Lettera/Lettera al direttore
J’ai vu, Monsieur, en lisant
votre premier Cahier, que vous accepteriez volontiers
des réflexions sur différentes matieres ; je souhaite
que la passion que j’ai pour les Beaux Arts, &
particulierement pour l’Architecture, vous détermine à
faire usage de quelques observations que j’ai faites sur
ce bel Art dans mes heures de loisir : au reste je vous
les adresse sans aucune espece de prétention : si vous
les approuvez, je continuerai de vous en faire remettre
quelques-unes, autrement je les garderai dans mon
porte-feuille, & éviterai avec soin de les publier.
Ces observations ont pour objet de définir les différens
genres d’Architecture, en envisageant ces genres sous
une dénomination claire & précise
qui mette les Amateurs à portée de considérer chaque
édifice sous son véritable point de vue. Ne vous
attendez pas, Monsieur, à trouver de l’ordre dans les
matieres que je vous adresse, mon peu de loisir y forme
un obstacle invincible : d’ailleurs la variété que je
vous propose sera peut-être plus de votre goût qu’un
ouvrage méthodique dont la liaison seroit nécessairement
interrompue par l’abondance des objets que vous vous
proposez de traiter. Le respect que j’ai pour les
décisions du Public, me fait vous prier de taire mon
nom, s’il parvient jusqu’à vous : il me semble qu’avant
de se nommer, il faut se mettre en état de mériter les
suffrages, & je suis bien éloigné de croire les
mériter encore. Je suis, Monsieur, votre, &c.
Ce qu’on doit entendre par une
Architecture sublime.
Une Architecture sublime est
celle qui par son aspect éleve l’ame du spectateur, & le
porte à une admiration contemplative dont il ne peut trop se
rendre compte sans les connoissances profondes de l’art. Le
genre sublime devroit être le propre de l’Architecture de
nos Temples : tout devroit y paroître tracé par une main
divine : leur ordonnance devroit avoir un caractere sacré
qui rappelle l’homme à Dieu, à la Religion, à lui-même. Quoi
qu’on en dise, certaines Eglises gothiques portent cette
empreinte : qu’on y prenne garde, une grande hauteur de
voûte qui éleve l’ame & n’a rien de vulgaire, des nefs
& des bas côtés spacieux, une lumiere modérée &
analogue aux mysteres d’une religion sainte qui exige le
recueillement & non la dissipation, des façades élevées
& pyramidales, une symétrie intérieure,
grave & réguliere, enfin une dimension réfléchie qui
annonce des préceptes suivis, quoiqu’ils nous soient
presq’inconnus, sont autant de beautés convaincantes qu’on
remarque dans les ouvrages des XI & XIIe siecles, &
qui devroient peut-être déterminer le genre des monumens
dont nous parlons. En effet, c’est dans nos Eglises qu’il
faut de la grandeur, de la dignité, de la majesté. Par-tout
ailleurs, on peut se contenter de la variété, de la beauté,
de l’agrément : ici il faut nécessairement de l’unité, de la
simplicité, de la décence : n’en doutons point, le choix des
matieres précieuses devroit faire, pour ainsi dire, tous les
frais de la décoration de nos Temples : une grand
Architecture traitée avec sobriété ; peu de Sculpture, mais
admirable : une distribution sage, des formes
quadrangulaires : en un mot une expression, un ensemble
& un aspect touchant, sont les beautés
qu’on doit rencontrer dans les édifices sacrés. Un
Architecte qui seroit pénétré de cet amour religieux &
de cette espece de convenance si bien observiée, même du
tems de l’idolâtrie, s’efforceroit de peindre de nos jours
& aux yeux des fideles une Architecture vraie, noble,
décente, qu’on ne trouve point ou rarement dans nos Eglises
modernes, parce que communément l’architecture en est
frivole & les ornements arbitraires. Nous ne craignons
point de l’avouer ici, les embellissemens de nos Temples,
particulierement leur décoration intérieure, ressemblent à
des décorations théatrales, parce qu’on ignore les beautés
de convenance, parce qu’on ignore les beautés constantes
& positives de son art, parce qu’on ignore les regles de
la bienséance & le vrai caractere qu’il convient de
donner à chaque genre d’édifice. Qu’est-ce en effet que la
