Cita bibliográfica: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Ed.): "Requête.", en: La Spectatrice danoise, Vol.2\014 (1750), pp. 90-96, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4440 [consultado el: ].


Nivel 1►

Requete.

A Monseigneur le Président de la Cour d’Amour. (*1 )

Nivel 2► Nivel 3► Carta/Carta al director► Monseigneur ! de cinq Suppliantes

Daignés agréer le placet ;

Nous sommes Brunes & Piquantes ;

C’est, nous semble, vous dire net,

[91] Que nous sommes fort petillantes,

Et du contenu de l’arret

Encore plus impatientes.

On nous a, dans certain écrit,

Qui, depuis deux mois nous ennuîe,

(Ennui nait souvent de dépit)

Chargé de mainte calomnie.

On accuse notre appetit

De nous donner pour le déduit

Un gout, une pente infinie.

Une Blonde est notre Partie ;

Aura t’elle assés de crédit

Pour triompher sans contredit ?

Non : quelle soit anéantie !

Que toujours Veuve, jour & nuit

Elle pleure l’étourderie

Du mauvais tour qu’elle nous fit :

En attendant, soiés instruit,

Qu’avons droit. Sur ce, je m’appuie,

Et m’y tiendrai jusqn’au <sic> dédit.

A tout Couleur la nature

A conseillé la volupté ;

C’est une expérience sure,

Un fait de notoriété

Publique, & très bien constaté,

Qu’avant que la figue soit mure,

Blonde ou Brune, tout est porté

Du moins à la velléité

De la laisser, à l’avanture,

Cueillir par un jeune effronté.

[92] Tempérament est de tout âge,

Est de tout séxe & de tout teint.

Qui dit femme, dit Etre enclin

Au tendre, au galant badinage.

Qu’est ce que Blonde ? Etre badin.

Qu’est ce que Brune ? Etre mutin.

La Blonde court à l’esclavage ;

Mais, sans appetit libertin,

Sans fatiguer son attelage,

Brunette va son petit train ;

Elle fait durer le voïage,

Résiste, s’arrète en chemin,

Et toujours jusqu’au lendemain

Différe d’entrer dans sa cage.

Par quoi, ne sçais sur quoi se fonde

La thése de cette Beauté,

Qui, fort mal à propos, nous fronde

D’un ton précieux, emprunté,

Pour charmer sa viduité,

Il lui faut un jeune Eventé,

Qui dans ses plaisirs la seconde,

C’est fort bien fait, en vérité !

Mais vouloir un Mari dotté

De telle & telle qualité,

Qu’en tout la machine ronde,

Dans ces tems de perversité,

On a, tout au plus, souhaité,

C’est mal dépaïser son monde.

Vous verriés son coeur frélaté,

Si dans son coeur portiés la sonde.

[93] L’Afficheuse, tout bien compté,

Pense t’elle donc, qu’il en ponde

De ces Maris ? La terre & l’onde

N’en eurent peut-ètre jamais ;

Thétis, pour de moindres attraits

Brule dans sa grotte profonde.

Jupin n’eut pas de si beaux traits,

Et Junon eut de grands accès

D’amour. Afin que tout réponde,

Gentille Veuve ! à vos souhaits,

On vous en fera faire exprès.

Quoi qu’il en soit ; qu’on nous refonde,

Point ne voulons ; de notre teint

Maint galant, connoisseur très fin,

Et qui contre les Rousses gronde,

Veut prendre la defense en main.

Un d’eux nous disoit ce matin :

Les Brunes aiment le Blondin,

Les Bruns sont courus de la Blonde.

A ces causes, vous Supplions,

Que, faisaut <sic> droit sur la requète,

De la Veuve ordonniés l’enquète

Par bonnes perquisitions ;

Qu’aîés soin qu’excnse <sic> soit faite

Aux Brunes sans restrictions,

Disons, excuse bien complette,

Et puis, sauf nos prétentions,

Que condamniés les Cheveux Blonds

A n’avoir plus qu’amour en tète,

Si mieux n’aimés, de laids Barbons

Leur ordonner de faire emplette.

R. L.M.M.N. ◀Carta/Carta al director ◀Nivel 3

[94] La dispute entre les Blondes & les Brunes ne sera jamais décidée ; & comment se décideroit elle ? on assure, qu’une Noire vaut bien une Blanche ; & on l’assure avec quelque apparence de raison : car si le pouvoir des charmes d’une belle Noire est égal à celui des attraits d’une belle Blanche, il est évident, que la Noire & la Blanche ont une beauté égale. Peut étre ne conviendra t’on point, que la beauté dépende des impressions ; mais, à coup sûr, on avoûra, que la beauté dépend du jugement qu’on en porte, & les impressions, du jugement. Or, le jugement tenant au gout & le gout à l’habitude, il est naturel, qu’un Maure soit aussi frappé du noir bien foncé d’une belle Mauresque, qu’il l’est que nous soions touchés de la blancheur ébloüissante d’une belle Européenne.

