Citazione bibliografica: Jacques-Vincent Delacroix (Ed.): "XIIIe Discours.", in: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, Vol.1\013 (1794), pp. 119-126, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4607 [consultato il: ].


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XIIIe Discours.

Sur les Contradictions qu’éprouvent les anti-Républicains. Conseils aux jolies Femmes trop affectées de nos succès.

Livello 2► Il semble qu’un esprit malin se joue de la confiance et de la crédulité des anti-républicains, et se plaise à les égarer dans des chimères ; pour les précipiter tout-à-coup dans la consternation et le désespoir. Les Espagnols ont-ils été forcés dans leurs camps, et contraints d’abandonner [120] leurs tentes et leur artillerie ; les villes que la trahison leur avoit livrées leur sont-elles arrachées par la victoire, une nouvelle contraire vient ranimer la joie et l’espérance des pauvres aristocrates : ils se croyoient déjà à couvert sous l’inquisition, lorsqu’il a fallu renoncer à cette belle illusion, et revenir à la vérité qui leur est affreuse. Combien de fois Maubeuge n’a-t-il pas été pris, avant même d’être assiégé ? Le grand convoi de l’Amérique n’étoit-il pas déjà depuis long-temps enlevé, lorsque notre escadre sortie de Brest l’a ramené dans nos ports ? Le jour même où Charleroi s’est rendu sans capitulation aux armes de le république, les assiégeans étoient, disoit on, noyés, dispersés ; enfin, nos troupes avoient été enveloppées, massacrées, lorsqu’elles triomphèrent tout-à-coup dans la plaine de Fleurus, firent rentrer la Belgique sous notre empire, forcèrent Cobourg à s’éloigner, et accélérèrent la reprise de Valenciennes et de Condé.

Qu’ils sont à plaindre ceux qui séparent leur cause de celle de leur patrie ; qui attachent leur gloire à la honte de nos armes, leur espérance au désespoir de leurs concitoyens ! Ils ne voient pas combien de [121] tourmens ils se préparent. Nos succès font leur supplice ; notre joie, à laquelle ils sont forcés de prendre part, se convertit en poison pour eux. Réduits à dissimuler leurs affections, à cacher leurs desirs, ils n’ont pour dédommagement de leurs contraintes que le petit plaisir de ravaler nos triomphes, ou d’aggraver nos revers. Racconto generale► Hier encore je me trouvai avec une de ces femmes qui s’alimentent de nouvelles faites à leur gré ; elle me parut absorbée par l’inquiétude et le chagrin. Touché de ce sentiment dont on a peine à se défendre à la vue d’une beauté souffrante, je tâchai de la tirer de ses noirs pressentimens par une idée d’un genre moins sérieux que les siennes. Dialogo► Je ne vois, lui dis-je, qu’un remède à vos soucis. Quel est-il ? me demanda-t-elle. J’ai, lui repliquai-je, trop d’expérience pour l’offrir, et c’est par cette raison que je vous l’indiquerois avec plus d’assurance : à ces mots l’impatience redouble. Parlez donc plus clairement, me dit-elle. Puisque vous exigez que je m’explique, c’est, repris-je, d’étouffer votre esprit, et de rendre la vie à votre cœur. Vous avez deux jolis enfans que vous aimez moins depuis que vous avez perdu leur père ; [122] vous conservez à sa mémoire une fidélité stérile et languissante ; songez que la nature n’a pas condamné votre jeunesse à ne chérir qu’une ombre. Ah ! que me parlez-vous d’aimer ! s’écria-t-elle : qui oseroit me laisser entrevoir un sentiment qui m’est devenu si étranger ? Il est possible, repartis je, qu’en vous voyant toujours enveloppée de crêpe, on respecte assez votre douleur pour ne pas tenter de la dissiper : mais montrez-vous plus calme, moins inaccessible aux douces affections, et je vous réponds que l’amitié s’approchera bientôt de vous, et fraiera à l’amour un chemin plus facile. La nature, ajoutai-je, a donné aux femmes un balancier pour se diriger dans la route de la vie ; à l’une des extrêmités est placé leur esprit, à l’autre leur cœur. Lorsque le premier menace de les entraîner dans la mélancolie, dans des idées sombres ou extravagantes, il faut qu’elles rendent au second plus de poids pour se préserver d’une chûte funeste ; si, au contraire, c’est celui-ci qui les fait pencher vers des regrets trop amers ou des illusions trompeuses, elles doivent appeller l’esprit à leur secours, et se rejetter de son côté. Croyez-moi, poursuivis je, [123] vous n’avez rien de mieux à faire pour raffermir votre marche chancelante, et vous garantir du précipice où vous allez tomber, que de vous servir du contre-poids qui est à la disposition de la grace et de la beauté. ◀Dialogo Cette idée fit sourire la jeune veuve, et parut lui offrir une distraction agréable. ◀Racconto generale Je desire qu’elle en profite, et se conserve pour des enfans qui jouiront peut-être un jour de ce qui fait le tourment de leur mère.

