Un des grands obstacles que notre gouvernement rencontre dans sa marche révolutionnaire, c’est l’affection que conserve encore une grande partie de la nation pour un ordre de choses auquel tenoit son bonheur, pour des individus qui lui étoient chers, pour des institutions qu’elle révéroit ; tout cela est encore si près de sa pensée, qu’elle a peine à l’en détacher. Je compare les favoris de l’ancienne cour à des hommes qui, par une secousse imprévue, ont été précipités de leur char sur la terre ; ils sont encore étourdis de leur chûte : au lieu d’exiger qu’ils marchassent tout de suite, peut-être faudroit-il leur donner le temps de se remettre de leur trouble et de rappeller leurs esprits.
Lorsque le hasard m’en fait rencontrer, je m’efforce de les ranimer par de douces paroles, au lieu de les brusquer par des injures. Vos murmures, leur dis-je, rendront-ils la vie à celui qui n’est plus ? Vos lamentations feront-elles renaître des dis-
Réfléchissez sur la nature de vos vœux, et voyez à quels événemens est attaché le bonheur que vous osez encore vous promettre. Tantôt vous desirez que cette immense population, qui s’agite pour conserver sa liberté, éprouve de si horribles fléaux qu’elle demeure abattue sous le malheur, et tende humblement ses mains au despotisme : tandis que vous appellez sur elle la famine, le ciel plus humain multiplie nos moissons. Mais si vos criminels vœux étoient exaucés, que deviendriez-vous ? Avez-vous des souterrains remplis de comestibles et inaccessibles à vos concitoyens ? Songez-vous
Une autre fois, vous regrettez que nos armées triomphantes ne soient pas enveloppées par l’étranger et ne disparoissent pas sous le fer ennemi : réfléchissez-vous sur ce qu’a d’horrible un sentiment aussi cruel ? Mais puisqu’il ne faut vous parler que de votre intérêt, figurez-vous le désespoir de tout un peuple qui, à l’approche de l’ennemi, emporteroit dans sa fuite tout ce qu’il pourroit ravir ; détruiroit, consumeroit tout ce qui résisteroit à ses efforts ; tueroit, massacreroit ceux qui ne partageroient pas sa crainte ; ou se feroit un rempart de vos épouses, de vos pères, de vos enfans s’il marchoit au devant du vainqueur. Enfin s’ils parvenoient jusqu’à vous ces étrangers qui se montrent si sourds à vos cris ; qui ont dédaigné l’assistance de vos proches, et ont abreuvé d’humiliations ceux qui ont été leur offrir leur sang, êtes-vous bien assurés d’en être distingués, et que leurs armes épargneront vos têtes ? Croyez-vous de bonne foi
Dans les révolutions, il ne faut pas regarder derrière soi ; il faut voir où l’on est, et marcher librement avec la foule, si l’on ne veut pas qu’elle nous entraîne ou nous foule à ses pieds.
Je n’ai pas encore dix-huit ans, et j’ai éprouvé des choses si extraordinaires, qu’il me semble que j’aie vécu un siècle. Mon père, qui étoit seigneur d’une des belles terres du royaume, indigné de voir ses titres brûlés, son château démoli, a quitté sa femme et ses enfans, pour aller s’enrôler sous les étendards de l’
Je marche de surprises en surprises. L’abbesse du couvent où mon enfance s’est élevée figure dans la boutique d’un confiseur ; et j’ai reconnu, il y a quelques jours, notre directeur déguisé sous le costume d’un sapeur.
Un ancien cocher de mon père, qui mène un comité révolutionnaire, me tutoie aujourd’hui comme si j’avois l’avantage d’être sa nièce.
Si je suis destinée à vivre encore quelques années, je ne sais ce que je verrai ; mais je vous avoue que mon existence actuelle me
Non, aimable citoyenne, vous ne rêvez pas, ce sont bien des réalités que vous voyez ; mais vous étiez dans l’illusion, si vous avez cru que la fortune si changeante tiendroit sa roue immobile pour votre famille. Tant qu’elle ne vous fera rien perdre de vos agrémens et de votre esprit, consolez-vous de ses vicissitudes. Vous dominiez quelques personnes par vos titres et par vos richesses ; vous étiez aussi surpassée par d’autres plus riches et plus qualifiées : ce que vous perdez d’un côté, vous le gagnez de l’autre. Je sens bien qu’il doit vous paroître extraordinaire d’être tutoyée par un vieux cocher ; mais ce langage si familier aura un jour des charmes pour vous dans une autre bouche ; et s’il vous fait rougir, ce ne sera pas de dépit.
Votre mère n’a pas pris un si mauvais parti ; elle n’enrichira plus un intendant qui ne s’occupoit que de ses propres affaires, il travaillera et pour elle et pour lui. Je conseille à votre tante de ne pas hésiter entre