Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire: IVe Discours.

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IVe Discours.

Sur la chûte du Clergé.

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Exemplum

Il falloit user et ne pas abuser : telle fut la réponse que je fis il y a quelques années à un prêtre effrayé des progrès de l’incrédulité : en voyant l’impuissance de ses efforts contre le torrent de l’opinion publique, il regrettoit que les ministres de son culte n’eussent pas plutôt composé avec la raison pour conserver le domaine immense qu’ils avoient conquis sur la foiblesse humaine.
Depuis plus de vingt ans, la religion catholique n’avoit plus pour fondement que son antiquité. L’habitude de croire avoit remplacé la foi. On tenoit à son culte moins par amour pour lui, que parce qu’il dispensoit de s’attacher à un autre. On se revêtissoit par pudeur du titre de chrétien ; les uns pour cacher la nudité de l’athéisme, les autres pour adoucir l’audace du déisme. Le règne des prêtres a passé en France avec celui du monarque, parce qu’ils n’ont pas assez nourri l’illusion des foibles, et trop laissé approcher la raison de leurs prestiges. Puisqu’ils ne faisoient plus de miracles, il falloit qu’ils devinssent des prodiges : plus la religion étoit remplie de mystères, plus il falloit en exprimer de douceurs et de récompenses pour la crédulité ; plus ceux qui la prêchoient exigeoient de soumission, plus ils devoient s’attacher à mériter nos respects et notre confiance. La maxime la plus insultante pour leurs auditeurs étoit celle-ci : faites ce que nous disons, et non ce que nous faisons. Fourbe insigne ! si tu ne fais pas ce que tu dis, tu prouves que tu ne crois pas ce que tu nous annonces ; pourquoi exiges-tu donc que nous y croyons ? Tu prétends que notre raison doit se confondre devant les vérités que tu nous présentes ; mais si ces prétendues vérités ne peuvent être d’accord avec la raison, va les prêcher aux animaux qui n’ont reçu de la nature qu’un instinct. Les prêtres s’étonnent que la religion ait de nos jours disparu de dessus un Etat où elle dominoit depuis tant de siècles. Je m’étonne bien davantage qu’elle s’y soit perpétuée si long-temps, lorsque ceux qui avoient un si grand intérêt à en prolonger l’empire faisoient si peu pour sa durée. Ils sembloient mettre leur gloire à se jouer de la crédulité humaine, et à la faire reculer jusqu’aux extrêmités du délire ; les prêtres de l’antiquité n’abusèrent jamais davantage de leur ascendant pour faire dévorer à l’ignorance les absurdités qu’ils imaginèrent. Si le hasard m’eût porté sur ce trône pontifical qui domine l’univers catholique ; au lieu de laisser perdre la plus belle portion de ma puissance, j’aurois tâché de reconquérir toutes celles que l’entêtement de mes prédécesseurs avoit laissé échapper. Je me serois dit : puisque je tire toute ma grandeur de la divinité du Christ, c’est déjà beaucoup pour moi qu’on croie à cette divinité. Pour être envisagé comme son organe sur la terre, je dois m’attacher à la pureté de sa morale, et me pénétrer de son langage. Si je ne demande aux hommes que ce qu’il en a lui-même exigé ; si je ne leur recommande que l’exercice des mêmes vertus, pas un de ses adorateurs ne refusera de me croire. Il a prêché la bienfaisance envers les pauvres, le détachement des richesses ; il a tonné contre les vices qui nuisent à la