Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: XVIe Discours.
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XVIe Discours.
Sur le Supplice d’un grand Coupable.Ebene 2
Quels jours horribles à
peindre que ceux où toutes les pensées se cachent sous la
dissimulation, sous la contrainte et l’exagération ; où l’on ne
découvre que fausseté dans les actions et dans les discours ; où
l’aimable franchise qui formoit le caractère national est bannie
de tous les cœurs ! Le citoyen qui en aborde un autre cherche
moins à savoir ce qu’il pense qu’à lui persuader ce qu’il ne
pense pas ; il le salue comme un ami, et s’en défie comme d’un
ennemi : jamais on n’eut plus d’affection dans les paroles, plus
de familiarité dans les gestes, plus de vivacité dans les
démonstrations, et moins de vérité dans le sentiment ; et
c’est-là ce qu’on appelle un peuple de frères, une société
d’égaux ! Pour moi, je ne vois d’égalité que dans la terreur.
Nobles, prêtres, cultivateurs, marchands, ouvriers, tous sont
également frappés de crainte ; tous redoutent les chaînes et le glaive suspendu sur leur tête : ceux qui se
flattoient d’échapper à la captivité, à la mort, en courant
toujours au-devant de l’opinion publique, sont arrêtés dans leur
course et précipités dans les fers ou sous cette hache
meurtrière qui ne suffit pas au nombre des victimes qu’on lui
amène. Sur les ruines de la justice s’est élevé un tribunal
sanguinaire qui inspire le même effroi à l’innocence et au
crime ; la sécurité n’est pas même pour l’accusé qu’il vient
d’absoudre, son supplice n’est que différé ; il n’a gagné que
quelques jours de sollicitude et d’horreur. Malheureux
citoyens ! étoit-ce là l’objet de vos vœux ? Etoit-ce pour
arriver à cet ordre de choses que vous avez renversé le trône et
l’autel, et que vous avez fait retentir de vos chants le temple
de la raison ? Telles étoient les douloureuses pensées que je
confiois au papier, lorsqu’une nouvelle scène a ramené quelques
lueurs d’espérance dans mon ame attristée. Il est donc abattu ce
lâche despote dont l’empire nous couvroit de honte ! Quoi ! nous
avons pu le tolérer deux ans entiers cet hypocrite
qui cachôit une ame si vile sous une figure si basse ; qui
trahissoit son égoïsme insultant dans tous ses discours ; qui
profanoit les mots de justice et d’humanité en dictant sans
cesse des arrêts de mort ; qui se jouoit assez de notre
foiblesse pour nous parler de liberté en appesantissant sur nous
la plus atroce des tyrannies ; qui osoit mettre la nullité de
ses talens en balance avec l’héroïsme et le génie ! Combien ils
doivent rougir de leurs adulations tous ceux qui se sont avilis
devant un mortel si méprisable sous tous les rapports ! Par
quels prestiges s’étoit-il donc élevé au point de domination où
nous l’avons vu monter ? On se rappelle le rôle qu’il avoit joué
à l’assemblée constituante. Quelle distance entre lui et tous
les orateurs qui y brillèrent par leur éloquence et leurs
grandes idées ! Un événement aussi rapide, aussi inespéré
a fait renaître le calme et la sécurité parmi les vrais amis de
la patrie. Les délateurs ont frémi, les instrumens de l’iniquité
ont été anéantis ; une multitude de captifs qui attendoient la
mort et s’y étoient résignés avant leur condamnation ont senti
leurs fers s’alléger ; déjà plusieurs d’entr’eux les ont vu
briser, et respirent l’air de la liberté. Pourquoi cette époque
mémorable n’a-t-elle pas plutôt dessillé les yeux de la
multitude ? Que de familles dans le deuil n’auroient pas
aujourd’hui à pleurer sur la mort d’un chef vénérable, ou de
jeunes frères tombés sous un fer homicide ? Quelle leçon pour ce
peuple qui pouvoit applaudir à tant d’actes de cruauté, dont la
vue sembloit ne jamais se rassasier du plus horrible spectacle !
Quelle honte pour le tribunal qui a outragé les ombres illustres
de Fénélon, de Buffon, en frappant sans pitié les héritiers de
leur nom ! Mais ne nous arrêtons pas sur des
souvenirs douloureux ; nous connoissons ceux qui ont provoqué
tant de détentions injustes, tant d’assassinats juridiques, qui
ont flétri la révolution par l’abus le plus épouvantable d’une
autorité passagère : attachons-nous à eux ; qu’ils subissent la
peine de leurs forfaits, et effraient par leur supplice les
hommes pervers qui seroient tentés d’entrer dans cette carrière
de crimes. J’en vois déjà deux dont la convention vient de
purifier son sein, et qu’elle a livrés à la vengeance des loix ;
Puissent ces deux ennemis
de l’humanité, après avoir été déchirés par les remords,
appaiser les ombres sanglantes dont ils sont environnés, par le
supplice que leur prépare la vengeance nationale ! Que de crimes
obscurs, que de forfaits méconnus, que d’ordres révoltans et
trop docilement exécutés l’avenir nous découvrira ! Puissent-ils
ne pas nous rendre si odieux à la postérité, qu’elle ne daigne
pas nous plaindre d’en avoir été les témoins ou les victimes !
