Le Monde: Chapitre III.
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.6973
Ebene 1
Chapitre III.
Doucement, Monsieur le Critique ; point d’humeur. Sans
doute les arts tiennent à la morale, & je puis
& je dois jetter un coup d’œil sur les nouveaux systêmes,
sur les nouvelles idées qu’on s’efforce d’établir en dépit du
goût & de la raison. Je le répete, les arts tiennent aux
mœurs, & pour ramener les uns à leur premiere pureté, à leur
premiere regle, il faut ramener les autres à leur premier
principe. Or écoutez : L’esprit systématique fait de jour en
jour de nouveaux progrès. On bouleverse les principes des arts ;
on les asservit à sa manière de voir & de sentir : il semble
que chaque homme de lettres célébre ait le droit de consacrer
ses erreurs & de les sceller, pour ainsi dire, du sceau de
sa réputation. Malgré ce vertige général, je pensois que la
poésie seroit respectée. La philosophie peut enfanter une foule
de systêmes tous différens, & tous vraissemblables ; les
songes ingénieux de la métaphysique peuvent varier à l’infini :
rien de si vaste que le champ des conjectures. La
vrai poésie est une ; son caractere est fixe, sa beauté
invariable : il étoit réservé à quelques hommes d’esprit de nos
jours, de prétendre la rabaisser de vouloir la sapper jusque
dans ses fondemens. A leur tête est M. d’Alembert, ce Géometre
fameux, estimé du Public, & qui mérite de l’être, par le
coup-d’œil vaste qu’il a jetté sur les Sciences abstraites. Je
vais mettre un article de son systême sous les yeux des Juges
éclairés ; qu’ils prononcent. La richesse des images, le style
pittoresque, le coloris, sans lequel il n’y a point de tableaux,
tout ce qu’on exige des Poëtes, est précisément ce qu’il leur
interdit : il veut apparemment que nos poésies soient des
Traités, nos vers des Sentences, & nos Poëtes des
raisonneurs. Il valoit mieux ne point admettre de poésie, que de
nous l’offrir sous des traits si étrangers. L’innovation de
l’ingénieux M. de la Motte, contre laquelle on
a déclamé avec tant de justice & d’avantage, me paroît
judicieuse en comparaison de celle qu’on veut introduire. Il
n’en vouloit qu’à la rime ; elle n’est que la forme de la
poésie : aujourd’hui c’est le fond qu’on attaque ; sous prétexte
de la perfectionner, on voudroit l’anéantir. Mais pourquoi les
images choquent-elles M. d’Alembert ? pourvû qu’elles n’ôtent
rien à la justesse des idées, il me semble que la Philosophie,
même la plus sévere, pourroit les adopter avec succès. Le Père
Mallebranche, ce Philosophe si plein de sens, étincele souvent
de beautés vraiment poétiques : sa recherche de la vérité joint
à la force du raisonnement, les charmes d’une riante
imagination. Platon qui chassa Homere de sa ville idéale, ne
persuade jamais mieux que lorsqu’il emprunte les couleurs de
l’Iliade : Baile enfin, ce Logicien si subtil, abandonne
quelquefois le fil de la Dialectique, pour
cueillir les fleurs qui se présentent sous sa main. Ces Auteurs
sentoient bien que la vérité a besoin d’embellissemens. Pourquoi
donc enlever à la Poésie des ornemens que la raison même ne
proscrit point ? Le vrai Philosophe, ce me semble, est celui qui
loin d’ôter aux Sciences & aux Arts, ce qu’ils ont déja, ne
travaille qu’à les enrichir de ce qu’ils n’ont point encore. Il
est beau, si l’on peut, d’enchérir sur les découvertes des
siecles précédens ; mais doit-on chercher à éteindre les
lumieres qu’ils nous ont transmises ? ce seroit le moyen de nous
replonger dans le cahos <sic> de la barbarie. Il faut (du
moins je me l’imagine) reprendre la route où nos grandshommes
l’ont quittée, suivre leurs traces immortels & s’étayer de
leurs efforts. Le génie a toujours assez de chemin à faire ;
& il me paroît inutile de recommencer une carriere immense,
lorsqu’on approche du terme, & qu’on
pourroit ensuite en ouvrir une nouvelle. C’est que
malheureusement la vanité préside bien plus à nos recherches,
que l’amour désintéressé des Arts : nous détruisons pour obtenir
le titre de Créateurs. Jamais le goût des paradoxes n’a été
porté si loin ; le dernier sur-tout me paroît inconcevable, du
vivant d’un Poëte Philosophe, & qui doit, à ce qu’on
voudroit bannir de la poésie, le plus grande partie de sa
réputation. J’ose croire que M. de Voltaire ne pense pas comme
M. d’Alembert sur cet article, & qu’il défendroit la cause
de son art, si ses poésies ne la défendoient assez. Où les
images sont-elles plus prodiguées ! où la raison est-elle
embellie de plus de charmes ! Quel argument contre M.
