Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: XXIIe Discours.
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XXIIe Discours.
Entretien avec un Ennemi irréconciliable des anciens Constitutionnels.Ebene 2
Que nous sommes exagérés et inconséquens dans nos
jugemens, ainsi que dans nos opinions ! Tous les jours j’entends
des hommes que les événemens ne corrigent pas, et dont les
malheurs ne font qu’aigrir les haines, s’élever avec le même
emportement et contre ceux qui ont adopté la constitution de 89
avec enthousiasme, et contre ceux qui s’y sont soumis par
raison. Il suffit d’avoir paru y adhérer, pour être placés par
eux au rang des ennemis publics, et être à jamais un objet
d’aversion et de mépris.
Ici finit un entretien qui auroit
pu se terminer d’une manière plus fâcheuse, si un
nouvelliste qui survint n’eût consterné mon
adversaire, en lui apprenant la retraite de nos ennemis et
l’affranchissement de notre territoire. Lettre d’un
Amant condamné à demeurer captif jusqu’à la Paix.
Allgemeine Erzählung
Dialog
Ce sont les constitutionnels,
s’écrioit dernièrement un de leurs implacables
adversaires, qui ont attiré sur nous tous les malheurs
dont nous gémissons ; aussi je ne les plains pas
lorsqu’ils sont persécutés à leur tour : ils ont voulu
une révolution, ils la trouvoient si belle cette fameuse
constitution ! eh bien, qu’il <sic>
avalent à longs traits toutes les injustices qui en
découlent ! Permettez-moi, lui dis-je, de vous demander
si vous gagnez beaucoup à leur erreur ? Ils ont sans
doute eu tort de se flatter que cette constitution
pourroit se soutenir sur le sentiment mobile de la
nation, et résister, par ses seuls principes, aux
haines, aux passions qui appelloient sur elle la
veangeance <sic> et la destruction : mais s’ils
n’avoient pas trop présumé de l’assentiment passager de
la multitude, vous jouiriez tranquillement du fruit de
vos domaines, du revenu de vos capitaux ; vous porteriez
le signe honorable de vos services ; le prince dont la
fin malheureuse excite vos regrets seroit assis sur son
trône ; les églises, si rapidement dépouillées et
détruites, seroient consacrées à l’ancien culte ; vous
ne pourriez être inquiété ni pour vos opinions
religieuses, ni pour vos actions, lorsqu’elles ne
nuiroient pas à la société ; jamais votre domicile
n’auroit été violé, vous ne seriez jugés que d’après une
loi positive et par des magistrats que vous auriez élus.
Si vous vous déplaisiez dans votre patrie, vous pourriez
en sortir, y revenir à votre gré ; vous et vos enfans
auriez la faculté de parvenir à tous les
emplois, à tous les grades, d’après vos talens et la
durée de vos services. Je ne vois pas ce qui vous
rendroit si à plaindre sous un pareil gouvernement, et
si, au lieu de vous complaire dans sa chûte, vous n’avez
pas à gémir de ce qu’il ne subsiste plus. Je juge,
répondit le personnage auquel j’adressois la parole, que
monsieur est constitutionnel, je lui en fais mon
compliment : il ne s’agit ici, repliquai-je, ni de mon
opinion, ni de votre suffrage ; il est question de
savoir si vous vous trouvez beaucoup mieux depuis que
cette constitution qui vous sembloit si intolérable
s’est évanouie devant un autre ordre de choses. Au
surplus, puisque vous vous occupez de mon sentiment
particulier, je vous déclare que je n’ai jamais donné
une approbation entière à la constitution, parce que je
n’aime pas une loi qui attaque brusquement les préjugés
d’une nation ; qui contrarie sans ménagement les
fortunes et les vanités ; qui s’établit par la
violence ; qui, sous le prétexte de produire un bien qui
n’est qu’en perspective, exige des sacrifices
très-pénibles ; qui mécontente les riches et les grands d’un Etat, sans remplir les
souhaits immodérés de la multitude, et fait, par cette
raison, moins d’heureux que de mécontens ; qui n’oppose
