Zitiervorschlag: Jacques-Vincent Delacroix (Hrsg.): "XVIe Discours.", in: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, Vol.1\016 (1794), S. 150-162, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4610 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XVIe Discours.

Sur le Supplice d’un grand Coupable.

Ebene 2► Quels jours horribles à peindre que ceux où toutes les pensées se cachent sous la dissimulation, sous la contrainte et l’exagération ; où l’on ne découvre que fausseté dans les actions et dans les discours ; où l’aimable franchise qui formoit le caractère national est bannie de tous les cœurs !

Le citoyen qui en aborde un autre cherche moins à savoir ce qu’il pense qu’à lui persuader ce qu’il ne pense pas ; il le salue comme un ami, et s’en défie comme d’un ennemi : jamais on n’eut plus d’affection dans les paroles, plus de familiarité dans les gestes, plus de vivacité dans les démonstrations, et moins de vérité dans le sentiment ; et c’est-là ce qu’on appelle un peuple de frères, une société d’égaux ! Pour moi, je ne vois d’égalité que dans la terreur. Nobles, prêtres, cultivateurs, marchands, ouvriers, tous sont également frappés de crainte ; tous redoutent les chaînes [151] et le glaive suspendu sur leur tête : ceux qui se flattoient d’échapper à la captivité, à la mort, en courant toujours au-devant de l’opinion publique, sont arrêtés dans leur course et précipités dans les fers ou sous cette hache meurtrière qui ne suffit pas au nombre des victimes qu’on lui amène.

Sur les ruines de la justice s’est élevé un tribunal sanguinaire qui inspire le même effroi à l’innocence et au crime ; la sécurité n’est pas même pour l’accusé qu’il vient d’absoudre, son supplice n’est que différé ; il n’a gagné que quelques jours de sollicitude et d’horreur. Malheureux citoyens ! étoit-ce là l’objet de vos vœux ? Etoit-ce pour arriver à cet ordre de choses que vous avez renversé le trône et l’autel, et que vous avez fait retentir de vos chants le temple de la raison ?

Telles étoient les douloureuses pensées que je confiois au papier, lorsqu’une nouvelle scène a ramené quelques lueurs d’espérance dans mon ame attristée. Il est donc abattu ce lâche despote dont l’empire nous couvroit de honte ! Quoi ! nous avons pu le tolérer deux ans entiers cet hypocrite [152] qui cachôit une ame si vile sous une figure si basse ; qui trahissoit son égoïsme insultant dans tous ses discours ; qui profanoit les mots de justice et d’humanité en dictant sans cesse des arrêts de mort ; qui se jouoit assez de notre foiblesse pour nous parler de liberté en appesantissant sur nous la plus atroce des tyrannies ; qui osoit mettre la nullité de ses talens en balance avec l’héroïsme et le génie !

Combien ils doivent rougir de leurs adulations tous ceux qui se sont avilis devant un mortel si méprisable sous tous les rapports ! Par quels prestiges s’étoit-il donc élevé au point de domination où nous l’avons vu monter ? On se rappelle le rôle qu’il avoit joué à l’assemblée constituante. Quelle distance entre lui et tous les orateurs qui y brillèrent par leur éloquence et leurs grandes idées !

Fremdportrait► Depuis, dans quel emploi avoit-il déployé un caractère imposant ? Ses discours vagues, diffus, sans logique et sans chaleur ne pouvoient soutenir le grand jour et tomboient dans l’oubli. Il ne s’étoit montré avec courage à la tête d’aucun parti : caché pendant le danger, il ne reparoissoit [153] que pour recueillir les fruits de l’audace et de la valeur des autres. Lâche dans l’amitié, il abandonnoit ceux qui avoient le plus flatté sa vanité et servi ses desseins. Jaloux de tous les talens qui éclipsoient son faux zèle, il en étoit le plus ardent persécuteur. Incapable de concevoir un grand plan, n’osant arriver à son but par une marche sûre et directe, il tournoit autour du pouvoir suprême, et ne s’en éloignoit que pour y être porté par le vœu de la multitude. Il agitoit la nation, la troubloit de crainte et de défiances, pour qu’elle ne vît de repos et de salut que dans lui. Il sembloit quelquefois vouloir se réconcilier avec ceux qu’il avoit opprimés, et leur sacrifier ses complices ; tout-à-coup il les replongeoit dans le désespoir et immoloit les amis de la justice avec les amis de la royauté. On eût dit qu’il étoit l’ennemi de la pensée, et que pour trouver grace à ses yeux il falloit ne montrer qu’un respect machinal pour ses volontés les plus contradictoires. A l’entendre, tout le bien venoit de lui, tout le mal provenoit de la résistance à ses plans ; aussi les rois, les ministres étrangers n’en vouloient, selon lui, qu’à ses jours ; il étoit [154] le Palladium des François ; si on venoit à le perdre, la liberté s’évanouissoit, et l’Etat s’abîmoit dans un gouffre de malheurs.