d’Alembert ? Je ne me serois pas élevé contre une nouveauté
faite pour tomber d’elle-même, si les sentimens d’un homme
estimable n’avoient toujours quelque crédit ;
le Public accoutumé à respecter ses décisions, lorsqu’elles sont
sages, peut accorder la même faveur à celles qui sont moins
raisonnables. M. Marmontel, dont une Compagnie respectable vient
de couronner l’Ouvrage sans doute avec raison, est selon moi
beaucoup moinsexcusable <sic> que notre sublime Géometre.
Ce dernier, en proposant son systême, n’attaquoit
qu’indirectement la réputation de nos grands Poëtes. L’autre
leur porte, ou veut leur porter des coups plus réels. Il les
cite à son tribunal, pese leurs différens mérites, leur assigne
leur place, les juge enfin avec une souveraineté, dont il n’y a
point d’exemple. Homere, Virgile, Pindare, Horace ne sont plus
ces Maîtres superbes que l’admiration de plusieurs siecles
sembloit mettre à l’abri d’un nouvel examen : ils nous sont
offerts comme des esclaves soumis qui viennent attendre que M.
Marmontel leur renouvelle, pour ainsi dire, un
bail d’immortalité : heureux encore s’ils sont accueillis avec
faveur, & ne se voyent point déchûs de leurs prétentions !
M. Marmontel a sans doute du poids dans la littérature :
quelques succès dans la Tragédie, des contes charmans, des
articles bien faits dans le Dictionnaire encyclopédique,
plusieurs autres Ouvrages, sont des titres pour briller sur le
Parnasse moderne, mais non des droits pour bouleverser l’ancien.
Est-il possible, par exemple, qu’un homme de goût préfere
Lucain, le dernier de nos bons Poëtes, à Homere, à Virgile ?
Lucain a sans doute des morceaux brillans, des éclairs
d’éloquence qui échauffent, qui entraînent pour le moment : mais
a-t-il cet ensemble plein de chaleur, cette connoissance
profonde du cœur humain, cette variété de caracteres, cette
imagination enflammée, ce pinceau toujours vrai
qu’on admire dans l’Iliade ? a-t-il cette sage économie, ces
ressources de l’art, ce fil imperceptible, cette gradation
d’intérêt, cette magie de style qui caracterisent l’Enéïde?
celui de Lucain n’est presque jamais naturel ; souvent ses
pensées paroissent sublimes à l’oreille, & deviennent
puériles lorsqu’on les décompose. Il affecte une pompe
d’expressions, un faste monotone qui fatigue. Son poëme est
dépourvû d’imagination, de machines. Lucain est un Historien
Versificateur, son Poëme, une gazette boursoufflée. Tel est le
jugement de nos meilleurs Critiques. Je n’oserois y joindre le
mien, si je n’étois en hardi par leurs décisions, & par
l’arrêt irrévocable de la postérité. Virgile, nous dit M.
Marmontel, a suivi de trop près les traces d’Homere. Qu’importe,
pourvû qu’il l’égale, qu’il le surpasse. Didon fait oublier
Calypso : ce n’est point sur les pas d’Ulysse qu’Enée descend
aux Enfers. Le Poëte latin n’employe cet épisode
admirable, que parce qu’il étoit nécessaire à son plan. Que de
beautés, vraiment originales, n’en résulte-t-il pas ? Quel
développement ingénieux de la philosophhie de son tems ! Quelle
flaterie delicate pour la Cour d’Auguste ! Que M. Marmontel
n’a-t-il cette sage timidité qu’il reproche à Virgile ? elle
l’auroit empêché de s’élever si singulierement contre la mémoire
de nos grands Poëtes que nous ne devrions jamais nommer qu’avec
un respect mêlé d’attendrissement. Virgile imitateur ! &
depuis quand une noble imitation est-elle interdite aux Poëtes !
