Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: XIXe Discours.
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Nivel 1
XIXe Discours.
Entretien avec un auteur trop pressé de publier sa pensée.Nivel 2
Nivel 3
Relato general
Je rencontrai, il y a quelques
jours, un auteur qui a plus de zèle que de talens, plus
de vivacité que de prudence : il portoit un manuscrit
chez son imprimeur. A ces mots, l’auteur
s’éloigna de moi pour aller se jeter dans la mêlée. En
attendant que sa brochure me parvienne, je suis assourdi
par des colporteurs qui m’offrent de toutes parts des
feuilles, sous les titres les plus burlesques, contre
cette société qui naguère imprimoit le respect et la
crainte à la multitude. J’ignore quel sera le résultat
de cette lutte du peuple contre ceux qui se disent ses
amis, ses défenseurs.
Diálogo
Vous
recommencez donc, lui demandai-je, à vouloir faire
parler de vous ? Il y a, me répondit-il, assez
long-temps que je retiens ma plume et que je
comprime ma pensée ; je profite du moment favorable
pour leur donner l’essor. Vous avez raison, lui
repliquai-je, si, comme je n’en doute pas, votre
ouvrage est inspiré par un patriotisme pur et
l’amour de vos semblables. Y auroit-il de
l’indiscrétion à vous demander sur quel sujet vous
avez exercé votre talent ? C’est, reprit-il, contre
cette société qui, par ses affiliations, ses
principes, son intolérence, son despotisme, est
mille fois plus dangereuse que ne fut celle qui
vouloit dominer l’Europe, sous le voile de la
religion. – J’entends : mais si elle
est si dangereuse, n’en avez-vous rien à craindre ?
Eh ! ne voyez-vous pas qu’on annonce dans toutes les
rues, dans tous les carrefours, sa destruction
prochaine ; elle n’a plus que quelques jours à
vivre ; je ne veux pas qu’on puisse me reprocher
d’avoir attendu qu’elle eût rendu le dernier soupir
pour la combattre. – Prenez-y garde ; elle n’est
peut-être pas aussi près de sa fin que vous vous en
flattez. Souvenez-vous que, semblable en cela à tous
les corps religieux et politiques, elle ne pardonne
jamais, ni à ses ennemis, ni à ceux qu’elle regarde
comme des apostats. Nous l’avons vue aux abois,
lorsque l’assemblée constituante eut achevé son
ouvrage. Comme elle s’est vengée de tous ceux qui
l’ont abondonnée <sic> ou menacée ? A-t-elle
fait subir une assez longue agonie à ce maire qui
fit déployer contre elle le drapeau redoutable ? Le
jeune Barnave a-t-il pu trouver grace devant elle,
avec tout son talent ? Ce bataillon qui en triompha
au Champ de Mars n’a-t-il pas, depuis, payé bien
cher sa victoire ? Le département de Paris, qui
redigea contre cette société arrêté vigoureux,
n’a-t-il pas été dispersé, anéanti ? Les signataires de la fameuse pétition ne sont-ils
pas encore exclus de tous les emplois ? La vie qu’on
leur a laissée leur a paru une faveur. Les écrivains
qui se signalèrent contre elle dans les feuilles
publiques, tels qu’André Chenier, que Roucher, ont
été enlevés à la littérature et aux muses, qui
demandèrent en vain grace pour eux à un tribunal
impitoyable. Ceux même auxquels on n’avoit à
reprocher que d’avoir démasqué l’hypocrisie, le
parjure, ont eu à se repentir d’avoir osé publier
des vérités reconnues. Croyez-moi, avant de vous
livrer à tous vos ressentimens, attendez que vos
ennemis soient morts et enterrés, et craignez encore
qu’ils ne ressuscitent. – Ah parbleu ! je ne vous
croyois pas assez timide pour redouter des ombres ;
au surplus, qu’ai-je à craindre ? N’ai-je pas pour
appui, dans ce moment, la majorité de la
convention ? – Si cette majorité veut réellement la
dissolution de cette société, croyez-vous qu’elle
ait besoin de votre aide pour l’anéantir ? Un seul
de ses membres n’a-t-il pas, dans la nuit du 9
thermidor, dissipé ceux qui prétendoient rivaliser
de puissance avec le corps législatif ? N’a-t-il pas
saisi leur registre et apporté la clef
de leur enceinte, comme celle d’un magasin où l’on
vendoit à fausse mesure, et dont on a expulsé le
propriétaire et les garçons ? Si la convention a
besoin de vous, elle vous appellera avec tous les
bons citoyens, et nous irons ensemble la protéger,
la défendre contre ses ennemis. – C’est pour avoir
toujours attendu de nouvelles attaques de cette
société, qui prépare ses coups dans le silence et
choisit l’occasion favorable, que l’on a fini par
succomber sous sa ruse ou son impétuosité ; la
charge est sonnée, le combat est livré, il faut
vaincre ou périr.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Depuis long-temps je m’étois
consacré à l’éducation de la jeunesse, et j’ose dire que
j’ai acquis les connoissances nécessaires pour former
des citoyens honnêtes et éclairés. Je me disposois à