Fremdportrait
Depuis, dans quel
emploi avoit-il déployé un caractère imposant ? Ses discours
vagues, diffus, sans logique et sans chaleur ne pouvoient
soutenir le grand jour et tomboient dans l’oubli. Il ne
s’étoit montré avec courage à la tête d’aucun parti : caché
pendant le danger, il ne reparoissoit que pour
recueillir les fruits de l’audace et de la valeur des
autres. Lâche dans l’amitié, il abandonnoit ceux qui avoient
le plus flatté sa vanité et servi ses desseins. Jaloux de
tous les talens qui éclipsoient son faux zèle, il en étoit
le plus ardent persécuteur. Incapable de concevoir un grand
plan, n’osant arriver à son but par une marche sûre et
directe, il tournoit autour du pouvoir suprême, et ne s’en
éloignoit que pour y être porté par le vœu de la multitude.
Il agitoit la nation, la troubloit de crainte et de
défiances, pour qu’elle ne vît de repos et de salut que dans
lui. Il sembloit quelquefois vouloir se réconcilier avec
ceux qu’il avoit opprimés, et leur sacrifier ses complices ;
tout-à-coup il les replongeoit dans le désespoir et immoloit
les amis de la justice avec les amis de la royauté. On eût
dit qu’il étoit l’ennemi de la pensée, et que pour trouver
grace à ses yeux il falloit ne montrer qu’un respect
machinal pour ses volontés les plus contradictoires. A
l’entendre, tout le bien venoit de lui, tout le mal
provenoit de la résistance à ses plans ; aussi les rois, les
ministres étrangers n’en vouloient, selon lui, qu’à ses
jours ; il étoit le Palladium des François ;
si on venoit à le perdre, la liberté s’évanouissoit, et
l’Etat s’abîmoit dans un gouffre de malheurs. Tel étoit le
personnage monstrueux qui a tyrannisé si long-temps ceux qui
se disoient les plus grands ennemis de la tyrannie. Pas un
d’eux, loin de lever le poignard sur lui, n’osoit même
murmurer du despotisme qu’il avoit établi dans les deux
assemblées où il dominoit tour-à-tour. Il est difficile de
dire à quel degré se fût élevé sa domination, et quelle en
eût été la durée, s’il eût moins brusqué sa puissance, s’il
eût su mieux ménager ses coups ; si, en ne menaçant pas de
frapper tous ses ennemis à la fois, il ne les eût pas
avertis de se concerter promptement pour le renverser.
Heureusement son imprévoyance l’a perdu ; au moment où il se
croyoit le plus fort, il n’a senti que sa foiblesse : le
peuple, qu’il se flattoit d’avoir pour appui, revenu bientôt
de son erreur, ne lui a donné qu’une assistance trompeuse et
funeste à ses complices ; en se dissipant devant les organes
de la loi, il a abandonné le coupable aux mains de la
justice ; le misérable n’a été préservé de son
désespoir que pour être livré aux bourreaux, et attendre
dans l’ignominie le supplice qu’il avoit fait subir à tant
d’innocens.
Fremdportrait
l’un sembloit avoir quitté ses
pinceaux pour s’armer d’un poignard et immoler ses rivaux ;
l’enthousiasme de l’artiste s’étoit transformé chez lui en
une fièvre de tigre. Ce forcené, au lieu de jouir de sa
célébrité, et de l’étendre par des compositions nouvelles, a
préféré de devenir un sujet d’épouvante, même pour ses
admirateurs. Son ame impitoyable ne soupiroit qu’après le
meurtre ; si on vouloit peindre celui qui enrichissoit
l’école françoise de ses productions, il faudroit le
représenter sous les traits de la fureur, s’abreuvant avec
délices du sang des hommes, souriant aux douleurs des uns,
rivant les fers des autres ; s’efforçant de
déchirer les chef-d’œuvres de ses maîtres et de ses émules,
effrayant tous les arts et couvrant de ses seuls tableaux
ceux qu’il ne pouvoit effacer ou détruire.
Fremdportrait
Que dirai-je de l’autre ? Le récit
de ses meurtres, le raffinement de ses cruautés, ses
liaisons intimes avec l’exécuteur de ses actes sanguinaires,
ont soulevé contre lui l’indignation publique. Le nom qu’il
porte et le sentiment féroce qui l’anime offrent le
contraste le plus hideux.
Lettre d’un Représentant sur une Société célèbre.
