Le Spectateur françois ou le Nouveau Socrate moderne: Discours XIII.

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No. 13.
Discours XIII.

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Sur l’Agiot, avec des remarques sur les Assignats.

Metatestualità

Je n’ai dit que quelques mots, dans mon troisieme discours, sur l’Agiotage ; mais comme cette maladie augmente tous les jours, et qu’elle a ses accès et ses redoublemens, je la traiterai ici un peu plus au long. Il faut toujours ouvrir l’histoire pour connoître la cause premiere des changemens qui se font dans les finances.
Les anciens ne connoissoient pas l’Agiotage ; tout le commerce se faisoit par des échanges, ainsi qu’il se fait encore aujourd’hui dans plusieurs endroits de la terre. Par exemple, les caravanes des Maures qui vont à Jombouctou, dans le fond de l’Afrique, troquer du sel contre l’or, négocient ainsi : le Maure met son sel dans un monceau, le Negre sa poudre dans un autre ; s’il n’y a pas assez d’or, le Maure retranche de son sel, ou le Negre ajoute de son or, jusqu’à ce que les deux parties soient d’accord. Les Athéniens firent des bœufs une monnoie, et les Romains des brebis ; mais comme un bœuf n’est pas la même chose qu’un autre bœuf, ni une brebis comme une autre brebis ; aulieu <sic> qu’une piece de monnoie, en tant qu’une piece de métal, peut être la même chose qu’une autre, on imagina le numéraire ; ce qui, pour le remarquer en passant, fut la premiere cause des malheurs du monde, parce que celui qui est plus de ce signe, devint le plus puissant. Ce fut avec lui que les Rois tyrans acheterent des chaînes pour rendre les hommes esclaves ; ce fut avec ce signe, et par ce signe, que l’Univers changea de face ; et que celui qui en eut davantage, devint le maître de celui qui en avoit moins. Mais il y avoit encore bien loin de l’établissement de la monnoie à l’agiotage dont il est question ici. Il fallut attendre que les fortunes publiques fussent ruinées, et que les Rois, avec des revenus prodigieux, fissent des emprunts immenses, auxquels on donna le nom d’effets royaux, qui devinrent une sorte de marchandise. Les Anglois furent les premiers, dans nos tems modernes, qui imaginerent de vendre l’espérance des profits qui devoient se faire sur ces mêmes effets, chose d’autant plus difficile à calculer, qu’ils étoient confondus dans le labyrinthe des causes secondes, dont aucun mortel n’a encore eu le fil. Cependant, il fallut inventer une foule de petits détours, et beaucoup de supercheries, pour donner une sorte de crédit à une marchandise, qui, par elle-même, n’en avoit aucune. Quelques moralistes Bretons, ont prétendu que c’est de cet agiotage qu’est sortie à Londres la race des mal-honnêtes gens. Cependant la maladie passa la mer, et vint attaquer la nation Françoise. Son poison n’eut aucun effet, jusqu’à ce que le ministre Génevois, par ses emprunts prodigieux, mit, sur la place de Paris, pour un milliard d’effets royaux. Ce fut alors que l’imagination s’échauffa, et qu’elle fit des prodiges inouis dans l’agiotage. Il faut rendre cette justice à la nation Françoise, il n’y en a aucune, sous la voûte du Ciel, qui ait plus de feu et d’activité, lorsqu’il s’agit de s’enrichir par la voie indirecte. Il faudroit six volumes pour donner le détail des fraudes et des malversations qu’elle mit en usage pour faire augmenter ou diminuer les fonds, selon qu’il convenoit à ses intérêts. La Hausse et la Baisse, comme on l’appella, devint un fond inépuisable de monopoles, pour en imposer à la crédulité publique. Le grand point, pour faire augmenter les fonds, consistoit à persuader que les affaires politiques de la France étoient au mieux, que cette monarchie alloit dominer en Europe ; au lieu que pour les faire diminuer, il falloit persuader que tout étoit perdu, qu’il n’y avoit plus de ressources pour elle ; cette conviction ne pouvoit avoir lieu que sur une correspondance étrangere. C’est aussi ce qu’on vient de faire en dernier lieu. Une honnête compagnie à argent, vient d’établir une presse secrete à Vienne, une autre à Amsterdam, par le moyen desquelles il ne s’agit pas de moins, que de faire une rafle générale sur la fortune publique. Par esemple <sic>, lorsque la compagnie voudra faire augmenter les actions, soit de la caisse d’escompte, ou autres, elle fera imprimer dix à douze mille lettres circulaires, qui s’exprimeront ainsi :

