Cita bibliográfica: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Ed.): "Epitre à Monsieur le Colonel Comte de * *.", en: La Spectatrice danoise, Vol.2\017 (1750), pp. 137-147, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4443 [consultado el: ].


Nivel 1►

Epitre

A
Monsieur le Colonel Comte de * *.

Nivel 2► Nivel 3► Il n’est rien tel que la bouteille

Pour inspirer des vers charmans ;

Un Poete gris fait merveille ;

Que les vers sont vifs & coulans

Quand le Dieu badin de la treille

Est l’Apollon de nos accens !

Le Champagne échauffe & réveille

Mon expirante gayeté ;

De sang froid, mon ame sommeille ;

Gris, j’ai de la vivacité.

Avec quel plaisir je me livre

Aux charmes de la volupté !

Boire du Champagne, c’est vivre :

Bacchus ! à tes lois revolté,

Je n’ai pas encor sçu te suivre ;

J’abjure ma sobriété,

Et je préfere, en vérité,

Au plaisir de faire un beau livre

La sève d’un nectar vanté :

Dieux ! que ne suis-je toujours ivre !

Eleve du grand Löwendahl !

Eleve de l’aimable Horace !

[138] Comte ! qui sais d’un pas égal

Suivre l’un & l’autre à la trace ;

Aujourd’hui, tu n’es que rival

Du Poete & du Maréchal,

Un jour, au sommet du Parnasse,

A côté de La Fare, occupant une place,

Nous te verrons assis en grave Général.

Pour en venir là, le mérite

En ce siécle ne suffit pas ;

Et voilà ce qui me dépite,

C’est l’âge qui régle nos pas.

Tout prèts à descendre au Cocyte,

Commencerions nous d’ètre heureux ?

L’âge, de la gloire est l’arbitre ;

Quand l’âge a blanchi nos cheveux,

Quand, risibles à plus d’un titre,

Nous sommes tristes & gouteux,

La gloire lentement couronne

De nos jeunes ans les succès

Dans la saison, où ses attraits

Ne flattent le gout de personne.

De ses inutiles lauriers

Permets, que sa main environne

Le front ridé de ces guerriers,

Grands coeurs, esprits faux, que Bellonne

Occupa vingt lustres entiers.

[139] Pour toi, dont l’ame ambitionne

Deux genres de gloire à la fois,

Toi qui joins au coeur militaire

L’esprit, le sçavoir, l’art de plaire,

Toi, qui suis tour a tour les lois

Des folatres plaisirs & du bon sens austère,

Sans que la Sagesse severe

Empiete jamais sur les droits

De cette volupté légère

Fruit de ton gout, fruit de ton choix,

En attendant que la vieillesse

Trop tot propice à tes desirs,

En t’aneantissant soutienne ta foiblesse

En égalant ton nom aux plus beaux noms de Gréce,

Use des précieux loisirs

De la fugitive jeunesse ;

Nos jours coulent avec vitesse ;

Qu’ils soient du moins filés par les mains des plaisirs !

On a toujours assés de gloire,

Toujours trop peu d’amusemens ;

On arrive assés tot au Temple de Mémoire,

Et la saison des agrémens,

Cet âge, où l’on se plait à folâter, à boire

N’est qu’un tissu de courts momens.

Oui ; dusses tu ne pas m’en croire ;

De ces vins mousseux, petillans,

Qui chassent de l’esprit toute humeur sombre & noir

J’en préfère deux doigts au gain d’une victoire.

[140] Que servent les succès brillans ?

S’ils fixoient la course du tems,

S’ils faisoient éxister ailleurs que dans l’histoire,

J’adorerois les conquérans.

Mais est ce un plaisir que l’encens ?

Le titre de foudre de guerre

Fait il de ces Heros qui font trembler la terre

Des Etres heureux & contens ?