société ; il n’a exigé ni le culte des saints, ni les jeûnes, ni les macérations ; il n’a recommandé que d’adorer l’Eternel qu’il nommoit son père, et dont il ne se disoit pas l’égal ; il n’a menacé que les méchans d’un jugement redoutable ; pourquoi séparerois-je de son église ceux qui ne veulent suivre que ses préceptes, qui s’attachent à la lettre et à l’esprit de ses discours ? Il a purifié son humanité dans l’eau du baptême, faisons comme lui de cette ablution un acte solemnel pour l’adolescence ; il a prescrit à ses apôtres de perpétuer le souvenir de son sacrifice par une cérémonie simple et naturelle dont il a donné l’exemple, imitons le fait, et suivons l’intention sans asservir les esprits à croire ce qui répugne à la raison, ce qui offense la dignité divine, et ce que les sens désavouent. J’aurois borné à douze le nombre de mes cardinaux. Je n’aurois avoué les évêques pour mes premiers disciples, qu’autant qu’ils eussent rempli leur mission avec le zèle et les vertus attachées à leur noble ministère. Mes regards, au lieu de se borner sur un muséum, sur ma trésorerie, sur mes Etats, se seroient étendus sur mon immense domination, en auroient observé tous les vices pour leur livrer une guerre implacable. J’aurois fait fructifier les biens qui m’auroient été transmis, afin d’en dispenser les revenus aux indigens de toutes les nations qui m’eussent reconnu pour leur chef. J’aurois favorisé l’extinction de tous ces monastères qui ne renfermoient plus qu’une milice ignorante, oisive ou scandaleuse ; loin d’interposer mon autorité pour maintenir des privilèges onéreux à la multitude, j’en aurois provoqué la suppression, afin d’éteindre des rivalités funestes, et de concilier au clergé l’affection des peuples et la protection des puissances. J’aurois adressé aux chefs des Empires des exhortations si salutaires, si conformes à leurs intérêts et à ceux de leurs sujets, qu’on auroit de toutes parts reconnu la voix et les tendres sollicitudes d’un père. J’aurois attiré tous les cœurs vers ma puissance par tant de bontés et d’affections, que les plus grands ennemis de ma dignité auroient fini par se réconcilier avec elle. S’il se fût élevé des haines contre moi, ce n’eût été que du sein des pontifes incrédules et superbes dont j’aurois comprimé les passions et gourmandé les vices ; mais leur rebellion n’auroit servi qu’à donner plus de poids à ma puissance, eux seuls eussent été frappés de mes foudres. S’ils avoient tenté de se soustraire à mon empire et d’émousser mes armes, le peuple indigné de l’imposture des coupables en eût fait justice ; je les aurois resserrés entre la honte de révéler le fond de leurs pensées et la nécessité d’obéir à mes loix. L’incrédulité n’auroit pu lutter contre une religion qui seroit devenue une source de consolations et d’espérances pour les malheureux, et auroit été enrichie des plus belles maximes de l’antiquité : j’aurois conservé à ses cérémonies cette pompe, cette solemnité qui frappent les sens et disposent au respect. Je les aurois rendues moins fréquentes pour en perpétuer le charme. En la purifiant de ses grossiers mensonges, de ses absurdes contradictions, je l’aurois rendue la première du monde ; son chef eût été un objet d’amour et de vénération pour tous les hommes qui n’ont pas d’intérêt à dissiper une heureuse erreur, et à la remplacer par la perversité et l’idée de l’impunité des crimes.

