Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: IXe Discours.
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IXe Discours.
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Un des grands obstacles que notre
gouvernement rencontre dans sa marche révolutionnaire, c’est
l’affection que conserve encore une grande partie de la nation
pour un ordre de choses auquel tenoit son bonheur, pour des
individus qui lui étoient chers, pour des institutions qu’elle
révéroit ; tout cela est encore si près de sa pensée, qu’elle a
peine à l’en détacher. Je compare les favoris de l’ancienne cour
à des hommes qui, par une secousse imprévue, ont été précipités
de leur char sur la terre ; ils sont encore étourdis de leur
chûte : au lieu d’exiger qu’ils marchassent tout de suite,
peut-être faudroit-il leur donner le temps de se remettre de
leur trouble et de rappeller leurs esprits. Lorsque le hasard
m’en fait rencontrer, je m’efforce de les ranimer par de douces
paroles, au lieu de les brusquer par des injures. Vos murmures,
leur dis-je, rendront-ils la vie à celui qui n’est plus ? Vos
lamentations feront-elles renaître des distinctions
détruites pour jamais ? Avant de résister, voyez ce que vous
pouvez sur le passé et sur l’avenir : s’il vous est impossible
d’empêcher que ce qui fut ait cessé d’être, que ce qui arrive
ait son cours, pourquoi irritez-vous la puissance qui vous
domine par vos stériles plaintes ? Vous vous récriez sur la
multitude de victimes que la vengeance nationale immole
journellement, et vous ne faites qu’en accroître le nombre.
Lorsque vous n’opposerez plus de résistance, la force qui vous
presse ne pèsera pas plus sur vous que sur tout ce qui lui cède.
Réfléchissez sur la nature de vos vœux, et voyez à quels
événemens est attaché le bonheur que vous osez encore vous
promettre. Tantôt vous desirez que cette immense population, qui
s’agite pour conserver sa liberté, éprouve de si horribles
fléaux qu’elle demeure abattue sous le malheur, et tende
humblement ses mains au despotisme : tandis que vous appellez
sur elle la famine, le ciel plus humain multiplie nos moissons.
Mais si vos criminels vœux étoient exaucés, que
deviendriez-vous ? Avez-vous des souterrains remplis de
comestibles et inaccessibles à vos concitoyens ? Songez-vous à la fureur des mères qui se répandroient dans vos
demeures pour y chercher des alimens, à la rage des hommes
affamés qui se nourriroient plutôt de votre chair que de vous
laisser survivre à leur défaillance ? Une autre fois, vous
regrettez que nos armées triomphantes ne soient pas enveloppées
par l’étranger et ne disparoissent pas sous le fer ennemi :
réfléchissez-vous sur ce qu’a d’horrible un sentiment aussi
cruel ? Mais puisqu’il ne faut vous parler que de votre intérêt,
figurez-vous le désespoir de tout un peuple qui, à l’approche de
l’ennemi, emporteroit dans sa fuite tout ce qu’il pourroit
ravir ; détruiroit, consumeroit tout ce qui résisteroit à ses
efforts ; tueroit, massacreroit ceux qui ne partageroient pas sa
crainte ; ou se feroit un rempart de vos épouses, de vos pères,
de vos enfans s’il marchoit au devant du vainqueur. Enfin s’ils
parvenoient jusqu’à vous ces étrangers qui se montrent si sourds
à vos cris ; qui ont dédaigné l’assistance de vos proches, et
ont abreuvé d’humiliations ceux qui ont été leur offrir leur
sang, êtes-vous bien assurés d’en être distingués, et que leurs
armes épargneront vos têtes ? Croyez-vous de bonne foi qu’une soldatesque avide se précipiteroit dans
l’asyle du pauvre de préférence à la demeure du riche ? Quand
bien même elle auroit l’intention de vous épargner, votre pensée
est-elle écrite sur votre front ? Et dans l’incertitude si vous
êtes ami ou ennemi, ne commencera-t-elle pas par exercer sur
vous ses vengeances ? Que gagnerez-vous à ce que la France soit
démembrée ? Vos rentes, vos pensions vous seront-elles mieux
payées ? Aurez-vous moins d’impôts à supporter, et des denrées à
meilleur compte à mesure que le gouvernement sera plus pauvre ?