aucun contrepoids aux opinions subites et irréfléchies
d’une puissance passagère. Mais quoique mon jugement et
la connoissance que j’ai du caractère des hommes aient
improuvé cette loi sortie du sein des haines, des
rivalités, je n’étois pas moins déterminé à m’y
soumettre, et je n’en ai pas moins fait des vœux pour
que, depuis le chef jusqu’au dernier individu de
l’Empire, tous les citoyens concourussent à la faire
respecter. – La conclusion de ce beau discours est que
voue <sic> étiez constitutionnel. – Oui, je
l’étois parce que j’étois français et que je devois
obéir à une loi que la majorité de la nation avoit juré
de maintenir, que le prince avoit solemnellement promis
de faire exécuter, à laquelle vous auriez dû tous vous
rallier, au lieu de l’attaquer partiellement et de venir
vous briser contre ses colonnes ; j’aimois mieux exister
même sous une loi imparfaite, que dans l’anarchie qui
devoit suivre son anéantissement. – On voit bien que
vous n’aviez ni noblesse à perdre, ni fief
à regretter, ni dignité à espérer. – Quand j’aurois eu
devant les yeux toutes ces chimères à conserver,
j’aurois encore adopté la constitution qui m’auroit
donné une existence politique que je n’avois pas,
garanti mes domaines et ma liberté. – Vous voyez
cependant ce qui en est résulté ; elle ne nous a rien
préservé, et elle nous a exposés à tout perdre. –
Pourquoi vous auroit-elle protégés ? vous étiez ses
ennemis ; vous avez employé tant d’efforts et de ruses
pour l’ébranler et détruire ses foibles appuis, que vous
êtes parvenus à la renverser ; mais vous ne vous
attendiez pas qu’elle vous écraseroit par sa chûte. Au
surplus, je ne vois pas pourquoi vous vous obstinez à la
regarder comme la première et l’unique cause de vos
malheurs. Ne sont-ce pas les états-généraux qui ont
enfanté la constitution ? Les états-généraux n’ont-ils
pas été créés par les parlemens, qui les ont fait sortir
de l’oubli où ils étoient depuis deux siècles, en
s’opposant à l’établissement d’un impôt qui auroit pesé
également sur toutes les propriétés ? Cet impôt
n’étoit-il pas devenu nécessaire pour faire honneur à la
dette publique et combler le vuide de nos finances ? Ce
vuide avoit-il d’autres causes qu’une
guerre témérairement entreprise, qu’une administration
vicieuse qui multiplioit les pensions, accroissoit les
dépenses des divers départemens, que la prodigalité d’un
ministère qui sembloit prendre plaisir à engloutir le
crédit et les ressources de l’État dont il tenoit les
rênes ? D’après cette chaîne de faits incontestables,
votre emportement pourroit donc remonter à une époque
beaucoup plus reculée que la constitution de 89. – Toute
cette logique ne me prouvera pas que nous n’étions pas
mieux au milieu des abus contre lesquels vous avez tant
crié, que depuis qu’on a essayé de les réformer. – Mais
si ce sont ces abus qui ont amené l’ordre de choses dont
vous vous plaignez, convenez donc qu’on avoit raison de
crier contr’eux ; est-ce la faute de ceux qui en
annonçoient les conséquences funestes, si, en
s’obstinant à les perpétuer, à les grossir, on en a fait
naître de plus épouvantables ? – Eh bien, à votre avis,
faut-il encore trouver bon le gouvernement où nous
sommes ? – Je ne vous prescris pas de l’admirer, mais je
vous conseille de vous y soumettre. Vous aviez autrefois
un palais antique, vous l’avez laissé
dégrader au lieu de l’entretenir et de le réparer ; on
avoit, depuis, construit sur ses fondemens une maison
d’une architecture simple, mais mieux distribuée, vous
avez voulu qu’elle fût renversée de fond en comble, vos
vœux ont été accomplis. A présent vous n’avez plus qu’un
bâtiment uniforme dans toutes ses parties, où vous
pouvez encore exister heureux avec l’amour de vos
semblables et de l’indulgence pour leurs défauts. – Ah !