Tel étoit le personnage monstrueux qui a tyrannisé si long-temps ceux qui se disoient les plus grands ennemis de la tyrannie. Pas un d’eux, loin de lever le poignard sur lui, n’osoit même murmurer du despotisme qu’il avoit établi dans les deux assemblées où il dominoit tour-à-tour. Il est difficile de dire à quel degré se fût élevé sa domination, et quelle en eût été la durée, s’il eût moins brusqué sa puissance, s’il eût su mieux ménager ses coups ; si, en ne menaçant pas de frapper tous ses ennemis à la fois, il ne les eût pas avertis de se concerter promptement pour le renverser.

Heureusement son imprévoyance l’a perdu ; au moment où il se croyoit le plus fort, il n’a senti que sa foiblesse : le peuple, qu’il se flattoit d’avoir pour appui, revenu bientôt de son erreur, ne lui a donné qu’une assistance trompeuse et funeste à ses complices ; en se dissipant devant les organes de la loi, il a abandonné le coupable aux mains de la justice ; le misérable [155] n’a été préservé de son désespoir que pour être livré aux bourreaux, et attendre dans l’ignominie le supplice qu’il avoit fait subir à tant d’innocens. ◀Fremdportrait

Un événement aussi rapide, aussi inespéré a fait renaître le calme et la sécurité parmi les vrais amis de la patrie. Les délateurs ont frémi, les instrumens de l’iniquité ont été anéantis ; une multitude de captifs qui attendoient la mort et s’y étoient résignés avant leur condamnation ont senti leurs fers s’alléger ; déjà plusieurs d’entr’eux les ont vu briser, et respirent l’air de la liberté.

Pourquoi cette époque mémorable n’a-t-elle pas plutôt dessillé les yeux de la multitude ? Que de familles dans le deuil n’auroient pas aujourd’hui à pleurer sur la mort d’un chef vénérable, ou de jeunes frères tombés sous un fer homicide ? Quelle leçon pour ce peuple qui pouvoit applaudir à tant d’actes de cruauté, dont la vue sembloit ne jamais se rassasier du plus horrible spectacle ! Quelle honte pour le tribunal qui a outragé les ombres illustres de Fénélon, de Buffon, en frappant sans pitié les héritiers de leur nom ! Mais ne nous [156] arrêtons pas sur des souvenirs douloureux ; nous connoissons ceux qui ont provoqué tant de détentions injustes, tant d’assassinats juridiques, qui ont flétri la révolution par l’abus le plus épouvantable d’une autorité passagère : attachons-nous à eux ; qu’ils subissent la peine de leurs forfaits, et effraient par leur supplice les hommes pervers qui seroient tentés d’entrer dans cette carrière de crimes. J’en vois déjà deux dont la convention vient de purifier son sein, et qu’elle a livrés à la vengeance des loix ; Fremdportrait► l’un sembloit avoir quitté ses pinceaux pour s’armer d’un poignard et immoler ses rivaux ; l’enthousiasme de l’artiste s’étoit transformé chez lui en une fièvre de tigre. Ce forcené, au lieu de jouir de sa célébrité, et de l’étendre par des compositions nouvelles, a préféré de devenir un sujet d’épouvante, même pour ses admirateurs. Son ame impitoyable ne soupiroit qu’après le meurtre ; si on vouloit peindre celui qui enrichissoit l’école françoise de ses productions, il faudroit le représenter sous les traits de la fureur, s’abreuvant avec délices du sang des hommes, souriant aux douleurs des uns, rivant les fers des autres ; s’effor-[157]çant de déchirer les chef-d’œuvres de ses maîtres et de ses émules, effrayant tous les arts et couvrant de ses seuls tableaux ceux qu’il ne pouvoit effacer ou détruire. ◀Fremdportrait

Fremdportrait► Que dirai-je de l’autre ? Le récit de ses meurtres, le raffinement de ses cruautés, ses liaisons intimes avec l’exécuteur de ses actes sanguinaires, ont soulevé contre lui l’indignation publique. Le nom qu’il porte et le sentiment féroce qui l’anime offrent le contraste le plus hideux. ◀Fremdportrait Puissent ces deux ennemis de l’humanité, après avoir été déchirés par les remords, appaiser les ombres sanglantes dont ils sont environnés, par le supplice que leur prépare la vengeance nationale !

Que de crimes obscurs, que de forfaits méconnus, que d’ordres révoltans et trop docilement exécutés l’avenir nous découvrira ! Puissent-ils ne pas nous rendre si odieux à la postérité, qu’elle ne daigne pas nous plaindre d’en avoir été les témoins ou les victimes !