Serez-vous plus à l’abri des requisitions, des services
personnels et des atteintes à la liberté, lorsque vos villes
seront assiégées, vos départemens resserrés par cette ligue qui
avoit formé le projet insensé de vous envelopper ? Dans les
révolutions, il ne faut pas regarder derrière soi ; il faut voir
où l’on est, et marcher librement avec la foule, si l’on ne veut
pas qu’elle nous entraîne ou nous foule à ses pieds. Lettre d’une
jeune ex-Noble.
Réponse.
Metatextualität
C’est de ce ton que je parle aux
anti-républicains ; et il m’arrive souvent de produire plus
d’effet sur leur esprit par le langage de la
raison, que les impitoyables patriotes par leurs injures,
leurs menaces, et leurs délations ; je crois avoir plus de
droit qu’eux à l’estime de la république, parce que je la
sers plus utilement qu’ils ne le font.
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Brief/Leserbrief
Je n’ai pas encore dix-huit
ans, et j’ai éprouvé des choses si extraordinaires,
qu’il me semble que j’aie vécu un siècle. Mon père, qui
étoit seigneur d’une des belles terres du royaume,
indigné de voir ses titres brûlés, son château démoli, a
quitté sa femme et ses enfans, pour aller s’enrôler sous
les étendards de l’Autriche. Ma mère, qui a d’abord usé
de la loi du divorce pour conserver ses biens et sa
liberté, vient d’épouser son intendant, afin de n’être
plus agrégée à une caste persécutée. Un de mes frères,
qui couroit la carrière de l’épiscopat, s’est transformé
en soldat, et combat contre les fanatiques qui veulent
rétablir le clergé. Un autre, qui siégoit depuis peu au
parlement, conduit les chariots de la république. Le
troisième, qui étoit chevalier de Malte,
applique les scellés sur les commanderies de son ordre,
en qualité de juge de paix de son canton. On me
destinoit pour époux un jeune officier aux gardes, et je
me vois sur le point de donner ma main au fils d’un
apothicaire qui protège toute ma famille, parce qu’il
est président de sa section. Une de mes tantes, dévote
très-prononcée, hésite entre un jeune clerc de notaire
et son ancien confesseur ; l’un lui promet pour prix de
sa main de préserver sa fortune, l’autre de sauver son
ame. Je marche de surprises en surprises. L’abbesse du
couvent où mon enfance s’est élevée figure dans la
boutique d’un confiseur ; et j’ai reconnu, il y a
quelques jours, notre directeur déguisé sous le costume
d’un sapeur. Un ancien cocher de mon père, qui mène un
comité révolutionnaire, me tutoie aujourd’hui comme si
j’avois l’avantage d’être sa nièce. Si je suis destinée
à vivre encore quelques années, je ne sais ce que je
verrai ; mais je vous avoue que mon existence actuelle
me semble un long sommeil troublé par des
rêves très-bizarres.
Brief/Leserbrief
Non, aimable
citoyenne, vous ne rêvez pas, ce sont bien des réalités que
vous voyez ; mais vous étiez dans l’illusion, si vous avez
cru que la fortune si changeante tiendroit sa roue immobile
pour votre famille. Tant qu’elle ne vous fera rien perdre de
vos agrémens et de votre esprit, consolez-vous de ses
vicissitudes. Vous dominiez quelques personnes par vos
titres et par vos richesses ; vous étiez aussi surpassée par
d’autres plus riches et plus qualifiées : ce que vous perdez
d’un côté, vous le gagnez de l’autre. Je sens bien qu’il
doit vous paroître extraordinaire d’être tutoyée par un
vieux cocher ; mais ce langage si familier aura un jour des
charmes pour vous dans une autre bouche ; et s’il vous fait
rougir, ce ne sera pas de dépit. Votre mère n’a pas pris un
si mauvais parti ; elle n’enrichira plus un intendant qui ne
s’occupoit que de ses propres affaires, il travaillera et
pour elle et pour lui. Je conseille à votre tante de ne pas
hésiter entre ses deux prétendans ; le plus
jeune lui sera à coup sûr plus agréable, et peut être plus
utile.