Sugestão de citação: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Ed.): "Le Grönlandois. Premier fragment.", em: La Spectatrice danoise, Vol.2\007 (1750), S. 59-62, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4433 [consultado em: ].


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Le Grönlandois.

Premier fragment.

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A huit heures du soir.

Carta/Carta ao editor► Narração geral► Nous sommes arrivés ici à six heures du matin. Des que nous avons débarqué, nous avons été entourés d’une foule de monde : on nous a regardés aves <sic> attention, éxaminés avec curiosité, questionnés à toute outrance. Ces gens ci n’ont ils jamais vu des hommes ?

Dès que nous sommes entrés dans la ville, mon étonnement m’a rendu raison du leur. Je ne saurois bien exprimer ma surprise à la vuë d’un peuple innombrable, rassemblé dans un si petit terrain. Je n’avois jamais pu compendre <sic> que tant d’hommes pussent vivre en communauté. Le prètre m’a expliqué ce [60] phénomène, en me disant, qu’ils étoient tous soumis aux lois, qui punissoient sévérement ceux qui troubloient le repos public. J’entends, lui ai je répondu ; vous ètes sociables & vertueux par nécessité.

On nous a conduit dans une assés belle maison, où quatre ou cinq glaces répétoient ma figure. Je m’y suis vu peint avec plaisir au naturel. Ce qui m’a frappé, c’est que les Européens jettassent sur ces miroirs de fréquens coups d’œuil, toujours suivis d’un souris d’approbation, eux qui sont si laids. Seroient ils prévenus en leur faveur au point de se croire jolis ? Ces mots m’ont échappé ; mon prètre les a relevé & m’a dît : Ce que les hommes appellent beauté n’est point une notion universelle, sur laquelle on puisse bâtir une définition éxactement juste ; c’est un accord de propositions, de simétrie, subordonné à la diversité d’optique de chaque nation. Cet homme qui se mire avec complaisance est, à nos ïeux, un bel homme : aux votres, ses traits sont monstrueux, parce qu’habitués a en voir de différens, ils ont familiarisés votre ame avec des idées de plaisir & d’aversion, qui, dans le fond arbitraires, vous sont devenues naturelles. Vous voulés dires, lui ai je répondu, que l’opinion régle le gout du beau sur des maximes qui nous sont favorites, & que la force de l’opinion dépend de la force de l’habitude. Oui ; c’est cela ; eh bien ! lui ai je répliqué, que ne le dites vous ? Vous parlés pour vous faire entendre ; & vous voulés qu’on vous dévine ?

Nous avons abordé respectueusement l’hotesse pour lui paier par la civilité accoutumée, le tribut de l’hospitalité. Elle a refusé nos caresses. ◀Narração geral Malheureux pais, où les hommes sont civisés <sic> & les femmes sauvages. Quand te reverrai je, ma chére Akatilma ? Tu prévenois tous mes desirs ; tu lisois dans mes ïeux [61] les sentimens de mon cœur ; tu volois dans mes bras ; tu ne te plaignois que de la briéveté de ces instans délicieux, que tu prolongeois quelquefois avec adresse, que tu ramenois insensiblement en m’embrasant de tes baisers, que tu animois par mille tendre mouvemens. Akatilma ! les nuits, que je passerai sans toi seront autant de siécles de plaisir volés à mon bonheur. Une Européenne a plus de modestie que toi ? mais a t’elle autant d’innocence ?

Narração geral► Quand nous nous sommes mis à table, un magnifique buffet, ouvert en un moment, ébloüi nos ïeux. Qu’est ce ? ai je dit ; c’est m’a t’on répondu l’étalage des richesses & du bon gout de Monsieur. Qu’il le fasse refermer, ai je réparti ; je suis ici pour manger, & l’on veut que j’admire ? non ; ma petite ame ne peut suffire à deux choses.

Le repas a été abondant ; on a gouté de tout, & on n’a mangé de rien. A quoi bon cette multitude de plats ? il y auroit là dequoi nourrir une armée. A quoi bon ? m’a t’on répondu ; à prouver la magnificence de Monsieur ; à régaler son amour propre ; à soutenir la réputation d’homme qui sait son monde. Je vous parle ingénument ; je n’oserois le lui dire. Comment ? ai je répliqué ; vous osés mépriser celui qui vous donne si galamment à diner. Et pourquoi non ? m’a t’il repondu, c’est bien de l’honneur qne <sic> je lui fais ? J’ai trente diners ; Je lui fais la grace de donner la préférence au sien ; j’y trouve mes amis.

Le grand cuisiner que vous avés, a dit quelqu’un d’un ton extasié ! l’habile homme ! Je ne mangeai jamais de meilleure entrée. Le maitre du logis dédaignoit tout, remercioit modestement ; j’ai vu pourtant, que chaque compliment des convives peignoit la joïe sur son visage ; le auvre <sic> homme ! m’a dit [62] mon voisin ; il ne voit pas, que c’est son cuisinier qu’on encense.

Et qu’est-ce qu’un cuisinier ? lui ai je demandé. Un cuisinier, m’a t’il dit, est un homme que nous gageons pour nous empoisonner avec élégance, avec propreté, avec délicatesse. Et vous souffrés des empoisonneurs publics dans votre ville ? il le faut bien, m’a t’il répondu ; Nous autres Européens, toujours ennuiés, toujours hors de nous mèmes, nous ne nous soucions point de vivre lon <sic> tems ; nous nous bornons à vivre avec agrément, & à couler nos rapides jours, filés par les mains des plaisirs. Or, pour cela, il nous faut des cuisiniers, des gens dont l’art sache flatter notre sensualité, rendre la vie à nos estomacs épuisés, & satisfaire par des ragouts étudiés les bizareries de notre palais. Les habiles dans cet art sont d’autant plus estimés parmi nous, qu’ils sont plus rares ; nous les tirons de France, païs de fins gourmets & de vins exquis. Les plus habiles sont ceux qui ont ruiné le plus de riches seigneurs. Ils se mettent á l’enchère ; on se les dispute, on se les enlève ; &, en un sens, on a raison. Les cuisiniers font tout le merite de la plupart de leurs maîtres. Mais celui ci, lui ai je dit, ne me paroit pas fort sçavant ; il a servi trente plats, dont aucun ne me revient. C’est, m’a t’il répondu, que vos palais de Grönland ne sont pas aussi délicats que les notres ; si je pouvois oublier un moment, que vous étes étranger, je vous dirois, que la nature est la mère des Européens & la maratre des Grönlandois : Vous avés si peu de plaisirs ! Et si peu de desirs, ai-je ajouté : tant pis, a t’il repliqué, l’homme n’est heureux, qu’autant qu’il a de besoins. ◀Narração geral Metatextualidade► Plaisante idée du bonheur ! ◀Metatextualidade ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3 ◀Nível 2 ◀Nível 1