Citazione bibliografica: Jacques-Vincent Delacroix (Ed.): "XXe Discours.", in: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, Vol.1\020 (1794), pp. 199-203, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4614 [consultato il: ].


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XXe Discours.

Sur la vicissitude des Renommées.

Livello 2► La tombe ne nous met donc pas à l’abri de l’effet des révolutions ! Il n’y a pas jusqu’aux honneurs décernés après notre mort que nous soyons sûrs de conserver, et qui ne puissent nous être retirés ! Eteroritratto► Je me la rappelle cette pompe funèbre qui fut pour la nation une dette qu’elle se fit gloire d’acquitter ; comme elle étoit auguste et solemnelle ! Jamais monarque descendu au tombeau ne fut entouré ; suivi d’un cortège aussi nombreux que cet orateur, condamné tout-à-coup à un silence éternel. La contenance morne du peuple exprimoit la douleur profonde qu’il ressentoit en perdant son plus intrépide défenseur. Les haines sembloient s’être assoupies sur sa cendre ; on eût dit qu’il entraînoit avec lui la destinée de l’empire français. Le prince qui l’avoit tant redouté le regrettoit comme l’appui de son trône ; les autorités diverses voyoient leurs barrières s’ébranler et se confondre ; la re-[200]présentation nationale se troubloit en sentant la vuide immense que laissoit dans son sein l’absence d’un seul homme ; la loi de l’Etat, qu’il avoit fait triompher de tant d’obstacles et de tant de passions, s’obscurcissoit d’un voile épais. ◀Eteroritratto Eteroritratto► Qu’étoit alors aux yeux du peuple l’individu connu, révéré aujourd’hui sous le titre distinctif de son ami ? Errant de souterrains en souterrains, recherché, poursuivi par la haine publique, il fuyoit les regards des hommes comme la lumière. Ses feuilles, semblables à celles de la sibylle, sortoient d’un autre obscur et se distribuoient sous l’ombre du mystère ; le colporteur ne les offroit qu’en tremblant, et méconnoissoit la main qui les lui confioit. Ce ne fut qu’après l’ébranlement du trône, que cet auteur, agité par de longues frayeurs, se hasarda de reparoître au grand jour. Une voix osa, dans le corps électoral, le désigner sans proférer son nom, et tout-à-coup, au grand étonnement de ses nombreux ennemis, il fut proclamé l’un des représentans du peuple. Assis à la convention, les yeux s’attachoient d’abord sur lui avec plus de surprise que de respect ; les défiances, les haines l’environnoient. Que de dégoûts, [201] que d’outrages n’eut-il pas à dévorer ! Plus d’une fois l’assemblée toute entière improuva ses discours, se leva d’un commun accord pour étouffer sa voix. On le vit un jour, désespérant de sa cause, prêt à s’immoler aux yeux de ses collègues irrités : on le vit quelque temps après, frappé d’un décret d’accusation, se dérober de nouveau aux yeux des hommes, et s’emprisonner lui-même pour éviter la prison de la loi, attendre en silence le moment favorable, et s’avancer ensuite avec sécurité vers le tribunal qui devoit le juger. Soutenu de ses partisans, et sans doute par le sentiment de son innocence, il comparut moins sous les dehors d’un accusé que sous ceux d’un accusateur : absous avec enthousiasme, il fut ramené, précédé par les acclamations, au sein de cette assemblée dont il s’etoit vu banni. Ses dénonciateurs n’eurent pas le courage de soutenir sa présence, et s’éclipsèrent devant lui. Bientôt la puissance passa de son côté avec la victoire ; ses rivaux se dispersèrent ; plusieurs d’entr’eux, saisis dans leur fuite, ou découverts dans leurs retraites, expièrent leurs erreurs et leurs crimes, sur l’échafaud. Il avoit acquis un [202] ascendant immense, lorsque la main d’une femme trancha le fil d’une vie agitée de revers et de succès. Nous ignorons quelle eût été sa destinée s’il eût échappé à ce forfait ; mais ce qui est incontestable, c’est que l’amitié ne pouvoit rien projetter de plus pour la gloire et la vénération de son nom que ce qui a été opéré par la haine la plus prononcée. ◀Eteroritratto

Le jour consacré aux récompenses est arrivé ; autant il a été honorable pour les cendres de Marat, autant il a été ignominieux pour celles de Mirabeau. Celles-ci ont été enlevées avec opprobre du temple où elles avoient été si glorieusement déposées, et ont fait place à celles de l’Ami du Peuple. . . C’est encore là une de ces scènes inattendues que nous a présenté la révolution. Pauvres mortels ! courez donc maintenant après une célébrité passagère, épuisez-vous par des veilles, faites jouer tous les ressorts de votre imagination, précipitez le cours de vos jours pour obtenir de votre vivant des honneurs : vous ne pouvez pas même compter sur ceux qui vous auront été accordés après votre mort !

Qu’on ne croie pas que ces réflexions [203] soient inspirées par les regrets ou la censure : je ne m’attache point aux ombres des deux personnages qui ont figuré dans cet évènement ; je n’ai voulu que consigner ici une nouvelle preuve des vicissitudes, des renommées et des affections populaires. Eteroritratto► On sait que, loin d’avoir été l’ami de Mirabeau, je me suis attiré sa haine, en défendant l’une de ses sœurs et sa malheureuse compagne. J’avois depuis long-temps séparé dans mon opinion l’homme privé d’avec l’homme public. J’ai souvent méprisé l’un ; j’ai plus d’une fois admiré l’autre. Je crois qu’en pesant à la balance de l’impartialité le bien et le mal qu’il a produit, il eût été à desirer, pour notre bonheur, que la nature eût pour jamais renfermé dans son sein cet être qui nous a étonnés par ses talens, scandalisés par ses mœurs, agités par ses ressentimens, et attira les orages sur la nation pour déployer les ressources de son génie et se ménager le mérite incertain de la sauver. ◀Eteroritratto ◀Livello 2 ◀Livello 1