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Brief/Leserbrief
Il existe, citoyen, des loix
sévères qui défendent d’avilir la représentation
nationale, d’outrager ses membres. Comment se fait-il
donc qu’une société protégée par nous, et qui se dit
l’amie de la révolution, se permette chaque jour de nous
dégrader individuellement dans l’opinion publique, de
nous retirer la confiance qui nous est si nécessaire
pour remplir dignement notre mission ? Il en est peu
parmi nous qui n’aient été successivement expulsés
honteusement de cette société à laquelle nous avions cru
devoir nous attacher. Les plus ardens patriotes ont été
calomniés à sa tribune, leurs noms ont été rayés avec
ignominie ; des momens plus favorables sont arrivés pour
eux, ils ont été rappellés, accueillis avec transport,
et, par un retour bizarre, ils se sont encore vus
éconduits et couverts de reproches et d’affronts. J’ai,
malgré mon zèle pour la chose publique, essuyé cette
défaveur. Revenu de mon étonnement, je me suis fait ces
questions : ai-je été envoyé par mon
département pour siéger à la convention ou pour opiner
aux Jacobins ? Si je suis digne de représenter mes
concitoyens et de travailler en leur nom à
l’affermissement de la république, commet puis-je être
indigne d’occuper une place dans une assemblée privée
qui ne peut que soumettre ses vues à la sagesse des
législateurs ? Pourquoi mes collègues, qui ont concouru
à ma radiation dans cette société, me souffrent-ils avec
eux dans un corps dont tous les membres doivent être
purs et honorés ? Les décrets que nous avons rendus au
nom de la nation ne sont-ils plus que des projets de
loix qu’un tribunal supérieur a le droit de révoquer ?
Et parce que j’aurai pensé, avec la majorité de mes
collègues, que nous devons prendre pour règles celles de
l’humanité, de la justice ; gouverner le peuple pour son
bonheur et l’intérêt public, dois-je être traité de
lâche, de contre-révolutionnaire par une poignée
d’individus sans mission qui ont une opinion contraire ?
Si cela doit être ainsi, commençons par rendre un décret
qui portera que, pour être l’un des
représentans de la république françoise, il faudra avoir
le suffrage d’une société populaire de Paris; qu’avant
de proposer une loi, de faire entendre une motion, il
sera indispensable de la soumettre à l’examen de cette
société et d’avoir obtenu son assentiment ; que, s’il
lui plaît de trouver dangereux ce qu’elle aura jugé
utile la veille, on sera tenu de se désister de son
opinion et de se conformer à son dernier arrêté. Tant
qu’une loi conçue dans ce sens n’aura pas été décrétée,
publiée, je me permettrai de parler d’après mon
expérience, le jugement de ma conscience et mon amour du
bien public. Je suis bien éloigné de vouloir rendre à la
société qui m’a banni de son sein, injures pour
injures ; elle m’a désigné comme un modéré, je veux lui
laisser le plaisir de croire qu’elle m’a bien jugé, et
que je ne me livre pas, même dans ma propre cause, à des
emportemens. Je me permettrai seulement de lui faire
quelques questions. Elle se glorifie d’avoir fait la
révolution ; en quel temps ? Si c’est en 1790, combien
existe-t-il de ses membres qui datent de cette année ?
Ceux qui la composoient alors sont
dispersés ou frappés du glaive de la loi. Est-ce en
1792 ? La plupart de ceux qui y figuroient à cette
époque ont été rayés, emprisonnés ou condamnés ; les uns
comme des intrigans, les autres comme des rebelles. Pour
un vétéran qui s’est maintenu dans les bons principes,
qui n’a pas fléchi sous le joug des oppresseurs, combien
sont venus offrir leurs services lorsqu’il n’y avoit
plus rien à faire ! Ils ont affiché un grand zèle, un
ardent amour pour la république, après qu’elle étoit
affermie par nos victoires et consolidée par le vœu
national. Plusieurs n’ont sollicité leur admission dans
cette société, que pour conserver ou obtenir un emploi
lucratif ; asservis par la crainte et leur intérêt
personnel, ils ont fortifié, par une soumission
honteuse, la tyrannie de ce coupable dominateur qui
comprimoit toutes nos pensées et menaçoit de la
radiation, de l’emprisonnement et de la mort ceux qui
osoient défendre leurs amis ou résister à ses volontés
perfides. Si cette société veut écouter les conseils
d’un de ses anciens membres, bien désintéressé puisqu’il
n’entend plus rien tenir de sa faveur, ni
renouer le fil qui l’attachoit à elle, elle ne cherchera
point à dominer la convention, qui tient ses pouvoirs de
toute la nation qu’elle représente ; elle respectera les
loix, au lieu de les combattre ; elle se montrera l’ami
du peuple, en s’occupant de ses vrais intérêts ; elle
surveillera les abus pour les dénoncer ; elle aidera de
ses conseils et de ses lumières les autorités
constituées, au lieu de les inquiéter dans leurs
fonctions ; elle bannira de son sein les agitateurs qui
s’attribuent exclusivement le titre de patriotes ; elle
ne croira pas ses membres plus éclairés que ceux qui,
avant qu’elle existât, ont donné des preuves de
lumières ; elle ne protégera pas seulement les opprimés
qui lui sont affiliés ; enfin elle ne se croira pas
toute la république, tandis qu’elle n’en compose qu’une
très-foible portion.