M. de Voltaire n’a-t-il pas profité lui-même des beautés des
Anciens ? Dira-t-on pour cela que le massacre de la S.
Barthelemi n’est qu’une copie de l’embrasement de Troye ? que
c’est à Didon que nous devons la belle Gabrielle ? la Pharsale,
d’après ces idées, seroit donc au-dessus de la Henriade, si
vantée autrefois par M. Marmontel ? notre
aristarque paroît aussi pencher beaucoup pour le Tasse ; mais du
moins qu’il s’accorde. Il paroît qu’il déteste dans le Poëme
épique, ce que nous appellons la machine; c’est-à-dire
l’intervention des êtres allégoriques personnifiés : eh ! quel
Poëte les a plus prodigués que l’Auteur de la Jérusalem
délivrée ! on rencontre à chaque pas dans son ouvrage des Dieux
& des Démons. L’enfer, les cieux, toute la nature y est en
mouvement. Milton intéresse de même à son action toutes les
puissances célestes & infernales. Homere est créateur de ces
ressorts employés depuis avec succès. Ce sont eux cependant à
qui il accorde la palme, tandis qu’il la refuse à Virgile, cet
écrivain si sage, si intelligent dans l’art de remuer les
passions, si économe du merveilleux, & qui semble s’être
rapproché davantage du systême de son injuste Critique. Il
auroit dû éviter ces contradictions, & ne point s’embarrasser dans ses propres pieges. Les Geants
étoient bien armés lorsqu’ils firent la guerre aux Dieux. M.
Marmontel ne se contente pas de préférer Lucain aux meilleurs
esprits de l’antiquité ; il cherche encore à jetter du ridicule
sur le théâtre d’Athenes, dont la gloire vit toujours parmi
nous, & dont les beautés vraies & de tous les siécles,
seront applaudies sur notre scene tant que la nature aura des
droits sur nos cœurs. Quels transports n’a point excité la
Tragédie d’Iphigénie en Tauride, si intéressante, quoique tirée
des Grecs ! Je suis sûr que l’inimitable Mademoiselle Clairon y
fit répandre des larmes à notre Censeur lui-même. Il ne traite
pas avec plus ménagement Rousseau & Despreaux, ces
restaurateurs de la belle Poésie. Rousseau, à entendre M.
Marmontel, insulte à la raison. Ce grand Poëte qui ne
s’appliquoit qu’à la peindre, pourroit-il lui
insulter ? On nous renvoye à l’Ode du Marquis de la Fare, &
cette Ode est justement le triomphe de la raison : en voici
quelques Strophes.
Quoi de plus raisonnable que de nous désabuser sur
cette raison orgueilleuse, mere des faux systêmes, qui prend des
jugemens hazardés pour des arrêts respectables, dont la frêle
autorité n’est fondée que sur des sophismes brillans, & qui
conduite par l’amour-propre, porte toujours au-delá des limites
l’ambition de ses erreurs. Est-ce là ce qu’on appelle insulter à
la raison ? écoutons encore le grand Rousseau. La véritable raison, cette
intelligence qui nous conduit, qui nous éclaire,
qui nous garantit de toutes les illusions de l’esprit humain,
peut-elle être peinte avec des couleurs plus vraies ? M.
Marmontel a donc avancé un paradoxe. Mais si Rousseau peut se
plaindre de notre Critique, quels reproches Despreaux n’a-t-il
pas à lui faire ? Partisans de l’Horace François, cessez de lui
prodiguer votre encens: M. Marmontel a fait disparoître
jusqu’aux traces de sa réputation, & il ne reste plus à
Despreaux que ses ouvrages & la voix de la postérité.