dites plutôt une grange informe où nous sommes pêle-mêle
jetés sur la paille, en bute à des animaux malfaisans. –
Donnez-lui le nom que vous voudrez, je vous déclare que
j’aime mieux m’y tenir que de demeurer sous un ciel
nébuleux, exposé aux injures de l’air. – Ainsi vous
étiez de bonne foi constitutionnel jusqu’en 92, et vous
êtes maintenant un franc républicain ; vous êtes bien
heureux de pouvoir prendre votre parti aussi gaiement
dans les révolutions. – Et vous, vous êtes bien à
plaindre de ne pas savoir souffrir ce que vous ne pouvez
pas empêcher.
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Allgemeine Erzählung
En allant ce matin, suivant
mon usage, à ma promenade solitaire, je passai devant
une de ces demeures de douleurs où tant d’individus
voient leurs jours s’alonger dans le tourment de l’ennui
et des regrets ; mes yeux s’arrêtèrent par hasard sur un
papier qui avoit la forme d’une lettre : je le ramassai
et j’y vis pour toute adresse, à ma Julie. J’apperçus
une femme qui s’avançoit tristement ; comme je n’osai
lui demander si elle se nommoit Julie, je gardai la
lettre, et j’y lus ces expressions que je transcrits
ici, afin que celle qui y reconnoîtra le langage de son
amant puisse se les appliquer.
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Brief/Leserbrief
« L’homme qui ne
soupiroit tant après sa liberté que pour t’en
faire hommage, est donc condamné à vivre et mourir
séparé de toi, de toi qui lui faisois chérir la
vie ! Il faut donc, ô ma Julie ! renoncer à toute
idée de bonheur, et ne voir devant soi que douleur et privation ! Cette union si
douce dans laquelle nos cœurs se complaisoient
d’avance, n’est plus qu’une chimère qui s’est
évanouie comme un songe ; une autorité rigoureuse
l’a dissipée. Quoi ! il est vrai que j’existe, que
tu existes, que nous respirons dans la même cité,
et qu’il faut se détacher de l’espoir de vivre et
de mourir ensemble ! Ah ! qui me l’eût dit que
j’étois réservé à un plus grand malheur que celui
de perdre ton amour, et de sentir le mien
s’éteindre au fond de mon cœur ! Oui, sans doute,
il vaudroit mieux, et pour toi et pour moi, avoir
cessé de nous aimer que d’être toute notre vie en
proie à une passion qui ne peut plus que nous
consumer et nous détruire. O ma bien aimée !
l’aurions-nous jamais cru que nous serions réduits
à un tel excès de misère, que le sentiment qui
nous charmoit deviendroit notre supplice ! Non,
sois-en sûre, ce n’est pas la captivité qui cause
mon désespoir ; je la supporterois, je la
chérirois si tu étois près de moi, si je te
voyois, si je te servois. Mais sans toi, sans toi
elle est affreuse ; elle est plus forte que toutes
les puissances de mon ame ; elle m’accable de son
poids et semble m’enfoncer dans le
néant. Qu’ai-je donc fait aux hommes pour être si
cruels à mon égard ? Ai-je attenté à leur bonheur,
pour qu’ils veuillent me réndre <sic> si
malheureux ? Moi suspect ! moi dangereux ! Ils
connoissent bien peu le véritable amour, s’ils
craignent que celui dont le cœur en est rempli
puisse contrarier leurs plans et s’occuper de
leurs projets. Eh ! que m’importe le gouvernement
sous lequel ils veulent vivre, pourvu qu’il me
soit permis d’être tout à ce que j’aime, de lui
consacrer toutes mes pensées, toutes mes
accusations ? Je suis noble, j’ai de grandes
possessions. Est-ce ma faute si ce qui illustroit
autrefois ceux qui venoient à la vie s’est répandu
sur mon origine ! Mes propriétés excitent-elles
l’envie ? qu’elle divise, qu’elle se partage mes