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Lettera/Lettera al direttore

« De Vienne le, ect. Après des soins, des recherches et des peines incroyables, nous avons découvert que l’Empereur Léopold, a formé la résolution de rendre la liberté à sa sœur, et de la retirer de la prison où elle est détenue aux Tuileries. A cet effet, il a commencé à faire passer une armée dans les Pays-Bas, sous prétexte de tenir les Belges en respect, en attendant qu’une autre considérable, s’avance sur les frontieres de la France pour agir aux premiers ordres qui lui seront donnés, qui ne tendront pas à moins qu’à envahir toute la partie du Royaume dont l’étendue va jusques à Paris, qui sera donné au pillage à l’armée Autrichienne. Léopold avoit des doutes sur cette expédition, à cause de l’armée nationale qui garde cette ville ; mais un de ses généraux l’a assuré, qu’avec ving-mille <sic> hommes d’élite, il se chargeoit de battre cette troupe bourgeoise, et de prendre la ville ; ses instructions secretes sont, après la prise de cette ville, de courir au trésor royal et à la caisse d’escompte pour y enlever tout le numéraire et tous les assignats qu’il y aura pour les envoyer à Vienne, et donner ordre en même-tems qu’il ne soit plus vendu aucun bien appartenant au Clergé ; c’est ce que nous pouvons assurer très-affirmativement. »
On peut bien juger, après une telle assertion, que les effets royaux tomberont de cenr <sic> pour cent. C’est alors que l’honorable compagnie en achetera pour plusieurs millions ; mais comme il faudra les faire remonter pour en retirer le profit, l’imprimerie d’Hollande publiera la lettre suivante :

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Lettera/Lettera al direttore

D’Amsterdam, le « Nous avons des avis certains que la derniere lettre qui a parue, en date de Vienne le . . . . . est dénuée de tout fondement, et que ce sont des gens mal intentionnés qui l’ont publiée, attendu que l’Empereur Léopold n’a jamais pensé de faire la guerre à son beau-frere, la révolution de Paris étant une affaire de famille, n’a aucun rapport avec la politique Autrichienne. Il n’est point vrai, d’ailleurs, que la reine de France, sa sœur, soit prisonniere de guerre, puisqu’elle va où elle veut, excepté à Versailles, et à Saint-Cloud, où l’air est très-mauvais en hiver, et pourroit faire du mal à leurs majestés. Il est encore plus faux qu’un général autrichien ait dit qu’avec vingt mille hommes, il battroit toute la troupe bourgeoise de Paris ; attendu que les bayonnettes de la milice de la troupe de cette capitale sont aussi bonnes que celles de Vienne, et que les balles de fusil tuent aussi bien que celles d’Allemagne. Ainsi, bien loin que les circonstances présentes puissent faire diminuer les fonds publics, ils doivent contribuer au contraire à les faire augmenter. C’est une méchanceté réfléchie qui sacrifie la vérité à l’intérêt personnel ; la France n’est si bien, ni si mal que ces lettres le publient.

Metatestualità

Les trois lettres suivantes ont quelque rapport avec l’agiotage des fonds publics.

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Lettera/Lettera al direttore