Quelles foibles ressources contre l’arrêt qui vient d’être lancé
contre lui ! En vérité M. Marmontel a-t-il pu se permettre une
sortie aussi violente contre le plus élégant, le plus ingénieux,
le plus pur de nos Poëtes! est-ce avec cette liberté qu’on parle
de ses Maîtres! je sçais qu’il y a bien des choses à reprocher à
Boileau : le genre de la satyre devroit être inconnu parmi les
hommes : je sçais qu’il s’est échappé avec trop
d’indiscrétion contre des Ecrivains estimables. Quinaut surtout,
l’aimable Quinaut, triomphe aujourd’hui de son injustice &
la lui reproche par ses beautés ; de ce nombre est encore le
Tasse, dont il semble que Boileau n’ait pas senti tout le
mérite. Si je voulois l’excuser, je dirois que, rigide défenseur
des regles de l’art, accoutumé aux beautés séveres de nos
modeles, il a pu, ainsi que la Bruyere & Saint-Evremond, ne
point goûter l’éternel merveilleux des ouvrages lyriques où une
baguette tranche toutes les difficultés, où la nature est
toujours asservie, où enfin l’art du Poëte n’est autre chose que
l’art du Magicien. Je dirois au sujet du Tasse, que le mêlange
des dieux & des diables, les extravagances de la Forêt
enchantée, & les autres défauts de ce Poëme charmant ont dû
refroidir Boileau sur les épisodes immortels de Clorinde,
d’Armide & d’Herminie : mais je suis le premier
sur cet article à me joindre à M. Marmontel, je lui abandonne
les satyres & l’injustice. Despreaux peut faire des
sacrifices sans intéresser sa gloire : son Art poétique, son
Lutrin, presque toutes ses Epîtres déposeront toujours pour lui
au tribunal des Connoisseurs. Il a fait ceder, dit-on, la nature
aux lents efforts d’un travail obstiné : ce n’est point la
nature chez lui qui étoit indocile, c’étoit le goût qui étoit
sévere & impérieux. Le génie est toujours lent dans ses
productions, la médiocrité toujours rapide. Si l’Auteur du
Lutrin avoit voulu se livrer à son imagination, peut-être
l’avoit-il aussi brillante & aussi facile que beaucoup
d’autres : mais comme il ne trouvoit rien de beau que le vrai,
il aimoit mieux être solide qu’ingénieux, & marcher dans le
terrein sauvage de la vérité, que de se perdre dans la région
brillante des paradoxes. On le taxe encore d’être froid, sans
verve, sans fécondité ; de n’avoir qu’une
gayeté pénible. Jamais un Vers n’est parti de son cœur, il ne
faut qu’ouvrir ses ouvrages pour refuter ces imputations. Je
tombe sur une Epître au Roi, & je trouve cette peinture.
Voici un autre morceau tiré du Lutrin. Cela est-il pénible, contourné ! Le discours de
l’Horlogere n’est-il pas plein de sentiment ? est-ce le travail
qui a produit ces Vers ? Est-ce
l’enclume qui a forgé ceux-ci. Le Lutrin & l’Art poétique
sont partout écrits sur ce ton : c’est par-tout la même
harmonie, la même abondance, la même pureté, le même naturel ;
que prétend donc l’Auteur de l’Epître aux Poëtes? on doit sans
doute déferer beaucoup à ses opinions; sa Muse nous a déja
enrichis de quelques productions; je ne sçais ce qu’elle nous
donnera dans la suite, mais il me semble qu’il faut
se sentir bien de la chaleur pour oser avancer que Boileau est
froid, bien de la verve pour l’accuser d’en manquer, bien de la
fécondité, pour lui reprocher de la sécheresse & de la
stérilité. Si quelqu’un, de nos jours, avoit le droit de juger
Boileau, c’étoit M. de Voltaire, qui a remplacé, pour ainsi
dire, tous nos grand Poëtes par le talent le plus rare, & le
plus universel: cependant avec quel ménagement, quel respect ne
parle-t-il pas de lui dans son Temple du Goût? il le place dans
le sanctuaire du Temple, il en fait le législateur de notre
Parnasse. Voici comme il s’exprime. Excellente leçon! tel est le
langage de la supériorité,
Lettre.
