui toucherez ces caractères tracés par le désespoir, respectez-les ; ne les dérobez pas à l’amante inquiète qui les cherche ; c’est l’unique consolation qui lui reste. Ah ! si jamais vous avez aimé, vous aurez pitié de notre sort ; vous essayerez d’adoucir la main qui opprime à la fois l’innocence et la beauté : notre amour n’est point un crime, et c’est par lui qu’on nous punit ; nous ne demandons qu’à nous réunir, et on veut nous [229] tenir séparés ; on s’obstine à se souvenir d’un titre effacé, et on s’oppose à ce que je prenne le seul que j’ambitionne. »

« Ne craignez pas que je m’éloigne de ma patrie, tant que celle qui l’embellit l’habitera ; que j’aille chercher les combats, lorsque mon cœur pourra reposer en paix sur le sien ; que je suscite des ennemis aux amis de l’égalité, tant que je pourrai, comme eux, exister près d’une compagne tendre et fidelle. »

« L’autorité qui nous gouverne a promis protection aux talens, aux enfans des muses, pourquoi n’accorderoit-elle pas indulgence aux amans ? Faveur aux uns, grace pour les autres, voilà le cri de mon cœur : puisse-t-il être entendu de tous ceux qui veulent dispenser le bonheur sur les citoyens paisibles, et ne punir que les coupables ! » ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 4 ◀Narração geral ◀Nível 3 ◀Nível 2 ◀Nível 1