plus grande partie des nouvelles restaurations
que l’on voit à S. Merry, à S. Sulpice, à S. Roch ? des
ornemens fastidieux, sans choix, sans forme & sans
vraisemblance : on remarque par-tout un amas confus de stuc,
d’or en feuilles, de cartonage : des cercophages pour
retable d’autels ; des dais, des campanes, des draperies
leur servent de couronnement ; la décoration d’une gallerie
ou d’un sallon ornée de lustres, di girandoles de
Torchieres, pour celle d’un chœur ; la décoration d’un
boudoir pour nos Chapelles : nous le répérons, la décoration
de nos Eglises, depuis 30 ans, se ressent de la frivolité de
nos ornemens, de notre étude superficielle, de notre
incertitude dans nos goûts. Nos Temples, nos Palais, nos
Hôtels, nos petites maisons, offrent à peu près le même
caractere, la même expression, la même négligence ; & à
l’exception de quelques chefs-d’œuvres de Peintures & de
Sculpture qui embellissent nos Eglises, &
qui peut-être seroient plus convenablement placés par-tout
ailleurs, on ne remarque presque point dans la composition
de leur ordonnance ni l’Architecte instruit, ni l’Artiste
habile. L’on n’y voit que l’Ornemaniste subalterne, le
Stucateur incertain, le Cizeleur routinier, le Doreur &
le Marbrier mercenaire. C’est en vain que Lemecier &
Mansard nous ont laissé pour exemple la Sorbonne, la
Visitation, le Val-de-Grace ; on veut imiter l’intérieur de
dedans des Invalides & celui de la Chapelle de
Versailles, dans ce qu’ils ont de moins propre au genre dont
nous parlons ; parce que les formes variées, les petits
détails, les minuties sont plus faciles à saisir,
quoiqu’elles perdent toujours à l’imitation : d’ailleurs
(c’est une vérité) les imitateurs sont toujours d’infideles
copistes : incapables de faire un bon choix, ils négligent
les beautés essentielles & capitales,
répandues dans ces monumens, pour ne s’attacher qu’aux
parties de détails, plutôt le travail de l’homme en second
que celui du chef de l’entreprise. L’Architecture sublime
dont nous voulons parler, est encore du ressort des
Basiliques, des monumens publics, de la sépulture des grands
hommes, & généralement de tous les édifices élevés pour
rappeller à la mémoire des citoyens, les hauts faits, les
actions éclatantes, la valeur & la bienfaisance d’un
Prince, d’un héros & d’un grand Général. Enfin
l’Architecture sublime doit se reconnoître par l’application
des grands principes de l’art, par une belle simplicité, par
des attributs puisés dans la convenance de l’édifice, par
une régularité louable, par des accompagnemens assortis, par
des issues spacieuses, en un mot par un ensemble que rien ne
dément, uniques & immuables secrets de l’art, connus
seulement des grands Architectes & que
la multitude ignore. Ce qu’on doit entendre par une
Architecture champêtre. On entend par une Architecture
champêtre celle qui concourt à l’utilité de l’Agriculture ;
celle qui dédiée à Pomone, à Flore ou aux Divinités des
forêts & des bois, exprime une Architecture dans le
genre pastoral ; c’est-à-dire simple dans sa décoration,
solide dans sa structure & naïve dans son ordonnance ;
celle qui mariée sans affection avec l’art du jardinage,
présente un aspect intéressant, agréable ou séduisant,
sérieux, ferme ou rustique, selon l’analogie que ces
différentes expressions doivent avoir avec l’objet qui porte
à bâtir dans tel ou tel lien ; celle qui construite avec le
blocage, la brique & le cailloutage, s’allie par un
contraste heureux avec la culture des arbres, l’effet
séduisant des eaux & les symboles du Dieu des jardins ;
celle qui ayant peu d’ouvertures de portes & de croisées, annonce par son aspect un asyle
recueilli, frais & tranquille, entremêlé de portiques
naturels & artificiels, tels à peu près que se
remarquent les bâtimens de Marly, ceux de la Ménagerie de
Versailles, ceux de Sceaux, & ceux des jardins de Silvie
à Chantilly : celle enfin qui toute de verdure ou de
treillage, conserve néanmoins les proportions reçues en
Architecture, & présente à l’œil du spectateur une
variété enchanteresse propre à l’embellissement des
dépendances de nos maisons de plaisance. (C)