Monsieur le Spectateur, « Il y a environ six ans que je prêtai deux cents mille livres au gouvernement, que je portai moi-même au trésor royal, en beaux écus de poids. Vous voyez que j’y allois, comme on dit, beau jeu et bon argent. A la révolution, je crus avoir fait une mauvaise affaire ; car on disoit publiquement que Sa Majesté très-chrétienne alloit faire banqueroute. Je faisois quelques réflexions là-dessus, lorsque j’appris que l’Assemblée nationale, sans autre forme de procès, et par le seul acte de sa volonté, s’étoit emparée de tous les biens du clergé, pour payer la dette nationale. Cependant j’étois embarrassé, en mon particulier, de savoir comment elle s’acquitteroit avec moi, car je n’aime pas le bien d’autrui. J’étois d’autant plus ferme dans mon opinion, que je savois qu’il y a une loi criminelle en France, qui déclare que le receleur doit être pendu comme le voleur. J’étois dans cette perplexité, lorsque j’appris que l’assemblée nationale avoit résolu de faire des assignats. Il faudroit bien des affaires pour faire entendre à un Chinois, ce que ce mot veut exprimer en langue Asiatique ; mais dans la nôtre, cela veut dire une hypotèque sur un bien dont on vient de se rendre propriétaire. Je reçus donc deux cens mille francs en assignats pour ma créance, nota bene, comme je viens de le dire, que j’avois donné des écus ronds, et qu’on ne me donnoit que des morceaux de papier quarrés, où la figure de Louis XVI étoit dessinée. Or, je vous dirai qu’en fait de finances, je n’aime point la peinture, lorsque sur un effet on emploie la gravure où le peinceau, je fais aussi peu de cas d’un roi France que d’un roi de carreau. Je trouvois d’ailleurs que sa figure avoit beaucoup changé. On dit que les souverains sont attaqués ordinairement de la maladie de leurs gouvernemens. Il me sembla donc que Louis XVI étoit devenu paralitique de tous ses membres, et qu’il ne lui restoit de libre que la langue, dont il ne se servoit même que par monosyllabe. Il faut savoir, Monsieur le Spectateur, que j’ai trois filles à marier, et six créanciers à payer. Il me falloit donc, diviser les assignats en neuf portions différentes en especes ; je fus au trésor-royal, mais on me répondit néant. Attendu que le Roi ne payoit pas deux fois. Je me rendis à la caisse d’escompte ; même reponse, et même refus. Je marchois tristement dans les rues avec mes assignats, dans les mains, lorsque je recontrai un de mes amis. Je gage, me dit-il, que vous cherchez de l’argent pour vos assignats. Vous l’avez deviné lui dis-je. Eh bien, reprit-il, allez-vous en à l’entrée du Palais-Royal par la rue Vivienne, et vous trouverez là d’honnêtes-gens qui vous en bailleront. J’y fus, et j’y trouvai en effet des gens qui s’offroient de m’en bailler. J’étois prêt à le recevoir, lorsqu’ils me demanderent, si je savois le cours de la place. Je leur répondis que non. Eh bien, me dirent-ils, il est aujourd’hui à sept et un quart, pour cens compris les intérêts ; de maniere qu’il m’en coûta environ quinze milles francs pour liquider mes assignats. »

Metatestualità

La seconde s’exprimoit ainsi.

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Lettera/Lettera al direttore

Monsieur, « Je suis un honnête fabricant de la ville de Lodève, mes draps qui sont fabriqués avec la laine du pays, ne sont gueres propres qu’à pour habiller les domestiques ; et comme la race en est perdue dans nos cantons depuis la révolution, où il n’y a pas un seul homme qui soit aujourd’hui assez à son aise pour en avoir, je me suis rendu avec vingt balles de mes draps à Paris, où il reste encore parci, par-là quelques laquais à habiller. Un honnête marchand de la rue Saint-Denis, m’achetta toute ma pacotille qu’il me paya en assignats, sur lesquels je perdis six à sept pour cent. Ayant fait le calcul du transport de ma marchandise, de mon voyage, et du déficit sur les assignats, je trouvai que je perdois cinq pour cent sur mes ballots. J’ai écrit sur le champ à ma maison de Lodève pour qu’elle suspendit toute fabrication ; et il y a apparence que, sur mon avis, toutes les manufactures de draps de la province en feront de même. De maniere que deux jours après la réception de ma lettre, il y aura quatre à cinq mille ouvriers sur le pavé ; ainsi des autres manufactures de la France qui avoient coutume autrefois de transporter leurs draps à Paris. Lorsqu’une Assemblée nationale décrete sur un établissement, dont elle ne connoit pas les conséquences, elle ne peut faire que de la mauvaise besogne. Je suis, en attendant qu’elle ordonne d’en faire de meilleure, » Votre très-humble serviteur,
Londrelarge.

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Lettera/Lettera al direttore

Monsieur le Spectateur, « Je suis le premier garçon bijoutier de la plus célebre boutique de jouaillerie de Paris, dans laquelle je gagne cinquante livres par semaine. Samedi dernier, mon chef me remit un assignat de cinquante livres, me disant que cela faisoit la solde de ma huitaine. Je ne voulois pas le recevoir, car j’ai toujours préféré l’argent au papier ; mais il me montra un décret de la sérénissme Chambre nationale qui m’ordonnoit de le recevoir. Je le reçus, puisque nos honorables Maîtres l’ordonnoient ainsi ; bien entendu que j’obligerois quelqu’autre de le recevoir. J’ai pour coutume, Monsieur le Spectateur, de faire diete toute la semaine, pour faire meilleure chere le dimanche. Je ferois peut-être mieux de faire diete le dimanche, pour faire bonne chere toute la semaine ; mais mon ordinaire est monté comme cela.