Ebene 2
Ebene 3
Brief/Leserbrief
Spectateur? dormez-vous? quoi,
vous nous laissez inonder de paradoxes, vous ne vous
élevez pas contre ce déluge fatal ! avez-vous vendu une
lâche complaisance à des sectateurs <sic>
ambitieux ? vous a-t-on promis des louanges, de la
cabale, des proneurs en échange de cette tolérance
scandaleuse ? . . . je vous entends ; vous êtes borné à
la morale, à la poursuitedu <sic> ridicule &
du vice, & l’oppression des Arts par la tyrannie des
esprits singuliers n’est point de votre
ressort ? Spectateur, quittez la plume ; vous n’êtes pas
fait pour nous remontrer nos devoirs, puisque vous
ignorez les vôtres. Sçachez qu’il n’y a point de
paradoxe de bonne foi ; ni de Sectateur <sic>
innocent; sçachez que l’orgueil fait les novateurs,
& que tout novateur peut porter des coups terribles
aux mœurs par ses triomphes, en desaccoûtumant les
esprits d’obéir aux usages & à la décision des
siecles. Sçachez que quiconque veut nous apprendre à
penser dans quelque sens que ce soit, mérite d’être
examiné de près par le gardien des loix morales, parce
qu’un grand mal peut naître de la plus petite faillie de
la vanité, quand l’inconstance des esprits peut y
trouver un charme qui l’entraîne. Eveillez-vous,
Docteur, & songez que vous nous répondez du mal
qu’on peut nous faire. Point de pusillanimité, encore
moins de lâche politique ; connoissez vos droits,
respectezles comme des devoirs ; ils
sont notre confiance & notre sureté. Parlez-nous de
tout ce qui peut nous nuire : il n’est pas question ici
du fond de la chose, il est question de l’intention ;
elle est contraire à nos intérêts, conséquemment soumise
à votre censure : on veut nous faire penser faux, nous
induire à juger hardiment : faut-il vous instruire du
mal qui en peut résulter ? n’entendez-vous pas les loix,
les vertus, la nature même gémir de leur danger ! oui la
nature ; les erreurs de l’esprit sont toujours nuisibles
au sentiment. Hélas ! ce sont ces erreurs maudites qui
ont tout renversé dans le monde : elles le détruiront
sans doute, & vous n’en frémissez pas ! nous
cachez-vous donc un ennemi sous une forme respectable ?
Je suis, Docteur, votre très-humble, &
très-obéissant, &c.
Ebene 3
C’est-elle qui
nous fait accroire Que tout cede à notre pouvoir ;
Qui nourrit notre folle gloire
De l’yvresse d’un faux sçavoir;
Qui par cent nouveaux stratagêmes
Nous masquant sans cesse à nous-mêmes,
Parmi les vices nous endort ;
Du furieux, fait un Achile,
Du fourbe un politique habile,
Et de l’athée, un esprit fort. Mais vous mortels qui dans le monde Croyant tenir les premiers rangs,
Plaignez l’ignorance profonde
De tant de Peuples différens ;
Qui confondez avec la brute
Ce Huron caché sous la hute,
Au seul instinct presque réduit :
Parlez : quel est le moins barbare,
D’une raison qui vous égare,
Ou d’un instinct qui le conduite !
Qui nourrit notre folle gloire
De l’yvresse d’un faux sçavoir;
Qui par cent nouveaux stratagêmes
Nous masquant sans cesse à nous-mêmes,
Parmi les vices nous endort ;
Du furieux, fait un Achile,
Du fourbe un politique habile,
Et de l’athée, un esprit fort. Mais vous mortels qui dans le monde Croyant tenir les premiers rangs,
Plaignez l’ignorance profonde
De tant de Peuples différens ;
Qui confondez avec la brute
Ce Huron caché sous la hute,
Au seul instinct presque réduit :
Parlez : quel est le moins barbare,
D’une raison qui vous égare,
Ou d’un instinct qui le conduite !
Ebene 3
Lorsqu’à l’époux de Pénélope
Minerve accorde son secours,
Les Lestrigons & le Cyclope
Ont beau s’armer contre ses jours :
Aidé de cette intelligence
Il triomphe de la vengeance
De Neptune, en vain courroucé :
Par elle il brave les caresses
Des Syrenes enchanteresses,
Et les breuvages de Circé.
Les Lestrigons & le Cyclope
Ont beau s’armer contre ses jours :
Aidé de cette intelligence
Il triomphe de la vengeance
De Neptune, en vain courroucé :
Par elle il brave les caresses
Des Syrenes enchanteresses,
Et les breuvages de Circé.
Ebene 3
Au pieds du Mont Adulle, entre
mille roseaux, Le Rhin tranquille & fier du progrès de
ses eaux,
Appuyé d’une main sur son urne penchante :
Dormoit au bruit flateur de son onde naissante :
Lorsqu’un cri, tout-à-coup, suivi de mille cris,
Vient d’un calme si doux retirer ses esprits :
Il se trouble, il regarde, & par-tout sur ses rives
Il voit fuir, à grands pas, ses Naïades craintives,
Qui toutes accourant vers leur humide Roi,
Par un récit affreux redoublent son effroi.