Metatextualität

Malheureusement je ne suis qu’un moraliste sans pouvoir, et mes idées de réformes religieuses ne seront encore que des rêves !

Lettre d’un faux Patriote.

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Brief/Leserbrief

Je ne sais plus quel systême adopter, ni sous quels étendards je dois me ranger. Je vois la persécution pleuvoir sur tous les partis ; j’ignore si dans ce moment il ne vaut pas autant être signalé aristocrate qu’ardent républicain. La même prison renferme le dénonciateur et le dénoncé. Tous les jours le royaliste et le patriote sont cités au même tribunal, sont condamnés par les mêmes voix, s’avancent dans le même char vers le terme fatal. Autant j’ai montré d’ardeur pour attirer sur moi les suffrages et parvenir aux premiers emplois de la république, autant j’emploie d’adresse pour me plonger dans un oubli total. J’entends retenir à mes oreilles les mots d’exagérateurs, d’ultrarévolutionnaires. Puisque le titre de modéré étoit une injure, il falloit bien donner dans l’exagération. L’homme a tant de peine à garder un juste milieu, qu’on doit lui pardonner d’aller au-delà de la révolution lorsqu’il ne veut pas demeurer en-déça. Toute ma crainte dans ce moment est d’aller grossir le nombre de ceux qui gémissent dans nos prisons. Quel accueil ils me feroient ceux qui m’ont vu animé d’un zèle si farouche ! Quelle joie ils éprouveroient à l’aspect de ce républicain impitoyable qui les frappoit de terreur ! Combien plus je mérite le sort qu’ils éprouvent ! Indolens, inactifs, tout leur crime est d’avoir attendu que la victoire se décidât pour embrasser le parti du plus fort ; d’avoir montré de l’horreur pour nos brigandages, de s’être refusés à être nos complices. La plupart d’entr’eux, loin de nuire à la république, offroient de la servir par des moyens honnètes ; nous, nous la rendions odieuse : nous avions sans cesse le mot de liberté sur les lèvres ; et nous exercions la plus horrible tyrannie : nous persécutions les riches ; et nous ne soulagions pas les indigens : nous renversions les autels, nous dépouillions les temples ; et nous ne substituions point de morale au culte que nous nous efforcions de détruire : nous enlevions au malheureux toutes ses consolations, toutes ses espérances ; et nous prétendions au titre de bienfaiteurs de l’humanité ! Notre zèle n’étoit pas moins incendiaire que celui des inquisiteurs ; toute la différence qu’il y avoit entre eux et nous, c’est qu’ils plantoient la foi avec le fer et la flamme, et que nous, nous l’arrachions avec les mêmes moyens. Pouvions-nous prévoir que l’incrédulité que nous prêchions au nom de la loi seroit désavouée par nos législateurs ; qu’ils élèveroient sur les débris de nos églises un temple à l’Eternel ; qu’ils préserveroient l’humanité de sa dégradation, en maintenant l’antique idée de l’immortalité de l’ame ? Ne seroit-il pas bien affligeant pour moi qu’on donnât aux prêtres le plaisir de me voir les précéder à l’échafaud dont je les ai tant de fois menacés ? Déjà le prélat de la capitale a senti sa tête tomber à côté de celle de cet ardent zélateur de l’athéisme qui l’avoit entraîné à une abjuration solemnelle. Le prédicant et le prosélyte ont obtenu la même couronne de martyre. Je suis si peu jaloux de leur sort, qu’il n’y a pas de pénitence à laquelle je ne me résigne, pas de cérémonies auxquelles je ne me soumette, pas de rétractation que je ne sois prêt à faire pour me garantir du malheur d’offrir un pareil exemple. Qu’importe à la société ma profession de foi. J’ai cru à l’avantage d’être riche et de dominer les autres ; j’ai tout fait pour avoir de l’or et des emplois ; est-ce ma faute si pour se les procurer il n’y avoit pas d’autres moyens que d’outrager la Divinité et d’affliger ceux qui lui rendoient hommage ? Dans toutes autres circonstances, j’aurois fait le contraire pour arriver à l’objet de mes vœux. Le beau moment que celui où je pouvois, d’un seul mot, me défaire de mes ennemis, me délivrer de mes créanciers, humilier les superbes qui m’avoient dédaigné ; où je me voyois applaudi par ceux qui favorisoient mes rapines pour avoir part à mes largesses ! Hélas ! trop confiant dans la durée de mon empire et de mes succès, j’ai tout dissipé ; il ne me reste que la terreur. Il n’y a pas jusqu’à mes complices qui ne m’accusent et rejettent sur moi seul tous leurs forfaits.
Réponse.

Brief/Leserbrief

Misérable ! tu as trahi la cause que tu feignois d’embrasser, il est juste que tu sois puni de ta lâche hypocrisie. Tu avois raison de ne pas croire à l’immortalité de l’ame, la tienne est du limon le plus impur ; ton [Gott#F::Dieu( est celui des serpens, tu ne lui dois pas plus de culte que tous les animaux qu’il n’a créés pour s’entre-détruire. Que la crainte demeure attachée à ta criminelle existence ; elle est le premier supplice des méchans. La fin que tu redoutes est si douce qu’il est bon qu’elle demeure encore éloignée de toi, et que le glaive ne tombe sur ta tête que lorsqu’elle aura été troublée long-temps par les remords et les terreurs.