Racconto generale

Je fus donc chez le célebre Beauvilliers (I1), au Palais-Royal de friande mémoire ; et lui montrant mon assignat, je lui dis de faire bonne chere. Il me répondit qu’il le feroit, pourvu que je voulusse dîner trois fois. Quoi, lui dis-je, croyez-vous que j’ai trois estomacs ? Ce n’est pas cela, me dit-il, je veux dire que vous me payerez trois fois la valeur de votre diné, sans quoi je ne prendrai pas votre assignat. Cela est bon, monsieur Beauvillier ; mais comment vous accommoderez-vous avec la sérénissime chambre des Communes ? Il ne s’agit pas de Sérénissime, il est question que je ne puis pas acheter mes poulets, mes poulardes avec du papier : mais descendez dans la rue, et vous trouverez en bas des accapareurs d’argent qui feront votre affaire. En effet, j’en trouvai un qui s’offrit de me le prendre moyennant cinquante-deux sols six derniers, qui, selon lui, étoient le cours de la place. Je lui donnai cinquante coups de bâton, laissant les deux sols six deniers pour une autre fois
 ». Je suis, etc. Tintamare.

Metatestualità

Mon premier correspondant a raison de se plaindre de la perte qu’il a faite de quinze mille livres sur les deux cents mille qu’il avoit prêtées à l’état. Lorsqu’un gouvernement emprunte, il doit toujours payer au tems marqué avec la même monnoie qu’il a reçue, ou du moins avec un papier équivalent, sans quoi on peut l’accuser d’avoir abusé de la confiance du prêteur. Le second n’a pas tort non plus de se plaindre de ce qu’ayant vendu ses draps à un marchand de la rue Saint-Denis, celui-ci l’a forcé de prendre en paiement des effets qui perdent sept ou huit pour cent : aussi menace-t-il le gouvernement de ne plus faire de draps de Lodeve. A l’égard de mon correspondant le bijoutier, je ne saurois trop lui dire s’il devoit donner la bastonnade à celui qui ne vouloit pas changer son billet de cinquante francs pour des especes sans avoir une prime de cinquante-deux sols et six deniers. La solution de ce problême est dans le dialogue suivant.

Dialogo

Le Bijoutier. Monsieur, voulez-vous me donner de l’argent pour un assignat de cinquante francs ?

Le Vendeur d’argent.

Non, Monsieur. Le Bijoutier. Pourquoi ? Le Vendeur d’argent. C’est que j’aime mieux mes écus que votre assignat. Le Bijoutier. Mais, Monsieur, j’ai besoin de vos écus ? Le Vendeur d’argent. Eh bien, payez-moi les donc selon le cours de la place, qui est de sept et demi pour cent ? Le Bijoutier. Vous me forcez donc, Monsieur, de vous donner cette prime ? Le Vendeur d’argent. Non, Monsieur, je ne vous y force pas. Gardez votre assignat, et je garderai mes écus.
Il est clair que c’est un marché entre deux particuliers, dont l’un a besoin de vendre et l’autre a besoin d’acheter. La loi n’y oblige ni ne le défend, et l’on n’est coupable que lorsqu’un la viole.
D’ailleurs, les métaux sont marchandise comme toutes les autres productions de la terre. On vend les piastres en Espagne, comme on y vend le poivre et la canelle. On achete l’or en Portugal, comme on y achete des diamans. Tout ceci mene à la dette nationale. On a dit, la France est ruinée, parce qu’elle est endettée : ce qui est une fausse conséquence tirée d’un faux principe. Il faut bien que la dette nationale ne ruine point un état ; car si elle le ruinoit, toutes les puissances de l’Europe seroient ruinées. L’Angleterre doit six ou sept fois plus qu’elle n’a. Il s’en faut de quarante millions que le Portugal n’ait rien. L’Espagne, avec toutes les richesses du Nouveau-Monde, est pauvre. Le Roi de Naples doit à ses sujets le tiers des revenus de sa couronne. Rome, qu’on croit si riche, doit plus qu’elle n’a. Venise n’est plus cette grande puissance qui possédoit autrefois de grandes richesses. Tous les autres petits états d’Italie languissent dans la pauvreté et la misere. Les particuliers de la Hollande sont riches, à la verité, mais la république ne l’est pas ; elle doit considérablement. L’empereur d’Allemagne manque de numéraire. La guerre que Joseph II a faite aux Turcs, a épuisé le trésor royal. Comme la puissance et les richesses sont relatives, Léopold est peut-être plus pauvre à Vienne, qu’il ne l’étoit à Florence. Par un calcul, aussi juste qu’il peut l’être sur ces sortes de choses, je trouve que la république générale de l’Europe posséde six milliards, et qu’elle en doit dix ; ce qui n’empêche pas qu’elle ne soit la premiere puissance de l’univers. Un état endetté peut s’acquitter de plusieurs manieres envers ses créanciers, sans débourser la somme que ses sujets lui ont prêtée, et qu’il n’a plus, parce qu’il l’a employée à la chose publique. La premiere opération est celle que l’Angleterre a pratiquée si heureusement de nos jours, qui est de réduire les intérêts des capitaux ; et elle le peut toujours, lorsque la dette nationale a contribué au bien général. La seconde est d’augmenter les branches du commerce, afin de mettre une taxe sur les nouvelles, pour établir une caisse d’amortissement, applicable à l’acquit de la dette nationale. Le projet de dépouiller les prêtres, pour habiller les créanciers de l’état, n’a pas été nul imaginé, d’autant mieux que les apôtres étoient assez mal équipés ; et on ne voit pas pourquoi ses successeurs devoient l’être mieux. Beaucoup de gens ont crié au sacrilége ; mais dans un tems de crise, il n’est pas question de mots, il s’agit de la chose. Cependant il semble qu’on a trop rodé autour de ces biens. Il falloit d’abord les faire servir à l’acquit de la dette nationale. Nous avons une loi civile qui, dans ce cas, peut servir d’exemple à la politique, celle de l’abandon des biens. Un citoyen devenu insolvable, mais à qui il reste un champ, une vigne, un verger, une maison, en fait une cession directe, et il devient quitte avec eux. César ordonna aux débiteurs de donner en payement à leurs créanciers les fonds de terre au prix qu’ils valoient. Vice versa, il falloit que le gouvernement donnât aux créanciers de l’état les biens du clergé sur le pied de l’estimation, en faisant des rôles relatifs. J’épuiserai ce sujet dans un autre Discours.