Appuyé d’une main sur son urne penchante :
Dormoit au bruit flateur de son onde naissante :
Lorsqu’un cri, tout-à-coup, suivi de mille cris,
Vient d’un calme si doux retirer ses esprits :
Il se trouble, il regarde, & par-tout sur ses rives
Il voit fuir, à grands pas, ses Naïades craintives,
Qui toutes accourant vers leur humide Roi,
Par un récit affreux redoublent son effroi.
Ebene 3
Là, parmi les douceurs d’un tranquille silence,
Regne sur le duver une heureuse
indolence ;
C’est-là que le Prélat muni d’un déjeuner,
Dormant d’un leger somme, attendoit le dîner.
La jeunesse, en sa fleur, brille sur son visage :
Son mention sur son sein descend à triple étage . . . .
C’est-là que le Prélat muni d’un déjeuner,
Dormant d’un leger somme, attendoit le dîner.
La jeunesse, en sa fleur, brille sur son visage :
Son mention sur son sein descend à triple étage . . . .
Ebene 3
L’air qui gémit du cri de
l’horrible Déesse *1, Va
jusque dans Citeaux réveiller la mollesse ;
C’est-là qu’en un dortoir elle fait son séjour :
Les plaisirs nonchalans solâtrent à l’entour.
L’un paîtrit dans un coin l’embonpoint des Chanoines,
L’autre broye en riant le vermillon des Moines . . .
C’est-là qu’en un dortoir elle fait son séjour :
Les plaisirs nonchalans solâtrent à l’entour.
L’un paîtrit dans un coin l’embonpoint des Chanoines,
L’autre broye en riant le vermillon des Moines . . .
Ebene 3
Où
vas-tu, cher époux ! est-ce que tu me fuis ! As-tu donc
oublié tant de si douces nuits ? Quoi ! d’un œil sans pitié
tu vois couler mes larmes !
Au nom de nos baisers, jadis si pleins de charmes . . .
Au nom de nos baisers, jadis si pleins de charmes . . .
Ebene 3
La
plaintive Elégie, en longs habits de deuil, Sçait, les
chevaux épars, gémir sur un
cercueil.
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Telle qu’une Bergere au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,
Et sans mêler à l’or l’éclat des diamans,
Cueille, en un champ voisin, ses plus beaux ornemens.
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Telle qu’une Bergere au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,
Et sans mêler à l’or l’éclat des diamans,
Cueille, en un champ voisin, ses plus beaux ornemens.
Ebene 3
La regnoit Despreaux maître en l’art d’écrire.
Lui qu’arma la raison du vers de la satyre,
Qui donnant le précepte & l’exemple à la fois
Etablit d’Apollon les rigoureuses loix.
. . . . . il semble encor leur dire,
Ou sçachez vous connoître, ou gardez-vous d’écrire.
Qui donnant le précepte & l’exemple à la fois
Etablit d’Apollon les rigoureuses loix.
. . . . . il semble encor leur dire,
Ou sçachez vous connoître, ou gardez-vous d’écrire.
Metatextualität
J’ai
cru pouvoir hazarder mes réflexions sur cette matiere, sans
blesser la délicatesse de ceux dont je combats le systême,
en rendant justice à leur mérite. Rien de plus dangereux que
le despotisme qui s’introduit depuis quelque tems dans les
Lettres : tous les esprits y sont ou tyrans, ou esclaves ;
si quelque parti domine, on applaudit à ses paradoxes,
tandis que l’autre ose à peine bégayer quelques vérités.
Cette tyrannie annonceroit, selon moi, la décadence
prochaine des Lettres & des Arts : la mâle liberté
d’écrire peut seule hâter la lenteur de leurs progrès ;
c’est du choc de différents lumieres réunies que naît enfin
le jour de la raison. Pour moi, ennemi des disputes
littéraires qui troubleroient mon repos, je n’ai élevé une
voix foible, & qui ne sera peut être pas
entendue, que parce qu’on attaquoit des goûts qui
contribuent à mon bonheur. J’aime la Poésie, j’adore les
Anciens, & je ne changerai point de culte jusqu’à ce que
les Modernes les surpassent. On peut renoncer à des
systêmes, jamais à des sentimens.
1* La Discorde.