domaines ; je lui abandonne toute ma fortune ; je
me croirai plus riche que les envieux si je te
possède ». « On parle de préjugés détruits ;
n’est-ce pas par l’effet d’un préjugés <sic>
que j’ai été arrêté, et que je suis retenu dans
les fers ? Insensés que nous sommes, nous croyons
avancer vers la raison et nous ne faisons que
changer d’erreurs ! » « On cherche à me consoler,
en me disant que la paix mettra fin
à ma captivité. Ne prévois-je pas que je ne serai
jamais rendu à la liberté ; qu’un exil affreux me
portera dans une contrée éloignée ou je n’aurai
jamais l’espérance de vois celle qui embelliroit,
qui animeroit à mes yeux un désert ? Cependant
toi, que vas-tu devenir ? Parce que je suis le
plus misérable des hommes, faut-il que tu sois
toujours la plus malheureuse des femmes ? Ta
jeunesse, ta beauté, les agrémens de ton esprit,
tous ces dons que tu as reçus de la nature, se
flétriront-ils à cause de moi dans une douleur
éternelle ? Non, je ne le veux pas ; qu’il y en
ait au moins un de nous deux qui goûte le
bonheur : aie, ma tendre amie, le courage
d’entendre un conseil que j’aurai la force de te
donner ; cesse d’absorber tes précieuses facultés
dans une passion funeste ; ne les épuise pas en
luttant en vain contre la rigueur de ma destinée ;
détache ton sort de celui d’un être qui t’entraîne
dans un abîme de regrets et de larmes ; bannis ma
douloureuse image de ton souvenir ; qu’il n’y ait
que moi qui te contemple par la pensée. Je te
verrai, du fond de ma tristesse, remplir tes
devoirs et d’épouse et de mère. . .
O ma Julie ! faudra-t-il que tes enfans ne soient
pas les miens. . . . Cruels ennemis, vous n’avez
pas l’idée des tourmens auxquels vous m’avez
livré ; vous m’avez laissé la vie comme par pitié,
et vous me donnez mille fois la mort. Un moment
m’eût délivré de toutes mes souffrances : il n’y a
plus de jeunesse, plus de santé, plus de printemps
pour moi ; vous m’avez tout-à-coup placé sur le
bord de la tombe, et vous m’y avez cloué pour
demeurer jusqu’à mon dernier soupir entre la
douleur et le néant ». « Puisse cette lettre que
je jette au devant de toi, ne pas trop affliger le
cœur de ma Julie ? Peut-être ne la trouvera-t-elle
pas lorsqu’elle viendra promener ses douloureux
regards autour de ces murs. Qui que vous soyez,
hommes qui toucherez ces caractères tracés par le
désespoir, respectez-les ; ne les dérobez pas à
l’amante inquiète qui les cherche ; c’est l’unique
consolation qui lui reste. Ah ! si jamais vous
avez aimé, vous aurez pitié de notre sort ; vous
essayerez d’adoucir la main qui opprime à la fois
l’innocence et la beauté : notre amour n’est point
un crime, et c’est par lui qu’on nous punit ; nous
ne demandons qu’à nous réunir, et on veut nous tenir séparés ; on s’obstine à se
souvenir d’un titre effacé, et on s’oppose à ce
que je prenne le seul que j’ambitionne. » « Ne
craignez pas que je m’éloigne de ma patrie, tant
que celle qui l’embellit l’habitera ; que j’aille
chercher les combats, lorsque mon cœur pourra
reposer en paix sur le sien ; que je suscite des
ennemis aux amis de l’égalité, tant que je
pourrai, comme eux, exister près d’une compagne
tendre et fidelle. » « L’autorité qui nous
gouverne a promis protection aux talens, aux
enfans des muses, pourquoi n’accorderoit-elle pas
indulgence aux amans ? Faveur aux uns, grace pour
les autres, voilà le cri de mon cœur : puisse-t-il
être entendu de tous ceux qui veulent dispenser le
bonheur sur les citoyens paisibles, et ne punir
que les coupables ! »