L’espoir de l’obtenir en trente ou quarante ans

Peut en imposer au vulgaire,

Mais l’erreur n’indemnise guére

Ces valeureux extravagans,

Qui, trop épris d’une chimère

Vont lui sacrifier le rapide printems

D’une éxistence passagère.

Est on grand ? on est respecté,

Couru, courtisé ; je l’avouë :

Mais que m’importe qu’on me loüe ?

Que m’importe d’ètre flatté

Par gens qui, dans l’adversité,

Me feroient peut ètre la moüe ?

Je dirois volontiers à ces ames de boüe ;

« Flattés ma sensualité

Et laissés là ma vanité ;

Messieurs ! qui m’encense me joüe ;

Tel, qui, d’un éloge apprété

Veut que mon cœur soit enchanté

Rira, quand, du haut de sa roüe,

La fortune, à mon tour, m’aura précipité. »

[141] Et puis, quel triste personnage,

Soutient on, quand du haut étage

D’une héroîque gravité,

On est presque nécessité

A proscrire le badinage,

Le gout, l’esprit, l’aménité,

Les graces & la liberté ;

A s’honorer de l’esclavage

D’une insipide urbanité ;

A rire avec austérité ;

A faire un grotesque étalage

D’un cordon bien cher acheté

Et souvent très peu mérité ;

A se donner l’air, le langage,

Le ton d’une Sérénité ;

A se fillonner le visage

Au moindre trait de gaieté,

A former un épais nuage

Entre soi & la volupté ?

Le Respectable, en vérité !

Joüe un ennuieux personnage.

Qu’il est dur de se refuser,

Comte ! aux vrais plaisirs de la vie !

Entre les bras de la folie

Ah ! qu’il est doux de reposer !

A la sombre misantropie

La somhre <sic> raison nous conduit,

Et, dès que son flambeau nous luit,

Il mène à la mélancolie.

[142] C’est dans les écarts de l’esprit,

Que la félicité réside :

Boit on ? La fortune nous rit,

Et Caton mème se déride ;

Un repas, où Bacchus préside,

De tous nos chagrins nous guérit.

Choisit on le bon sens pour guide ?

En nous, que d’erreurs il nourrit !

Soucis, projets, vapeurs, dépit

Assiégent notre ame timide,

Et la tourmentent jour & nuit.

La raison, du bonheur avide,

Envain le cherche & le poursuit ;

Elle croit le tenir ; il fuit

Et vole sur l’aile rapide

Du moment qui s’évanoüit.

L’Epicurien seul est Sage,

L’Epicurien seul joüit ;

Du tems, dont il sçait faire usage,

Seul il sait recueillir le fruit :

Tantôt, il tient dans un réduit

Une anacréontique orgie ;

Et tantot fillette jolie,

Faite au tour & propre au déduit,

Ravigotte son appetit.

De cette aimable compagnie

L’ennui volontiers se bannit ;

Couvert des ailes de la nuit,

Le Dieu de la plaisanterie,

Momus, sans fracas & sans bruit,

[143] De son sel, de sa raillerie,

Y cherche & trouve le débit.

Alors, suivant que l’ambroisie

Dans les veines circule, agit,

Où l’on chante, ou l’on s’assoupit ;

O Dieux ! la douce letargie !

On est tout glace ou tout génie,

Tout sentiment ou tout esprit.

Au naturel on s’abandonne,

Tout plait, tout rit, tout est sans fard ;

Chaque propos est un écart,

Et l’enjoument est sur le trône ;

Ces riens, dont soi mème on s’étonne,

Ces riens, l’ouvrage du hazard,

Sont crées <sic> sans suite & sans art :

On s’amuse, on jase, on raisonne,

Suivant que D’Aï le nectar

Dans le Sang plus ou moins boüillonne.

A Copenhague peu connus,

Innocens plaisirs de la table !

Vous formés des coeurs ingénus,

Vous rendés l’homme sociable.

La férocité de ses mœurs

Par vos leçons est adoucie :

Plaisirs délicats ! sur la vie

Vos répandés mille douceurs.