[158] Lettre d’un Représentant sur une Société célèbre.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Il existe, citoyen, des loix sévères qui défendent d’avilir la représentation nationale, d’outrager ses membres. Comment se fait-il donc qu’une société protégée par nous, et qui se dit l’amie de la révolution, se permette chaque jour de nous dégrader individuellement dans l’opinion publique, de nous retirer la confiance qui nous est si nécessaire pour remplir dignement notre mission ? Il en est peu parmi nous qui n’aient été successivement expulsés honteusement de cette société à laquelle nous avions cru devoir nous attacher. Les plus ardens patriotes ont été calomniés à sa tribune, leurs noms ont été rayés avec ignominie ; des momens plus favorables sont arrivés pour eux, ils ont été rappellés, accueillis avec transport, et, par un retour bizarre, ils se sont encore vus éconduits et couverts de reproches et d’affronts.

J’ai, malgré mon zèle pour la chose publique, essuyé cette défaveur. Revenu de mon étonnement, je me suis fait ces ques-[159]tions : ai-je été envoyé par mon département pour siéger à la convention ou pour opiner aux Jacobins ? Si je suis digne de représenter mes concitoyens et de travailler en leur nom à l’affermissement de la république, commet puis-je être indigne d’occuper une place dans une assemblée privée qui ne peut que soumettre ses vues à la sagesse des législateurs ? Pourquoi mes collègues, qui ont concouru à ma radiation dans cette société, me souffrent-ils avec eux dans un corps dont tous les membres doivent être purs et honorés ?

Les décrets que nous avons rendus au nom de la nation ne sont-ils plus que des projets de loix qu’un tribunal supérieur a le droit de révoquer ? Et parce que j’aurai pensé, avec la majorité de mes collègues, que nous devons prendre pour règles celles de l’humanité, de la justice ; gouverner le peuple pour son bonheur et l’intérêt public, dois-je être traité de lâche, de contre-révolutionnaire par une poignée d’individus sans mission qui ont une opinion contraire ?

Si cela doit être ainsi, commençons par rendre un décret qui portera que, pour être [160] l’un des représentans de la république françoise, il faudra avoir le suffrage d’une société populaire de Paris; qu’avant de proposer une loi, de faire entendre une motion, il sera indispensable de la soumettre à l’examen de cette société et d’avoir obtenu son assentiment ; que, s’il lui plaît de trouver dangereux ce qu’elle aura jugé utile la veille, on sera tenu de se désister de son opinion et de se conformer à son dernier arrêté.

Tant qu’une loi conçue dans ce sens n’aura pas été décrétée, publiée, je me permettrai de parler d’après mon expérience, le jugement de ma conscience et mon amour du bien public.

Je suis bien éloigné de vouloir rendre à la société qui m’a banni de son sein, injures pour injures ; elle m’a désigné comme un modéré, je veux lui laisser le plaisir de croire qu’elle m’a bien jugé, et que je ne me livre pas, même dans ma propre cause, à des emportemens. Je me permettrai seulement de lui faire quelques questions. Elle se glorifie d’avoir fait la révolution ; en quel temps ? Si c’est en 1790, combien existe-t-il de ses membres qui datent de cette année ? [161] Ceux qui la composoient alors sont dispersés ou frappés du glaive de la loi. Est-ce en 1792 ? La plupart de ceux qui y figuroient à cette époque ont été rayés, emprisonnés ou condamnés ; les uns comme des intrigans, les autres comme des rebelles. Pour un vétéran qui s’est maintenu dans les bons principes, qui n’a pas fléchi sous le joug des oppresseurs, combien sont venus offrir leurs services lorsqu’il n’y avoit plus rien à faire ! Ils ont affiché un grand zèle, un ardent amour pour la république, après qu’elle étoit affermie par nos victoires et consolidée par le vœu national. Plusieurs n’ont sollicité leur admission dans cette société, que pour conserver ou obtenir un emploi lucratif ; asservis par la crainte et leur intérêt personnel, ils ont fortifié, par une soumission honteuse, la tyrannie de ce coupable dominateur qui comprimoit toutes nos pensées et menaçoit de la radiation, de l’emprisonnement et de la mort ceux qui osoient défendre leurs amis ou résister à ses volontés perfides.

Si cette société veut écouter les conseils d’un de ses anciens membres, bien désintéressé puisqu’il n’entend plus rien tenir de [162] sa faveur, ni renouer le fil qui l’attachoit à elle, elle ne cherchera point à dominer la convention, qui tient ses pouvoirs de toute la nation qu’elle représente ; elle respectera les loix, au lieu de les combattre ; elle se montrera l’ami du peuple, en s’occupant de ses vrais intérêts ; elle surveillera les abus pour les dénoncer ; elle aidera de ses conseils et de ses lumières les autorités constituées, au lieu de les inquiéter dans leurs fonctions ; elle bannira de son sein les agitateurs qui s’attribuent exclusivement le titre de patriotes ; elle ne croira pas ses membres plus éclairés que ceux qui, avant qu’elle existât, ont donné des preuves de lumières ; elle ne protégera pas seulement les opprimés qui lui sont affiliés ; enfin elle ne se croira pas toute la république, tandis qu’elle n’en compose qu’une très-foible portion. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1