ouvrir une école de morale ; de belles-lettres, où je
dirigerois mes élèves vers les sciences utiles, telles
que la géométrie, la physique, la chymie, lorsqu’on m’a
averti qu’il étoit indispensable de commencer par me
pourvoir d’un certificat de civisme. Je me suis, en
conséquence, présenté au comité de ma
section, où j’ai exposé mon intention. J’imaginois qu’on
alloit s’informer de mes mœurs, des études auxquelles je
m’étois appliqué, et prendre des renseignemens sur mes
principes. On m’a demandé où j’étois et ce que je
faisois le 20 juin et le 10 août 1792 ? J’ai répondu
naïvement, qu’autant que je pouvois me le rappeler, je
faisois quelques recherches à la bibliothèque nationale,
ou des observations au jardin des plantes. On m’a
questionné pour savoir si je montois ma garde en
personne ? J’ai répliqué que comme, la première qualité
d’un factionnaire est de voir et de bien juger de ce qui
se passoit loin de lui, je m’étois toujours fait
remplacer par des citoyens qui avoient de meilleurs yeux
que les miens, et qui paroissoient fort contens de
gagner un écu à se promener quelques heures, tandis que
j’étois appliqué sur mes livres. On m’a demandé si je
n’avois pas été d’un certain club anti-civique, connu
sous la dénomination de 89 ? j’ai avoué que je m’y étois
agrégé dans le temps où les Mirabeau, les Condorcet, les
Syeyes, les Chamfort, les Grouvel y défendoient avec
tant de chaleur les intérêts du peuple. D’après ces
réponses, dictées par ma franchise, on a
voulu me prouver que j’étois indigne de prétendre au
titre d’institeur <sic> ; que jamais je ne serois
en état de donner à la patrie de généreux défenseurs ;
j’ai vu même le moment où je ne serois pas le maître
d’aller cacher ma honte dans ma solitude, et ce n’a été
que par une sorte d’indulgence qu’on m’a permis de me
retirer. J’ai eu, depuis, l’humiliation de voir conférer
le titre que je sollicitois à un ex-capucin qui sait à
peine lire et écrire : Cependant on n’a pas balancé à donner à ce
concurrent la préférence sur moi, et à me condamner à
l’inaction. Serions-nous parvenus à un tel degré
d’aveuglement, que nous ne verrions pas la nécessité
d’éclairer la génération qui commence, pour que la
république n’ait pas un jour dans son sein que des
ignorans présomptueux, que des citoyens sans moralité,
que des orateurs sans logique, des écrivains sans goût,
que des juges et des administrateurs dénués de justesse
dans les idées ? Le civisme est sans doute nécessaire à
un instituteur, puiqu’il <sic> doit former, avant
tout, des citoyens ; mais il ne peut pas
lui tenir lieu des vertus et des connoissances qu’il
doit communiquer pour bien remplir sa tâche. Si j’avois
le malheur de me casser la jambe, il me semble que, pour
marcher droit, je ferois moins appeler le chirurgien le
plus civique que le plus expert dans son art. Il y
auroit peut-être beaucoup de choses à dire sur cette
invention de certificats de civisme, qu’on a rendus plus
difficiles à obtenir afin d’exclure des principaux
emplois les hommes probes, éclairés, expéditifs,
laborieux. et de mettre à leur place des gens ineptes,
des intrigans sans ressources honnêtes et sans moyens,
qui ne se sont fait connoître que par un faux zèle et
des principes exagérés. Mais on croiroit peut-être que
c’est le dépit qui me fait parler, et j’aime encore
mieux ne rien enseigner aux autres, et continuer de
m’instruire au milieu de mes livres et dans la société
des savans.
Retrato ajeno
il
est vrai qu’il a été très-exact aux assemblées de sa
section ; qu’il s’est bien vengé des riches, dont il
a long-temps enduré les refus ; qu’il s’est
vigoureusement emporté contre le clergé qui ne lui
montroit que du mépris. Je sais que dans les
occasions périlleuses il a marché régulièrement avec
son bataillon ; qu’il fait passablement l’exercice ;
que lorsqu’il s’agit de découvrir un ex-noble ou un
prêtre qui se cache, personne n’a plus que lui l’art
de tirer le secret des portiers ou des habitans de
la maison ; que, plus d’une fois, il a procuré des
révélations de trésors enfouis dont il a eu sa
part ; qu’il s’est illustré par beaucoup de
dénonciations qui ne se sont pas
toujours trouvées vraies, mais qui prouvoient son
zèle. Tout en rendant, comme vous voyez, justice à
son civisme, je puis sans vanité croire qu’il y a
loin de lui à moi pour la faculté d’enseigner la
jeunesse, de lui imprimer les sentimens de
l’honneur, d’échauffer son ame par un choix des
grands traits de l’histoire, d’exciter son émulation
par de nobles exemples, de lui abréger le chemin des
sciences, de rendre son jugement sain, de lui
inspirer le goût de l’étude et d’orner son esprit.