Lettre d’une Mère à son Fils émigré.

Livello 3► Lettera/Lettera al direttore► Malheureux enfant ! qu’as-tu fait ? Parce que je t’ai donné le jour faut-il que je voie ton père dans les prisons, notre fortune ravie, tes sœurs dans l’indigence ? Tu as voulu t’éloigner de ta famille ; l’honneur, disois-tu, ne te permettoit pas de rester près de nous ; eh bien ! ton honneur nous a tués. Nous ne vivons plus à cause de toi. Il est donc bien farouche, bien dénaturé cet honneur, puisqu’il conseille d’immoler ses pères, ses sœurs et tout ce qu’on a de plus cher au monde ! Que feras-tu pour nous qui puisse jamais égaler les maux que nous en-[124]durons par toi ? Rendras-tu à ta mère l’époux dont elle est séparée, et qui dépérit dans les fers ? Ta présence dédommagera-t elle tes sœurs des deux appuis de leur enfance, du domaine qui nous nourrissoit et qui va passer dans les mains d’un étranger ? Tu devois, disois-tu, revenir triomphant, couvert de gloire. Où sont-ils ces triomphes dont l’idée t’enivroit ? Et cette gloire qui devoit tous vous illustrer, jeunes présomptueux, quand brillera-t-elle sur votre front ? Errans, fugitifs, vous tournez autour de votre patrie comme des lions rugissans. Il ne manqueroit plus à ma douleur que de t’y voir ramener pour grossir le nombre des victimes que la loi immole journellement. . .

Quel éminent bienfait tenois-tu donc de cette haute noblesse à laquelle tu t’es si imprudemment attaché, et qu’en espères-tu ? Elle t’avoit menacé de ne plus te reconnoître. Seroit-ce donc un si grand malheur d’en être méconnu, pour n’avoir pas voulu oublier que tu étois notre fils, notre consolation, et t’être persuadé que ton véritable poste étoit celui que t’assignoit la nature ? Tes compagnons d’armes en sont-ils plus forts depuis que ton délire t’a placé [125] dans leurs rangs ? Associé à leur infortune il ne te reste pour perspective que de traîner dans les cours une vie misérable, que de recueillir la pitié et peut-être le mépris de l’étranger, d’être sans pain et sans patrie. Ainsi tu nous a condamnés à pleurer tout à la fois sur ton sort et sur le nôtre Ce que nous avons encore à craindre, c’est que tu sois tenté de te rappeller à notre souvenir ; une lettre de toi achèveroit de nous perdre. Garde-toi donc de nous écrire ; laisse-nous, je t’en conjure, dans l’incertitude affreuse de ta vie ou de ta mort. Juge par cette prière des angoisses qu’éprouve le cœur de ta mère ! Trop cher enfant, je ne cherche pas à t’affliger ; tu nous as attiré bien des maux par ton imprudence, puissent nos concitoyens te la pardonner comme je te la pardonne ! Je ne demande au ciel que de vivre assez long-temps pour te voir revenir avec sécurité parmi nous, et pouvoir t’offrir un pain trempé de nos larmes ; mais songe que cette faveur ne peut être que le fruit de la paix. Exhorte donc tes compagnons à ne pas s’épuiser dans d’impuissans efforts, et à préparer une réconciliation sincère entre les peuples [126] armés pour votre triste cause : alors les cœurs aliénés se rapprocheront ; le glaive qui frappe tant de têtes rebelles se reposera ; les prisons qui renferment tant de captifs s’ouvriront, et ton père qui n’est coupable que de ta faute, oubliera dans nos embrassemens ses longues afflictions.

Voilà, mon enfant, l’unique idée à laquelle ta pauvre mère ose encore attacher son espérance ; c’est elle seule qui la soutient et lui donne la force de supporter sa triste vie. ◀Lettera/Lettera al direttore ◀Livello 3 ◀Livello 2 ◀Livello 1