J’ai lu ceci à une Dame fort spirituelle. « Un philosophe tant soit peu galant, m’a t’elle dit, auroit soutenu, que le Beau n’est point l’effet d’un point de vuë arbitraire ; Il auroit main tenu <sic> notre prééminence sur les Négresses ; il auroit dit, qu’un visage semé de lys & de roses est plus beau qu’un visage noir ; qu’un teint ombragé des horreurs de la nuit ne sçauroit entrer en comparaison avec un teint mélangé de blanc & de vermeil, embelli de tous les charmes du jour. En avoüant, que la nature, semble avoir destiné les Noires à faire les délices d’un Satyre que les ténèbres privent de l’usage de ses îeux, il auroit insinué, qu’elle semble avoir destiné les Blanches à faire l’agrément & le plaisir du Sage, dont l’oeil connoisseur sçait admirer le Beau le plus approchant de la beauté générale de la nature, la lumiere. Un poete, eut il dû ètre accusé de donner dans le Phébus, eut comparé les visages blancs au Soleil, dont chaque raïon, qui nous paroit blanc, est composé des raïons, [95] de chacune des autres couleurs, mélange qui forme un Tout parfait : il auroit envoié la plus belle Noire, à coté d’un marmouset de toilette. Allés, Monsieur, a t’elle ajouté, vous ne sçavés point nous faire votre cour. »

Cela est vrai ; & je suis si peu galant, que, quoique dans le paîs des Blondes, je ne hésiterai pas à me déclarer pour les Brunes. Ce n’est pas, que je ne convienne de tous leurs avantages ; mais qne <sic> voulés vous ? j’en juge par sentiment, & jusqu’ici les Blondes ne m’ont inspiré que du respect. Si jamais il me prenoit envie de rentrer sous le joug de l’himen, (car j’ai le bonheur d’ètre veuf) je préférerois une Blonde : sûr, que je ne l’aimerois pas, que tout au plus je m’amuserois quelques momens à la contempler, je serois heureux ; car est il un malheur comparable à celui d’un homme qui aime sérieusement sa femme ? il est tant de momens, où il ne peut le lui prouver avec honneur ! tant de momens, où la nature & la raison s’opposent à l’amour ! tant de momens où il est bon d’ètre libre, & où l’on sent qu’on est esclave ?

Veut on s’en tenir au simple badinage ? avec un <sic> Brune, on en fait un, de l’amour le plus sérieux. Veut on une maitresse ? on n’a qu’à s’associer avec de la vivacité, du penchant, de l’esprit, des graces, & tout cela fait l’appanage des Brunes ; on est heureux, parcequ’on se croit libre. Mais qu’on se garde bien d’entrer dans ces chaines qui autorisent une femme à aimer tout de bon & à éxiger quo’n <sic> l’aime de mème. Une Brune aime cent fois plus qu’une Blonde ; soit qu’elle accable son mari de ses sentimens ou qu’elle les lui dérobe pour les donner à un autre, suivant mes idées, son mari est le plus infortuné des mortels, s’il a l’esprit de se connoitre, & de sentir son infortune. Tout Jaloux est malheureux, & tout homme amoureux est jaloux.

[96] La Brune attache, fixe, amuse ; la Blonde ébloüit & frappe sans blesser. Quand la premiere offre aux ïeux ses charmes appetissans, on est tenté, séduit, en gout : quand la seconde etale ses attraits dans tout leur éclat, on est dans l’admiration, on s’approche, on veut éclaircir un léger soupçon de fadeur, le soupçon est presque toujours justifié.

Sérieuse, fière, glacée, la Blonde reçoit vos soupirs d’un air dédaigneux : il faut l’attaquer dans les formes, vous faire à son indolence, vaincre ses rigueurs qui sont bien moins le fruit de la raison, que de son orgueil & de son tempérament ; L’avés vous déterminée à du retour ? Elle exige de vous des soins infinis, elle vous accable de ses inégalités, elle vous fait essuier tous les jours ses froideurs, elle ne met rien du sien dans un commerce, où doit ètre à frais & à profits communs.

Vive, guaîe, tendre, la Brune aime à plaire & à vous plaire ; elle vous agace, vous résiste en vous agaçant, vous remplit de son feu ; vous avés à souffrir de ses bizareries, mais vous en etes dédommagé par les charmes du raccomodement : Son esprit vous égaïe, ses folies vous charment, ses saillies vous amusent ; elle semble faite pour les romans à la mode, au lieu que les vieux romans, ces romans qui vous filent une passion de dix ans en dix gros volumes, & qui soumettent votre belle à vos desirs dès qu’ils sont prèts à s’éteindre, semblent caractériser au mieux les Blondes.

Celles ci sçavent rarement l’art de varier leurs agrémens ; c’est toujours le même visage, & ce visage est souvent sans ame & sans vie. Celles là, moins belles, moins jolies, mais plus gentilles & plus aimables, répandent plus de variété dans leurs attraits & dans leur parure. Leur gout fournit toujours à leur imagination quelque chose de nouveau, de piquant, qui vous rappelle vous ranime. Vivent les appas éveillés ! ◀Nivel 2 ◀Nivel 1

1(*) Voiés la Page 70.