[144] Que j’aime à marcher sur les fleurs,

Dont votre route est embellie !

Et que je hais la frénésie

De ces esprits chagrins, réveurs,

Qui pensent, qu’une ame amollie

A suivre vos drapeaux vainqueurs

Ne vaut pas celle, où la folie

Fait naitre de tristes erreurs

Noirs enfans des pâles vapeurs !

Instruit à votre école aimable,

Le paresseux devient actif ;

Vos déridés l’homme pensif,

Vous chassés l’ennui qui l’accable :

Par vous le quinteux est affable,

Et le laborieux, oisif :

A votre ton persuasif,

Plaisirs ! quand on est attentif,

Ah ! qu’il est aisé d’ètre aimable !

C’est vous qui formâtes Chapelle,

Ce délicat voluptueux,

Qui, toujours à vos lois fidelle,

Vécut content, mourut heureux.

A Deshouliere, à Fontenelle

Aux La Fontaines, aux Rousseaux

Vous avés de mille bons mots

Dicté l’amusante Kirielle.

C’est vous, qui sur le ton naîf

De Chaulieu montâtes la lyre ;

Par vous, il eut, jusqu’au délire ;

[145] Le teint frais, l’air galant, l’œil vif ;

Quand du nocher rebarbatif

Ce bon vieillard passa l’esquif,

C’est par vous qu’il se prit à rire.

Vous rallumés les feux divers

D’un esprit qui s’éteint, qui s’use ;

Que Voltaire vous doit de vers !

Qu’à table, oubliant l’univers,

Il étoit facile à la Suse

De préluder de jolis airs !

C’est vous qui créâtes la Muse

Du père du charmant Ververs.

C’est vous . . . Quoi ? ma verve est glacée ?

Mon feu se seroit il éteint ? . . . .

Avec les vapeurs du bon vin

Hélas ! ma chaleur est passée.

Ma tète est libre. Après demain

Le Champagne à ma veine usée

Donnera cet air enfantin,

Ce brillant, cette grace aisée,

Ce ton quelquefois libertin,

Tirant un peu sur l’Aretin,

Que des fougueux dévots la troupe déchainée

Donne pour le signe certain

D’une ame aux enfers destinée ;

Fai moi, si contre un verre plein

Je joüe, un moment, le mutin,

Penser à ma Muse épuisée.

[146] Encore un mot, & j’ai fini :

Aimable Comte ! chés * * *.

Nous nous reverrons vendredi.

Donne aux grands maitres de la guerre,

A Puységur, Folard, Quincy,

Congé jusques à samedi.

Vien animer la bonne chère ;

Les bagatelles & les riens

(Soit dit en passant sans déplaire

Aton <sic> Volfianisme austère)

Sont l’ame des bons entretiens.

Ce diners de cérémonie,

Magnifiques mais dégoutans,

Où pompeusement on s’ennuïe,

Où les cordons réglent les rangs,

Où l’Excellence, à chaque instant,

Vient frapper l’oreille étourdie,

Comte ! te plairoient ils autant,

Que ceux où * * * associe

A l’élégance l’enjoûment,

Cet enjoument auquel s’allie

La refléxion, le bon sens

Le gout, & de rares talens

Essentiels à sa Patrie.

Cet enjoument, qui de sa vie

Transforme les jours en momens ?

[147] Venés, Monsieur le Militaire !

N . . . . . . . . . . . . . . . .

L . . . . . . . . . . . . . . . .

Q . . . . . . . . . . . . . . . .

F . . . . . . . . . . . . . . .

D . . . . . . . . . . . . . . . . .

Venés ; vous verrés en * * *.

Et l’honnète homme & l’homme heureux ;

Que puis je vous offrir ? rien qui puisse vous plaire ;

Mais à coup sur en moi vous verrés sans mistere

Le serviteur de tous les deux. ◀Nivel 3 ◀Nivel 2 ◀Nivel 1