Livello 3

Suite des grandes époques.

Suite de Mazarin.

Pour suivre le fil de mon dernier Discours, le roi rentra dans Paris et tout fut paisible. La cour ayant repris son autorité, les grands qui avoient le plus de part à cette révolution furent exilés. Il n’y eut que Mazarin, l’auteur de tous les troubles, qui fut rappelé. On sait qu’il fut étonné lui-même en rentrant dans Paris au bruit des acclamations générales, après en être sorti avec autant de honte que de mépris. Effet ordinaire d’un peuple qui n’a point de caractère, et qui passe d’une extrémité à l’autre, sans trop savoir pourquoi. La France avoit alors un allié qui étoit en état de rétablir sa grandeur, et de lui faire reprendre l’empire qu’elle avoit eu dans des tems moins orageux, la Suède. Ce gouvernement s’étoit créé une milice qui avoit la supériorité par la force, et peut-être par le courage, sur celles des premieres puissances belligérantes. C’étoit un spectacle pour l’Europe de voir une armée redoutable dans un Etat qui jusques alors n’avoit jamais été redouté. Il faut que je rapporte ici comment ses troupes apprenoient à vaincre, afin que cet exemple serve de leçon à toutes les puissances militaires qui veulent s’élever par les armes.

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« Les Suédois faisoient la guerre dans toutes les saisons de l’année, et ils subsistoient trois mois dans des quartiers où leurs ennemis n’auroient pu vivre huit jours. Tous les enfans qu’ils avoient eus depuis Gustave, avoient reçus une éducation toute militaire. Dès qu’ils étoient en état de marcher, ils suivoient leurs peres à la guerre, et prenoient le mousquet à l’âge de seize ans. Leurs ministres, qui étoient leurs directeurs, les élevoient dans une étonnante sévérité de mœurs, et cette sévérité s’étendoit sur l’armée entiere, d’où le libertinage étoit banni. Ils les rassembloient sous des tentes, au milieu des camps, et leur inspiroient tout à la fois le goût des armes, des lettres et de la vertu. Leurs études étoient interrompues par le canon des ennemis. Ces jeunes soldats voyoient quelques fois tomber leurs camarades sans changer de place etc., ».

Metatestualità

Les regnes de Louis XIV et de Louis XV sont trop près de nous pour en faire des époques. Leurs mémoires, qui sont dans les mains de tout le monde, sont si communes, que tout le monde les sait.

1(I) C’est un qui a de la réputation.